Dorfordnung : Différence entre versions

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''Dorf(f)sordnung'' – ''Bürgerordnung'', Règlement de village, Statuts villageois
 
''Dorf(f)sordnung'' – ''Bürgerordnung'', Règlement de village, Statuts villageois
  
On a l’habitude de désigner par ce terme la codification de la coutume à l’échelle du village, expression du pluralisme juridique caractérisant l’Ancien Régime qui laisse une place importante aux statuts particuliers des différentes communautés d’habitants, tout en dévoilant les strates de l’organisation du pouvoir et l’éventuelle concurrence entre elles. La ''Dorfordnung'' est née de la répétition de situations identiques dans la longue durée, ce qui implique l’adhésion de la population à des normes reconnues parce que sacralisées par une tradition pluriséculaire. Elle se situe à une époque charnière entre la coutume, qui repose sur l’oralité, et l’écrit qui tend à fixer le droit pour en garantir le respect. Exprimant un rapport de forces entre pouvoirs et intérêts différents, elle porte en réalité, du moins à&nbsp;ses origines, la marque du pouvoir féodal, dont la mission est de prescrire et d’interdire (''Gebot und Verbot''), et celui des notables de la communauté d’habitants qui participent à sa rédaction sous le contrôle du prince souverain. Assurant le passage entre la seigneurie foncière à la seigneurie territoriale et prenant, dans le domaine coutumier, le relais des antiques ''Weistümer'' (dès le XIII<sup>e</sup> siècle), les ''Dorfordnungen'', en dépit de l’empreinte seigneuriale qui les caractérise, ne témoignent pas moins de la progressive prise de conscience des communautés rurales, donc de leur personnalité juridique, à partir de la seconde moitié du XV<sup>e</sup> siècle. Pourtant, alors que le ''Weistum'', déclaration d’une coutume existante, constate un droit ancien, coutumier avant d’être écrit, la ''Dorfordnung'' crée un droit nouveau imposé par le seigneur dans son propre intérêt. Elle ne saurait donc être exclusivement interprétée comme le reflet d’une autonomie (toute relative) dont disposeraient les villageois, mais comme une reprise en mains d’une <u>Obrigkeit</u> hiérarchisée et codifiée par des hommes de loi. Le problème a été clairement énoncé par Francis Rapp qui a mis en lumière l’apparente contradiction&nbsp;: émancipation progressive ou renforcement de l’autorité&nbsp;? La ''Dorfordnung'' constitue ainsi l’un des témoins de la mue qui se produit à la fin du Moyen Âge et au début des Temps modernes, au moment même où la seigneurie est appelée à affronter les nouvelles formes d’organisation politique et d’intégration économique apparues dans le cadre de l’Etat.
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On a l’habitude de désigner par ce terme la codification de la coutume à l’échelle du village, expression du pluralisme juridique caractérisant l’Ancien Régime qui laisse une place importante aux statuts particuliers des différentes communautés d’habitants, tout en dévoilant les strates de l’organisation du pouvoir et l’éventuelle concurrence entre elles. La ''Dorfordnung'' est née de la répétition de situations identiques dans la longue durée, ce qui implique l’adhésion de la population à des normes reconnues parce que sacralisées par une tradition pluriséculaire. Elle se situe à une époque charnière entre la coutume, qui repose sur l’oralité, et l’écrit qui tend à fixer le droit pour en garantir le respect. Exprimant un rapport de forces entre pouvoirs et intérêts différents, elle porte en réalité, du moins à&nbsp;ses origines, la marque du pouvoir féodal, dont la mission est de prescrire et d’interdire (''Gebot und Verbot''), et celui des notables de la communauté d’habitants qui participent à sa rédaction sous le contrôle du prince souverain. Assurant le passage entre la seigneurie foncière à la seigneurie territoriale et prenant, dans le domaine coutumier, le relais des antiques ''Weistümer'' (dès le XIII<sup>e</sup> siècle), les ''Dorfordnungen'', en dépit de l’empreinte seigneuriale qui les caractérise, ne témoignent pas moins de la progressive prise de conscience des communautés rurales, donc de leur personnalité juridique, à partir de la seconde moitié du XV<sup>e</sup> siècle. Pourtant, alors que le ''Weistum'', déclaration d’une coutume existante, constate un droit ancien, coutumier avant d’être écrit, la ''Dorfordnung'' crée un droit nouveau imposé par le seigneur dans son propre intérêt. Elle ne saurait donc être exclusivement interprétée comme le reflet d’une autonomie (toute relative) dont disposeraient les villageois, mais comme une reprise en mains d’une ''Obrigkeit'' hiérarchisée et codifiée par des hommes de loi. Le problème a été clairement énoncé par Francis Rapp qui a mis en lumière l’apparente contradiction&nbsp;: émancipation progressive ou renforcement de l’autorité&nbsp;? La ''Dorfordnung'' constitue ainsi l’un des témoins de la mue qui se produit à la fin du Moyen Âge et au début des Temps modernes, au moment même où la seigneurie est appelée à affronter les nouvelles formes d’organisation politique et d’intégration économique apparues dans le cadre de l’Etat.
  
