Milice provinciale ou royale
Miliz, Landmiliz, Landwere
La milice correspond à une troupe de combattants civils, levée temporairement pour remédier à l’insuffisance des effectifs des armées régulières qui se recrutent par enrôlements volontaires.
Sommaire
Milices provinciales
Les contingents des milices des Elsässische Landstände et la milice de Haute-Alsace
À la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, les États d’Alsace, pour se protéger des pillages et des passages de troupes étrangères, négocient un projet de levée générale et fixent des contingents à fournir par chaque seigneur ou ville. Le coût trop important et les divisions politiques empêchent la réalisation de ces milices. La Régence d’Ensisheim pour la Haute Alsace (Reuss, p. 340) possède une milice mieux armée et entraînée que les autres États et organise plusieurs levées pendant les troubles de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, ainsi qu’au début de la guerre de Trente Ans (AHR 1 C 2106-2625). Les États de Basse Alsace, réunis en diète provinciale à Strasbourg, envisagent aussi un tel dispositif en 1672. Cependant, les miliciens ne peuvent plus guère se mesurer aux troupes régulières ou aux mercenaires aguerris.
Milices provinciales de la monarchie française
La milice provinciale ou royale apparaît comme une conscription mise en place en France en 1688et maintenue irrégulièrement jusqu’à la Révolution. En 1688, au déclenchement de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, Louvois, secrétaire d’État à la guerre, crée la milice provinciale pour seconder les troupes régulières. L’ordonnance de 1688 fixe le cadre général de l’organisation de la milice royale. Toutes les provinces doivent fournir un certain contingent d’hommes valides. Chaque paroisse désigne un milicien célibataire, âgé de 20 à 40 ans. Ce dernier ne peut s’absenter de son domicile plus de deux jours au risque de se voir infliger une amende. Toute désertion est sanctionnée par la peine du fouet. Le milicien est désigné pour deux années, puis il doit être remplacé.
Milice provinciale d’Alsace (1692-1698)
L’ordonnance de 1688 est appliquée en Alsace à partir de décembre 1692. Deux régiments sont créés et levés sur décision du gouverneur. « La Province a mis sur pied deux régiments de milice de deux bataillons chacun et chaque bataillon de douze compagnies de 50 hommes chacune. Le régiment de la Haute Alsace est commandé par M. le baron de Montjoie ; celui de la Basse par M. de Bernhold. » (Lagrange, p. 106). Après 1698, ces régiments disparaissent et le rôle des miliciens se borne à quelques jours d’exercice par année, soit à Strasbourg, soit à Colmar. Cependant, le milicien ne peut quitter son foyer sans permission spéciale pour plus de 48 heures et ne peut pas se marier sans autorisation de ses supérieurs. Durant tout l’Ancien Régime, l’Alsace ne connut donc pas la conscription obligatoire (Reuss, p. 258).
Le service de la milice
Armement et solde de la milice
Selon l’ordonnance de 1688, la paroisse habille, équipe, arme le milicien et lui verse une solde journalière de deux sous. Le milicien doit « avoir un bon chapeau, un justaucorps de drap, des culottes et bas aussi de drap, et bien être chaussé, sans que les hommes qui composeront cette milice soient obligés à aucune uniformité de vêtements et couleur d’habits, de bas, ni de chapeau ». Il doit être armé d’un mousquet ou d’un fusil, d’une épée et d’un baudrier fournis par la paroisse. À partir de 1690, les fournitures en nature sont remplacées par une prestation de 18 livres. En service actif, le roi verse une solde de trois sols au milicien. De même, la désignation de volontaires est abandonnée et les autorités procèdent au tirage au sort parmi les hommes valides de la paroisse.
Les exemptés de service milicien
Bien entendu, de nombreuses dispenses existent pour plusieurs individus ou catégories sociales,voire pour les villes comme Strasbourg, dont tous les bourgeois sont exemptés du tirage au sort de la milice provinciale. En 1741, le gouvernement tente de les y soumettre mais la ville transige en payant la somme de 18248 livres pour équiper soixante miliciens. Trois ans plus tard, le gouvernement renouvelle sa demande. La ville accepte derechef de financer l’équipement de quarante miliciens, tout en faisant ses réserves pour la conservation de son privilège. L’exemption des bourgeois strasbourgeois est finalement maintenue jusqu’à la Révolution (Krug-Basse, p. 140). Une liste officielle des exemptions est établie en 1765, avec possibilité pour les intendants de l’étendre selon les particularités de la province. Cette liste cherche à préserver l’agriculture et l’artisanat mais aussi les intérêts des catégories privilégiées puisque leurs domestiques échappent au tirage au sort. Dans les faits, le tirage au sort retombe essentiellement sur les paroisses rurales. Pour éviter le recrutement d’un jeune du village, les habitants de la paroisse se cotisent souvent pour trouver un remplaçant volontaire. Les autorités ferment alors les yeux sur cette pratique pour éviter toute émeute.
