Ecker

De DHIALSACE
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Ackeran, Eckerich, Eichelecker, Eichellese, Eichelmast, Eichenmast, Glandage, Glandée, Grasse pâture, Mastweide, Nachecker, Paisson, Paixonnage, Panage, Vorecker, Waldmast

Droit accordé aux éleveurs de porcs destinés à être engraissés (Mast), de les faire pâturer dans une forêt de chênes ou de hêtres, seigneuriale ou communale, éventuellement après accord avec les communautés voisines. En principe, la « glandée » proprement dite (ou « glandage ») consiste à ramasser les glands et le « panage » désigne la consommation sur place, directement par les porcs, de glands et de faines qui, outre les déchets domestiques, les sous-produits laitiers et, plus tard, la pomme de terre, constituent l’essentiel de leur alimentation ; mais les deux termes finissent par être employés indifféremment l’un pour l’autre et le mot « Ecker » revêt toujours la deuxième signification. La glandée proprement dite, qui dure une dizaine ou une quinzaine de semaines, s’ouvre au début de l’automne quand faines et glands arrivent à maturité, et se pratique, selon les endroits, de la Saint-Barthélémy (24 août), de la Saint-Michel (29 septembre) ou de la Saint-Rémy (1er octobre) jusqu’à la Saint-André (30 novembre), la Saint-Thomas (21 décembre) ou Noël, moment de l’année où l’on estime les porcs suffisamment engraissés pour en autoriser l’abattage. Certaines années, elle peut néanmoins se prolonger, sous le nom d’arrière-glandée ou de Nachecker, jusqu’à la Saint-Georges (23 avril) qui, dans ce cas, prend la suite du Vorecker ou glandée proprement dite. Elle nécessite souvent, sous le nom de porcher ou Sauhirt, l’embauche d’un ou plusieurs bergers spécialisés, mais ce sont en principe les officiers seigneuriaux qui estiment le produit présumé de la récolte de l’année ainsi que les besoins par feu et fixent le nombre de bêtes que chaque habitant, laboureur ou journalier, est autorisé à mêler au troupeau commun. La glandée impose parfois le recours au marquage (d’où le terme de Zeichengeld), pratique relevée à Ensisheim dès le XVIe siècle, et la redevance de panage, taxe variable fixée d’une année à l’autre selon l’abondance de la glandée, peut donner lieu à des dispenses très convoitées qui relèvent de privilèges ou d’immunités accordées par l’autorité.

Ce sont les villes qui nous fournissent le plus de renseignements sur la glandée, non seulement du fait de l’importance qu’y tient l’élevage porcin, mais en raison de l’institutionnalisation d’une pratique de plus en plus réglementée et compte tenu des impératifs de la répression de la fraude. Des inspecteurs de la glandée (Hirtenmeister à Colmar) surveillent le déroulement de la glandée tout en inspectant les porchers dans leurs fonctions. Colmar, où la première mention remonte à 1353, organise l’Eckerich en 1496. À Haguenau, un pâtre assermenté dépend du chef-porcher de la Ville qui, lui-même, doit prêter serment aux autorités municipales. Relevant parfois des franchises accordées à une ville (Ensisheim dès le XIIe siècle) et pouvant être exercé concurremment ou successivement par un seigneur (cf. les conventions, dès 1644, analysées par Philippe Jéhin, entre les Hanau-Lichtenberg et le Chapitre de Neuwiller-les-Saverne dans la forêt du Breitschloss qui s’étend sur 1 400 hectares environ) et une communauté d’habitants, le « droit de glandage » s’inscrit souvent dans le contexte des litiges autour des communaux : le seigneur peut prétendre au Eckerrecht, soit en vertu d’un ancien droit de servitude (justice, chasse), soit en raison d’un droit de propriété primitif sur la forêt ou les communaux ; la communauté, si elle n’en a pas explicitement la propriété, peut être autorisée à bénéficier de la jouissance par affermage, avantage qui, du reste, est conféré à une institution ou adjugé à un individu, boucher ou aubergiste par exemple, parfois moyennant adjudication au plus offrant : tel est le cas de la Ville de Colmar, qui afferme la glandée au XVIIIe siècle, après en avoir exercé le droit directement, en qualité de seigneur, depuis le XIVe ou le XVe siècle, ce qui lui assure des revenus non négligeables. Le droit de glandée donne parfois lieu à des compromis (partage des profits entre seigneur et communauté en cas de « surabondance » de glandée ou Überschuss ; concession au seigneur d’une part privilégiée, soit, par exemple, le double du nombre des porcs accordé au « meilleur » bourgeois.

