Moder
Matra, Modra, Mater, Moter
Cette rivière prend sa source au lieu-dit Moderfeld près de Zittersheim, au fond d’un vallon des Vosges du Nord, à trois cents mètres d’altitude. La cassure la plus nette dans le profil en long se produit à Ingwiller. La pente, jusque-là nettement torrentielle, devient très faible. À Schweighouse-aval, la Moder reçoit les eaux de la Zinsel du Nord. Après Haguenau et surtout à l’aval de Bischwiller, au confluent de la Zorn, à Rohrwiller, la pente devient infinitésimale. Mais la rivière y connaît une brutale augmentation du débit, lequel double pratiquement. Avant 1811, quand sont entrepris d’importants travaux d’endiguement du Rhin, l’embouchure de la Moder se situe près de Drusenheim et non pas au sud de Neuhaeusel comme encore de nos jours. Parmi toutes les rivières qui descendent du versant oriental des Vosges, la Moder offre, comme la Sauer, la particularité d’être, comme l’Ill, un affluent direct du Rhin. Elle aurait donné son nom à la tribu des Médiomatrices, alors localisée medio Matrae, qui ont été plus tard refoulés au-delà des Vosges par les Triboques et se sont installés à Metz, civitas Mediomatricor (Clauss).
Dès le Moyen Âge, la Moder est navigable sur le tronçon de Haguenau à Drusenheim. En 1233, l’abbé de Gengenbach se rend à Haguenau, bâti sur une île de cette rivière, en empruntant ce cours d’eau, après s’être embarqué à Lichtenau, localité située sur la rive droite du Rhin en face de Drusenheim. Une ordonnance impériale de 1494 interdit toute construction de moulins sur la partie navigable. Car la Moder sert au flottage du bois de la forêt de Haguenau et des Vosges du Nord. À l’époque moderne, surtout au XVIIe siècle, les Hollandais flottent par cette rivière jusqu’au Rhin les bois de construction navale qu’ils viennent d’acheter dans la forêt de Haguenau, ce qui représente un apport substantiel de recettes pour le Magistrat de la cité de Barberousse.
L’activité cesse théoriquement, en 1772, quand le Conseil d’État interdit toute exportation de bois de construction. L’irruption de la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714) en Alsace septentrionale explique l’interruption du flottage. Elle donne surtout à la Moder un intérêt stratégique, en l’englobant dans un système de défense aquatique à trois cours d’eau parallèles : la Queich au nord, la Lauter au centre et la Moder au sud. Louis XIV, « roi de guerre », conceptualise le projet militaire, le 15 juillet 1702 : « Lorsque Haguenau sera fortifié et que vous [= le maréchal de Catinat] aurez retranché la Moder depuis la montagne jusqu’à Haguenau et de cette ville jusqu’au Rhin, il me semble que les ennemis n’auront pas grande facilité à pénétrer au-delà. » Catinat regimbe toutefois, le 17 juillet 1702 : « La Moder ne porte aucun bateau [ce qui est faux] et ne mérite que le nom de ruisseau, ses bords sont plats et guéables en une infinité d’endroits ».
La nécessité militaire s’impose toutefois. Alors que la Moder avait déjà permis de transporter, par bateaux, des grains et des pièces d’artillerie pendant la guerre de Trente Ans, elle prend plus d’importance, en 1707, quand l’armée royale creuse à la hâte le canal de La Wantzenau à Seltz, qui relie et utilise les cours de la Zorn, de la Moder de la Sauer. Par le bras ouest de la Zorn, le canal atteint la Moder en amont de Rohrwiller et en emprunte le cours jusqu’au Rhin. La Moder est curée. Regemorte, concepteur du canal, envisage le flottage, qui ne se fait plus au début du XVIIIe siècle.
Un mémoire du général Louis Nicolas Victor de Félix d’Ollières, comte de Muy (1711-1745), adressé au secrétaire d’État à la guerre, le duc de Choiseul, en 1768, rapport qui lui sera utile lorsqu’il sera lui-même « secrétaire de la province et ministre de la guerre », en 1774 (BNF, manuscrits français, n°11410, f°33) distingue trois parties dans le cours de la Moder. Sur cinq lieues d’Ingwiller à Haguenau, il décrit des « berges coupées par des bois ». La ligne de défense qui englobe Obermodern, Pfaffenhoffen, Niedermodern, l’abbaye de Neubourg pourrait être tournée par le chemin qui vient de la Petite Pierre et attaquée de front, « la nature du terrain n’opposant d’autre obstacle que la Moder ». Haguenau occupe le centre de la ligne : « Cette ville abandonnée depuis la paix de 1713 n’a pour enceinte qu’un ancien mur qu’on a ouvert par quelques ouvrages non revêtus. On lui a ôté la défense qu’elle tient de ses fossés en laissant périr les digues et les écluses qui y soutenaient les eaux de la Moder. » La meilleure partie, selon lui, se trouve entre Haguenau et Drusenheim : « Elle tient le haut du ravin assez escarpé de Haguenau jusqu’à Bischwiller où elle s’appuie à un château carré flanqué de quatre tours entouré d’un bon fossé ainsi que le cimetière ». De Bischwiller à Drusenheim, il note « des haies et des prairies marécageuses ».
Le comte de Muy ne s’intéresse absolument pas au flottage du bois apparemment réapparu. Des documents de 1769 et 1770 mentionnent l’existence de flotteurs à Wimmenau, Reipertswiller, Pfaffenhoffen et Niedermodern. Un règlement de flottage est élaboré en 1771.
En 1811, les travaux de régularisation du Rhin réaménagent le point de confluence de la Moder avec le Rhin.
Bibliographie
CLAUSS, Wörterbuch (1895).
BURG (André Marcel), « L’exportation du bois de la forêt de Haguenau en Hollande au XVIIe siècle », RA, 89, 1949, p. 197-212.
KLIPFFEL (Louis), « Le canal de la Wantzenau à Seltz (XVIIIe siècle) », RA, 93, 1953, p. 139-141.
SCHERER (Jean-Claude), « Unité et diversité des cours d’eau alsaciens d’après l’étude de leur régime moyen »,Revue Géographique de l’Est, 1978, p. 229-240.
MAIRE (Georges) et HUMBERT (Jean), « Moder », EA, 9, 1984, p. 5193-5195 (géographie).
DOISE (Jean), « Moder », EA, 9, 1984, p. 5 195 (histoire).
DORIATH (Auguste), PERNY (Pierre), POMMOIS (Lise), « Le canal de la Wantzenau à Seltz »,Annuaire de la société d’histoire et d’archéologie du Ried Nord, 1992, p. 11-91.
JEHIN (Philippe), Les forêts des Vosges du Nord du Moyen Age à la Révolution, 2012, p. 216-218.
MULLER (Claude), « Queich, Lauter, Moder. Trois lignes de défenses en Alsace au XVIIIe siècle », Outre-Forêt, 179, 2017, p. 29-34.
MULLER (Claude), « Autant de canaux qu’en Hollande. L’eau et la défense de l’Alsace en 1768 », Outre-Forêt, 180, 2017, p. 15-18.
Notices connexes
Andlau (riv.)
Claude Muller