Mariage

De DHIALSACE
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Au moment des grandes invasions, lorsque les Germains s’établissent progressivement en Alsace, l’Église chrétienne avait élaboré les grandes lignes de sa doctrine sur le mariage. Elle est en bonne partie inspirée par le droit romain, que résume la formule du jurisconsulte romain Modestin : « Le mariage est l’union du époux et de l’épouse, une communauté de toute une vie, avec la mise en commun de ce qui relève du droit divin et du droit humain ». Soit l’union conjugale de l’homme et de la femme, selon la formule du Code Justinien. Précédé de fiançailles (sponsalia), le mariage (nuptiae) procède du consentement des époux, validé par les pères de famille, dont le père de la mariée, qui pourvoit celle-ci d’une dot, au cours d’une cérémonie publique.

Nombre de notices du Dictionnaire ont traité de questions relatives au mariage, et on se reportera aux notices qui en traitent comme Concubinage-Winckelehe, Coutume, Divorce-Ehescheidung, Donations_nuptiales, Ehesteuer, Heimsteuer-Morgengabe, Droit de l’Alsace, Fiançailles-Verlobung.

Le Moyen Âge

Les étapes du mariage germanique

En règle générale, dans les coutumes germaniques, la femme passe de la tutelle (Munt) de son père à celle de son mari. Ce dernier l’achète (Brautkauf) avec un Mahlschatz (gage du fiancé, Mahl, en français arrhes, symboliquement représenté par un anneau). C’est le fait de démarches et d’entretiens et de festivités (Brautlauf) auxquelles participent les parents, la famille, les voisins. Elles donnent lieu à la conclusion d’un contrat oral ou écrit (Eheberedung). Les leges des peuples germaniques, de plus en plus influencés par la législation romaine, adaptent ces coutumes au droit romain et l’Église chrétienne s’efforce d’en faire des rites chrétiens. Pour être conclu, le mariage des leges germaniques comprend deux étapes : la desponsatio (Verlobung) – qu’on distingue mal des sponsalia – précède la traditio puellae (ou Trauung).

Mais les leges admettent la répudiation et le divorce par consentement mutuel et une forme imparfaite de mariage (contubernium, concubinatus) continue d’exister que tolère l’Église.

Docteurs et officialités : le droit canonique du mariage

Avec la Renaissance carolingienne, dont les monastères alsaciens sont des foyers actifs, on assiste à la renaissance du droit et à la diffusion de compilations doctrinales chrétiennes, qui réaffirment les principes de l’indissolubilité du mariage et l’interdiction du divorce. Les démarches de l’Église pour imposer ses vues à des princes rétifs, polygames, divorcés, entretenant de nombreuses concubines, aboutissent à définir toute une série d’empêchements de mariage, consignés dans des recueils canoniques, comme les Fausses Décrétales (v. 850).

L’Église ne parvient pourtant à imposer cette conception du mariage – à la noblesse, aux princes et souverains – qu’à partir du Xe siècle. Progressivement, la nécessité du mariage s’impose aussi aux non-libres, qui constituent la majorité de la population, mais les serfs ne peuvent se marier qu’avec l’autorisation du seigneur et l’Église interdit la séparation d’un couple servile marié (voir : Concubinage-Winckelehe ; Formariage-Ausheirat), mais à partir du XIe siècle, le droit canonique arrête une doctrine fixe.

Le mariage est fondé sur un double lien : celui du consentement des époux, (qui doivent être de condition libre) et celui du père, du moins dans certains décrets. Ces consentements qualifient le matrimonium initiatum ; mais l’union sexuelle accomplie et possiblement féconde (copulatio carnalis) est nécessaire pour que le mariage soit complet (matrimonium perfectum).

Le « sacramentum » est donc composé de deux moments : celui du consentement valable de personnes capables et celui de la copulation. Juristes et docteurs, papes et conciles, évêques et officialités, multiplient les consultations et traités, complètent et codifient la législation canonique et développent une jurisprudence diocésaine qui encadrent un mariage qui se généralise.

Le mariage fait partie des libertés urbaines, comme à Strasbourg (UBS, I), Colmar (Franchises de 1278). À Sélestat, la liberté de mariage, quelle que soit la condition des conjoints, est expressément mentionnée (Stadtrecht 1292, art. 13).

Au Concile de Latran (1215), l’Église élève définitivement le mariage au rang des sacrements, désormais au nombre de sept. Elle ramène les empêchements pour consanguinité à quatre degrés au lieu de sept, et surtout impose aux prêtres l’obligation de réclamer des bans de mariage pour dépister ces empêchements et les bigames.

Le mariage alsacien dans l’aire du droit du Saint Empire, Schwabenspiegel et statuts urbains

Le Schwabenspiegel (Miroir des Souabes), code rédigé vers 1275, soit 50 ans après le Concile de Latran, synthétise et influence en grande partie le droit appliqué dans les villes et les campagnes du sud-ouest de l’Empire et de l’Alsace (voir : Droit de l’Alsace au Moyen Âge).

Les auteurs de ce Code – les Franciscains du couvent d’Augsbourg – connaissent le droit romain, dont ils suivent à plusieurs reprises la leçon, et le droit canonique (Décret de Gratien et ses sources), mais aussi les coutumes, dont ils codifient les dispositions et les statuts urbains qui s’en inspirent.

