Pêcheurs

De DHIALSACE
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Fischer, Vischer, piscator

Le Rhin, l’Ill et les nombreux cours d’eau, du torrent au ruisseau et à la rivière regorgeaient au cours des siècles passés de nombreuses variétés de poissons. Dans le Rhin, les pêcheurs prenaient des saumons (Salmen, Lachs), nases (Nasenfisch), lamproies (Neunauge), aloses (Alse), carpes (Karpfen), vandoises (Häsling), brochets (Hecht), goujons (Gründling), brosmes (Lumb), barbeaux (Barbe), becquarts (variété de saumon) et parfois des esturgeons (Stör). Dans l’Ill abondaient les truites (Forelle), saumoneaux (Junglachs), ombres (Äsche), carpes (Karpfen), perches (Barsch), tanches (Schleie), barbottes (Groppen), goujons (Gründling), loches (Schmerle), sucets (Lutscher), vairons (Elritze), ablettes (Ukelei), anguilles (Aal), ainsi que des écrevisses (Flusskrebs), des grenouilles (Frosch) et, sur les berges, se ramassaient les escargots (Schnecke) (Hanauer).

La pêche, activité vieille comme le monde, se révèle dans des sources écrites de plus en plus nombreuses au fur et à mesure de l’avancée du temps. Au XIIIe siècle, par exemple, dans la partie du Dominicain de Colmar dénommée De rebus Alsaticis ineuntis saeculi XIII (État de l’Alsace au début du XIIIe siècle, MGH Scriptores 17, p. 236 § 12), figure cette phrase : « Il est dit que sur l’Ill, vers 1200, habitaient 1 500 pêcheurs », ce qui signifie qu’il y avait des pêcheurs dans quasiment tous les villages et toutes les villes. L’auteur ne précise pas si, à son époque (vers 1280-1300), le nombre de pêcheurs était moindre ou plus important qu’auparavant, ni s’ils étaient d’ores et déjà organisés en corporations.

Aspects économiques et honorifiques de la pêche

L’un des aspects économiques de la pêche apparaît, par exemple, en 1459. Cette année-là, les Habsbourg donnent à Froideval, petite maison d’Antonins près de Belfort, la pêche dans la rivière Douce, du ban de Bavilliers à son confluent avec la Savoureuse, soit quelque cinq kilomètres. La donation n’est pas modeste pour autant. On trouve des pêcheurs sur les plus petits ruisseaux et les redevances qui en découlent se comptent en centaines de truites (copies : AHR 36H 57/1 & 61 ; traduction française, ibid. 57/1) (Information transmise par B. Metz).

Par ailleurs, lors d’un procès contre deux pêcheurs d’Erstein, Bastian Roser et Jakob von Hipsheim, la corporation des pêcheurs de Strasbourg affirme avoir eu de tout temps le droit de lever un péage sur tous ceux qui traversent Strasbourg vers l’aval avec des écrevisses ou des poissons achetés dans la ville ou en amont, sur l’Ill. Elle invoque le témoignage de deux habitants d’Ehl qui, il y a des années, avaient dû payer ce péage, alors qu’ils transportaient des poissons et des écrevisses vers Haguenau et Spire (AMS Série 165Z no 80, 20 février 1552). Dans le même procès apparaît la déposition d’un pêcheur de Spire (par le biais du Magistrat de cette ville), Martin Ackernuss, qui affirme que lui-même, son beau-père et un dénommé Deissel ont payé ce péage pour des poissons achetés à Strasbourg et en amont, il y a des décennies, ce contre quoi ils avaient souvent protesté, en vain (AMS Série 165Z no 81, 8 octobre 1552).

Le poisson, par le biais des pêcheurs, pouvait aussi servir de monnaie d’échange, comme le démontre cet événement : en 1513, Philippe V de Hanau cède à son frère Ludwig la jouissance de sa part de Lichtenberg, Bouxwiller, Balbronn, Weshoffen, Neuviller et autres. En contrepartie, Ludwig promet à son frère cinq foudres de vin, du gibier et 1 000 truites séchées (dorrer fornlin), à livrer à Babenhausen (ABR 36J 5/829 et 829/bis, 25 avril et 10 août 1513).

