Pâturage, Pâture, Vaine pâture, Pâquis

De DHIALSACE
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Trift, Wasen, Weide, Weiderecht

Pacage à usage communautaire au profit d’une ou de plusieurs communautés d’habitants. L’institution s’inscrit dans la longue durée : les historiens médiévistes en trouvent la trace aux XIIe-XIIIe siècles (mentions de « communia pascuis » et de « in silvis, almendis et pascuis »).

Extension et modalités d’usage

Une fois établie la distinction (v. Matte) entre prés de fauche individualisés (Matte, Wiese) et pâturages ou pâquis (Weide), espaces communs indivis réservés au bétail de la communauté ou des communautés limitrophes (droit de parcours), force est de constater un double déséquilibre dans l’espace et le temps quant à l’exploitation de ces derniers : abondance sur la montagne pastorale des  hautes chaumes vosgiennes (sous la dénomination de « gazons », de « planches », de « pelouses » ou de « Wasen » par opposition aux « ballons »), ainsi que sur les marges forestières de l’Alsace, dans les Harts et Rieds rhénans ; pénurie par contre dans les contrées céréalières centrales, qui accordent l’essentiel de leur espace aux labours ; anarchie pastorale au lendemain des guerres du XVIIe siècle, réglementation de plus en plus sourcilleuse, du fait de la pénurie de pâturages, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle.

S’appuyant sur les plans de l’Intendance des années 1760 et sur les statistiques de 1837, Étienne Juillard évalue à plus de 30 % la surface consacrée aux pâturages dans les localités les mieux fournies de la plaine d’Alsace, moins de 1 % dans les moins bien pourvues. Posséder un important pâturage constitue un avantage non négligeable pour des communautés qui ne peuvent offrir à leur bétail qu’un temps de pâture réduit, compte tenu des rigueurs hivernales, en tablant, pour la plus grande partie de l’année, sur la stabulation grâce à une alimentation faite essentiellement de foin et de paille, donc prélevée sur les prés et les terres de labour, car on interdit parfois expressément de faucher sur les communs. Aussi le pâturage est-il un espace, le plus souvent périphérique par rapport au terroir cultivé et de faible productivité, qui se trouve soumis, au même titre que la sole de jachère saisonnière et les chaumes au mois d’août, à un droit de vaine pâture ou de pacage collectif (Weiderecht, Trift) fondé sur un règlement parfois immémorial ou sur l’usage consacré par le temps : car le principe universellement admis veut que toute parcelle, même privée, devient, pour un temps, patrimoine commun après avoir livré son produit. Il est donc de coutume de fermer les prés à la vaine pâture entre la Saint-Georges (23 avril) et la Saint Jean-Baptiste (24 juin). Voilà qui rend la distinction entre prés et pâturages moins étanche qu’il n’y paraît : c’est ainsi que peuvent être livrés au bétail les prés après le prélèvement de la « première » (fenaison) ou de la « seconde herbe » (regain) en dehors des pâturages permanents, dont la complexité ressort de la spécialisation des bergers (Kuhhirt, Ochsenhirt, Gänsehirt) préposés à la garde de tel ou tel troupeau, tandis que le pâturage nocturne (Nachtweide) semble avoir été utilisé dans la plaine pour les chevaux mis au repos le soir d’une journée de travail.

Bien des communautés sont amenées à partager leur pâturage communal avec leurs voisines : les habitants de Sélestat à Guémar ; la Ville de Colmar, propriétaire de « son » Ried, mais auquel ont accès les communautés de Houssen et de Sundhoffen ; le Bruch de l’Andlau et la Hart de Molsheim où Rosheim partage le pacage avec Bischoffsheim, Niedernai et Meistratzheim… Dans les textes français, on parle de « paissance » quand ce droit s’exerce dans une forêt seigneuriale et de « paisson » quand on invoque soit le temps de pâture, soit son produit, enfin de « panage » pour la glandée (v. Ecker). Les communautés les moins bien fournies en pâturages se voient obligées, entre la fin du XVe et le XVIIIe siècle, d’envoyer leurs bêtes « en pension » en des endroits relativement éloignés : ceux du Kochersberg dans le Ried de la Wantzenau et l’Uffried ou dans l’Œdenwald de la région de Wasselonne, tandis que les habitants du bailliage de Lauterbourg ont traditionnellement recours au Bienwald dans le Palatinat.

