Hardt (forêt de la, région de la)

De DHIALSACE
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Appellation d’un type de terrain et de paysage

Hart est un terme générique qui, sous des formes plus ou moins altérées, signifie « forêt ». En effet, cette dernière – charmaie, hêtraie, chênaie parsemée de pins – imprime son cachet à des paysages similaires, mais diversement répartis du nord au sud de la plaine d’Alsace : cône sableux construit par la Sauer et la Moder, ce dernier étant colonisé par les 15.000 hectares de la forêt de Haguenau ; cône alluvial de la Zorn, séparant, par l’intermédiaire du Herrenwald, les collines de Brumath du Kochersberg ; Hart de Molsheim qui occupe la partie amont du cône de déjection de la Bruche ; enfin cônes torrentiels vosgiens de la Doller, de la Thur, de la Lauch et de la Fecht, s’étendant de l’Ochsenfeld et de la forêt du Nonnenbruch au nord-ouest de Mulhouse à la Hardt colmarienne, déjà évoquée par Schoepflin et Billing. Ailleurs, elle se limite à des rappels toponymiques (auf der Hart, in den Härtlen, im Hartacker, im Hartfeld, Rustenhart, Harthouse).

C’est donc une forêt claire et maigre qui aura donné son nom à l’ensemble de la contrée s’étendant, entre l’Ill et le Rhin, de Mulhouse à Colmar, sur une longueur de 22 et une largeur moyenne de 8 lieues, soit environ 32 kilomètres sur 12. Ce qui singularise la Hardt, c’est que le matériel grossier qui la recouvre se prolonge, depuis le cône sous-vosgien de la Fecht jusqu’à la basse terrasse rhénane, constituée elle aussi de cailloutis et construite par le Rhin. Elle est délimitée à l’ouest par la vallée de l’Ill, à l’est par celle du Rhin, au sud par les collines du Sundgau et au nord par le Ried. La Hardt désigne ainsi un paysage bien individualisé, à la fois unité naturelle et construction humaine, au même titre que ceux du Sundgau, du Ried ou du Kochersberg – autant de micro-régions qui ont en commun un fort sentiment d’appartenance –, tout en constituant, dans les publications des historiens et des géographes, le parent pauvre des « pays » alsaciens. La relative médiocrité de la Hardt, avec ses sols ingrats, pourrait d’ailleurs expliquer la persistance d’un sentiment de jalousie et le complexe d’infériorité que ses habitants nourrissent à l’égard de régions, tel le Kochersberg, plus favorisées par la nature, ou la plaine d’Erstein bénéficiant d’une couche de limons éoliens fertiles.

Le Hartwald – une évidente tautologie –, prolongé, dans sa partie septentrionale, par le « dürres Hardt », domaine d’élection de la forêt sèche, en constitue la plus grande partie. S’étendant sur plus de 13.000 hectares, progressivement cédé en jouissance indivise aux communautés riveraines, tout en restant théoriquement possession des Habsbourg, puis bien de la couronne de France, avant de devenir forêt domaniale en 1789. Sauvé en grande partie en raison de son intérêt stratégique (rôle de défense, besoins en bois de l’armée, approvisionnement des places fortes), et laissé en jouissance à une vingtaine de communes limitrophes, il est néanmoins soumis à des défrichements successifs entre le VIIIe siècle, grâce au zèle des moines de Munster, de Murbach, de Pairis (sur les bans des villages disparus de Leheim et de Rheinfelden) et d’Ebersmunster (à Volgelsheim et Biesheim par exemple), et le XVIIIe siècle, période où une forte poussée démographique exige à la fois davantage de bois et de terres de labour. En effet, la médiocrité des sols se conjugue avec la relative sécheresse du climat, à l’abri de l’écran vosgien, pour compromettre l’intérêt même des défrichements. La minceur de la couche arable, la présence de sols pauvres et secs, perméables, lessivés et podzolisés, leur faible pouvoir de rétention d’eau et la profondeur de la nappe phréatique sont de nature à décourager les opérations de mise en valeur qui nécessitent un investissement considérable en fumure et en travail humain, souvent sans commune mesure avec les résultats obtenus et se heurtent à la loi inexorable de la rentabilité décroissante. C’est la raison pour laquelle la forêt ne se trouve longtemps exposée qu’à des défrichements marginaux ou limités aux poches loessiques, souvent sous la forme d’un élargissement des clairières déjà existantes. Par ailleurs la forêt n’a pas attendu d’être partiellement déboisée pour être dégradée, dès le XIVe siècle, par une exploitation abusive pour les besoins en bois (de chauffage et d’œuvre, sans oublier les échalas pour la vigne) et les impératifs de l’industrie (mines et verreries).