Sous l’Ancien Régime, à Cernay, le jeudi saint, l’usage était d’offrir des carpes aux membres du Magistrat, le coût étant à la charge de la ville, comme l’indiquent les comptes de recettes et dépenses. Ces carpes étaient considérées comme un cadeau (Verherung) mais l’on parlait aussi de « droit de carpe ». On se fournissait généralement à Cernay (RA 1936, p. 81).

La corporation des pêcheurs strasbourgeoise (Fischerzunft)

À partir de 1290 au moins, les pêcheurs dépendaient d’un Fischermeister qui détenait cette fonction en fief, dont le droit de justice faisait partie. Ainsi, les Schoenau détenait l’office de sénéchal (trussehss) en fief de l’évêque, ce qui leur donnait un droit de pêche entre les ponts Saint-Thomas et Saint-Étienne corrélé à l’office de Fischermeister (entre autres), tel que cela ressort du livre de fiefs (manbuch) de l’évêque (ABR G 377, SUB IV/2, 263 1, p. 18-23, en latin, AMS Série 165Z no 3, 1306-1353).

Les pêcheurs entretenaient avec leur Fischermeister les mêmes rapports que les Kammerhandwerke avec le burgrave (selliers, gantiers, cordonniers, forgerons, meuniers, tonneliers, potiers, fourbisseurs d’épée, marchands de fruits et marchands de vin) (Mosbacher). Ces métiers avaient à fournir des prestations à l’évêque. Ainsi, les pêcheurs devaient le conduire sur l’autre rive du Rhin à sa demande et, en septembre, pêcher trois jours et trois nuits dans le Rhin, l’Ill, la Bruche, la Schutter et la Kinzig, exclusivement à son bénéfice. Le droit de pêche à Strasbourg leur était accordé par l’évêque, entre l’enceinte nord de la ville et le pont Saint-Étienne. Concernant la pêche, les eaux urbaines étaient partagées en deux : à l’évêque étaient attribués le bras principal de l’Ill et la Bruche et, à la ville, dès le début du XIVe siècle, étaient dévolues les eaux le long des remparts, la Hirtzlach (confluence près du Waseneck) et le Zollgiessen (confluence près du Zolltor ou de la Zollbrücke). La pêche au filet était interdite dans les cours d’eau urbains et il était interdit aux pêcheurs de former un groupement économique ni de vendre avec commission du poisson étranger.

Vers 1407-1408 cependant, les pêcheurs strasbourgeois décident l’élire leur propre chef et de tenir leur propre tribunal. Il s’ensuit un procès avec le Fischermeister, assorti de procédures incidentes au cours des années suivantes, puis se tient un second procès, en 1424, qui conduit à la quasi-suppression du fief (Alioth, p. 257-262) et à la création de la corporation.

Les pêcheurs strasbourgeois constituaient une corporation à eux seuls, la Fischerzunft ou vysher antwerck dont il semble que les oiseleurs aient fait partie (Hatt ; Brucker). Les statuts de la corporation, entre le XVe et le XVIIIe siècle indiquent les devoirs du maître de la corporation, de la commission des VIII, des préposés chargés de collecter les amendes (büssener) et des quatre trésoriers (rechner), ainsi que le montant des amendes (AMS Série 165Z no 85).

En 1789, le nombre d’inscrits dans la corporation strasbourgeoise s’élevait à 164 (dont 94 pêcheurs, les autres étant affiliés du fait de leur personne, des veuves de pêcheurs et autres membres, des échevins).

À Strasbourg : réglementations municipales et corporatives

Au XIVe et au XVe siècles, de nombreuses Stadtordnungen émises par le Magistrat indiquent l’importance de la pêche dans cette ville baignée par l’Ill et toute proche du Rhin. Ces réglementations reflètent ainsi l’ingérence du gouvernement dans les affaires des pêcheurs. Elles concernent, entre autres, le montant de l’adhésion obligatoire à la corporation, l’obligation d’être bourgeois et d’habiter le ban de Strasbourg pour exercer l’activité ; l’engagement des compagnons et des apprentis et les modalités de fin de contrat ; la pêche et la vente de saumons ; les conditions d’obtention d’un étal sur le marché ; le matériel de pêche autorisé ; les nasses ; la pêche par temps de gel ; les vols de nasses et de poissons dans l’eau ; les poissons fraîchement pêchés ou salés et les harengs ; les périodes de pêche ; les ventes de poissons entre pêcheurs au marché ; la perception du zoll (taxe) ; la vente du poisson par les étrangers, et ainsi de suite. Ces réglementations concernent aussi les oiseleurs : jours et périodes au cours desquels il est interdit d’attraper des oiseaux et de les vendre, etc. (Brucker).

