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'''<span style="font-size:x-large;">Le statut juridique de la femme et son évolution</span>'''
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'''<span style="font-size:x-large;">Le statut juridique de la femme et son évolution</span>''' &nbsp;
&nbsp; Le statut de la femme se définissait en général par référence à sa situation familiale ou matrimoniale&nbsp;: fille, femme mariée, veuve, religieuse. &nbsp;  
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Le statut de la femme se définissait en général par référence à sa situation familiale ou matrimoniale&nbsp;: fille, femme mariée, veuve, religieuse. &nbsp;
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= A. La femme dans le droit civil =
 
= A. La femme dans le droit civil =
Au Moyen Âge et à l’époque moderne, le statut de la femme est défini par un certain nombre de droits issus des codes germaniques, codifiés dans les statuts urbains, les coutumiers, et la jurisprudence des tribunaux et cours. Selon les localités ou les régions, il peut présenter des variantes, quelquefois importantes, par exemple sur le régime matrimonial ou celui de la succession. Le ''Schwabenspiegel'' (Miroir des Souabes), rédigé à Augsbourg à la fin du XIIIe&nbsp; siècle, est contemporain de nombre de statuts urbains de l’Alsace et y a été fort diffusé. Il constitue une référence commune des droits de l’Allemagne du Sud-Ouest, codes urbains ou coutumiers. Ceux-ci peuvent cependant reprendre des dispositions juridiques bien plus anciennes. &nbsp; En règle générale, la femme est sous tutelle permanente&nbsp;: fille, épouse ou veuve, elle ne contracte et ne plaide valablement qu’avec le concours d’un tuteur, son père, mari, ses fils ou un tuteur choisi ou désigné. &nbsp;  
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Au Moyen Âge et à l’époque moderne, le statut de la femme est défini par un certain nombre de droits issus des codes germaniques, codifiés dans les statuts urbains, les coutumiers, et la jurisprudence des tribunaux et cours. Selon les localités ou les régions, il peut présenter des variantes, quelquefois importantes, par exemple sur le régime matrimonial ou celui de la succession. Le ''Schwabenspiegel'' (Miroir des Souabes), rédigé à Augsbourg à la fin du XIIIe&nbsp; siècle, est contemporain de nombre de statuts urbains de l’Alsace et y a été fort diffusé. Il constitue une référence commune des droits de l’Allemagne du Sud-Ouest, codes urbains ou coutumiers. Ceux-ci peuvent cependant reprendre des dispositions juridiques bien plus anciennes. &nbsp; En règle générale, la femme est sous tutelle permanente&nbsp;: fille, épouse ou veuve, elle ne contracte et ne plaide valablement qu’avec le concours d’un tuteur, son père, mari, ses fils ou un tuteur choisi ou désigné. &nbsp;
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== Âge de la majorité ==
 
== Âge de la majorité ==
On distingue la majorité matrimoniale et la majorité civile. Dans le ''Schwabenspiegel'', l’âge de la majorité matrimoniale des filles est fixé à 12&nbsp;ans et celle des garçons à 14&nbsp;ans (v.&nbsp;Enfants). À cet âge, le mariage consommé et présumé fécond, est réputé valide. Mais la majorité civile de la fille, comme celle du garçon, est fixée à 25&nbsp;ans. À cet âge, la fille peut disposer de ses biens (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht''&nbsp;I, art.&nbsp;59). Si elle mène une vie dissolue, elle perd son honneur, mais pas son héritage (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht'' I, art.&nbsp;15). Le VI<sup>e</sup>&nbsp;statut de Strasbourg fixe cette majorité à 20&nbsp;ans (''UBS'', Statut de Strasbourg, VI, art.&nbsp;294). Cependant, la capacité juridique de la femme célibataire n’est que partielle&nbsp;; elle est pourvue d’un tuteur lorsqu’elle este en justice (''Kriegsvogtei''). &nbsp;  
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On distingue la majorité matrimoniale et la majorité civile. Dans le ''Schwabenspiegel'', l’âge de la majorité matrimoniale des filles est fixé à 12&nbsp;ans et celle des garçons à 14&nbsp;ans (v.&nbsp;Enfants). À cet âge, le mariage consommé et présumé fécond, est réputé valide. Mais la majorité civile de la fille, comme celle du garçon, est fixée à 25&nbsp;ans. À cet âge, la fille peut disposer de ses biens (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht''&nbsp;I, art.&nbsp;59). Si elle mène une vie dissolue, elle perd son honneur, mais pas son héritage (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht'' I, art.&nbsp;15). Le VI<sup>e</sup>&nbsp;statut de Strasbourg fixe cette majorité à 20&nbsp;ans (''UBS'', Statut de Strasbourg, VI, art.&nbsp;294). Cependant, la capacité juridique de la femme célibataire n’est que partielle&nbsp;; elle est pourvue d’un tuteur lorsqu’elle este en justice (''Kriegsvogtei''). &nbsp;
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== Capacité juridique ==
 
