Feldordnung

De DHIALSACE
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Règlement de campagne

À partir du XIVe siècle, les opérations militaires menées par les villes et par les princes, souvent dans le cadre de larges coalitions, se traduisent par des règlements de campagne destinés à organiser la marche des armées et à en faire respecter la discipline. Ces dispositions contraignantes sont validées par serment et adaptées aux circonstances. Elles sont connues sous le nom de feldordnungen et tirent leur origine de prescriptions plus anciennes, comme celles de la paix de Dieu (v. Paix de Dieu), introduite par l’Église au XIe siècle.

En Alsace, l’un des premiers exemples se rapporte à l’alliance conclue le 15 avril 1333 pour mettre fin aux exactions des chevaliers brigands établis au château de Schwanau, sur une île du Rhin, à la hauteur de Gerstheim : les coalisés, regroupant l’Autriche et une dizaine de villes des deux rives du fleuve, prévoient d’opérer de concert, solidairement, pour éviter les défections des uns et des autres.

L’expérience acquise lors d’expéditions communes permet d’affiner les règles militaires, suivant le modèle proposé par les Confédérés suisses dans le Convenant de Sempach (Sempacher Richtung) du 10 juillet 1393. Cet accord, scellé par les cantons lors du 7e anniversaire de leur victoire sur la chevalerie autrichienne, est d’abord un pacte de non-agression, qui impose une solidarité mutuelle entre ses membres sous la forme d’une armée commune, proscrivant les défections des uns ou des autres. En campagne, la cohésion des alliés se traduit par l’interdiction de s’éloigner ou de battre en retraite (y compris pour les blessés, qui demeurent auprès des combattants valides) et par une réglementation stricte de la prise et du partage du butin. Les églises et les établissements religieux bénéficient d’une protection particulière (sauf si l’ennemi s’y retranche), de même que les femmes et les jeunes filles (sauf si elles se mettent à crier).

Le premier règlement militaire strasbourgeois s’intitule Ordnung wie die antwerk und die ritenden sich halten sollent in ussziehen. Publié par Jacob Wencker en 1698, il n’est pas daté mais, selon Paul Martin, il se rapporte aux hostilités de Strasbourg et de son évêque en 1392-1393 , quoiqu’il soit peut-être postérieur. S’il indique les modalités de rassemblement de la milice urbaine et prévoit la punition des actes d’indiscipline de ses membres, il s’inscrit cependant dans une tradition plus ancienne, celle des contingents levés pour le compte de l’Empire et rétribués par la ville en fonction de contrats très précis prévoyant les soldes ou les dédommagements éventuels. En 1372 déjà, les soudoyers (söldener) strasbourgeois avaient dû promettre de s’abstenir de jeux de hasard et de pillages.

Au XVe siècle, avec la multiplication d’opérations plus complexes et plus lointaines, les règlements de campagne se font toujours plus précis, aussi bien du point de vue de l’organisation des troupes ou de la logistique mise en oeuvre que dans le domaine de l’éthique. C’est le cas lors des guerres contre les Hussites (v. 1431) ou, d’une manière plus pressante pour l’Alsace, au moment des guerres de Bourgogne. À l’été 1474, dans la perspective d’une offensive de la Basse-Union (l’Autriche, l’évêque de Strasbourg, les villes impériales…) dans le nord de la Franche-Comté, on établit les modalités d’occupation des places conquises sur l’ennemi (au prorata des contingents des uns et des autres) et l’on dispose que le butin sera conservé en commun, les prisonniers étant partagés en deux lots. Pour assurer le ravitaillement de l’armée commune, on instituera un marché libre, sur lequel revient la feldordnung spécifique de Strasbourg, comme en rend compte l’extrait suivant :

« Dans les contingents à cheval ou l’infanterie, tant que durera cette expédition lointaine, personne ne devra jouer à des jeux d’argent, quels qu’ils soient. Conformément à son serment, le capitaine ne devra autoriser personne à agir de la sorte, et devra lui-même s’en abstenir.

De même, personne ne devra piller d’église ou d’autre lieu consacré, ni dévaliser de prêtre ou de femme en couche, ni molester de jeune fille ou de femme ou qui que ce soit qui n’est pas ennemi ou qui ne relève pas de l’ennemi. Mais les dépenses et les fournitures faites en pays amis, ils devront les payer en tout honneur et particulièrement, ils contribueront à maintenir la franchise du marché libre (freier markt) dans tous les camps et sur toutes les routes menant aux camps, de façon que personne ne soit dépouillé de son bien. Si quelqu’un agit de manière délictueuse à l’égard de ce marché libre, on le punira dans son corps et dans ses biens. Si quelqu’un se dispute avec un autre, il devra obéir à ce que le capitaine lui ordonnera ou demandera de faire, sous peine de la sanction appropriée à sa faute » (AMS, AA 261/16 – traduction Georges Bischoff).

