Lépreux (statut juridique)

De DHIALSACE
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Leprosi, feldsieche, maltzige, sondersieche, miselsüchtige, aussetzige.

Depuis l’Antiquité, il y a une tradition de mise à l’écart des lépreux. Dans l’Ancien Testament déjà, le lépreux, déclaré impur, doit avoir sa demeure hors du camp [13.45-46]. L’édit de Rothari, roi des Lombards (643), est le plus ancien texte législatif évoquant le statut du lépreux. Il stipule qu’à partir du jour où le lépreux a été expulsé de sa maison, il est considéré comme mort (Edictus Rothari, MGH LL IV, p. 41 et 176) (voir : Incapable). Il perd donc le droit de disposer de ses biens, mais aussi la faculté d’hériter et celle d’ester en justice. Cette loi restera valable pendant des siècles.

Au Moyen Âge, le lépreux séparé de la communauté des gens sains est appelé sondersiech, littéralement malade mis à part. Cette dénomination rappelle le statut du lépreux dans l’Ancien Testament : d’après le Lévitique chapitre 13, il est mis « hors du camp ». Mais, au fil du temps, la législation se fait moins rigoureuse. D’après le Sachsenspiegel (vers 1230), le lépreux peut continuer à disposer des biens acquis avant la maladie et les transmettre. Mais il ne peut ni hériter, ni ester en justice, ni être tuteur ou curateur ni garant. En Allemagne du Sud, le statut du lépreux semble plus souple. Le Schwabenspiegel (vers 1275) n’évoque pas l’incapacité d’hériter pour une personne atteinte de lèpre. Progressivement, tout au long du Moyen Âge, la pratique dans ce domaine va évoluer en faveur du malade. À Strasbourg, les lépreux sont autorisés à percevoir des héritages (SUB IV, 2, p. 132, 6. Stadtrecht, après 1322). Ils en ont la jouissance viagère et peuvent même les transmettre à leurs héritiers (AMS 1AH 7427 f°97v, XVe siècle), contre paiement d’une somme forfaitaire (AMS 1AH 7427 f° 101r, 1444). Même si le lépreux est souvent considéré comme mort, et ce jusqu’à l’époque moderne, le droit évolue néanmoins dans ce domaine. Ainsi en 1484, Eucharius Betscholt, lépreux à Rotenkirche, est autorisé par deux chartes de son frère et de sa sœur à disposer de tous ses biens « comme s’il n’était pas lépreux » (AMS 1AH 4691 : ac si infirmitate lepre non esset gravatus). À la même date, Jacob von Rathsamhausen, lépreux à Haguenau, transmet librement ses biens, car il donne aux couvents de Saint-Marc et de Saint-Jean de Strasbourg sa part de rentes que ses frères et lui ont héritées (AMS 1AH 12139). L’évolution de la jurisprudence peut d’ailleurs conduire à des situations paradoxales. En 1472, Friedrich Büchsner, lépreux de Rotenkirche, scelle de son propre sceau une charte passée devant l’officialité. Veltin Knobloch, son curateur, présent lors de la passation de l’acte, appose son sceau à côté de celui du lépreux qu’il est censé représenter (AMS 1AH  4778) ! Cet exemple traduit la complexité du statut du lépreux, qui tout en étant considéré comme incapable d’agir en son propre nom – ce qui explique la présence du curateur – le fait en scellant de son propre sceau.

En ce qui concerne l’incapacité du lépreux à comparaître devant un tribunal, il convient également de nuancer. À deux reprises au moins, en 1302 et en 1311, Gute de Geispolsheim, béguine et lépreuse depuis 1301 (AMS 1AH 903), se présente devant l’officialité pour acheter des biens (AMS 1AH 911/7 ; 1AH 914/2). D’autres exemples montrent que la possibilité de comparaître personnellement au tribunal a donc existé en Alsace, et plus largement dans l’aire germanique. Autre surprise dans ce domaine : à Strasbourg, les lépreux sont considérés comme bourgeois de la ville (SUB VII p. 532 n°1835, 1378). Or les lépreux ne peuvent pas participer à la cérémonie de prestation de serment ni à la défense de la cité. Leur droit de bourgeoisie semble donc plus proche de celui des Juifs que de celui des bourgeois chrétiens et sains. 

En conclusion, il convient, ici aussi, d’éviter toute généralisation qui risquerait de trahir la réalité, et de prendre en compte les évolutions qui ont eu lieu au fil du temps. Certains lépreux jouissent indéniablement de moins de droits qu’une personne saine, d’autres au contraire semblent mener une vie presque normale, sans contraintes apparentes dues à leur maladie. Il ne faut pas perdre de vue non plus les différences régionales dans ce domaine, ni l’évolution de ce statut au fil du temps : « en Bourgogne, en Dauphiné, dans le Velay, les lépreux conservaient la totalité de leurs droits civils. À Aix, les lépreux signent eux-mêmes les actes passés devant notaire, font des testaments, signent des contrats, recouvrent quittance, vendent des biens, font des donations » (Rovinsky). D’une façon générale, la condition juridique des lépreux semble avoir été plus favorable en Provence que dans le Nord de la France. Un tel gradient semble exister aussi entre l’Allemagne du Sud et celle du Nord.

Bibliographie

REICKE (Siegfried), Das deutsche Spital und sein Recht im Mittelalter, 2 vol., Stuttgart, 1932.

FROHN (Wilhelm), « Siechenhäuser und Verkehrsstraßen im Rheinland », Rheinische Vierteljahresblätter 2, 1932, p. 143-164.

ROVINSKY (Jacques), « L’isolement du lépreux au Moyen Âge », Razo. Cahiers du centre d’études médiévales de Nice 4, 1984, p. 75-94.

TÜRKE (Barbara), « Anmerkungen zum Bürgerbegriff im Mittelalter. Das Beispiel christlicher und jüdischer Bürger der Reichsstadt Nördlingen im 15. Jahrhundert », GESTRICH (Andreas), RAPHAEL (Lutz), Inklusion/Exklusion. Studien zu Fremdheit und Armut von der Antike bis zur Gegenwart, Frankfurt am Main, 2004, rééd. 2008, p. 135-154.

CLEMENTZ (Élisabeth), Les lépreux en Alsace : marginaux, exclus, intercesseurs ? (à paraître).

Élisabeth Clementz