== Capacité juridique ==
La règle est générale&nbsp;: la femme n’a pas de capacité juridique autonome. Elle est placée sous la tutelle d’un homme de par son sexe (''Geschlechtsvormundschaft'', ''cura sexus''). Elle ne peut ester en justice (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht'' I, art.&nbsp;13) et sa parole ne sera pas admise en témoignage (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht'' I, art.&nbsp; 75). Par contre, elle peut se plaindre auprès du juge, d’un tuteur indélicat, mais sera pourvue par le Magistrat ou le tribunal d’un tuteur qui se porte garant pour elle (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht'' I, art.&nbsp; 75). Dans le statut de Colmar, de&nbsp;1293, il est expressément prévu que la fille de bourgeois ne peut pas témoigner en justice. La réception du droit romain au XVIe&nbsp;siècle aurait pu entraîner une certaine libéralisation. Le droit canonique traite la femme sur le même pied que l’homme pour les sacrements&nbsp;: baptême, confirmation, confession et extrême-onction, mais elle est toujours exclue des fonctions ecclésiales majeures (v.&nbsp;Femme religieuse). Cependant, alors que nombre d’États de l’Empire semblent connaître une évolution libérale qui va même jusqu’à l’égalité des statuts dans la gestion des biens et devant les tribunaux, dans le sud-ouest de l’Empire, c’est la réaction qui s’impose, qui rejette la liberté de gestion des femmes célibataires. D’après le ''Schwabenspiegel ''(''Landrecht'', art.&nbsp;74, fin XIIIe&nbsp;siècle), les filles et femmes qui n’ont pas de mari peuvent aliéner leur bien sans leur tuteur, quand elles sont majeures (25&nbsp;ans), sauf si elles ont des héritiers qui peuvent faire valoir leurs droits. Pourtant, à Strasbourg une ordonnance de&nbsp;1433 prescrit que «&nbsp;toute jeune fille ou veuve qui a du bien doit être pourvue d’un tuteur qui ne soit pas son héritier et s’il ne s’en trouve pas parmi leurs amis, alors Magistrat et conseil doivent en choisir un parmi les XXI, qui prêtera le serment de gérer en bon tuteur, fidèle conformément aux dispositions du livre des tutelles&nbsp;». La disposition est rappelée par une thèse de Jean Fischer, ''De Tutela Materna'', soutenue à Strasbourg en&nbsp;1754. &nbsp; Des dispositions analogues figurent dans les statuts de Mulhouse (1740), de Fribourg-en-Brisgau (1541), Lucerne, Zurich, Bâle, Saint-Gall et Ulm (1579 et 1616), ainsi que dans le ''Landrecht'' wurtembergeois de&nbsp;1555 et celui du Margraviat de Bade, de&nbsp;1619. Se forme ainsi une aire d’inégalité maximale de tutelle du sexe faible et de tutelle maritale (''cura sexus'' et ''cura maritalis''), dans le sud de l’Empire. Les trois grands codes de la fin du XVIIIe et du début du XIXe (''Allgemeines bürgerliches Gesetzbuch'' autrichien, le plus libéral), ''Allgemeines Landrecht'' prussien et Code Napoléon adoptent tous trois le principe de la capacité juridique de la femme, mais imposent la tutelle de la femme mariée. L’extension du Code civil à une grande partie de l’Europe impose donc dans les territoires de droit limité le principe de l’autonomie de la femme célibataire (et de la veuve). En&nbsp;1815, l’Europe est répartie en trois grandes aires de droit de la femme&nbsp;: la France avec les anciens départements de la rive gauche est dans une aire d’égalité de principe pour la femme non mariée, mais de tutelle pour la femme mariée, tout comme la Prusse&nbsp;; en second lieu, les États du Nord-Est de l’Empire, la Bavière et l’Autriche, où la tutelle de la femme mariée par le mari est limitée, et enfin, paradoxalement, car ce sont aussi les premières principautés constitutionnelles allemandes, le Bade et le Wurtemberg, ont réintroduit les anciens codes avec leurs tutelles intégrales, tout comme les cantons suisses (Holthöfer, ''Die Geschlechtsvormundschaft'').&nbsp; &nbsp;  
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La règle est générale&nbsp;: la femme n’a pas de capacité juridique autonome. Elle est placée sous la tutelle d’un homme de par son sexe (''Geschlechtsvormundschaft'', ''cura sexus''). Elle ne peut ester en justice (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht'' I, art.&nbsp;13) et sa parole ne sera pas admise en témoignage (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht'' I, art.&nbsp; 75). Par contre, elle peut se plaindre auprès du juge, d’un tuteur indélicat, mais sera pourvue par le Magistrat ou le tribunal d’un tuteur qui se porte garant pour elle (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht'' I, art.&nbsp; 75). Dans le statut de Colmar, de&nbsp;1293, il est expressément prévu que la fille de bourgeois ne peut pas témoigner en justice. La réception du droit romain au XVIe&nbsp;siècle aurait pu entraîner une certaine libéralisation. Le droit canonique traite la femme sur le même pied que l’homme pour les sacrements&nbsp;: baptême, confirmation, confession et extrême-onction, mais elle est toujours exclue des fonctions ecclésiales majeures (v.&nbsp;Femme religieuse). Cependant, alors que nombre d’États de l’Empire semblent connaître une évolution libérale qui va même jusqu’à l’égalité des statuts dans la gestion des biens et devant les tribunaux, dans le sud-ouest de l’Empire, c’est la réaction qui s’impose, qui rejette la liberté de gestion des femmes célibataires. D’après le ''Schwabenspiegel ''(''Landrecht'', art.&nbsp;74, fin XIIIe&nbsp;siècle), les filles et femmes qui n’ont pas de mari peuvent aliéner leur bien sans leur tuteur, quand elles sont majeures (25&nbsp;ans), sauf si elles ont des héritiers qui peuvent faire valoir leurs droits. Pourtant, à Strasbourg une ordonnance de&nbsp;1433 prescrit que «&nbsp;toute jeune fille ou veuve qui a du bien doit être pourvue d’un tuteur qui ne soit pas son héritier et s’il ne s’en trouve pas parmi leurs amis, alors Magistrat et conseil doivent en choisir un parmi les XXI, qui prêtera le serment de gérer en bon tuteur, fidèle conformément aux dispositions du livre des tutelles&nbsp;». La disposition est rappelée par une thèse de Jean Fischer, ''De Tutela Materna'', soutenue à Strasbourg en&nbsp;1754. &nbsp; Des dispositions analogues figurent dans les statuts de Mulhouse (1740), de Fribourg-en-Brisgau (1541), Lucerne, Zurich, Bâle, Saint-Gall et Ulm (1579 et 1616), ainsi que dans le ''Landrecht'' wurtembergeois de&nbsp;1555 et celui du Margraviat de Bade, de&nbsp;1619. Se forme ainsi une aire d’inégalité maximale de tutelle du sexe faible et de tutelle maritale (''cura sexus'' et ''cura maritalis''), dans le sud de l’Empire. Les trois grands codes de la fin du XVIIIe et du début du XIXe (''Allgemeines bürgerliches Gesetzbuch'' autrichien, le plus libéral), ''Allgemeines Landrecht'' prussien et Code Napoléon adoptent tous trois le principe de la capacité juridique de la femme, mais imposent la tutelle de la femme mariée. L’extension du Code civil à une grande partie de l’Europe impose donc dans les territoires de droit limité le principe de l’autonomie de la femme célibataire (et de la veuve). En&nbsp;1815, l’Europe est répartie en trois grandes aires de droit de la femme&nbsp;: la France avec les anciens départements de la rive gauche est dans une aire d’égalité de principe pour la femme non mariée, mais de tutelle pour la femme mariée, tout comme la Prusse&nbsp;; en second lieu, les États du Nord-Est de l’Empire, la Bavière et l’Autriche, où la tutelle de la femme mariée par le mari est limitée, et enfin, paradoxalement, car ce sont aussi les premières principautés constitutionnelles allemandes, le Bade et le Wurtemberg, ont réintroduit les anciens codes avec leurs tutelles intégrales, tout comme les cantons suisses (Holthöfer, ''Die Geschlechtsvormundschaft'').&nbsp; &nbsp;
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== La femme mariée ==
 
== La femme mariée ==
Le mari est le maître et le tuteur de la femme mariée. ''Der Mann ist der Vogt des Weibes und ihr Meister ''(''Schwabenspiegel'', ''Landrecht''&nbsp;I, art.&nbsp;9). C’est la condition de son mari noble, libre ou serf qui s’impose à la femme. Si elle a été libre, elle perd cette liberté le temps du mariage et ne peut la recouvrer qu’à la dissolution du mariage (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht''&nbsp;I, art.&nbsp;67). Mais les enfants du couple prennent la condition la plus avantageuse (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht&nbsp;''I, art.&nbsp;68). &nbsp;  
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Le mari est le maître et le tuteur de la femme mariée. ''Der Mann ist der Vogt des Weibes und ihr Meister ''(''Schwabenspiegel'', ''Landrecht''&nbsp;I, art.&nbsp;9). C’est la condition de son mari noble, libre ou serf qui s’impose à la femme. Si elle a été libre, elle perd cette liberté le temps du mariage et ne peut la recouvrer qu’à la dissolution du mariage (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht''&nbsp;I, art.&nbsp;67). Mais les enfants du couple prennent la condition la plus avantageuse (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht&nbsp;''I, art.&nbsp;68). &nbsp;
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=== Le régime des biens en régime matrimonial – la part inégale de la femme ===
 
