États provinciaux de Haute Alsace

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Oberelsässische Landstände

Dans un territoire qui dispose d’une autorité souveraine (Landeshoheit), les États sont une instance de concertation, à l’interface du prince et de ses protégés (maisons religieuses, vassaux, sujets). En Europe occidentale, ils apparaissent au début du XIVe siècle (1302), avec les États généraux du royaume de France, qui peuvent se décomposer selon la langue d’oil et la langue d’oc (1343) ou dans des circonscriptions plus petites, ou les états des différentes principautés. Une première vague d’assemblées représentatives éclot au milieu du siècle (par ex. dans le comté de Bar en 1352, ou à la même date, en Bourgogne ducale et comtale ou en Bretagne), mais l’institution ne s’épanouit vraiment qu’au début du XVe siècle. En Comté, on évoque « les nobles libertés de la franche terre de Bourgogne » en 1427 ; en Lorraine, les états ratifient le règlement de la succession du duc Charles II (Traité de Foug, 1429). Partout, ils consentent des impôts ou des levées de soldats, obtenant la reconnaissance de leur rôle en tant que partenaires du pouvoir.

En Alsace, du fait du morcellement ou de l’exiguïté des seigneuries immédiates, seules les terres de l’Autriche voient se développer des Landstände spécifiques, qui apparaissent en 1433 et perdurent jusqu’à la conquête française. Cependant, il arrive que des seigneurs réunissent leurs ressortissants pour répartir des charges ou régler des affaires communes, comme l’évêque de Strasbourg, pour le Haut-Mundat de Rouffach, qui dispose d’une matricule de répartition au début du XVIe siècle, ou même l’abbé de Murbach, à qui il arrive de consulter ses sujets. Dans des régions voisines, des états fonctionnent assez régulièrement, comme en Lorraine, en Wurtemberg – dont la seigneurie de Riquewihr-Horbourg est partie prenante – ou dans l’Évêché de Bâle. Dans cette principauté épiscopale à cheval sur la frontière linguistique, ils se forment tardivement (1566), votent et lèvent l’impôt, mais cessent de se réunir dans le deuxième tiers du XVIIIe siècle (une dernière fois en 1752), du fait de l’absolutisme du prince-évêque Jean-Conrad de Reinach (17051737). Ils ne réapparaissent qu’en 1791, à la veille de la Révolution ; ils rassemblaient quatre ordres, clergé, noblesse, villes et bailliages, ces deux derniers, d’ailleurs fractionnés selon la langue, représentant 90 % de la contribution totale fournie à leur prince.

Les Landstände des pays antérieurs de l’Autriche apparaissent spontanément en 1433, lorsque la chevalerie et les communautés de Haute Alsace, désignées sous le vocable de Landschaft, envoient une délégation au duc Frédéric IV, alors au Tyrol, pour réclamer son aide contre les agressions bourguignonnes. Ils sont dès lors les interlocuteurs du prince, qui les réunit chaque fois qu’il a besoin d’eux pour des subsides, des troupes, ou pour d’autres affaires. En 1460, les deux premiers ordres, qui regroupent l’ensemble des vassaux des Habsbourg et les villes de leurs domaines sont rejoints par celui des prélats (Praelatenstand), regroupant les maisons religieuses établies dans le pays ou possessionnées dans celui-ci. Née sur la rive gauche du Rhin, l’institution s’étend rapidement à tous les Vorlande, le Brisgau, les seigneuries autrichiennes de la Forêt-Noire, y compris, sur le versant oriental, et les quatre villes forestières du Rhin (Säckingen, Waldshut, Rheinfelden et Lauffenburg). La première réunion générale a lieu à Neuenbourg en 1454. Elle fonctionne régulièrement à partir de cette date, et perdure jusqu’à la guerre de Trente Ans du côté alsacien, et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle en Brisgau.

En Haute-Alsace, la dernière session des états, réduite à la noblesse, a lieu en mai 1653 et donne lieu au rappel de l’engagement pris par les Habsbourg de « n’exiger rien au-delà de ce qui leur étoit accordé sans le consentement desdits états ». Le 15 juin 1661, la déclaration royale de Louis XIV met fin aux prérogatives de ces derniers en rayant d’un coup de plume leurs compétences fiscales et, partant, leur rôle politique.

Si la mémoire de l’institution s’étiole assez rapidement, du fait des nouvelles pratiques administratives et de l’annexion de l’ensemble des territoires alsaciens, elle revient sur le devant de la scène lors de la rédaction des cahiers de doléance des trois ordres, au printemps 1789. Ici, cependant, on la conçoit comme la version locale des états généraux, ou comme un avatar de l’Assemblée provinciale de 1787. On envisage même de l’établir à Ensisheim.