Lieux d’activité de la pêche

Les pêcheurs de la ville se partageaient quatre secteurs au moins. L’obere Staden se trouvait sans doute le long du quai Finkwiller, le poêle des pêcheurs se situant au no 6 ; le niedere Staden, quai des Bateliers. Un poêle des pêcheurs (1525, 1536, 1587, puis 1681-1791) se trouvait dans l’actuelle Impasse de l’Ancre. Le secteur am Dich se situait rue Militaire du Rempart, avec un poêle (extra muros, 1427-1466, détruit en 1477) et le secteur zum Waseneck, près de l’actuelle Place de la République (Seyboth, respectivement p. 173, 203, 206, 228).

Initialement, les pêcheurs tenaient leurs étals sur l’emplacement de la future Pfalz et, au moment de sa construction en 1321, leurs 48 étals furent installés sur le marché aux poissons (v. Marchés) contre paiement annuel de 6 livres à l’Armbruster, le don d’un saumon et l’obligation de maintenir en bon état une fontaine proche. Les relations entre les pêcheurs et la municipalité sont souvent houleuses et conduisent à des plaintes réciproques, concernant surtout les lieux de pêche (Alioth, p. 264). Le Zoll était prélevé sur le marché et s’appliquait, non seulement sur le poisson, mais encore sur les oiseaux, le gibier, les bateaux, les rames, les filets, etc., soit les ustensiles des pêcheurs et des oiseleurs, ainsi que sur les poissons importés de Lorraine, ce qui pourrait indiquer une demande supérieure à l’offre, ce qu’elle est effectivement (voir infra).

Quelques conflits vécus par la corporation

Les conflits sont un phénomène courant dans le monde corporatif. Celui des pêcheurs n’y échappe pas et des dissensions apparaissent, soit avec d’autres corporations, soit internes ou encore affectant un seul membre. Loin d’être anecdotique, la relation (succincte, ici) de ces conflits est une source d’informations sur les pratiques et les réglementations des pêcheurs, ainsi que sur leurs poêles et les secteurs où s’exerçait leur activité.

Par exemple, la corporation entre en conflit avec celle des charrons, menuisiers et tourneurs, qui contestent une décision du Magistrat qui prévoit l’inscription des fabricants de nasses (rùßen) dans la corporation des pêcheurs. Les pêcheurs répliquent que les fabricants de cages à poules et de paniers à fromage doivent servir chez les charrons (hünre rùßen und kese rùßen), non les fabricants de nasses à poissons vendues au marché aux poissons (v. Marché) (AMS, CH 3997, 10 juin 1428).

Des conflits s’élèvent aussi entre les pêcheurs des différents secteurs. En 1447, les pêcheurs am obern Staden portent plainte devant le Magistrat contre ceux am Dich et zum Waseneck pour obtenir que le contingent des pêcheurs appelés pour une expédition militaire (l’un des devoirs des corporations) se réunisse devant leur poêle, que le représentant de la corporation soit élu dans leur poêle et que la reddition des comptes de la taxe, levée au marché aux poissons, se fasse également dans leur poêle. Une partie de cette taxe revient à l’ensemble du métier. Par ailleurs, ils exigent que le sergent de la corporation (gemeiner bùttel) habite am obern Staden. De plus, le maître du métier doit pouvoir convoquer au poêle dont il relève les représentants de tous les secteurs (von allen staden) en vue de discuter des affaires du métier, alors que les séances judiciaires et les négociations avec des représentants de la ville se déroulent au poêle am oberen Staden. Il est précisé, en outre, que les pêcheurs résidant am Dich, zum Waseneck ou ailleurs soient traités avec correction lorsqu’ils se rendent au poêle am oberen Staden, faute de quoi ils pourraient porter plainte devant le tribunal corporatif ou devant le Magistrat « si les choses allaient trop loin » (AMS, CH 4999, 9 novembre 1447).