=== Le régime des biens en régime matrimonial – la part inégale de la femme ===
Quel que soit le régime matrimonial, la femme reçoit au lendemain de ses noces une ''Morgengabe'' qu’elle conservera en cas de prédécès de son mari et qui ne peut être jointe à la communauté pour le paiement des dettes. À la femme également, et à ses filles si elle disparaît, la [[Heimsteuer]] (qu’elle ait été apportée, cas le plus fréquent, ou donnée par le mari)&nbsp;: basse-cour, linge, vaisselle, literie et draps, bijoux et vêtements (''Spindeltheil,'' par opposition au ''Schwerttheil'' du père et des garçons). &nbsp; Les régimes matrimoniaux dominants de l’Alsace (v. [[Coutume]]) sont&nbsp;: - Le régime strasbourgeois où la communauté est réduite aux acquêts qui sont partagés aux 2/3-1/3. - La dévolution du Centre-Alsace, avec communauté universelle et sa transmission intégrale (''Verfangenschaft'') aux enfants avec usufruit au survivant jusqu’à son décès. - Le régime de Ferrette, appliqué dans le Sud de l’Alsace et un grand nombre de communautés alsaciennes, avec selon les cas, communauté universelle ou d’acquêts et meubles répartis aux 2/3 et 1/3. &nbsp; Mais, dans la plupart des régimes, le partage se fait aux 2/3 pour le mari – 1/3 pour la femme, puisqu’on considère que, dans un ménage, c’est le mari qui acquiert et la femme qui conserve. &nbsp;  
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Quel que soit le régime matrimonial, la femme reçoit au lendemain de ses noces une ''Morgengabe'' qu’elle conservera en cas de prédécès de son mari et qui ne peut être jointe à la communauté pour le paiement des dettes. À la femme également, et à ses filles si elle disparaît, la [[Heimsteuer|Heimsteuer]] (qu’elle ait été apportée, cas le plus fréquent, ou donnée par le mari)&nbsp;: basse-cour, linge, vaisselle, literie et draps, bijoux et vêtements (''Spindeltheil,'' par opposition au ''Schwerttheil'' du père et des garçons). &nbsp; Les régimes matrimoniaux dominants de l’Alsace (v. [[Coutume|Coutume]]) sont&nbsp;: - Le régime strasbourgeois où la communauté est réduite aux acquêts qui sont partagés aux 2/3-1/3. - La dévolution du Centre-Alsace, avec communauté universelle et sa transmission intégrale (''Verfangenschaft'') aux enfants avec usufruit au survivant jusqu’à son décès. - Le régime de Ferrette, appliqué dans le Sud de l’Alsace et un grand nombre de communautés alsaciennes, avec selon les cas, communauté universelle ou d’acquêts et meubles répartis aux 2/3 et 1/3. &nbsp; Mais, dans la plupart des régimes, le partage se fait aux 2/3 pour le mari – 1/3 pour la femme, puisqu’on considère que, dans un ménage, c’est le mari qui acquiert et la femme qui conserve. &nbsp;
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=== La gestion des biens du couple marié ===
 
=== La gestion des biens du couple marié ===
L’épouse ne dispose plus de ses biens, propres, apports ou ''Morgengabe''&nbsp;: ils sont gérés par le mari. «&nbsp;La femme vivant avec son mari ne peut disposer de ses biens, ne peut les engager. La femme ou les enfants sont sous puissance paternelle et elle ne peut disposer de son bien sans accord du mari&nbsp;» (vente, don, gage) (Statuts de Colmar, texte de&nbsp;1593). La redécouverte du droit romain (XIIIe-XIVe&nbsp; siècle) et des lois romaines qui prohibent l’aliénation des biens dotaux (Loi ''Julia De Fundo Dotali'') ou interdisent aux femmes de s’engager pour autrui (Senatus Consulte Velleien), entraînent l’insertion par les tabellions et notaires de formules de renonciation à ces dispositions pour mettre les créanciers du mari à l’abri. Interdites en France par Henri&nbsp;IV, ces formules n’ont donc pas été introduites en Alsace par le [[Conseil_souverain]], mais on les rencontre dans le Saint-Empire, particulièrement dans les villes où elles s’appliquent aux ménages de commerçants. La coopération de l’épouse est pourtant nécessaire pour nombre d’actes de la gestion de la communauté. Le mari doit recueillir l’avis de l’épouse (et de celui d’un tuteur issu de sa lignée) s’il veut disposer des biens propres de sa femme ou de sa ''Morgengabe'' (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht''&nbsp; I, art.&nbsp; 23 et coutumes d’Alsace). Il est vrai que le Conseil souverain «&nbsp;attaché à assimiler le mari ferrettain au mari parisien&nbsp;» (Bonvalot) a restreint les droits de la femme. Il arrête que la coutume ferrettaine entraîne communauté universelle des apports et des acquêts assimilés à des meubles comme dans la coutume de Paris. D’après Bonvalot, si la coutume de Ferrette condamne&nbsp;les actes passés à l’auberge par le mari, ce n’est pas tellement par méfiance contre les effets de l’alcool, mais parce que la femme n’a pas participé à la conclusion de l’acte et donné son accord (Bonvalot, ''La Coutume de Ferrette'', p.&nbsp;201). &nbsp;  
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L’épouse ne dispose plus de ses biens, propres, apports ou ''Morgengabe''&nbsp;: ils sont gérés par le mari. «&nbsp;La femme vivant avec son mari ne peut disposer de ses biens, ne peut les engager. La femme ou les enfants sont sous puissance paternelle et elle ne peut disposer de son bien sans accord du mari&nbsp;» (vente, don, gage) (Statuts de Colmar, texte de&nbsp;1593). La redécouverte du droit romain (XIIIe-XIVe&nbsp; siècle) et des lois romaines qui prohibent l’aliénation des biens dotaux (Loi ''Julia De Fundo Dotali'') ou interdisent aux femmes de s’engager pour autrui (Senatus Consulte Velleien), entraînent l’insertion par les tabellions et notaires de formules de renonciation à ces dispositions pour mettre les créanciers du mari à l’abri. Interdites en France par Henri&nbsp;IV, ces formules n’ont donc pas été introduites en Alsace par le [[Conseil_souverain|Conseil_souverain]], mais on les rencontre dans le Saint-Empire, particulièrement dans les villes où elles s’appliquent aux ménages de commerçants. La coopération de l’épouse est pourtant nécessaire pour nombre d’actes de la gestion de la communauté. Le mari doit recueillir l’avis de l’épouse (et de celui d’un tuteur issu de sa lignée) s’il veut disposer des biens propres de sa femme ou de sa ''Morgengabe'' (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht''&nbsp; I, art.&nbsp; 23 et coutumes d’Alsace). Il est vrai que le Conseil souverain «&nbsp;attaché à assimiler le mari ferrettain au mari parisien&nbsp;» (Bonvalot) a restreint les droits de la femme. Il arrête que la coutume ferrettaine entraîne communauté universelle des apports et des acquêts assimilés à des meubles comme dans la coutume de Paris. D’après Bonvalot, si la coutume de Ferrette condamne&nbsp;les actes passés à l’auberge par le mari, ce n’est pas tellement par méfiance contre les effets de l’alcool, mais parce que la femme n’a pas participé à la conclusion de l’acte et donné son accord (Bonvalot, ''La Coutume de Ferrette'', p.&nbsp;201). &nbsp;
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=== La succession ===
 