Les astreints au service milicien
Les miliciens doivent se présenter à toutes les convocations. En principe, les milices provinciales doivent être « toujours en état de marcher aux lieux où Sa Majesté le jugera à propos pour la sûreté de ses places, tant frontières que maritimes ». En temps de paix, ils s’entraînent quelques semaines par an au maniement des armes et à la marche militaire. En temps de guerre, ils déchargent les troupes réglées des tâches subalternes comme la garde des places fortes. Occasionnellement, ils sont envoyés au combat pour suppléer les pertes militaires. La compagnie de miliciens est normalement composée de cinquante hommes encadrés par des officiers et des bas officiers réformés du service actif.
Une réserve temporaire devenue permanente
Une réserve temporaire devenue permanente
La milice est abolie en 1697, puis rétablie pendant la guerre de Succession d’Espagne de 1701 à 1714, avant d’être pérennisée à partir de 1726. L’ordonnance du 25 février 1726 prescrit la levée de 60 000 hommes pour six ans par tirage au sort parmi les célibataires ou les veufs de 16 à 40 ans. Désormais, la milice provinciale constitue une troupe permanente dont l’objectif est « d’avoir toujours sur pied dans l’intérieur du royaume un corps de milice qui, s’exerçant pendant la paix au maniement des armes, sans déranger les travaux qu’exige l’agriculture, ni sortir des provinces, pût être prêt à marcher sur les frontières pour en augmenter lesforces dans les besoins les plus pressants de l’État ». L’appel aux miliciens en 1726 s’explique par l’impossibilité de trouver des ressources fiscales pour engager davantage de volontaires dans l’armée régulière et par la nécessité de disposer d’une réserve mobile en cas de guerre. Les expériences antérieures étaient limitées aux hostilités. L’ordonnance de 1726 institue une levée permanente. Le système fonctionne alors avec un faible taux de désertion parce que la France est en paix et parce que le salaire d’un milicien est plus élevé que celui d’un journalier, enfin, si un homme désertait, la paroisse devait le remplacer, ce qui déplace les difficultés de tous.
La garde au Rhin
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’enrôlement des miliciens se révèle plus délicat, notamment à cause des guerres. Par sa durée, la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748) nécessite des effectifs importants. La Haute Alsace fournit 9 637 miliciens, dont la grande majorité monte la garde dans les retranchements du Rhin. En 1743, pour la défense du sud de la province et celle du Rhin, l’intendant lève deux bataillons de milice paysanne comprenant douze cents hommes. Durant la guerre de Sept Ans (1756-1763), le corps des grenadiers royaux, troupe d’élite, est tiré de la milice. En 1766, le comté de Horbourg et la seigneurie de Riquewihr doivent fournir cinq hommes sur 223 déclarés propres à la milice. En 1775, quand un commissaire provincial et ordonnateur des guerres de la Haute Alsace se présente à Riquewihr, on rassemble les jeunes gens en vue du tirage au sort. Deux hommes sont absents ; ils sont déclarés fuyards et soldats provinciaux de droit. On procède ensuite au tirage au sort de deux hommes supplémentaires pour atteindre le quota fixé à la seigneurie (Pfister, p. 373). Des exemptions fiscales temporaires ne constituent qu’une maigre consolation pour les anciens miliciens (Knittel, 1986).
Régiments provinciaux, bataillons alsaciens
Régiments provinciaux, bataillons alsaciens
En 1771, la milice est réorganisée en 47 régiments provinciaux, puis 14 régiments en 1778 rattachés aux régiments d’active. Le régiment de Haute Alsace, qui compte deux bataillons, est commandé par le baron de Wurmser. Ce régiment est licencié quatre ans plus tard. Définitivement organisée par les ordonnances du 7 avril 1774 et du 1er mars 1778, la milice n’est réunie qu’une fois par an pour les exercices militaires. L’Alsace fournit deux bataillons c’est-à-dire 1 440 hommes, l’un à Strasbourg, l’autre à Colmar. Deux compagnies par bataillon forment les grenadiers royaux, unitéd’élite réunie et exercée un mois chaque année. Les autres compagnies regroupent les fusiliers. À partir de 1778, les quatre compagnies de grenadiers sont incorporées dans le régiment des grenadiers royaux de Lorraine. Les fusiliers sont versés dans un régiment d’artillerie dit de Strasbourg destiné à renforcer les canonniers des places fortes de la province (Doise, p. 70).