La Ville de Colmar, qui engage entre six et dix porchers, doit compter, aux XVIe et XVIIe siècles, avec un troupeau de 500 à 1 500 bêtes : sur le Niederwald, le Neuland et le Hussenwaldele, affluent ainsi les porcs des bourgeois de Colmar et de Houssen, ceux de la corporation colmarienne des laboureurs, enfin ceux de l’hôpital et du couvent d’Unterlinden. En 1566, Ensisheim envoie 544 porcs dans la Hardt ; s’y ajoutent 300 qui pâturent dans la forêt de Haguenau et autant dans les environs de Belfort, ce qui confère partiellement à la glandée l’image d’une véritable « transhumance » saisonnière. Les limites de l’espace susceptible d’être ouvert au panage est réglementé, mais il arrive que les habitants d’Ensisheim les transgressent, les années de médiocre glandée : il s’ensuit à deux reprises aux XVe et XVIe siècles, en 1497 et en 1544 une « guerre de la glandée » (Eichelkrieg ou Eichlenkrieg) avec les communautés voisines du haut bailliage de Landser. Par ailleurs, les troupeaux devant rester en forêt pendant toute la durée de la glandée, des baraquements en bois s’avèrent parfois nécessaires pour les abriter : dans la forêt de la Hardt haut-rhinoise, Ensisheim entretient au XVIe siècle jusqu’à quatre parcs (Pferrich) à cet effet, tandis que la Ville de Colmar fait aménager dans le Niederwald (mention de 1619) un enclos en corde recouvert de paille. Sur les communaux de Strasbourg, les porcs entretenus par les seules tribus des jardiniers et des bouchers (1 211 au total) représentent en 1744 près du tiers des bêtes mises à la pâture. Il arrive que, dans les années de pénurie en fruits ou de surcharge pastorale, le ramassage des faines et des glands soit prohibé (Ville de Colmar et Mundat de Wissembourg au XVIIIe siècle) ou que le nombre de porcs admis à la pâture soit réglementé : mesure indispensable car, à Pulversheim par exemple, ce dernier passe de 200 en 1664 à 600 en 1724. Dans la seigneurie d’Oberbronn, d’après les comptes communaux du XVIIIe siècle, chaque ménage a droit à 2 porcs, chiffre qui est revu à la hausse (10) les années de bonne glandée. La forêt de Haguenau est fréquentée au début du XVIIIe siècle par 600 porcs ; ils sont 800 en 1760, puis près de 3 000 avec ceux de Kaltenhouse et de Schirrhein, ce qui conduit les Eckerherren, secondés par les inspecteurs, à en demander le contingentement et le marquage au fer. Si on a pu estimer, sans doute de façon exagérée, jusqu’à 10 000 le nombre de porcs envoyés dans la Forêt Sainte de Haguenau, c’est qu’une telle évaluation inclut probablement les porcs maigres achetés périodiquement par la Ville elle-même, puis engraissés avant d’être vendus à son profit, puisque certains d’entre eux sont exportés jusqu’à Francfort.

On comprend, dans ces conditions, que la glandée y soit occasionnellement supprimée et cela dès 1717 à Haguenau (AMH BB 16/36, 142/181-182 et CC 99-101). Ne sont pas étrangères à de telles restrictions les menaces qui pèsent sur les semences nécessaires au repeuplement de la forêt à une époque où l’on cherche à protéger cette dernière. Or une telle réglementation est de nature à amputer les revenus du seigneur ou de la communauté, surtout si le droit de glandée, en constante augmentation (ce dernier rapporte, dans la seigneurie d’Oberbronn, 104 florins en 1723, 264 en 1757, 416 en 1771), bénéficie de la mise aux enchères qui est susceptible d’en accroître le produit. Cependant la période faste au panage a sans doute été le XVIe siècle ; elle correspond à une politique de valorisation de la forêt. Au siècle suivant, les guerres font chuter les revenus du panage. Au XVIIIe siècle, l’alourdissement de la charge démographique, le souci de la protection des bois soumis à d’importants défrichements, facteurs responsables d’une réglementation envahissante, et les progrès de la sédentarisation du cochon, par stabulation interposée et alimentation diversifiée, expliquent le relatif recul de la glandée.

Bibliographie

HOFFMANN, L’Alsace au XVIIIe siècle, 1906, t. III, p. 328-333.

HUFFEL (Gustave), La Forêt Sainte de Haguenau en Alsace. Notice historique et descriptive, Paris, 1920, p. 49-54.

SCHWIEN (Jean-Jacques),Ensisheim, le lieu du glaive. Essai sur la mémoire d’une ville, thèse dactyl., Strasbourg, 1985, t. I, p. 181-183 et t. II, p. 219.

SCHWIEN (Jean-Jacques), « Les histoires d’Ensisheim au Moyen Âge », Bulletin de la Société industrielle de Mulhouse, 3, 1985, p. 48-49.

BOEHLER, Paysannerie, 1994, t. I, p. 681 et 953-955.

GARNIER (Emmanuel), Terres de conquêtes. La forêt vosgienne sous l’Ancien Régime, Paris, 2004, p. 108-109, 279, 465-467.

JEHIN (Philippe), Forêts des Vosges du Nord du Moyen Âge à la Révolution, Strasbourg, 2005, p. 144-157.

REGNATH (Johanna R.), Das Schwein im Wald. Vormoderne Schweinehaltung zwischen Herrschaftsstrukturen, ständischer Ordnung und Subsistenzökonomie, Ostfildern, 2008.

JEHIN (Philippe), « Nous n’irons plus aux bois. Restrictions des droits d’usage forestiers aux XVIe et XVIIe siècles en Alsace », Autorité, Liberté, Contrainte en Alsace, Université de Strasbourg, Institut d’histoire d’Alsace, colloque 2010, p. 176.

Nous avons bénéficié par ailleurs des précieuses informations que nous a transmises Francis Lichtlé, archiviste de la Ville de Colmar.


Notices connexes

Allmende

Communaux (partage des)

Eckerherren

Eckerrecht

Eichelkrieg

Élevage

Forêt

Glandée

Hirt

Hirtenmeister

Mast

Porchers

Sauhirt

Jean-Michel Boehler