=== La succession ===
Devant l’héritage, les filles sont à égalité avec les garçons. Elles héritent donc à parts égales de leur père (les 2/3) comme de leur mère (le 1/3). À l’instar de leurs frères, les filles, dotées avant la mort de leurs parents, voient leurs parts rapportées à la succession et déduite. Par contre, dans la majorité des coutumes, la fille cède la place à son frère puîné pour&nbsp;&nbsp;l’héritage du domaine paternel (juveigneurie) et n’y a droit que s’il n’y a pas de garçons, sauf à être dédommagée par soulte. &nbsp; La veuve &nbsp; Dans le royaume de France, à partir du XVIe&nbsp; siècle, certaines coutumes, principalement la coutume parisienne (car d’autres ne le prévoient pas) admettent que la veuve retrouve une pleine ca�pacité juridique de gestion et de disposition. Mais, en Alsace, la veuve passe de la tutelle de son mari à celle d’un tuteur, un proche-parent issu de sa lignée. Le Schwabenspiegel prévoit que le fils majeur, qui doit avoir plus de 25&nbsp;ans, assume la tutelle de ses frères et sœurs mineurs et de sa mère, si toutefois elle en est d’accord (Schwabenspiegel, Landrecht&nbsp;I. art.&nbsp; 26). La veuve jouit donc d’une autonomie fort limitée, sauf sans doute sur sa Morgengabe ou son Wittum. Pour toutes démarches judiciaires, la femme a besoin d’un tuteur qui se porte garant pour elle. C’est le cas aussi pour ses biens propres sur lesquels son lignage exerce encore un droit de contrôle. Si elle n’en a pas l’usufruit, la veuve peut rester dans le domaine de son mari pendant 30&nbsp; jours (Schwabenspiegel, art.&nbsp;25) ou jusqu’à la naissance de l’enfant si elle est enceinte. Puis, sous le contrôle du tuteur, l’on procède au partage&nbsp; : elle prend sa Morgengabe, son trousseau (Spindeltheil) et sa part des meubles partagés en deux avec les enfants (Schwabenspiegel, Landrecht, art.&nbsp; 147). Il est donc prévu un inventaire qui détermine ces parts et les remet aux ayant droits. Par contre, la coutume de Ferrette (et la plupart des coutumes communau�taires) ne prévoit pas que la veuve puisse renoncer à l’héritage pour ne pas avoir à assumer un passif plus grand que l’actif. Par contre, les arrêts du Conseil souverain, de&nbsp;1723 et de&nbsp;1725, introduisent sur ce point les dispositions des ordonnances et arrêts français sur l’acceptation des successions sous béné�fice d’inventaire, et la veuve est protégée (Bonvalot, p.&nbsp; 205 et s.). À partir de&nbsp; 1804 s’appliquent les dispositions du Code Napoléon qui prévoit que la veuve a trois mois pour faire une renonciation auprès du greffe du juge de paix (CC.&nbsp;1453 et s.). La tutelle des orphelins Il est rare que le père survivant soit chargé de la tutelle de ses enfants mineurs, la mère ne l’est jamais. Voilà la règle générale des statuts et coutu�miers alsaciens telle qu’elle est affirmée par le statu�taire d’Alsace publié par d’Agon de la Contrie. Au décès de l’un des deux conjoints, leurs plus proches parents ou amis se rassemblent devant le bailli ou le commissaire du Magistrat des villes et quelquefois devant le prévôt du village et établissent ordinai�rement le plus proche parent tuteur des mineurs. Celui-ci accepte la tutelle data manu loco juramenti. Le commissaire du bailli que, pour cette raison, on appelle commissaire aux tutelles faisait de temps en temps rendre les comptes de leur gestion. Les procureurs fiscaux devaient veiller à ce qu’ils fussent rendus. Les villes veillent à assurer la tutelle des orphelins avec, à Strasbourg, un Vogteigericht, à Colmar les Weysenvögte et à Mulhouse un Waisengericht, choisis dans le Magistrat. Ce sont les corporations qui régissent la tutelle des orphelins d’artisans. Pourtant, le droit romain prévoit que la tutelle, dite légitime, incombe au parent survivant&nbsp;; la mère pouvait donc être tutrice de ses enfants. Le Conseil souverain a reconnu la qualité de tutrice légitime aux princesses, veuves et tutrices de leurs enfants, la duchesse de Deux-Ponts (1736) ou la marquise de Rosen (1751). Les arrêts de l’affaire qui op�posent deux curés à la veuve Caroline Waldner de Freundstein (1756) ou celle de la Dame Ferrier, qui avait fait procéder à un inventaire de la suc�cession de son mari, avocat au Conseil souverain, par un conseiller, éclairent quelque peu la termi�nologie. Elles sont qualifiées de «&nbsp; tutrices natu�relles&nbsp; », non pas de «&nbsp; tutrices légales&nbsp; ». Le droit germanique ne connaît pas la différence entre le tuteur, chargé de l’éducation des enfants (et de la gestion de leurs affaires) et la curatelle, qui se borne à la seule gestion des biens des mineurs. Dans l’affaire Catherine&nbsp; Kopp contre le Magistrat de Colmar (de Boug&nbsp;II, 1764, p.&nbsp;658 et s.), où la Ville ne veut pas reconnaître à son petit-fils, considéré comme étranger, sa part d’un héritage colmarien, Catherine&nbsp;Kopp, qualifiée de «&nbsp;tutrice naturelle&nbsp;», prend un curateur et gagne son procès (v.&nbsp;Étranger). Mais dès 1674, le Conseil alors encore Provincial et siégeant à Ensisheim avait rappelé aux officiers leurs devoirs de protection des mineurs en les dotant de tuteurs (de Boug, 16&nbsp;février&nbsp;1674). Dans son commentaire de la coutume d’Orbey (p.&nbsp;41), Bonvalot relève que cette règle paraissait négligée au milieu du XVIIe&nbsp;siècle&nbsp;; le tuteur était souvent le conjoint survivant –&nbsp; soit également la mère&nbsp; – et il avait fallu la rappeler sous peine d’amende. Ganghoffer estime que, dans le cours du XVIIe et XVIIIe&nbsp;siècle, dans le centre de l’Alsace, la tutelle s’était rapprochée de celle qui existait dans le droit coutumier de l’ancienne France (Ganghoffer, tu�telle, p.&nbsp;325). Avec le Code Napoléon, le principe de la cou�tume de Paris, qui donne à la mère la tutelle légale,
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Devant l’héritage, les filles sont à égalité avec les garçons. Elles héritent donc à parts égales de leur père (les 2/3) comme de leur mère (le 1/3). À l’instar de leurs frères, les filles, dotées avant la mort de leurs parents, voient leurs parts rapportées à la succession et déduite. Par contre, dans la majorité des coutumes, la fille cède la place à son frère puîné pour&nbsp;&nbsp;l’héritage du domaine paternel (juveigneurie) et n’y a droit que s’il n’y a pas de garçons, sauf à être dédommagée par soulte. &nbsp;
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=== La veuve &nbsp; ===
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Dans le royaume de France, à partir du XVIe&nbsp; siècle, certaines coutumes, principalement la coutume parisienne (car d’autres ne le prévoient pas) admettent que la veuve retrouve une pleine capacité juridique de gestion et de disposition. Mais, en Alsace, la veuve passe de la tutelle de son mari à celle d’un tuteur, un proche-parent issu de sa lignée. Le ''Schwabenspiegel'' prévoit que le fils majeur, qui doit avoir plus de 25&nbsp;ans, assume la tutelle de ses frères et sœurs mineurs et de sa mère, si toutefois elle en est d’accord (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht''&nbsp;I. art.&nbsp; 26). La veuve jouit donc d’une autonomie fort limitée, sauf sans doute sur sa ''Morgengabe'' ou son ''Wittum''. Pour toutes démarches judiciaires, la femme a besoin d’un tuteur qui se porte garant pour elle. C’est le cas aussi pour ses biens propres sur lesquels son lignage exerce encore un droit de contrôle.
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Si elle n’en a pas l’usufruit, la veuve peut rester dans le domaine de son mari pendant 30&nbsp; jours (''Schwabenspiegel'', art.&nbsp;25) ou jusqu’à la naissance de l’enfant si elle est enceinte. Puis, sous le contrôle du tuteur, l’on procède au partage&nbsp;: elle prend sa ''Morgengabe'', son trousseau (''Spindeltheil'') et sa part des meubles partagés en deux avec les enfants (''Schwabenspiegel'', ''Landrecht'', art.&nbsp;147). Il est donc prévu un inventaire qui détermine ces parts et les remet aux ayant droits. Par contre, la coutume de Ferrette (et la plupart des coutumes communautaires) ne prévoit pas que la veuve puisse renoncer à l’héritage pour ne pas avoir à assumer un passif plus grand que l’actif. Par contre, les arrêts du Conseil souverain, de&nbsp;1723 et de&nbsp;1725, introduisent sur ce point les dispositions des ordonnances et arrêts français sur l’acceptation des successions sous bénéfice d’inventaire, et la veuve est protégée (Bonvalot, p.&nbsp;205 et s.). À partir de&nbsp;1804 s’appliquent les dispositions du Code Napoléon qui prévoit que la veuve a trois mois pour faire une renonciation auprès du greffe du juge de paix (CC.&nbsp;1453 et s.).
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=== La tutelle des orphelins ===