Une doléance générale : supprimer le service inégalitaire et les milices
De nombreux cahiers de doléances alsaciens évoquent en 1789 la milice provinciale. Leurs rédacteurs sont unanimes pour en demander la suppression, hormis le tiers état de Strasbourg qui revendique le maintien du privilège pour ses bourgeois d’être exemptés du tirage au sort « dans quelque lieu du royaume qu’ils se trouvent ». Quelques communautés argumentent leur opposition au tirage au sort des miliciens. Le cahier de doléances du tiers état de Colmar comme celui des villes de la Décapole soutient qu’il « est contraire à la liberté de l’homme ». Les habitants de Faverois soulignent l’inégalité car « le tirage de la milice est totalement supporté par le tiers état, les ordres du clergé et de la noblesse n’y contribuant en rien que pour en augmenter davantage le poids ». En effet, le tirage au sort est supporté par les catégories les plus modestes, comme l’indique le cahier du district de Colmar-Sélestat : « portant le plus grand préjudice à la classe la plus nécessiteuse », ou bien celui de la noblesse du même district : ce système « présentant le plus grand inconvénient, et réunissant à une charge cruelle sur les cultivateurs ». L’argument le plus courant est celui des frais pour son fonctionnement (Rosheim, Oberhausbergen, Gueberschwihr ou Haguenau-Wissembourg). D’autant plus qu’on ne reconnaît guère de valeur militaire à la milice : « qui est onéreuse à l’État et sans aucun avantage pour son service » (tiers état du district Haguenau-Wissembourg) ou bien « un homme contraint au service militaire ne fait pas un bon homme de guerre » (cahier de la Décapole). Quelques cahiers avancent des propositions dans le cadre d’une réforme du système de la milice. À Faverois, on penche pour une garde locale : « qu’il soit établi dans chaque paroisse un certain nombre d’arquebusiers qui s’exerceront les jours de fête et de dimanche au moyen de quelques prix qui seront proposés aux plus habiles ». On retrouve ici le souvenir des milices bourgeoises mais aussi l’exemple de la Suisse voisine. Quelques communautés suggèrent la création d’une milice provinciale aux frais de tous les habitants de la province (Colmar) et surtout le recours à des volontaires (Pfaffenhoffen, Hégenheim ou Sarre-Union). Les milices provinciales sont officiellement abolies par le décret du 4 mars 1791. Court répit car la levée en masse de 1793 puis le service militaire institué par la loi Jourdan de 1798 étendent plus largement encore la conscription indispensable pour les armées de la Révolution puis de l’Empire.
Bibliographie
AHR 1 C 2106-2625 (Régence d’Ensisheim) ; C 373 (intendance d’Alsace). ABR 5 C 1182, 1184-1189 (intendance d’Alsace). GEBELIN (Jacques), Histoire des milices provinciales, Paris, 1882. HENNET (Léon Clément), Les milices et les troupes provinciales, Paris, 1884. PFISTER (Christian), « Le comté de Horbourg et la seigneurie de Riquewihr sous la souveraineté française », RA, 1888, p. 372-374. STURGILL (Claude), La formation de la milice permanente en France (1726-1730), Paris, Service historique de l’armée, 1977. DOISE (Jean), « Histoire militaire de l’Alsace », Saisons d’Alsace, 84, 1984, p. 70. KNITTEL (Michel), « La milice provinciale au XVIIIe siècle », Société d’histoire et d’archéologie de Brumath, 8, 1986, p. 13-18. PILLARD (Jean-Louis), « L’organisation militaire dans le Haut-Rhin : les milices », Bulletin de la société d’histoire du canton de Huningue, 1988, p. 110-116. RIEFFEL (Jean-Jacques), « Corvées et milice », Revue d’histoire de Soultz-sous-Forêts, 1989, p. 34-38. STEEGMANN (Robert), Les cahiers de la Basse Alsace, Strasbourg, 1990. PELTZER (Erich), Les cahiers des plaintes et doléances de la Haute Alsace, Strasbourg, 1990. Base de données « miliciens » pour la Haute-Alsace de 1729 à 1766, Centre de Recherches sur l’Histoire des Familles (CRHF) www.crhf.net
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Philippe Jéhin