Pour le Schwabenspiegel, le mariage est l’un des sept sacrements, l’un des plus importants que Dieu a créés (Landrecht art. 3). Dès l’article 4, la métaphore de la tête (mari et femme) et des membres (enfants, leurs conjoints et enfants etc.) décrit la famille (Sippe) que les conjoints ont fondée et met en place la ligne successorale et les empêchements de parenté entraînant nullité. Le mariage est jugé par le juge ecclésiastique, qui peut en établir la validité et donc la légitimité des enfants (Landrecht art. 377). Mais ses conséquences patrimoniales ou ses violations – adultère, abandon de domicile conjugal ou désertion – relèvent de la compétence du juge séculier.

Le mariage procède du consentement des époux et des parents. Mais il est valide dès la consommation (copulatio) par des époux âgés de 14 ans et des épouses âgées de 12 ans (Landrecht art. 53).

Le mariage se déroule devant témoins. Ce sont eux qui seront garants du mariage en cas de contestation. L’article 319 du code cite décrit la formule de mariage prononcée par la femme : « Herr, ich bin frei von allen meinen Vorfahren her, seid ihr mein Standesgenossen, nehme ich euch gern » ; à cette promesse, le conjoint répond par une formule analogue. Les conjoints doivent tous deux être libres.

La serve qui se marie avec un libre peut être émancipée et ses enfants seront libres. Mais la femme libre qui se marie avec un serf perd sa liberté et ses enfants seront serfs (Landrecht art. 67-68). Rapt, viol, différences de statut, tromperie sur le statut, entraînent dissolution ou divorce et des pénalités très lourdes, voire la mort.

Le régime matrimonial aux XIIIe et XIVe siècles

La dot avait été le critère déterminant du mariage en droit romain, qui le distinguait du concubinage. Dans les leges germaniques, le mot dot désigne le Munt que verse l’époux à la famille de l’épouse, pour prix du passage de celle-ci dans sa propre famille. Il ne fallait pas le confondre avec la Morgengabe, que l’époux verse à l’épouse au lendemain du mariage consommé. La Morgengabe traduit en droit français par « don matutinal » est la donation que fait le mari au lendemain des noces désormais consacrées par la copula carnalis (Landesrecht art. 25). La Morgengabe est un bien réservé à la veuve en cas de prédécès du mari, d’où sa confusion avec le Widthuum, terme absent du Schwabenspiegel.

Le régime matrimonial commun du Schwabenspiegel est celui de la communauté réduite aux acquêts. En l’absence de testament, et de dissolution du mariage par décès, la veuve reprend ses apports, en particulier son trousseau (Heimsteuer), sa Morgengabe et la moitié des biens mobiliers, qu’elle partage avec ses enfants. Elle passe, si elle l’accepte, sous la tutelle de son fils aîné (Landrecht art. 27). Cette législation est celle d’une partie des dispositions matrimoniales coutumières d’Alsace, en particulier, celles dites « de la plaine » (voir : Coutume, Donations_nuptiales).

Le régime du nord de l’Alsace est illustré par les dispositions du VIe statut de Strasbourg de 1322. Le régime matrimonial commun est également celui de la communauté aux acquêts. En cas de prédécès d’un des conjoints, ces derniers sont partagés entre le conjoint survivant et les enfants. Si c’est la mère qui décède, père et enfants hériteront du tiers de la masse – immeubles et meubles – des acquêts, le père conservant les deux-tiers. Et si c’est le père, la mère et les enfants se partageront les deux tiers de la masse, la mère en conserve un tiers (art. 310-311). Mais le statut strasbourgeois introduit une exception analogue à celle relevée par le Schwabenspiegel : « En cas de prédécès du père, la veuve prendra prioritairement le trousseau qui lui appartient et les bijoux jusqu’à concurrence de 5 livres strasbourgeoises et pas plus ». Et le mari prendra ce qui lui appartient, vêtements, armes, outils, jusqu’à concurrence de 5 livres. Il s’agit là de l’application de la distinction entre Schwerttheil (part de l’épée paternelle) et Spindeltheil (part du rouet).

Le rituel religieux commun avant la Réforme : le mariage en 1490

Dans les provinces ecclésiastiques du sud-ouest du Saint Empire, le mariage continue d’être une cérémonie civile et familiale, qui peuvent d’ailleurs donner lieu à une bénédiction par le prêtre. Les bans de mariage doivent être proclamés au cours de la messe, mais leur absence n’entraîne pas la nullité d’un mariage que l’on dit « contractae per seipsos ».

L’Agenda parochialum ecclesiarum Argentinensis diocesis de 1490, promulgué avant la Réforme protestante strasbourgeoise de 1530 et avant le Concile de Trente marque une étape importante dans l’évolution du mariage.

Les fiançailles religieuses, cérémonie qui accompagne la proclamation des bans et ouvre la période qui doit s’achever par la bénédiction nuptiale, apparaissent dans les rituels au courant du XVIe siècle. On n’en retrouve pas trace dans l’Agende de Strasbourg de 1490 (Agenda parochialum ecclesiarum Argentinensis diocesis 1490, Levresse P-R AEA 1980, 121-125). L’Agende prévoit cependant une interrogation discrète, pendant la confession, sur d’éventuels empêchements de mariage, en particulier auprès de ceux qui seraient déjà mariés (seipsos contraherint) et qui souhaitaient « régulariser ».

Le mariage proprement dit (Solemnisatio Matrimonii) a lieu devant le parvis de l’église. Il s’articule en plusieurs moments. Le premier est celui de l’examen et de la donation réciproque