Autre exemple de conflit, entre un pêcheur et sa corporation et les charpentiers de bateaux. Ces derniers portent plainte devant le Magistrat contre Rulmann Ulrich qui, selon eux, empiète sur leur métier en réparant des barques (weideschiffe und weidelinge). Ils arguent du fait qu’ils souffrent du déclin de la navigation rhénane (v. Batellerie). Les pêcheurs rétorquent que les tarifs des charpentiers sont excessifs. Le Magistrat autorise alors les pêcheurs à réparer leurs barques, non des embarcations plus grandes (nachen noch ander grosse schiffen), ni en sapin ni en chêne (AMS, CH 5254, 19 juin 1453).

Pêcheurs et vente du poisson

Les pêcheurs vendaient eux-mêmes le produit de leur pêche mais la demande étant supérieure à l’offre, le marché aux poissons de Strasbourg était approvisionné par des importations, vendues par les poissonniers (pêcheurs et marchands, venditor piscium, 1447) (v. Marché). De multiples sources indiquent des vols et agressions de pêcheurs ou de marchands transportant du poisson, dès la fin du XIVe siècle, ainsi que des fraudes sur le zoll. Des pêcheurs, en particulier ceux du Waseneck, procédaient aussi à des pêches d’envergure en des endroits donnés plusieurs jours d’affilée, qu’ils revendaient dans les villages environnants, disposant même d’une cahute où séchaient les filets, tel que cela ressort d’un témoignage collectif sur la question de savoir si ces lieux de pêche faisaient partie de l’Allmend strasbourgeois ou non (Alioth, p. 268, 269).

Mesures de préservation des espèces

Dans un souci que l’on qualifierait aujourd’hui d’écologique, les autorités prennent des mesures pour protéger le frai et les poissons à peine éclos et assurer de ce fait la reproduction pérenne des espèces.

La préoccupation concernant la bonne reproduction des poissons est partagée par bon nombre de villes, comme Bâle et Brisach et leur voisinage, qui avaient interdit aux pêcheurs de prendre les jeunes saumons et ombres (die kleinen selmelinge und eschlinge) jusqu’à la Saint-Jacques (25 juillet). Ce règlement, établi les années passées, avait démontré son efficacité et était donc reconduit pour un an (AMS 165Z no 72, 27 avril 1435).

Dès 1467, les pêcheurs de Rhinau (dans une réponse aux pêcheurs de Strasbourg), indiquent qu’en ce qui concerne les hürlingen (poissons de moins d’un an, en particulier saumons et perches), la règle qui s’applique chez eux est l’interdiction d’en pêcher dans leur ban entre le 23 avril et le 8 novembre. Tout pêcheur trouvé en possession d’un hürling, où qu’il l’ait pris, est mis à l’amende (2 livres par pièce) (AMS Série 165Z no 74). D’ailleurs, un certain Matern Rorer a été mis à l’amende pour avoir pêché dans un endroit interdit du ban de Rhinau (banwasser), écrit le chevalier Heinrich von Haslach (Haßlow), bailli de Rhinau, à Hans Diebold Rebstock, bailli d’Ettenheim, le 14 avril 1483. S’il y avait contestation, les voies de droit seraient mises en œuvre (AMS Série 165Z no 75).

En 1478, une réglementation émanant des autorités et des pêcheurs du diocèse de Strasbourg avait interdit de pêcher dans le Rhin des brochets, des jeunes saumons (selmlinge) et des poissons de l’année (hürlinge). Il était interdit aussi d’utiliser le filet de pêche dit steinwatten à certaines périodes de l’année, alors que le wurffgarn (épervier) était interdit totalement. Dans un règlement de 1584 (figurant dans le même document), il est interdit aux pêcheurs de pêcher le saumon après le 25 novembre, d’utiliser au printemps et en été des filets à mailles plus serrées qu’un gabarit déposé auprès des Stadenmeister (dirigeants des divers secteurs) qui doivent contrôler les filets employés. Par ailleurs, il est interdit, au printemps, d’utiliser certains types de filets dans les eaux dormantes (höden), alors que cela est permis dans les eaux courantes. D’autres interdictions sont décrétées par le Magistrat, comme celle d’utiliser des engins de pêche dit klingolt et treibgarnseyl, dont le bruit effraie les poissons, entre les lieux-dits Ottersweldtlein (limite du ban de Hundsfeld et de l’Altenwog)etPfannenstiel gaß (en amont de la Wantzenau) (1569). Un autre décret frappe les rüerstangen (1570) et autres procédés tout aussi bruyants (1584) (AMS Série 165Z no 82).

