Patois
patoué, Parlers romans ou welches
En Alsace sont appelés patois les parlers romans (« welches ») des fonds des vallées vosgiennes, comme le val d’Orbey, la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines, le val de Villé, la haute vallée de la Bruche ainsi que l’ancien comté de Belfort (Lanher, Litaize, Monamy, p. 5881).
Il s’agit des lointains témoins du latin vulgaire qui était parlé à la fin de l’Empire romain dans ces espaces ou à proximité. Ces parlers sont désignés par l’hyperonyme « Welsch / Walsch » par les germanophones, qui font ainsi une distinction entre ce qu’ils parlent (« Ditsch ») et ce que parlent les romanophones (« Walsch »). La partie « patoisante » de l’Alsace fluctue à travers le temps, avec des limites administratives et politiques incluant ou excluant, selon les époques, dans la partie occidentale de l’Alsace, les espaces où les patois sont en usage (Lanher, Litaize, Monamy, p. 5882).
La dénomination patois est la plupart du temps péjorante (comme l’est aussi « Welsch/Walsch ») : patois a d’abord désigné « une langue incompréhensible et grossière avant de prendre le sens de dialecte particulier à une localité » (Rey, p. 1 451). Patois désigne ainsi un « parler essentiellement oral, pratiqué dans une localité ou un groupe de localités, principalement rurales » (TLFi), « jugé comme inférieur par rapport à une norme sociale » (Rey, p. 1 451), c’est-à-dire pratiqué par les couches sociales modestes, majoritaires dans la société. Les couches dominantes considèrent les patois avec mépris. Furetière, en 1684, le définit comme « un langage corrompu et grossier, tel que celui du menu peuple, des paysans, et des enfants qui ne savent pas encore bien prononcer » (cité par Rey), définition péjorative reprise par les quatre premières éditions (jusqu’en 1762) du Dictionnaire de l’Académie française : « langage rustique, grossier, comme celui d’un paysan, ou du bas peuple ». Cet aspect péjorant reste presque constitutif du terme ou, du moins sous-jacent, jusqu’à nos jours.
Comme, par leur fonction de communication orale, les patois n’ont pas de tradition écrite, les attestations linguistiques (formes et usages) au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime sont souvent indirectes. En effet, certains textes spécialisés comme des actes de partage peuvent présenter des termes précis en patois, notamment quand la désignation d’un objet n’est pas connue en français standard ou que l’objet n’est pas nommé en français (Michel).
L’essai d’Oberlin sur le patois du ban de la Roche précède la première enquête sur les patois et leur usage menée par Grégoire en 1790 dont l’objet est formalisé dans les questions 29, « Quelle serait l’importance religieuse et politique de détruire complètement ce patois ? », et 30, « Quels en seraient les moyens ? » (Certeau, Julia et Revel, p. 13). La Révolution, en particulier la Terreur, cherchera à diffuser le français, langue nationale, encore minoritaire dans le pays, fût-ce par des formes de coercition idéologique, en partant en guerre contre les patois, dialectes et autres idiomes non français, « idiomes grossiers qui ne peuvent plus servir que les fanatiques et les contre-révolutionnaires », selon Barère (Certeau, Julia et Revel, p. 296).
Tout le long du XIXe siècle, les processus de changement dans la société et de son fonctionnement ainsi que l’entrée dans une forme de modernité (vs tradition), accompagnée de la scolarité obligatoire durant la IIIe République, aideront puissamment à la diffusion du français et au recul de l’usage des patois.
Comme toute langue orale, les patois parlés dans les Vosges vont être l’objet de descriptions et d’études scientifiques, avec une intensification à partir de la fin du XIXe siècle, avec le développement de la dialectologie en Europe. Ces travaux montrent, s’il le fallait, que les patois ont des règles de fonctionnement précises (une grammaire) et présentent des particularités et / ou des variations non seulement lexicales ou phonologiques, mais aussi morphologiques et syntaxiques, comme toutes les langues naturelles, c’est-à-dire historiquement construites. S’agissant de langues essentiellement orales, ce sont leurs locuteurs qui sont les porteurs de la norme et de l’acceptabilité linguistiques.
Bibliographie
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REY (Alain) (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, 1992.
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TLFi :Trésor de la langue française informatisé, http://www.atilf.fr/tlfi, ATILF-CNRS et Université de Lorraine.
Notice connexe
Dominique Huck