Confrontation ou coopération

La genèse des états renvoie aux assemblées de vassaux du Moyen Âge central : les détenteurs de fiefs mouvant de la Maison d’Autriche forment un groupe bien identifié, tant dans l’armée de leur suzerain que dans le cadre du landgericht de HauteAlsace. Ils interviennent collectivement à plusieurs occasions, notamment le 12 mars 1423, quand ils approuvent le traité de Bâle restituant le douaire alsacien de la duchesse Catherine de Bourgogne, veuve du duc Léopold IV.

Les communautés dotées de franchises – les villes – sont sollicitées de leur côté pour des charges communes – une première aide (hilfe) destinée à rembourser les dettes du prince est citée dans la première décennie du XVe siècle –, de même qu’une contribution destinée au pavage d’Ensisheim, résidence alsacienne de celui-ci. Le 6 avril 1424, ces dix localités (Ensisheim, Masevaux, Altkirch, Belfort, Thann, Delle, Florimont, Ferrette, Rosemont et Landser) sont parties prenantes du traité d’alliance conclu par la duchesse et les bourgeois de Bâle : cet acte équivaut à une reconnaissance « die obgeschriebenen stette und lendere Sunggow und Ellsasz und alle die lute so darzu gehörent » ; en 1427, on trouve, exceptionnellement, la formule « allen unnsern landleuten aller landschaft edelen und unedlen ».

L’irruption de ces deux corps politiques, désignés par les mots Ritterschaft et Landschaft dès leur première manifestation commune, en 1433, s’inscrit dans le contexte troublé du règne du duc Frédéric IV (1411-1415, 1418-1423, 1426-1439), marqué par l’hostilité entre Autriche et Bourgogne et par les débats, très vifs, des conciles de Constance (1414-1418) et de Bâle (1431-1449), considérés comme des laboratoires de réformes et de libre discussion. Le concept d’autorité change de nature : dans les pays antérieurs, le pouvoir se recentre dans la personne du duc, qui se réserve les prérogatives souveraines (la guerre, la justice) et mène grand train, s’endette et renonce du même coup à une saine gestion de ses domaines, hypothéqués à des engagistes. Ce faisant, s’il a besoin d’appuis, il est forcé de négocier avec des vassaux et des sujets qui disposent d’exemptions assez larges et qui en obtiennent de nouvelles en échange de leur aide.

C’est pourquoi, tant qu’il n’existe pas de gouvernement provincial stable – la Régence d’Ensisheim reste embryonnaire jusqu’au règne de Maximilien Ier (1490-1519) –, les états disposent d’un poids politique de première importance.

À cet égard, le règne du duc Sigismond est essentiel : dans un premier temps, en effet, la régence est assurée par ses cousins Frédéric III, devenu roi en 1440, puis son frère l’archiduc Albert VI (1444-1458 puis 1460-1463). En février 1454, ce dernier convoque une diète générale « von einer gemeinen schatzung wegen », à Neuenbourg, pour rembourser une partie de ses dettes : les tractations aboutissent à la levée d’une taxe extraordinaire de 2 florins par feu, et à la reconnaissance du principe d’un impôt consenti par les états et non dû par ceuxci. Le 4 février 1455, cette promesse est actée dans une charte qui va rester le fondement de l’ordre de la chevalerie, et – probablement – dans un document similaire remis aux villes de la « landschaft ».

Dès lors, les assemblées d’états représentent effectivement le pays et s’affirment comme le partenaire du prince, en collaborant avec lui, en infléchissant sa politique ou en s’opposant à lui.

C’est particulièrement le cas dans les années 1468-1469 ou après l’épisode bourguignon de 1469-1474. En mars 1469, après les désastres de la guerre du Sundgau, l’assemblée générale des trois ordres réunie à Neuenbourg décide une contribution générale dite du centième denier, frappant l’ensemble de ses membres pour acquitter l’indemnité due aux Confédérés suisses et pour aider à la relève du pays. Ses décisions vont à l’encontre des menées du duc, qui s’apprête à céder ses terres au duc de Bourgogne. L’exercice du pouvoir fait l’objet de critiques régulières, notamment dans le domaine de la justice (1483, 1488, contre les juridictions extérieures, hofgericht, officialité, tribunaux véhémiques) ou de la gestion des domaines. En novembre 1487, les pays antérieurs sont associés aux états généraux du Tyrol et envoient une délégation à la diète de Méran, qui impose sa tutelle à l’archiduc Sigismond à la suite d’un véritable coup d’état. Huit des vingt-quatre membres du conseil de Régence établi à cette occasion en sont issus. Quelques mois plus tôt, ils s’étaient mobilisés contre un projet de cession des Vorlande au duc de Bavière.

Cette crise donne la mesure de l’action des trois ordres, ou plus précisément, de ses deux composantes laïques : elle rend compte d’une volonté de contrôle politique, ou de partage du gouvernement provincial. Elle s’exprime par des doléances, – critiques des exigences princières au moment de la diète, ou véritables programmes de réformes –. En mai 1524, les villes et les bailliages remettent leurs  beschwerden à l’archiduc Ferdinand venu recueillir leurs serments : ces articles de Brisach portent sur la monnaie, les juridictions extérieures, notamment la justice d’Église, l’économie, les privilèges des nobles, les seigneuries données à des engagistes et l’expulsion des juifs, des thèmes qui se retrouvent un an plus tard, lors de l’insurrection des campagnes.