Une partie de ce règlement (emploi de certains instruments de pêche dans le secteur indiqué ci-dessus) est d’ailleurs transmis le 27 juillet 1489 par la corporation des pêcheurs strasbourgeois à leurs collègues de Rhinau (Série 165Z no 76), ce qui démontre, comme d’autres exemples, que les pêcheurs le long du Rhin étaient animés de préoccupations communes concernant la ressource naturelle que sont les poissons et collaboraient à cet effet pour prendre des règlements d’une teneur identique, sans doute aussi pour éviter une concurrence déloyale. Ainsi, le Magistrat de Strasbourg invite les pêcheurs de Kappel(-Grafenhausen) à une réunion au poêle des pêcheurs de Strasbourg (vischer stube an dem obern staden) pour discuter d’un règlement de la pêche dans le Rhin (AMS Série 165Z no 73, 16 novembre 1465).

Droit de pêche, à Strasbourg et le long du Rhin et de l’Ill

Les pêcheurs strasbourgeois ne sont pas les seuls à émettre des règlements. Par exemple, les coseigneurs qui tiennent Plobsheim en gage d’Empire (Georg Dietrich, Georg Wolf et Wolf Heinrich Zorn von Plobsheim, Philipp Albrecht Bernhold et Georg Wolf Rœder von Diersburg) confirment un règlement de 45 articles élaboré par la corporation (handwerck und bruderschafft) des pêcheurs du lieu, reprenant et modifiant un règlement de 1472 tombé en désuétude (AMS Série 165Z no 83, 1er mai 1672).

La corporation des pêcheurs de Strasbourg, représentée par son Oberherr Johann Nicolaus Carl, faisant partie du Conseil des XV, Lienhard Baldner, nouveau membre du Conseil, Abraham Goll, ancien membre du Conseil et Zunftmeister, etc., et la corporation d’Auenheim (représentants nommés) renouvelle l’accord que, depuis plus d’un siècle, les deux corporations concluent entre elles pour une période de 20 ans (en dernier lieu le 1er décembre 1640 et le 28 décembre 1660). Cet accord précise que, entre le pont du Rhin et le Strumpffrhein, la salmenberuffung (organisation d’une pêche collective au saumon ?) revient par alternance à l’une des corporations, qui doit prévenir l’autre, pour que ses membres puissent s’inscrire (mais dans un seul groupe ou gesellschafft) s’ils veulent y participer. Si elle ne prévient pas avant le 16 février, l’autre peut y procéder. L’opération a lieu le dimanche et est précédée d’une réunion au poêle (irtte). Par ailleurs, les pêcheurs d’Auenheim jurent de respecter les règlements strasbourgeois sur la pêche au brochet (interdite du 1er mars au 1er mai et, pour les brochets de l’année, jusqu’au 22 juillet) et portant sur d’autres points. Les jurés de Strasbourg peuvent dénoncer les délits des pêcheurs d’Auenheim au ban de Strasbourg et inversement (AMS Série 165Z no 84, 31 janvier 1681).

Cette pratique d’une pêche en commun semble avoir été pratiquée bien avant 1640, puisque, en 1508, le Magistrat de Strasbourg publie un arbitrage concernant les pêcheurs de Strasbourg et ceux de Honau et de la Wantzenau sur la pêche au saumon. Elle était pratiquée collectivement lors de la 1ère quinzaine de février. En amont du lieu-dit Strùmpff Rin, les pêcheurs des deux villages n’y ont aucun droit, alors qu’en aval ils peuvent, dans certaines conditions, participer à l’opération de pêche (zug) organisée par Strasbourg, et inversement (AMS Série 165Z no 77, 20 juin 1508).

Les exemples pourraient être multipliés à l’envi. Ces pratiques et règlements, en usage au long des siècles, donnent de multiples informations, non seulement sur les interdits liés à la pêche, mais encore sur les instruments utilisés, le nom des poissons et enfin sur la conscience de la nécessaire protection des espèces, par celle du frai et des poissons à peine éclos. Le sens de certains termes liés à l’exercice du métier, aujourd’hui disparus, n’a pu être trouvé.