De l’abondance à la pénurie : le pâturage au cœur des conflits sociaux à l’époque moderne

En montagne, le pâturage obéit aux règles de la transhumance sans échapper, de la part du propriétaire (seigneur ou abbaye), à un système complexe d’amodiation sous la forme de locations et de sous-locations au bénéfice des communautés ou des particuliers avant même la privatisation qui accompagne, entre 1790 et 1792, la mise en vente des biens nationaux. Dans la plaine, la situation est différente. Si en 1360, l’empereur Charles VI a donné au couvent de Truttenhausen le droit de pâturage à Barr ainsi qu’aux villages de Heiligenstein, Mittelbergheim, Gertwiller, Goxwiller et Bourgheim, c’est que les possibilités de pâture sont importantes. De même, à la fin du XVIIe siècle, période de faible pression démographique, le pâturage, dans le cadre d’une certaine anarchie pastorale, offre l’image traditionnelle d’un saltus opposé à ager, composé de broussailles, de lambeaux de forêts plus ou moins dégradés et de friches. Un siècle plus tard, il n’en est plus de même du fait de la forte augmentation de la population rurale, car l’extension maximale des labours se heurte à la restriction du pâturage dans l’espace et le temps, en particulier celui du pâquis forestier, pourtant indispensable à la survie des petites gens soucieux de nourrir leur unique vache. Il importe pourtant de donner la priorité à l’alimentation de l’homme sur la nourriture du bétail, quelle que soit l’importance de ce dernier compte tenu des besoins en traction et en fumure. À Oberhausbergen en 1756 (ADBR 8 E 343/7) comme à Altkirch en 1777 (ADHR 1 E 22/19), on en arrive à limiter le nombre de têtes de bétail par ménage ou à demander à ce que les particuliers ne puissent pas envoyer au pâturage plus de bestiaux qu’ils pourraient en nourrir sur leurs propres prés, quitte à saisir l’Intendance. Quant aux bêtes étrangères prétendument « égarées », on répond parfois aux provocations en les confisquant ou en les mettant en fourrière. Les règlements forestiers répétés, en 1761, 1772, 1783, vont dans le même sens, d’autant plus qu’il importe de protéger les jeunes pousses de la dent du bétail. On a par ailleurs intérêt à canaliser le déplacement des troupeaux le long des « chemins verts » destinés à canaliser le bétail dans les Rieds (Riedwege, Triftwege) ou, dans la plaine céréalière, dans la mesure où les Viehwege (via pastoralia, via peculum) relient le terroir cultivé à l’Allmend, à protéger les cultures de la dent du bétail : ces Viehwege laissent parfois des traces dans la toponymie jusqu’à nos jours. Facteur aggravant : il se trouve que l’accaparement et l’appropriation du parcours sont souvent le fait d’utilisateurs étrangers à la communauté, comme l’a montré Jean Vogt pour l’Outre-Forêt : tel fermier ou berger seigneurial, tel anabaptiste d’avant-garde, tel boucher audacieux. Ces menées individualistes vont parfois jusqu’à l’exigence d’un « troupeau à part ».

Du fait de la pénurie ou de la surcharge croissante des pâturages, il faut, dans un premier temps, compter sur l’appoint qu’offrent les îles du Rhin (Balgau et Erstein, 1716), du maigre produit des chemins herbeux séparant les parcelles cultivées, tandis que l’herbe du cimetière tente les animaux de passage (Dietwiller 1765). Les conflits éclatent surtout dans les « marches communes » (Gemeine Marken), par exemple à la suite de la contestation des droits de parcours et de compascuité que se partagent sur le Nonnenbruch de Wittelsheim les troupeaux de 13 communautés (ADHR 4 B7, Conseil souverain, 16 juillet 1712). Ailleurs on n’hésite pas à déplacer les piquets séparant le pâturage de la réserve mise « en défens » et des prés avoisinants (ADHR 3 B 82, Colmar, 1789). Il n’est pas étonnant que les agronomes, à l’instar du bailli Hell en Haute-Alsace, s’érigent contre la pratique du pâturage communal, chargé de tous les défauts : dégradation du sol, gaspillage du précieux fumier, fatigue du troupeau, propagation des épidémies… N’est-elle pas, pour la nourriture du bétail, la solution la plus extensive et la plus contestable qui soit ? Dans le but d’une intensification des espaces verts et d’une rationalisation du potentiel fourrager, une double mutation s’esquisse au cours du XVIIIe siècle : conversion de pâturages en prés moyennant des travaux d’irrigation ou de drainage et adoption, dans le terroir cultivé, de diverses plantes fourragères susceptibles de nourrir le bétail.

Bibliographie

SCHMIDT (Charles), Le seigneur, les paysans et la propriété rurale en Alsace au Moyen Âge, Paris-Nancy, 1897, p. 151-162 et 191-194.

BOYE (Pierre), Les hautes chaumes des Vosges, étude de géographie et d’économie historique, Nancy, 1903, 2e édition, 2019.

VOGT (Jean), Aspects de l’évolution agraire du sud du Palatinat et de la région de Wissembourg, DES dactyl., Strasbourg, 1951, p. 123-124.

JUILLARD (Étienne), La vie rurale dans la plaine de Basse-Alsace. Essai de géographie sociale, Paris, 1953, p. 51-55 et 506 (appendice 5).

IMBS (Françoise), Le Bruch de l’Andlau, DES, Strasbourg, 1961.

DECOVILLE-FALLER (Monique), La Hardt haut-rhinoise, Strasbourg, 1968.

BOEHLER, Paysannerie (1994), t. I, p. 679-687 et 812-816.

Notices connexes

Allmend

Chaume ; Communaux (partage des)

Ecker-Glandée

Forêt ; Fourrages-Futter

Matt(e)

Nachtweide ; Nachweide

Parcours (droit de) ; Prairie-pré

Jean-Michel Boehler