Carême

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Fastenzeit, Quadragesima

Comme l’indique le nom latin Quadragesima (quarantième), le carême désigne une période de jeûne (où l’on prend un seul repas par jour) et d’abstinence de quarante jours, entre le mercredi des Cendres et Pâques. Par là, les chrétiens imitent le jeûne de quarante jours que fit le Christ dans le désert. L’institution du carême n’est attestée qu’à partir du IVe siècle.

En réalité, après l’an Mil, le carême est avant tout une période d’abstinence, pendant laquelle la consommation de viande demeure interdite, sauf en cas de nécessité absolue ou de maladie grave. Au XIIIe siècle, saint Thomas d’Aquin signale l’abstinence d’œufs et de laitage pendant la période du carême comme un usage commun de l’Église, même si au XVe siècle, il était possible d’obtenir l’autorisation de manger des graisses animales pendant le carême moyennant finances (voir Butterbriefe). Par contre, manger du poisson, des écrevisses, des coquillages, des poules d’eau, de la loutre ou du castor était toléré, car ces animaux étaient considérés comme des animaux à sang froid. D’où l’importance du commerce du poisson d’eau douce (multiplication des étangs à la fin du Moyen Âge) et de mer, importé salé en grandes quantités (cf. l’expression « arriver comme marée en carême »). A partir du VIIe siècle, la consommation de vin pendant les 40 jours qui précèdent Pâques était autorisée en Occident. En plus du jeûne et de l’abstinence, la continence conjugale était recommandée pendant le carême. Les festins et les noces étaient interdits, les jeux publics et les représentations théâtrales également ; on suspendait même les procès criminels et les condamnations à mort.

Dans la liturgie, la période du carême se caractérise par la suppression de l’Alleluia pendant la messe. Les orgues se font discrètes : à partir de la Septuagésime, septième dimanche avant Pâques, on ne joue plus d’orgue à la cathédrale de Strasbourg. En signe de deuil, les statues des églises sont recouvertes d’un voile. Le compte de la paroisse Saint-Georges de Haguenau pour l’année 1421-1422 mentionne une dépense d’un sou  pour l’achat de clous (bast nagel) et de cordons (sacbendel) pour recouvrir les statues des saints à la Septuagésime (AM Haguenau GG 249). Les comptes ultérieurs font régulièrement état de cette pratique pour Mardi gras. Pour la paroisse de Ribeauvillé, le compte de 1518 signale également une dépense pour voiler les statues le jour du Mardi gras (um nagel geben an der fastnacht die duocher zuo neglen uber die helgen : ADHR E 2722 ; H 19B). A l’entrée du carême, on déployait également un voile de carême (Fastentuch ou Hungertuch), qui cachait l’autel au fidèle. Ce dernier était donc exclu de la participation à l’office divin, ce qui constituait une forme de pénitence. Fréquemment, ces voiles de carême étaient peints de scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament. C’est le cas à l’église Saint-Georges de Haguenau en 1484/1485 (AM Haguenau GG 252/11). Ces scènes avaient une fonction pédagogique : elles introduisaient les fidèles aux mystères de la Passion. Au XVIIe siècle encore, le règlement de l’église de Dannemarie indique que le sacristain doit descendre le voile de carême le Mardi gras et voiler les autels et les croix.

Nous avons peu de renseignements sur les couleurs liturgiques au Moyen Âge et au début de l’époque moderne en Alsace. Le « Rationale Divinorum » de Guillaume Durand, évêque de Mende de la fin du XIIIe siècle (dont un exemplaire a été imprimé à Strasbourg en 1484, f. XLV), précise qu’on utilise le violet pendant le carême et l’avent. Il décrit les couleurs liturgiques romaines où il a séjourné pendant quelques années : elles seront recommandées à toute l’Église après le Concile de Trente. Une grande diversité semble cependant avoir été de mise. Ainsi le règlement de 1556 pour l’église Saint-Martin de Colmar, qui reprend les anciennes coutumes de la maison, donne les indications suivantes : pendant les deux semaines suivant le dimanche Invocavit (1er dimanche de carême), on utilise des ornements noirs. Puis, pendant les deux semaines après le dimanche Oculi (3ème dimanche de carême), les ornements liturgiques sont blancs, et du dimanche de la Passion (5e dimanche de carême) à Pâques, ils sont rouges. Un inventaire de 1507 pour l’église Sainte-Aurélie de Strasbourg signale trois toiles de lin bleues utilisées pour les autels pendant le carême. D’une façon plus générale, tout au long du Moyen Âge, le noir – et accessoirement le violet, considéré comme une forme atténuée de noir – était la couleur de la pénitence.

A la fin du Moyen Âge, les sermons de carême font partie intégrante de la vie du croyant. De nombreux textes de ces sermons nous sont parvenus, dont ceux du dominicain Johannes Nider. Tout comme ses confrères, Geiler de Kaysersberg, nommé à la chaire de la cathédrale de Strasbourg en 1478, prêchait tous les jours pendant le carême.

Au XVIIIe siècle, les mandements de carême, rédigés par les suffragants, sont imprimés et lus, du haut de la chaire, en allemand et en français. Véritables textes théologiques, ils deviennent aussi une sorte de « coquetterie littéraire » que s’échangent les princes-évêques. Les personnes malades sont dispensées de l’obligation de jeûner. Des demandes en ce sens sont adressées à l’officialité qui accorde ou non les dispenses (AAEB, A 105).

 

Sources - Bibliographie

HANS (Eugen), « Kirchenordnung zuo Dammerkirch (1612) », Straßburger Diözesanblatt 1889, p. 147-155.

Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de liturgie II, Paris, 1910, c. 2139-2157.

FISCHER (Joseph), « Die Farbe der liturgischen Gewänder im Elsass während des Mittelalters », Archiv für elsässische Kirchengeschichte 1, 1926, p. 98-111.

Iconoclasme. Vie et mort de l’image médiévale. Catalogue d’exposition, musées de Berne et de l’Œuvre Notre-Dame de Strasbourg, 2001, p. 224-225.

 

Notices connexes

Butterbrief

Calendrier

Fastentuch

Fischerei

Hungertuch

Mandements de carême

Oiseleurs

Poissons

Vögler

Elisabeth Clementz