Ces mesures générales ne sont pas restées lettre morte. On connaît des exemples de sanctions particulièrement rudes. Ainsi, en 1470, Pierre de Hagenbach convoque, à deux reprises, de véritables cours martiales pour juger des « compagnons » coupables de délits ou de crimes : cinq d’entre eux sont exécutés, à Saint-Amarin et à Cernay. En 1477, la ville de Strasbourg assiège et bombarde le château du Bilstein lorrain (Urbeis) où Jean Marx d’Eckwersheim retenait prisonnier, pour en tirer rançon, le comte Engelbert de Nassau capturé lors de la bataille de Nancy, contrairement au serment que Marx avait prêté en partant en campagne. Ces sanctions font jurisprudence.

De fait, le corpus réglementaire se fixe à ce moment (entre 1475 et 1525), parallèlement aux plans de défense (v. Landsrettung) préparés par les différentes autorités alsaciennes. Dans les seigneuries territoriales, il est indissociable des montres d’armes (v. Musterungen) et des exercices auxquels sont appelés les bourgeois des villes ou les sujets du plat pays. Ainsi, dans les pays antérieurs de l’Autriche où il donne lieu à de fréquents débats (consignés dans le Landbuch, BNUS, Ms 845). L’entrée en scène d’entreprises de mercenariat dirigées par des chefs expérimentés contribue, de son côté, à cette nouvelle culture politique et militaire : en effet, les compagnies de lansquenets recrutées en Alsace et en Souabe sont régies par des règles qui s’apparentent souvent aux feldordnungen officielles. Ces pratiques trouvent leur illustration la plus spectaculaire lors de la Guerre des Paysans de 1525. Le 11 mai, au moment où l’armée du duc de Lorraine se rassemble pour rétablir l’ordre en Alsace, les délégués des bandes paysannes réunis en congrès à Molsheim adoptent des « Articles à jurer lors de l’occupation de villes ou de villages » qui mettent en place des principes similaires, autour du programme de réforme religieuse qui est le leur.

Il s’agit :

« I. D’assister et de faire observer la parole de Dieu, le saint Évangile, et la justice.

II. Nulle ville ou village ne doit tolérer la présence d’hommes, nobles ou communs, qui soient contre le saint Évangile et croient pouvoir disperser la paysannerie par la force.

III. De partager avec la paysannerie rassemblée l’une et l’autre fortune, en suivant les prescriptions et les interdictions, conformes à l’Évangile, d’être obéissant au commandant en chef et au régent et plus généralement à toutes autorités, qui se soumettent à la conception évangélique.

IV. En recevant un ordre écrit ou, si nécessaire, par messager, tous ceux qui ont été désignés et ont prêté serment, doivent, au battement ou à la sonnerie de l’alarme, rejoindre aussitôt avec leurs armes la troupe, afin d’aider à protéger la commune paysannerie (gemein burschaft).

V. Nul ne doit entreprendre contre des gens évangéliques ni rien alléguer méchamment, ni offenser aucun pauvre homme (armen Man), ni rien prendre sans payer.

VI. En ce qui concerne les troupes, de suivre les prescriptions et les interdictions des chefs (obersten) et des régents.

VII. Nul ne doit courir au butin, sans l’accord du chef, et si quelqu’un y est autorisé, il doit le remettre à la troupe commune, contre une récompense.

VIII. Nul ne doit rien vendre sans l’accord du chef.

IX. Toute lettre sans exception, portant le sceau du capitaine et du chef, doit être observée et exécutée.

X. Les capitaines ne doivent rien entreprendre à la dérobée, à l’insu de la troupe ou des régents associés.

XI. Nul ne doit s’aviser d’offenser ou de tromper, en paroles ou en actes, la femme, l’enfant ou la servante d’un pauvre homme. En ce jeudi après le dimanche Jubilate (11 mai) an 25 toutes les troupes assemblées se sont juré de mourir et de vivre ensemble dans le saint Évangile et d’appliquer cela (ces articles) absolument » (traduction par A. Wollbrett, La guerre des Paysans, p. 80).

 

Bibliographie

MATZINGER (Albert), Zur Geschichte der niederen Vereinigung, Zurich-Selnau, 1910.

MARTIN (Paul), Das Wehrwesen der freien Stadt Strassburg im XIV. Jahrhundert, Strasbourg, 1944.

RAPP (Francis), « Le siège du Bilstein en 1477 », Ann. SHVV, 3, 1978, p. 71-81.

 

Notices connexes

Landsrettung

Mercenaire

Musterungen

Söldener

Georges Bischoff