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Il est rare que le père survivant soit chargé de la tutelle de ses enfants mineurs, la mère ne l’est jamais. Voilà la règle générale des statuts et coutumiers alsaciens telle qu’elle est affirmée par le statutaire d’Alsace publié par d’Agon de la Contrie. Au décès de l’un des deux conjoints, leurs plus proches parents ou amis se rassemblent devant le bailli ou le commissaire du Magistrat des villes et quelquefois devant le prévôt du village et établissent ordinairement le plus proche parent tuteur des mineurs. Celui-ci accepte la tutelle ''data manu loco juramenti''. Le commissaire du [[Bailli|bailli]] que, pour cette raison, on appelle commissaire aux tutelles faisait de temps en temps rendre les comptes de leur gestion. Les procureurs fiscaux devaient veiller à ce qu’ils fussent rendus. Les villes veillent à assurer la tutelle des orphelins avec, à Strasbourg, un ''Vogteigericht'', à Colmar les ''Weysenvögte'' et à Mulhouse un ''Waisengericht'', choisis dans le Magistrat. Ce sont les corporations qui régissent la tutelle des orphelins d’artisans.
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Pourtant, le droit romain prévoit que la tutelle, dite légitime, incombe au parent survivant&nbsp;; la mère pouvait donc être tutrice de ses enfants. Le Conseil souverain a reconnu la qualité de tutrice légitime aux princesses, veuves et tutrices de leurs enfants, la duchesse de Deux-Ponts (1736) ou la marquise de Rosen (1751). Les arrêts de l’affaire qui opposent deux curés à la veuve Caroline Waldner de Freundstein (1756) ou celle de la Dame Ferrier, qui avait fait procéder à un inventaire de la succession de son mari, avocat au Conseil souverain, par un conseiller, éclairent quelque peu la terminologie. Elles sont qualifiées de «&nbsp;tutrices naturelles&nbsp;», non pas de «&nbsp;tutrices légales&nbsp;». Le droit germanique ne connaît pas la différence entre le tuteur, chargé de l’éducation des enfants (et de la gestion de leurs affaires) et la curatelle, qui se borne à la seule gestion des biens des mineurs. Dans l’affaire Catherine&nbsp;Kopp contre le Magistrat de Colmar (de Boug&nbsp;II, 1764, p.&nbsp;658 et s.), où la Ville ne veut pas reconnaître à son petit-fils, considéré comme étranger, sa part d’un héritage colmarien, Catherine&nbsp;Kopp, qualifiée de «&nbsp;tutrice naturelle&nbsp;», prend un curateur et gagne son procès (v.&nbsp;[[Étranger]]). Mais dès 1674, le Conseil alors encore Provincial et siégeant à Ensisheim avait rappelé aux officiers leurs devoirs de protection des mineurs en les dotant de tuteurs (de Boug, 16&nbsp;février&nbsp;1674). Dans son commentaire de la coutume d’Orbey (p.&nbsp;41), Bonvalot relève que cette règle paraissait négligée au milieu du XVIIe&nbsp;siècle&nbsp;; le tuteur était souvent le conjoint survivant –&nbsp; soit également la mère&nbsp; – et il avait fallu la rappeler sous peine d’amende. Ganghoffer estime que, dans le cours du XVIIe et XVIIIe&nbsp;siècle, dans le centre de l’Alsace, la tutelle s’était rapprochée de celle qui existait dans le droit coutumier de l’ancienne France (Ganghoffer, tutelle, p.&nbsp;325).
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Avec le Code Napoléon, le principe de la coutume de Paris, qui donne à la mère la tutelle légale,&nbsp;s’impose dans le droit français. L’article CC.&nbsp;390 confère la tutelle à l’époux survivant, père ou mère. C’est le seul cas où la femme peut être tutrice. En cas de remariage, elle doit consulter un conseil de famille, faute de quoi la tutelle passe à son second mari, qui sera solidairement responsable de la gestion. La jurisprudence de la Cour de Colmar abonde en procès où comparaissent en tant que plaignantes ou intimées des veuves, qualifiées désormais de «&nbsp;tutrices légales&nbsp;» de leurs enfants mineurs. L’arrêt Kühwart contre Recht de Hochfelden, du 25&nbsp;juillet&nbsp;1812, illustre à la fois la pratique de l’ancienne tutelle et les règles qu’on entend désormais faire respecter. Dès la mort de son fils, le grand-père prend la tutelle de ses petits-enfants et fait approuver ce choix par le juge de paix de Truchtersheim qui avait réuni un conseil de famille. Mais la bru, Catherine Recht, se remarie tout de suite et se fait nommer tutrice, avec, pour cotuteur, son second mari, conformément à la loi, mais par-devant le juge de paix du domicile des mineurs (et le sien) à Hochfelden. La cour arrête que la première nomination est nulle et valide la seconde (''Jurisprudence de la Cour de Colmar'' 1812, p.&nbsp;315-319).
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V. [[Coutume]], [[Dévolution]], [[Donations_nuptiales]], [[Droit_de_l'Alsace|Droit de l’Alsace]], Kriegsvogtei, [[Mariage]], [[Orphelin]], [[Droit_des_successions|Succession]], [[Tutelle]], [[Veuve]].
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= B. La femme, «&nbsp;marchande publique&nbsp;» =
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Les dispositions les plus anciennes des statuts urbains prévoyaient que la femme ne pouvait pas acheter plus de marchandises que n’en consommait son ménage. Mais femmes ou filles pouvaient être employées par leurs pères ou leurs maris artisans ou négociants dans la ville et la veuve pouvait, avec l’aide d’un compagnon, poursuivre l’activité du mari décédé (v.&nbsp;Femmes dans les corporations). Elles ne pouvaient agir qu’avec l’accord de leurs pères, maris, tuteurs. C’est au cours du XVIe&nbsp;siècle que les sta�tuts et règlements des villes de l’Empire définissent progressivement le statut, les droits et les obligations des «&nbsp; marchandes publiques&nbsp; » (Markt und Krämerfrau). Fort novatrice, la première thèse de droit commercial soutenue à Strasbourg porte sur l’épouse marchande «&nbsp;Summaria delineatio quaestio�nis quae uxor mercatrix, Ein Kram oder Marktfrau sit et proprie dicatur&nbsp;», par Paul Gambs (1639), sous la direction de Johann Rebhan (NDBA), pourtant réputé fort réactionnaire. Elle nous apprend que la Ville de Strasbourg avait, dès&nbsp;1552, tenté une défi�nition de la femme marchande. «&nbsp;Devaient être reconnues comme telles toutes les femmes qui, pour elles seules, ou aux cotés de, et avec leur mari, pra�tiquent l’achat ou la vente ou le troc de nippes et autres conserves salées, boissons, dans ou en dehors de Strasbourg, pendant ou en dehors des jours de foire, en gros ou au détail et qui exercent donc un commerce public et en retirent leurs revenus.&nbsp; » (Reipubl. Argentorat. Constitutio, Von Ungeerbt auf�gelohn, 1er&nbsp; octobre&nbsp; 1552). Gambs cite encore les règlements de Nuremberg, de Francfort-sur-le�Main. Les règlements des villes hanséatiques sont plus explicites&nbsp;: «&nbsp;eine Kauffrau ist welche aus und einkaufft, offene Laden und Fenster hält, mit Gewicht, Wage, Mass und Elen auf und einwieget und mies�set&nbsp; », formule que l’on retrouve dans le statut de Lubeck, celui de Brème et celui de Hambourg. Mais c’est la coutume de Paris, qui met en relief le critère essentiel que n’exigent pas les statuts alle�mands&nbsp;: «&nbsp;Est réputée marchande publique, quand elle fait marchandise séparée ou autre, que celle de son mari.&nbsp;» (Gambs, §&nbsp;83). Gambs conclut&nbsp;: faute de convention matrimoniale contraire, les gains de la femme marchande reviennent au mari. Il faut donc attendre un siècle pour que les juristes déve�loppent une doctrine plus complète. À Lübeck, la thèse de Johann Wilhelm Tested (1717) se rallie au critère de la coutume de Paris&nbsp; : la qualité de marchande n’est reconnue qu’à la femme qui exerce seule, sans son mari. Pour toutes les affaires de son commerce, d’après le statut de Lubeck, de Brème et de Hambourg, «&nbsp;elle est exempte de sa condition féminine et jouit de la condition masculine&nbsp;». C’est seule qu’elle accomplit tous actes de commerce&nbsp; : achat, vente, paiements, endossements de lettres de change. Elle ne peut exciper du sénatus consulte Velleien (qui interdit à une femme d’engager pour autrui). Elle va seule en justice, mais uniquement pour les affaires de son commerce. Elle reste sou�mise à l’obligation de consulter son mari ou son tuteur pour tout le reste. La thèse de Lubeck de&nbsp;1749 précise encore la doctrine désormais bien affirmée, et en particulier le principe selon lequel les gains de la femme marchande publique reviennent à la communauté et peuvent désintéresser les créanciers du mari, sauf conventions matrimoniales contraires. Le livre-journal que tiennent les femmes marchandes fait foi à l’instar de celui des autres marchands. La femme marchande n’est pas tenue aux dettes commerciales de son mari, dès lors qu’elle n’a pas part à ses affaires commerciales. À la fin du XVIe&nbsp;siècle, des dispositions analogues figurent dans les règlements des villes de Cologne, Francfort-sur-le-Main, Augsbourg, Munich et Fribourg-en-Brisgau, avec lesquelles Strasbourg est en relations commerciales, financières (et politiques) (Schötz).
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Le Code de Commerce de 1807 étend à la France les principes de la coutume de Paris, mais il faut&nbsp;