Les joutes nautiques strasbourgeoises

Selon A. Reh, Strasbourg a été de tout temps une ville de joutes nautiques (Schifferstechen ou Gänsespiel). L’enjeu du Gänsespiel était une oie vivante, suspendue par les pattes dont les joueurs, des bateliers, postés sur des nacelles (petits canots) emportées par des rameurs, devaient arracher la tête en passant sous elle. Le gagnant remportait le trophée. Les joutes consistaient à se pousser dans l’eau au moment où les nacelles se croisaient, au moyen de perches de trois à quatre mètres de long. D’autres jeux ponctuaient ces rencontres. C’est aux bateliers qu’incombait l’exécution de ces fêtes mais des pêcheurs se joignaient à eux, les complétaient ou les relayaient. Elles se déroulaient quai des Bateliers en face du palais Rohan ou quai des Pêcheurs, à l’entrée du canal dans l’Ill, plus tard à la Montagne verte puis au Wacken et encore plus tard dans le Bassin de l’Ill, vis-à-vis du quartier des Quinze. La fête la plus remarquable s’est déroulée les 7 et 8 octobre 1744 lors de la visite de Louis XV (voir la gravure de Weis, p. 17-18). Une fête avait été organisée par les pêcheurs. Le clou du spectacle était une pêche extraordinaire, au trident d’abord puis au filet, dans le Bassin rempli auparavant par une quantité considérable de poissons (carpes, brochets, saumons, truites, etc.), offerts au roi. La séance de préparation de cet événement est consignée dans un procès-verbal de la corporation des pêcheurs (AMS, comptes rendus, 9, p. 184b et 186, 3 septembre 1744). Il est dit que le roi, impressionné par la taille d’une carpe prise par un pêcheur, qu’il avait eu le soin de mesurer, lui avait offert 50 louis d’or.

Source-Bibliographie

Représentation des fêtes données par la ville de Strasbourg pour la Convalescence du Roi, à l’arrivée et pendant le séjour de Sa Majesté en cette Ville. Inventé, dessiné et dirigé par J.-M. Weis, graveur de la ville de Strasbourg, Paris, 1745.

HEITZ (Friedrich Karl), Das Zunftwesen in Strassburg. Geschichtliche Darstellung begleitet von Urkunden und Aktenstücke, Strasbourg, 1856, p. 70-71.

HANAUER (Auguste), Études économiques (1876-1878), 2 : Denrées et salaires, p. 213 ss).

REIBER (Ferdinand), Histoire naturelle des eaux strasbourgeoises de Léonard Baldner (1666), Colmar, 1887.

BRUCKER, Polizeiverordnungen (1889), p. 166-228, Stadtordnungen, Fischer- und Vogler- Ordnungen : vol. 1 : fos 20, 35, 75, 76, 83, 85, 166 et 187. Vol. 2 : fos 31, 33, 57, 61, 66 et 98. Vol. 12 : fo 183. Vol. 33 : fos 63, 195, 270, 335, 337 et 355. Vol. 28 : fos 269 et 271.

HATT (Jacques), Une ville du XVe siècle : Strasbourg, Strasbourg, 1929, p. 280.

REH (Alfred), « Les joutes strasbourgeoises ou le Gänsespiel », Nouvelle revue des traditions populaires, mars-avril 1950, II, no 2, p. 174-189.

MOSBACHER (Helga), « Kammerhandwerk, Ministerialität und Bürgertum in Straßburg », Phil. Diss., Berlin, 1971, ZGO, 119, 1971, p. 33-173.

ALIOTH, Gruppen (1988).

BISCHOFF (Georges), « Les blancs de la carpe. Pisciculture et pouvoir : l’exemple de l’Alsace autrichienne (XIVe- XVIIe siècle) », Les fruits de la récolte. Études offertes à Jean-Michel Boehler, Strasbourg, 2007, p. 179-195.

Notices connexes

Bruche ; Burghut

Canaux de l’Alsace ; Chasse ; Corporation

Eau

Fischerei Fischweide

Gastronomie alsacienne

Ill ; Ischert

Marché

Nachen

Pêche

Monique Debus Kehr