Quant à ces terres laborieusement conquises sur la forêt et peu propices à la culture, elles nécessitent, jusqu’à une époque récente, des opérations à la fois d’assainissement par drainage et d’irrigation (soit par ruissellement, soit par aspersion), tandis que les méfaits du Rhin destructeur (Kunheim englouti en 1765, ADBR C 16), parfois qualifié de « Waldstrom », exigent d’importants travaux de correction : projet d’approfondissement de Tulla en 1812, creusement du canal de Huningue au début du XIXe siècle et construction du canal de la Hardt entre 1890 et 1912, en attendant celle du Grand Canal d’Alsace à partir de 1927. La localisation de certains villages (Rustenhart, Obersaasheim, Geiswasser, Algolsheim) en bordure de terrasse témoigne de la permanence de cette lutte contre l’eau qui s’ajoute à « la lutte contre l’arbre » (Marc Bloch) au nom d’une agriculture conquérante.

Jean-Michel Boehler

Marche de la Hardt

Au cours du Moyen Âge central, une Marche ou Markgenossenschaft formée de terres indivises se met en place, au fur et à mesure des défrichements opérés par les paysans des villages riverains, à la recherche de terres arables et de pâturages. La Marche de la Hardt comprend les communautés riveraines de la forêt qui forment une association d’usagers désignés sous le nom de Compagnons de la Hardt ou Hartgenossen plus tard regroupés dans le bailliage de Landser. Sa fonction vise à prévenir la diminution du fonds indivis et à empêcher les abus de pâture et de coupe de bois.

En 1004, l’empereur Henri II fait don de la Marche de la Hardt à l’évêque Adalbert de Bâle. L’acte de donation de la « Silva Sundgovia Haardt » se fait avec le consentement de la population de ce domaine forestier (J.-D. Schoepflin, L. W. Ravenez, L’Alsace illustrée, Mulhouse, 1852, t. 4, p. 435). Les usagers perdent notamment leur droit de chasse au profit de l’évêque. Henri III confirme en 1040 à l’évêque Ulric de Bâle la possession de la forêt de la Hardt. L’évêque sera progressivement évincé au profit des Habsbourg.

La Hardt est mentionnée dans une charte de 1239 comme une propriété des Habsbourg (J.-D. Schoepflin, L.  W. Ravenez, L’Alsace illustrée, op. cit., t. 4, p. 44). Ils y exercent le pouvoir judiciaire en leur qualité de Landgrave sur toute la Haute-Alsace. Habsheim devient le siège de l’officier forestier, le Waldvogt. Les Habsbourg gèrent avec attention leur forêt et tentent de circonscrire les dégâts causés par les usagers (ADHR 1 C 7391- 7399 : comptes forestiers de la Hardt des XVIe et XVIIe siècles). La forêt de la Hardt est fortement dégradée à partir du XIVe siècle par les multiples anticipations et l’exploitation des ressources forestières. Les ordonnances de 1427, 1557 et 1568 confirment les droits d’usage des Compagnons de la Hardt, notamment pour le bois de construction, avec l’autorisation du Hartvogt selon des modalités revues de façon plus restrictive (ADHR 1 C 7348- 7358 : inspections des XVIe et XVIIe siècles). Les usagers conservent jusqu’au XVIIIe siècle les droits de pâture et de glandée, l’affouage et une partie des communaux. Certaines communes possèdent une parcelle forestière, Holzmark, d’où ils peuvent tirer le bois de chauffage et, sous certaines réserves, le bois de construction nécessaire à leurs foyers (ADHR 1 C 7277-7299 et 7359-7383 : droits d’usage dans la Hardt aux XVIe et XVIIe siècles).