Version du 11 janvier 2022 à 20:54

Le statut juridique de la femme et son évolution  

Le statut de la femme se définissait en général par référence à sa situation familiale ou matrimoniale : fille, femme mariée, veuve, religieuse.  

A. La femme dans le droit civil

Au Moyen Âge et à l’époque moderne, le statut de la femme est défini par un certain nombre de droits issus des codes germaniques, codifiés dans les statuts urbains, les coutumiers, et la jurisprudence des tribunaux et cours. Selon les localités ou les régions, il peut présenter des variantes, quelquefois importantes, par exemple sur le régime matrimonial ou celui de la succession. Le Schwabenspiegel (Miroir des Souabes), rédigé à Augsbourg à la fin du XIIIe  siècle, est contemporain de nombre de statuts urbains de l’Alsace et y a été fort diffusé. Il constitue une référence commune des droits de l’Allemagne du Sud-Ouest, codes urbains ou coutumiers. Ceux-ci peuvent cependant reprendre des dispositions juridiques bien plus anciennes.   En règle générale, la femme est sous tutelle permanente : fille, épouse ou veuve, elle ne contracte et ne plaide valablement qu’avec le concours d’un tuteur, son père, mari, ses fils ou un tuteur choisi ou désigné.  

Âge de la majorité

On distingue la majorité matrimoniale et la majorité civile. Dans le Schwabenspiegel, l’âge de la majorité matrimoniale des filles est fixé à 12 ans et celle des garçons à 14 ans (v. Enfants). À cet âge, le mariage consommé et présumé fécond, est réputé valide. Mais la majorité civile de la fille, comme celle du garçon, est fixée à 25 ans. À cet âge, la fille peut disposer de ses biens (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 59). Si elle mène une vie dissolue, elle perd son honneur, mais pas son héritage (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 15). Le VIe statut de Strasbourg fixe cette majorité à 20 ans (UBS, Statut de Strasbourg, VI, art. 294). Cependant, la capacité juridique de la femme célibataire n’est que partielle ; elle est pourvue d’un tuteur lorsqu’elle este en justice (Kriegsvogtei).  

Capacité juridique

La règle est générale : la femme n’a pas de capacité juridique autonome. Elle est placée sous la tutelle d’un homme de par son sexe (Geschlechtsvormundschaft, cura sexus). Elle ne peut ester en justice (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 13) et sa parole ne sera pas admise en témoignage (Schwabenspiegel, Landrecht I, art.  75). Par contre, elle peut se plaindre auprès du juge, d’un tuteur indélicat, mais sera pourvue par le Magistrat ou le tribunal d’un tuteur qui se porte garant pour elle (Schwabenspiegel, Landrecht I, art.  75). Dans le statut de Colmar, de 1293, il est expressément prévu que la fille de bourgeois ne peut pas témoigner en justice. La réception du droit romain au XVIe siècle aurait pu entraîner une certaine libéralisation. Le droit canonique traite la femme sur le même pied que l’homme pour les sacrements : baptême, confirmation, confession et extrême-onction, mais elle est toujours exclue des fonctions ecclésiales majeures (v. Femme religieuse). Cependant, alors que nombre d’États de l’Empire semblent connaître une évolution libérale qui va même jusqu’à l’égalité des statuts dans la gestion des biens et devant les tribunaux, dans le sud-ouest de l’Empire, c’est la réaction qui s’impose, qui rejette la liberté de gestion des femmes célibataires. D’après le Schwabenspiegel (Landrecht, art. 74, fin XIIIe siècle), les filles et femmes qui n’ont pas de mari peuvent aliéner leur bien sans leur tuteur, quand elles sont majeures (25 ans), sauf si elles ont des héritiers qui peuvent faire valoir leurs droits. Pourtant, à Strasbourg une ordonnance de 1433 prescrit que « toute jeune fille ou veuve qui a du bien doit être pourvue d’un tuteur qui ne soit pas son héritier et s’il ne s’en trouve pas parmi leurs amis, alors Magistrat et conseil doivent en choisir un parmi les XXI, qui prêtera le serment de gérer en bon tuteur, fidèle conformément aux dispositions du livre des tutelles ». La disposition est rappelée par une thèse de Jean Fischer, De Tutela Materna, soutenue à Strasbourg en 1754.   Des dispositions analogues figurent dans les statuts de Mulhouse (1740), de Fribourg-en-Brisgau (1541), Lucerne, Zurich, Bâle, Saint-Gall et Ulm (1579 et 1616), ainsi que dans le Landrecht wurtembergeois de 1555 et celui du Margraviat de Bade, de 1619. Se forme ainsi une aire d’inégalité maximale de tutelle du sexe faible et de tutelle maritale (cura sexus et cura maritalis), dans le sud de l’Empire. Les trois grands codes de la fin du XVIIIe et du début du XIXe (Allgemeines bürgerliches Gesetzbuch autrichien, le plus libéral), Allgemeines Landrecht prussien et Code Napoléon adoptent tous trois le principe de la capacité juridique de la femme, mais imposent la tutelle de la femme mariée. L’extension du Code civil à une grande partie de l’Europe impose donc dans les territoires de droit limité le principe de l’autonomie de la femme célibataire (et de la veuve). En 1815, l’Europe est répartie en trois grandes aires de droit de la femme : la France avec les anciens départements de la rive gauche est dans une aire d’égalité de principe pour la femme non mariée, mais de tutelle pour la femme mariée, tout comme la Prusse ; en second lieu, les États du Nord-Est de l’Empire, la Bavière et l’Autriche, où la tutelle de la femme mariée par le mari est limitée, et enfin, paradoxalement, car ce sont aussi les premières principautés constitutionnelles allemandes, le Bade et le Wurtemberg, ont réintroduit les anciens codes avec leurs tutelles intégrales, tout comme les cantons suisses (Holthöfer, Die Geschlechtsvormundschaft).   