 
Il est difficile de saisir l’origine des ''Dorfordnungen'', dans la mesure où la plupart d’entre elles, témoignant d’une extraordinaire longévité, sont recopiées, à défaut d’être réactualisées, aux XVII<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles&nbsp;: celle de Blienschwiller a été commencée dès 1468 et continuée jusqu’en 1495&nbsp;; celle de Wangenbourg est datée de 1472 et celle de Habsheim, qui semble remonter à la fin du XV<sup>e</sup> siècle, a été recopiée en 1577&nbsp;; celle de Kirrwiller est de 1495&nbsp;; celle d’Ergersheim porte la date de 1617 et, non datée, celle de Berstett a été retranscrite par Jacques Stoeffler, qui a été pasteur entre 1627 et 1664&nbsp;; celle de Sundhouse est la remise à jour, en 1700, d’un texte plus ancien&nbsp;; celle de Vendenheim (1720 et 1776), sous le titre de «&nbsp;constitution réglementaire&nbsp;», est sans doute, elle aussi, la copie d’un règlement antérieur.
 
Il est difficile de saisir l’origine des ''Dorfordnungen'', dans la mesure où la plupart d’entre elles, témoignant d’une extraordinaire longévité, sont recopiées, à défaut d’être réactualisées, aux XVII<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles&nbsp;: celle de Blienschwiller a été commencée dès 1468 et continuée jusqu’en 1495&nbsp;; celle de Wangenbourg est datée de 1472 et celle de Habsheim, qui semble remonter à la fin du XV<sup>e</sup> siècle, a été recopiée en 1577&nbsp;; celle de Kirrwiller est de 1495&nbsp;; celle d’Ergersheim porte la date de 1617 et, non datée, celle de Berstett a été retranscrite par Jacques Stoeffler, qui a été pasteur entre 1627 et 1664&nbsp;; celle de Sundhouse est la remise à jour, en 1700, d’un texte plus ancien&nbsp;; celle de Vendenheim (1720 et 1776), sous le titre de «&nbsp;constitution réglementaire&nbsp;», est sans doute, elle aussi, la copie d’un règlement antérieur.
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Version actuelle datée du 12 octobre 2021 à 12:00

Dorf(f)sordnungBürgerordnung, Règlement de village, Statuts villageois

On a l’habitude de désigner par ce terme la codification de la coutume à l’échelle du village, expression du pluralisme juridique caractérisant l’Ancien Régime qui laisse une place importante aux statuts particuliers des différentes communautés d’habitants, tout en dévoilant les strates de l’organisation du pouvoir et l’éventuelle concurrence entre elles. La Dorfordnung est née de la répétition de situations identiques dans la longue durée, ce qui implique l’adhésion de la population à des normes reconnues parce que sacralisées par une tradition pluriséculaire. Elle se situe à une époque charnière entre la coutume, qui repose sur l’oralité, et l’écrit qui tend à fixer le droit pour en garantir le respect. Exprimant un rapport de forces entre pouvoirs et intérêts différents, elle porte en réalité, du moins à ses origines, la marque du pouvoir féodal, dont la mission est de prescrire et d’interdire (Gebot und Verbot), et celui des notables de la communauté d’habitants qui participent à sa rédaction sous le contrôle du prince souverain. Assurant le passage entre la seigneurie foncière à la seigneurie territoriale et prenant, dans le domaine coutumier, le relais des antiques Weistümer (dès le XIIIe siècle), les Dorfordnungen, en dépit de l’empreinte seigneuriale qui les caractérise, ne témoignent pas moins de la progressive prise de conscience des communautés rurales, donc de leur personnalité juridique, à partir de la seconde moitié du XVe siècle. Pourtant, alors que le Weistum, déclaration d’une coutume existante, constate un droit ancien, coutumier avant d’être écrit, la Dorfordnung crée un droit nouveau imposé par le seigneur dans son propre intérêt. Elle ne saurait donc être exclusivement interprétée comme le reflet d’une autonomie (toute relative) dont disposeraient les villageois, mais comme une reprise en mains d’une Obrigkeit hiérarchisée et codifiée par des hommes de loi. Le problème a été clairement énoncé par Francis Rapp qui a mis en lumière l’apparente contradiction : émancipation progressive ou renforcement de l’autorité ? La Dorfordnung constitue ainsi l’un des témoins de la mue qui se produit à la fin du Moyen Âge et au début des Temps modernes, au moment même où la seigneurie est appelée à affronter les nouvelles formes d’organisation politique et d’intégration économique apparues dans le cadre de l’Etat.