Par les traités de Westphalie, l’Autriche cède ses droits et possessions en Haute Alsace au roi de France. Les villages de la Hardt relèvent de plusieurs seigneuries distinctes, mais la forêt de la Hardt devient un bien de la couronne. L’intendant Colbert de Croissy signale en 1663 que « la forêt de la Harten […] est un bois de chênes de haute futaie dont les arbres ne sont ni fort beaux ni fort grands. Il n’y a point de coupe réglée dans ladite forêt ; l’on attribue tous les ans une certaine quantité à des communautés voisines d’icelle qui en sont usagers ». (Ch. Pfister. Un mémoire de l’intendant Colbert, 1895, p. 43). En 1694, Louis XIV installe à Ensisheim une maîtrise des Eaux et Forêts chargée de l’administration et de la juridiction de toutes les forêts de Haute-Alsace, puis, à partir de 1700, uniquement de celles relevant de la couronne royale, principalement la forêt de la Hardt.

De nombreuses coupes sont autorisées dans la Hardt dans le cadre du repeuplement à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle. La demande en bois augmente et la dégradation de la forêt devient alarmante notamment sous l’effet du surpâturage, avec un appauvrissement quantitatif et qualitatif du boisement. Pour mettre un terme aux dégradations forestières, Louis XV ordonne en 1768 la délimitation de la Hardt qui ne contient plus alors que 31.000 arpents. Entre 1769 et 1773, on creuse autour de la forêt un profond fossé et on plante 971 bornes de grès rose gravées aux armes de France.

À la Révolution, la Hardt devient forêt domaniale. Pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire, la Hardt permet l’approvisionnement en bois d’œuvre des fortifications de la frontière du Rhin. En 1813, des quantités considérables d’arbres sont abattues et livrées dans les places fortes de Huningue et de Neuf-Brisach. Un relevé précis des parcelles est dressé (ADHR 3 P 607 plans parcellaires « napoléoniens » de la forêt domaniale de la Hardt en 25 feuillets, 1846). Les communes limitrophes tentent dans la première moitié du XIXe siècle de faire valoir leurs droits, mais l’administration forestière les restreint dans le cadre d’une politique de préservation des forêts et de reboisement à l’échelle nationale (ADHR 7 P 76) revendications des communes riveraines de la Hardt de droits d’usage dans la forêt domaniale de la Hardt (1804-1870) et 7 P 966 revendication par les communes riveraines des droits d’usage dans la forêt de la Hardt avec copies d’actes du XIVe au XVIIIe siècle (1829-1851).

Philippe Jéhin

Bibliographie

Appellation d'un type de terrain et de paysage

BOEHLER (Jean-Michel), Paysannerie, t. I, p. 122-123 et 645-683.

DECOVILLE-FALLER (Monique), La Hardt hautrhinoise. Contribution à l’étude d’une région agricole en voie de développement, Strasbourg, 1968, p. 6-39.

Encyclopédie d’Alsace, t. 6, Strasbourg, 1982, p. 3736-3744 (notices V. Rastetter, L. Hergen et C. Schenk).

JUILLARD (Étienne), L’Alsace, le sol, les hommes et la vie régionale, Strasbourg, 1963, p. 21.

NONN (Henri), « L’Alsace, une terre de contacts », Nouvelle Histoire de l’Alsace, une région au cœur de l’Europe, dir. B. Vogler, Toulouse, 2003, p. 22-25.

NONN (Henri), L’Alsace et ses territoires, Strasbourg, 2008, p. 477-478.

ONIMUS (Étienne), « Mémoire sur l’aliénation et le défrichement de la forêt et sur les irrigations du territoire de la Hardt », RA, 1866, p. 41-58.

Marche de la Hardt

HERGÈS (Louis), « Hardt », Encyclopédie d’Alsace, Strasbourg, 1982-1986, p. 3736-3739.

LIVET (Georges), L’Intendance d’Alsace sous Louis XIV, Paris, 1956, p. 563.

ONIMUS (Étienne), « Mémoire sur l’aliénation et le défrichement de la forêt et sur les irrigations du territoire de la Harth », RA, 1866, p. 41-58.

SCHOEPFLIN (Jean-Daniel), L’Alsace illustrée, Mulhouse, 1852, (trad. L.W. Ravenez), tome 4.

Notices connexes

Bois

Forêt