La femme mariée

Le mari est le maître et le tuteur de la femme mariée. Der Mann ist der Vogt des Weibes und ihr Meister (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 9). C’est la condition de son mari noble, libre ou serf qui s’impose à la femme. Si elle a été libre, elle perd cette liberté le temps du mariage et ne peut la recouvrer qu’à la dissolution du mariage (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 67). Mais les enfants du couple prennent la condition la plus avantageuse (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 68).  

Le régime des biens en régime matrimonial – la part inégale de la femme

Quel que soit le régime matrimonial, la femme reçoit au lendemain de ses noces une Morgengabe qu’elle conservera en cas de prédécès de son mari et qui ne peut être jointe à la communauté pour le paiement des dettes. À la femme également, et à ses filles si elle disparaît, la Heimsteuer (qu’elle ait été apportée, cas le plus fréquent, ou donnée par le mari) : basse-cour, linge, vaisselle, literie et draps, bijoux et vêtements (Spindeltheil, par opposition au Schwerttheil du père et des garçons).   Les régimes matrimoniaux dominants de l’Alsace (v. Coutume) sont : - Le régime strasbourgeois où la communauté est réduite aux acquêts qui sont partagés aux 2/3-1/3. - La dévolution du Centre-Alsace, avec communauté universelle et sa transmission intégrale (Verfangenschaft) aux enfants avec usufruit au survivant jusqu’à son décès. - Le régime de Ferrette, appliqué dans le Sud de l’Alsace et un grand nombre de communautés alsaciennes, avec selon les cas, communauté universelle ou d’acquêts et meubles répartis aux 2/3 et 1/3.   Mais, dans la plupart des régimes, le partage se fait aux 2/3 pour le mari – 1/3 pour la femme, puisqu’on considère que, dans un ménage, c’est le mari qui acquiert et la femme qui conserve.  

La gestion des biens du couple marié

L’épouse ne dispose plus de ses biens, propres, apports ou Morgengabe : ils sont gérés par le mari. « La femme vivant avec son mari ne peut disposer de ses biens, ne peut les engager. La femme ou les enfants sont sous puissance paternelle et elle ne peut disposer de son bien sans accord du mari » (vente, don, gage) (Statuts de Colmar, texte de 1593). La redécouverte du droit romain (XIIIe-XIVe  siècle) et des lois romaines qui prohibent l’aliénation des biens dotaux (Loi Julia De Fundo Dotali) ou interdisent aux femmes de s’engager pour autrui (Senatus Consulte Velleien), entraînent l’insertion par les tabellions et notaires de formules de renonciation à ces dispositions pour mettre les créanciers du mari à l’abri. Interdites en France par Henri IV, ces formules n’ont donc pas été introduites en Alsace par le Conseil_souverain, mais on les rencontre dans le Saint-Empire, particulièrement dans les villes où elles s’appliquent aux ménages de commerçants. La coopération de l’épouse est pourtant nécessaire pour nombre d’actes de la gestion de la communauté. Le mari doit recueillir l’avis de l’épouse (et de celui d’un tuteur issu de sa lignée) s’il veut disposer des biens propres de sa femme ou de sa Morgengabe (Schwabenspiegel, Landrecht  I, art.  23 et coutumes d’Alsace). Il est vrai que le Conseil souverain « attaché à assimiler le mari ferrettain au mari parisien » (Bonvalot) a restreint les droits de la femme. Il arrête que la coutume ferrettaine entraîne communauté universelle des apports et des acquêts assimilés à des meubles comme dans la coutume de Paris. D’après Bonvalot, si la coutume de Ferrette condamne les actes passés à l’auberge par le mari, ce n’est pas tellement par méfiance contre les effets de l’alcool, mais parce que la femme n’a pas participé à la conclusion de l’acte et donné son accord (Bonvalot, La Coutume de Ferrette, p. 201).  

La succession

Devant l’héritage, les filles sont à égalité avec les garçons. Elles héritent donc à parts égales de leur père (les 2/3) comme de leur mère (le 1/3). À l’instar de leurs frères, les filles, dotées avant la mort de leurs parents, voient leurs parts rapportées à la succession et déduite. Par contre, dans la majorité des coutumes, la fille cède la place à son frère puîné pour  l’héritage du domaine paternel (juveigneurie) et n’y a droit que s’il n’y a pas de garçons, sauf à être dédommagée par soulte.  

La veuve  

Dans le royaume de France, à partir du XVIe  siècle, certaines coutumes, principalement la coutume parisienne (car d’autres ne le prévoient pas) admettent que la veuve retrouve une pleine capacité juridique de gestion et de disposition. Mais, en Alsace, la veuve passe de la tutelle de son mari à celle d’un tuteur, un proche-parent issu de sa lignée. Le Schwabenspiegel prévoit que le fils majeur, qui doit avoir plus de 25 ans, assume la tutelle de ses frères et sœurs mineurs et de sa mère, si toutefois elle en est d’accord (Schwabenspiegel, Landrecht I. art.  26). La veuve jouit donc d’une autonomie fort limitée, sauf sans doute sur sa Morgengabe ou son Wittum. Pour toutes démarches judiciaires, la femme a besoin d’un tuteur qui se porte garant pour elle. C’est le cas aussi pour ses biens propres sur lesquels son lignage exerce encore un droit de contrôle.

Si elle n’en a pas l’usufruit, la veuve peut rester dans le domaine de son mari pendant 30  jours (Schwabenspiegel, art. 25) ou jusqu’à la naissance de l’enfant si elle est enceinte. Puis, sous le contrôle du tuteur, l’on procède au partage : elle prend sa Morgengabe, son trousseau (Spindeltheil) et sa part des meubles partagés en deux avec les enfants (Schwabenspiegel, Landrecht, art. 147). Il est donc prévu un inventaire qui détermine ces parts et les remet aux ayant droits. Par contre, la coutume de Ferrette (et la plupart des coutumes communautaires) ne prévoit pas que la veuve puisse renoncer à l’héritage pour ne pas avoir à assumer un passif plus grand que l’actif. Par contre, les arrêts du Conseil souverain, de 1723 et de 1725, introduisent sur ce point les dispositions des ordonnances et arrêts français sur l’acceptation des successions sous bénéfice d’inventaire, et la veuve est protégée (Bonvalot, p. 205 et s.). À partir de 1804 s’appliquent les dispositions du Code Napoléon qui prévoit que la veuve a trois mois pour faire une renonciation auprès du greffe du juge de paix (CC. 1453 et s.).

La tutelle des orphelins

Il est rare que le père survivant soit chargé de la tutelle de ses enfants mineurs, la mère ne l’est jamais. Voilà la règle générale des statuts et coutumiers alsaciens telle qu’elle est affirmée par le statutaire d’Alsace publié par d’Agon de la Contrie. Au décès de l’un des deux conjoints, leurs plus proches parents ou amis se rassemblent devant le bailli ou le commissaire du Magistrat des villes et quelquefois devant le prévôt du village et établissent ordinairement le plus proche parent tuteur des mineurs. Celui-ci accepte la tutelle data manu loco juramenti. Le commissaire du bailli que, pour cette raison, on appelle commissaire aux tutelles faisait de temps en temps rendre les comptes de leur gestion. Les procureurs fiscaux devaient veiller à ce qu’ils fussent rendus. Les villes veillent à assurer la tutelle des orphelins avec, à Strasbourg, un Vogteigericht, à Colmar les Weysenvögte et à Mulhouse un Waisengericht, choisis dans le Magistrat. Ce sont les corporations qui régissent la tutelle des orphelins d’artisans.