Il est difficile de saisir l’origine des Dorfordnungen, dans la mesure où la plupart d’entre elles, témoignant d’une extraordinaire longévité, sont recopiées, à défaut d’être réactualisées, aux XVIIe et XVIIIe siècles : celle de Blienschwiller a été commencée dès 1468 et continuée jusqu’en 1495 ; celle de Wangenbourg est datée de 1472 et celle de Habsheim, qui semble remonter à la fin du XVe siècle, a été recopiée en 1577 ; celle de Kirrwiller est de 1495 ; celle d’Ergersheim porte la date de 1617 et, non datée, celle de Berstett a été retranscrite par Jacques Stoeffler, qui a été pasteur entre 1627 et 1664 ; celle de Sundhouse est la remise à jour, en 1700, d’un texte plus ancien ; celle de Vendenheim (1720 et 1776), sous le titre de « constitution réglementaire », est sans doute, elle aussi, la copie d’un règlement antérieur.

Témoignant de l’affirmation de l’autorité seigneuriale, la Dorfordnung se montre respectueuse à l’égard du seigneur, qui semble être à son origine, même si ce dernier se voit contraint d’établir un compromis avec la communauté d’habitants par le biais de la systématisation d’une codification civile et criminelle. A mi-chemin entre les Landesordnungen princières et les Polizeiordnungen relevant des petits seigneurs territoriaux, l’exercice de la justice locale s’exprime par un certain nombre d’articles récurrents qui reflètent la diversité des cas rencontrés :

- organisation de l’administration municipale avant tout, cette dernière devant servir de relais au pouvoir seigneurial : règlements divers (droits et devoirs duSchultheiss ou Schultheissenordnung, Gerichtsordnung) ; prestations de serment (du Schultheiss, du Heimburger, des échevins, du Weibel, du Landführer, Gemeinbürgereid) ; administration de la paroisse (marguillier et sacristain, Kirchwartordnung) qui constitue le complément naturel de la communauté d’habitants et rappelle qu’initialement la communauté villageoise s’est constituée autour de la paroisse ;

- règlements de police agraire : respect des usages communautaires ; entretien des prés ; protection du capital que représentent les pâturages et forêts ; réglementation de l’usage des communaux (Allmende) et de la glandée ; serment du berger communal (Rinder und Kuhhirteid) ; livraison de bois communal (Holz und Goben) ; plantation de bornes (Anwand- und Furstein, Scheidleuteneid) ; répression des dégâts causés dans les champs ; protection de l’enclos villageois (Etterschutz) ;

- intégration ou exclusion communautaires : règles d’admission à la bourgeoisie ; droits respectifs des Bürger et des Inwohner ; interdiction de recevoir ou d’héberger des étrangers ; divers serments et réglementations (Judeneid ; Fraueneid et Frauenordnung ; Meistereid et Dienstknechteid) ;

- entretien des bâtiments publics et privés ; prévention des incendies ; réglementation de l’accès aux puits ; utilisation du taureau communal ;

- rappel de la fiscalité multiforme : banalités, corvées et contributions seigneuriales diverses (Umgeld/Ungelt, Fastnachtshühner, Ostergewerf, Erntgewerf, Martinsgewerf, Grundgewerf, Weingewerf, Salzordnung) ;

