Landsrettung
Sauvegarde du pays, plans de défense du pays.
À partir des guerres de Bourgogne, on assiste à la mise en place de mesures militaires destinées à protéger l’Alsace d’une invasion venue de l’ouest. Nourries de l’expérience acquise à la suite des débordements de la guerre de Cent Ans (Routiers d’Arnaud de Cervole, en 1365, « Anglais » d’Enguerran de Coucy en 1375-1376, Armagnacs en 1439 et 1444-1445) et d’autres incursions venues de Lorraine ou de Franche-Comté, ces initiatives rendent compte d’une conscience patriotique (Patria communis Alsatiae) et s’inscrivent dans des réseaux d’alliance. Elles dérivent, lointainement, des coalitions montées entre voisins ou dans le cadre de l’Empire pour des opérations de maintien de l’ordre ou pour des représailles.
L’idée de verrouiller les passages des Vosges en organisant une veille stratégique et en s’en donnant les moyens logistiques se précise au cours de l’été 1474 face aux manœuvres de Charles le Téméraire. Elle est le fait de la Ligue inférieure (Niedere Vereinigung, Basse Union) qui rassemble initialement les villes de Strasbourg, Bâle, Colmar et Sélestat, les évêques des deux premières villes, puis l’archiduc Sigismond d’Autriche (31/4/-4/4/1474). Elle se joint aux Confédérés suisses pour mener les opérations subséquentes. Les plans adoptés au cours de celles-ci comprennent deux volets : l’organisation d’une logistique commune, avec des itinéraires et des lieux de regroupement (par exemple Dannemarie), et la surveillance des passages, notamment des cols des Vosges, probablement sous la forme de tours (la Miotte, au-dessus de Belfort) ou de fortins, ou même de retranchements, sur les sites où il n’existe pas de châteaux.
Avec la rivalité des Habsbourg et des Valois, les Vosges retrouvent un rôle de bouclier de l’Allemagne. Conclue pour une durée de quinze ans, difficilement renouvelée, la Basse Union s’avère inefficace. La reprise de la Reichslandvogtei par la Maison d’Autriche (1504-1530) permet d’envisager une organisation militaire permanente, bien que les Pays antérieurs-Vorlande, plus exposés, aient déjà mis en place leurs propres plans de défense, en 1507 pour le Brisgau, puis en 1515 pour la rive alsacienne. C’est la victoire française de Marignan (14 septembre 1515) qui décide la Régence d’Ensisheim à mettre en place des points d’appui sur les passages les plus menacés – la vallée de la Thur, la Porte de Bourgogne – et à prévoir des concentrations de troupe et des arsenaux (Brisach, Altkirch). L’année suivante, le déploiement de l’armée lorraine entre Saverne et le Val de Villé (mai-juillet 1516), se traduit par l’adoption d’une première landsrettung impliquant la Basse-Alsace (l’évêque, les comtes de Hanau et de Bitche), Strasbourg et les villes de la Décapole, pour compléter le dispositif de l’Autriche et de ses satellites. Le bailli impérial de Haguenau établit une matricule qui précise la contribution des différents territoires et leur assigne des points de rassemblement. Quatre sites sont destinés à accueillir ces troupes, face aux routes stratégiques conduisant vers la Lorraine (col du Bonhomme, Val de Villé, vallée de la Bruche, col de Saverne, col du Pigeonnier). Les camps retenus se trouvent à Châtenois, Molsheim, Neuwiller-lès-Saverne et Wissembourg. Ils sont probablement renforcés par une wagenburg constituée par des chariots.
Paradoxalement, la première application de ce système est l’œuvre de la paysannerie insurgée de mai 1525 face à la déferlante de l’armée du duc Antoine de Lorraine : la manœuvre dirigée par Erasme Gerber rend compte d’une expérience militaire acquise dans les milices des villes et des seigneuries. Elle échoue du fait de sa précipitation autant que de la puissance de l’ennemi.
Inchangée dans ses grandes lignes, la landsrettung est réactualisée au fil du temps, notamment en 1544, 1553 et 1580. Sa connexion avec les plans de défense autrichiens est renforcée après la chevauchée d’Austrasie d’Henri II (1552). C’est alors que sont modernisées les défenses des villes principales et que sont réaménagés d’anciens châteaux forts convertis en forteresses (Belfort, Wildenstein, Haut-Landsbourg, Haut-Koenigsbourg, Haut-Barr, Herrenstein, Lichtenberg). En cas d’invasion effective, on envisage une résistance échelonnée : le plan en vigueur dans les pays antérieurs de l’Autriche prévoit de reporter la ligne de défense sur la rive droite du Rhin, en admettant la perte de la Haute-Alsace. On assiste alors à l’aménagement de places fortes dans la plaine (remparts d’Ensisheim par Specklin, Dachstein et Benfeld fortifiés par Jean de Manderscheid).