Pourtant, le droit romain prévoit que la tutelle, dite légitime, incombe au parent survivant ; la mère pouvait donc être tutrice de ses enfants. Le Conseil souverain a reconnu la qualité de tutrice légitime aux princesses, veuves et tutrices de leurs enfants, la duchesse de Deux-Ponts (1736) ou la marquise de Rosen (1751). Les arrêts de l’affaire qui opposent deux curés à la veuve Caroline Waldner de Freundstein (1756) ou celle de la Dame Ferrier, qui avait fait procéder à un inventaire de la succession de son mari, avocat au Conseil souverain, par un conseiller, éclairent quelque peu la terminologie. Elles sont qualifiées de « tutrices naturelles », non pas de « tutrices légales ». Le droit germanique ne connaît pas la différence entre le tuteur, chargé de l’éducation des enfants (et de la gestion de leurs affaires) et la curatelle, qui se borne à la seule gestion des biens des mineurs. Dans l’affaire Catherine Kopp contre le Magistrat de Colmar (de Boug II, 1764, p. 658 et s.), où la Ville ne veut pas reconnaître à son petit-fils, considéré comme étranger, sa part d’un héritage colmarien, Catherine Kopp, qualifiée de « tutrice naturelle », prend un curateur et gagne son procès (v. Étranger). Mais dès 1674, le Conseil alors encore Provincial et siégeant à Ensisheim avait rappelé aux officiers leurs devoirs de protection des mineurs en les dotant de tuteurs (de Boug, 16 février 1674). Dans son commentaire de la coutume d’Orbey (p. 41), Bonvalot relève que cette règle paraissait négligée au milieu du XVIIe siècle ; le tuteur était souvent le conjoint survivant –  soit également la mère  – et il avait fallu la rappeler sous peine d’amende. Ganghoffer estime que, dans le cours du XVIIe et XVIIIe siècle, dans le centre de l’Alsace, la tutelle s’était rapprochée de celle qui existait dans le droit coutumier de l’ancienne France (Ganghoffer, tutelle, p. 325).

Avec le Code Napoléon, le principe de la coutume de Paris, qui donne à la mère la tutelle légale, s’impose dans le droit français. L’article CC. 390 confère la tutelle à l’époux survivant, père ou mère. C’est le seul cas où la femme peut être tutrice. En cas de remariage, elle doit consulter un conseil de famille, faute de quoi la tutelle passe à son second mari, qui sera solidairement responsable de la gestion. La jurisprudence de la Cour de Colmar abonde en procès où comparaissent en tant que plaignantes ou intimées des veuves, qualifiées désormais de « tutrices légales » de leurs enfants mineurs. L’arrêt Kühwart contre Recht de Hochfelden, du 25 juillet 1812, illustre à la fois la pratique de l’ancienne tutelle et les règles qu’on entend désormais faire respecter. Dès la mort de son fils, le grand-père prend la tutelle de ses petits-enfants et fait approuver ce choix par le juge de paix de Truchtersheim qui avait réuni un conseil de famille. Mais la bru, Catherine Recht, se remarie tout de suite et se fait nommer tutrice, avec, pour cotuteur, son second mari, conformément à la loi, mais par-devant le juge de paix du domicile des mineurs (et le sien) à Hochfelden. La cour arrête que la première nomination est nulle et valide la seconde (Jurisprudence de la Cour de Colmar 1812, p. 315-319).

V. Coutume, Dévolution, Donations_nuptiales, Droit de l’Alsace, Kriegsvogtei, Mariage, Orphelin, Succession, Tutelle, Veuve.

B. La femme, « marchande publique »

Les dispositions les plus anciennes des statuts urbains prévoyaient que la femme ne pouvait pas acheter plus de marchandises que n’en consommait son ménage. Mais femmes ou filles pouvaient être employées par leurs pères ou leurs maris artisans ou négociants dans la ville et la veuve pouvait, avec l’aide d’un compagnon, poursuivre l’activité du mari décédé (v. Femmes dans les corporations). Elles ne pouvaient agir qu’avec l’accord de leurs pères, maris, tuteurs. C’est au cours du XVIe siècle que les sta�tuts et règlements des villes de l’Empire définissent progressivement le statut, les droits et les obligations des «  marchandes publiques  » (Markt und Krämerfrau). Fort novatrice, la première thèse de droit commercial soutenue à Strasbourg porte sur l’épouse marchande « Summaria delineatio quaestio�nis quae uxor mercatrix, Ein Kram oder Marktfrau sit et proprie dicatur », par Paul Gambs (1639), sous la direction de Johann Rebhan (NDBA), pourtant réputé fort réactionnaire. Elle nous apprend que la Ville de Strasbourg avait, dès 1552, tenté une défi�nition de la femme marchande. « Devaient être reconnues comme telles toutes les femmes qui, pour elles seules, ou aux cotés de, et avec leur mari, pra�tiquent l’achat ou la vente ou le troc de nippes et autres conserves salées, boissons, dans ou en dehors de Strasbourg, pendant ou en dehors des jours de foire, en gros ou au détail et qui exercent donc un commerce public et en retirent leurs revenus.  » (Reipubl. Argentorat. Constitutio, Von Ungeerbt auf�gelohn, 1er  octobre  1552). Gambs cite encore les règlements de Nuremberg, de Francfort-sur-le�Main. Les règlements des villes hanséatiques sont plus explicites : « eine Kauffrau ist welche aus und einkaufft, offene Laden und Fenster hält, mit Gewicht, Wage, Mass und Elen auf und einwieget und mies�set  », formule que l’on retrouve dans le statut de Lubeck, celui de Brème et celui de Hambourg. Mais c’est la coutume de Paris, qui met en relief le critère essentiel que n’exigent pas les statuts alle�mands : « Est réputée marchande publique, quand elle fait marchandise séparée ou autre, que celle de son mari. » (Gambs, § 83). Gambs conclut : faute de convention matrimoniale contraire, les gains de la femme marchande reviennent au mari. Il faut donc attendre un siècle pour que les juristes déve�loppent une doctrine plus complète. À Lübeck, la thèse de Johann Wilhelm Tested (1717) se rallie au critère de la coutume de Paris  : la qualité de marchande n’est reconnue qu’à la femme qui exerce seule, sans son mari. Pour toutes les affaires de son commerce, d’après le statut de Lubeck, de Brème et de Hambourg, « elle est exempte de sa condition féminine et jouit de la condition masculine ». C’est seule qu’elle accomplit tous actes de commerce  : achat, vente, paiements, endossements de lettres de change. Elle ne peut exciper du sénatus consulte Velleien (qui interdit à une femme d’engager pour autrui). Elle va seule en justice, mais uniquement pour les affaires de son commerce. Elle reste sou�mise à l’obligation de consulter son mari ou son tuteur pour tout le reste. La thèse de Lubeck de 1749 précise encore la doctrine désormais bien affirmée, et en particulier le principe selon lequel les gains de la femme marchande publique reviennent à la communauté et peuvent désintéresser les créanciers du mari, sauf conventions matrimoniales contraires. Le livre-journal que tiennent les femmes marchandes fait foi à l’instar de celui des autres marchands. La femme marchande n’est pas tenue aux dettes commerciales de son mari, dès lors qu’elle n’a pas part à ses affaires commerciales. À la fin du XVIe siècle, des dispositions analogues figurent dans les règlements des villes de Cologne, Francfort-sur-le-Main, Augsbourg, Munich et Fribourg-en-Brisgau, avec lesquelles Strasbourg est en relations commerciales, financières (et politiques) (Schötz).

Le Code de Commerce de 1807 étend à la France les principes de la coutume de Paris, mais il faut