- réglementation économique : propriété et location (Gültgüter) de terres ; contrôle des contrats et testaments, tutelles et héritages, partages et hypothèques ; réglementation de la foire annuelle (Jahrmarktordnung) et commerce du vin (Weinkauf et Weinschlag) qui dépassent les horizons du seul village; surveillance des métiers de boucher et boulanger communal, d’aubergiste, de gourmet et chargeur de vin ; règlement pour les journaliers (Taglöhnerordnung) ;

- enfin répression de délits de toute nature relevant de la petite criminalité et sanctionnée par des amendes appropriées (Einungen) ; organisation de la garde de nuit et répression du tapage nocturne ; surveillance des auberges (Stubenordnung) et dénonciation des coups de feu tirés lors d’un baptême ou d’une noce, de la violence verbale et physique, des vols, chapardages et braconnages ainsi que de toute atteinte à la religion (Zauberey und Segensprechen) ou aux bonnes moeurs (Spiele, Abendmarkt, Kunkelstuben, Hurerey und Ehebruch)…

Ainsi, quelle que soit la nature juridique du document, les Dorfordnungen rendent compte des réalités économiques et sociales des communautés rurales, se démarquant de ce fait des Fleckenordnungen, propres aux bourgs ruraux, comme des Stadtordnungen qui sont l’apanage des villes, et qui se situent donc à une autre échelle. En dépit de leur caractère quelque peu figé à l’échelle des siècles, elles révèlent les pratiques en usage au quotidien dans le village et son terroir. La rareté des retouches ou réactualisations dont elles ont fait l’objet témoignerait en faveur des permanences de la civilisation rurale. En ce qui concerne leur effort de rationalisation au prix d’un recours à une autorité supérieure, elles annoncent l’instauration d’un état de droit national dans un processus d’unification économique et politique ; mais elles n’incluent pas la haute justice qui reste l’apanage du pouvoir central.

 

Sources 

ABR G 1395 : copies XVIe siècle de la Dorfordnung de Wangenbourg (1472) qui a été partiellement éditée par Dagobert FISCHER dans sa monographie sur Wangenbourg-Freudeneck en 1875, p. 8-9.

GÖPP (Pfarrer), « Bürgerordnung zu Berstett », Alsatia, 1854-1861, p. 235-237.

WACKER (Eugen), « Die Habsheimer Dorfordnung », Jahrbuch des Sundgauverein, Bd. VIII-X, 1940-1942, p. 10-47.

EYER (Fritz), « Les Fleckenordnungen de Westhoffen (1449) », Bulletin SHASE, 79-80, III-IV, 1972, p. 47-49.

BERNARD (Elisabeth), « La vie à Vendenheim vers le milieu du XVIIIe siècle », Bull. municipal de Vendenheim, 1979-1980 (d’après ABR H 3063 et E 5909/3).

BISCHOFF (Georges) et BOEHLER (Jean-Michel) : « Un village à la fin du Moyen Âge et au début des Temps modernes : la Dorfordnung de Blienschwiller », Annuaire de la Société d’histoire et d’archéologie de Dambach-Barr-Obernai, 37, 2003, p. 13-33.

WENDLING (Maxime), La Dorfordnung de Kirrwiller, témoin d’une société paysanne à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne (transcription et commentaire du texte de 1495), mém. Master sous la direction d’Elisabeth Clementz, Strasbourg, 2011-2012.

 

Bibliographie

GANGHOFER (Roland), « La communauté rurale en Europe occidentale et centrale (non méridionale) depuis le Moyen Âge. Rapport général », Les communautés rurales. Rural Communities, Recueils de la société Jean Bodin pour l’histoire comparative des institutions, t. XLIII, 1984, p. 59-60.

La coutume au village dans l’Europe médiévale et moderne, XXèmes Journées internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran, 1998, Actes, Toulouse, 2001. Contributions de HILAIRE (Jean), « Le village, les coutumes et les hommes », p. 7-17 ; de FOSSIER (Robert) « Les coutumes vues de dos », p. 53-59 ; de JACOB (Robert), « Les coutumiers du XIIIe siècle ont-ils connu la coutume ? », p. 103-119 et de POUMAREDE (Jacques), Conclusion, p. 247-256.

BISCHOFF (Georges),La Guerre des Paysans. L’Alsace et la révolution du Bundschuh (1493-1525), Strasbourg, 2010, p. 296.

 

 

Notices connexes

Assemblée de communauté

Communauté rurale

Coutume

Dorfgericht

Weistümer

Jean-Michel Boehler