Membres | Piétons | Cavaliers | Artillerie | Chariots |
Reichslandvogtei | 500 | 40 | 1 couleuvrine, 1 fauconneau | 10 |
Évêque + Chapitre | 1100 | 30 | 1 coul., 1 fauc. | 22 |
Abbé de Wissembourg | 25 | 3 | ||
Rheinart de Deux-Ponts, sgr de Bitche et Lichtenberg | 600 | 25 | 1 coul., 1 fauc. | 12 |
Georges de Deux-Ponts | 40 | 4 | ||
Philippe et Louis de Hanau | 550 | 25 | 1 coul., 2 fauc. | 11 |
Henri de Fleckenstein-Dagstühl | 100 | 4 | 2 | |
Henri, Louis, Jacques de Fleckenstein | 60 | 6 | ||
Val de Villé | 100 | 2 | ||
Strasbourg | 900 | 40 | 4 coul., 2 steinbüchsen | 18 |
Villes de la Décapole | 800 | 10 | 6 coul., 6 fauc. 1 steinbüchse | 16 |
Reichsvogtei de Kaysersberg | 40 | 3 | ||
Total | 4815 | 190 | 14 coul., 11 fauc. | 93 |
Steinbüchse : pierrier, mortier.
Source : LAGUILLE (Louis), Histoire de la province d’Alsace depuis J. César jusqu’au mariage de Louis XV, Strasbourg 1727, p. 119 et s.
L’organisation militaire des Landstände d’Alsace atteint son apogée vers 1580, sous l’impulsion de Lazare de Schwendi et de Nicolas de Bollwiller, et avec le concours d’architectes comme Daniel Specklin et Jost Pyll. Connue sous le nom de Schirmverein, ligue de défense, l’alliance regroupe aussi bien des territoires catholiques que des autorités passées à la Réforme. Elle se décompose en deux secteurs, au sud et au nord. Le premier correspond à la Haute-Alsace, dans laquelle les Habsbourg ont la prééminence, en fournissant 3850 piétons et 189 chevaux et en s’associant les quatre villes décapolitaines du landgraviat (die vier richstett zu der landtvogtey Hagenau gehörig und in Obern Elsass gelegen alss Collmar, Kaysersberg, Munster in Sanct Gregorienthal und Turckheim) ainsi que les autres territoires immédiats. Son commandement est assuré par un conseil de guerre quadripartite, où se retrouvent la Régence d’Ensisheim, le Mundat de Rouffach, le Wurtemberg et les villes impériales – en respectant probablement le partage entre les deux confessions.
En Basse-Alsace, on prévoit 6450 fantassins et 319 cavaliers, en dosant la contribution des différents partenaires pour contrebalancer l’influence de Strasbourg, qui rassemble près du quart des effectifs. On amalgame les trois compagnies de 500 hommes fournies par la Reichslandvogtei et le Val de Villé, parce que le bailli impérial est en même temps le maître de la seigneurie d’Ortenberg, tandis qu’on rassemble les soldats de l’évêque sous le même drapeau que les contingents fournis par les maisons religieuses (y compris Gengenbach, Schuttern et Schwarzach, sur la rive droite).
La Guerre des Évêques (1592-1604) compromet définitivement ces préparatifs militaires.
Les négociations et les accords des différents partenaires se trouvent dans la plupart des fonds d’archives, Préfecture impériale de Haguenau (AD Bas-Rhin, Série C), Régence d’Ensisheim (AD Haut-Rhin, 1C) et archives municipales (séries BB, EE). Le Schirmverein de 1580 se trouve sous la cote AA 1982 des AM de Strasbourg et dans le ms 845 de la BNU, p. 246 et suiv. La Landsrettung de 1544 est publiées par LAGUILLE (Louis), Histoire de la Province d’Alsace, Strasbourg, 1727, Preuves, p. 121-123.

Secteur de défense | Territoires concernés |
Tous les passages des Vosges jusqu’à Villé | Haute-Alsace |
(+ Brisgau) | |
Murbach et Lure | |
Ribeaupierre | |
Décapole | |
Évêque | |
Val de Villé jusqu’au Ban de la Roche | Val de Villé |
Évêque et chapitre de Strasbourg | |
Sélestat | |
Barr (à Strasbourg) | |
Andlau (nb imméd.) | |
Du Ban de la Roche à la vallée de la Bruche | Évêque |
Obernai, Rosheim | |
Ratsamhausen | |
Vallée de la Bruche | Évêque |
La route vers Dabo | Cte de Linange |
Marlenheim | |
Wangen | |
Lützelbourg, Cols de Saverne et St-Jean | Évêque |
Vallée de la Zinsel, Neuwiller | Comtes de Hanau |
Wimmenau, Ingwiller | Reichslandvogtei |
Comtes de Hanau et Westerburg |
Bibliographie
MÜLLER (Friedrich Wilhelm), Die elsässischen Landstände. Ein Beitrag zur Geschichte des Elsasses, Strasbourg, 1907.
STOLZ (Otto), « Die Landsrettungen im Oberelsaß und Breisgau im 16. Jahrhundert », Elsaß-lothringisches Jahrbuch, 20, 1942, p. 181-199.
MIECK (Ilja), « Deutschlands Westgrenze », Deutschlands Grenzen in der Geschichte, sous la dir. d’Alexander DEMANDT, Munich, 1990, p. 190 s.
BAUMANN (Fabien), L’activité constructive urbaine et militaire d’un évêque alsacien à la fin du XVIe siècle, Jean de Manderscheid (1580-1592), CAAAH, 2010, p. 123-147.
BISCHOFF (Georges), « Les états-unis d’Alsace… », BUCHHOLZER (Laurence), RICHARD (Olivier) (dir.), Ligues urbaines et espace à la fin du Moyen Âge, 2012, p. 121-142.
KINTZ (Jean-Pierre), L’Alsace au XVIe siècle, Strasbourg, 2018.
Notices connexes
Elsässische_Landstände-États d’Alsace
Georges Bischoff