Si la normalisation consécutive à l’écrasement de celle-ci amenuise la capacité de contestation des états (y compris les prélats et la chevalerie), mais ne les réduit pas au silence, elle ne modifie pas leur fonctionnement et ne se répercute pas sur leurs attributions. Le développement de la Régence d’Ensisheim, réorganisée en 1523, confiée à des techniciens toujours plus compétents, puis flanquée d’une chambre des comptes (1570) en fait un rouage essentiel de la province. Au fil du temps – au milieu du XVIe siècle, ils acquièrent une permanence, qui se traduit par une commission (usschuss) à plusieurs niveaux – (un enger usschuss formé d’un prélat, de deux nobles et de trois membres de la landschaft, un mittler ausschuss et un grosser ausschuss (à 29 membres) et par un suivi effectif des affaires communes. Les accrochages restent courants : ainsi, en 1553, les trois états exigent que leurs subsides ne soient pas employés à la guerre contre les Turcs ou au remboursement des dettes du roi des Romains, mais utilisés sur place. Ce leitmotiv revient régulièrement. Dans le premier tiers du XVIIe siècle, l’ausschuss assure la continuité des états qui se réunissent plus rarement (9 rencontres plénières entre 1600 et 1631).

Organisation et compétences

L’objet des réunions des trois ordres se définit comme « les affaires du prince et du pays ». En général, on parle des « dryg stend » ou des « trois estaz » dans les sources de langue romane – qui concernent entre un quart et un tiers des sujets de l’Autriche sur la rive alsacienne –. Gemeine versammlung est utilisé de même que gemeine landtag, ce terme, parfois abrégé en tag, traduit par journée, ou, usage moderne, par diète, pouvant être complété par la désignation « landtag von allen prelaten, ritterschafft und landtschafft », voire simplement landschaft, en précisant, « gemeine landschaft von prelaten, adel, stetten ». Cependant, ce terme finit par être réservé au tiers état sous l’appellation de « gemeine landschafft von stetten und emptern », les bourgeois de Belfort adoptant le terme allemand ou rendant la chose par « bonnes villes ». En 1567, les appellations étaient respectivement stand von praelaten, von herren, ritter und adel et von stetten, märckten, ämbtern und gemeinden ; en 1631, la noblesse se définissait comme «grafen, freyen, herren, ritter und adel » et le tiers état retrouvait son titre de landschaft.

L’espace concerné embrasse l’ensemble des pays antérieurs, mais les seigneuries à l’Est de la Forêt Noire s’en détachent pour former des assemblées particulières (1536), et les deux composantes rhénanes prennent l’habitude de siéger chacune de son côté : entre 1512 et 1519, sur 53 réunions, seules 12 ont un caractère général, associant les circonscriptions « hyedisshalb und jhenshalb Rins ». Alsace et Sundgau correspondent au Landgraviat de Haute Alsace et au Comté de Ferrette, mais leur étendue peut varier (Bergheim et le Val de Villé en font partie au XVIe siècle). Les prélats sont une trentaine pour l’Alsace, un peu plus que pour le Brisgau ; la noblesse, forte de 242 membres en 1468, dont 174 pour la rive gauche (144 membres en 1538, dont 109 de ce côté du Rhin, un total de 131 en 1638), les communautés, une quinzaine (14 en 1468), auxquelles s’ajoutent celles du Brisgau, de la ForêtNoire et les quatre villes forestières (13 en tout).

Les sessions des états sont très nombreuses : sur 371 assemblées tenues entre 1433 et 1565, 305, soit 82 % ont lieu à Ensisheim, la capitale des Vorlande, 10,5 % dans d’autres localités d’Alsace (Reiningue, Thann et Altkirch, Habsheim et Masevaux, 7 % seulement sur la rive droite, mais ces chiffres doivent être corrigés selon les ordres concernés : une soixantaine d’entre elles sont des réunions plénières, les autres, majoritairement, réduites aux villes et aux bailliages. Et de fait, une seule convocation peut donner lieu à plusieurs rencontres étalées dans le temps : entre 1512 et 1519, on signale une moyenne de 12 diètes par an pour la seule landschaft.

Le lieu choisi dépend des circonstances : Ensisheim s’impose du fait de sa position géographique et de locaux adaptés : le château, le palais de la Régence, la Bürgerstube et de nombreuses auberges. D’autres sont liées à la présence du prince (1573, 1604, 1623) ou à des circonstances particulières : en 1467, le château d’Engelbourg, audessus de Thann, accueille une « réunion de crise », présidée par la duchesse Eléonore d’Ecosse, épouse du duc Sigismond. Il arrive que le rassemblement prenne un tour convivial, comme en 1626, où il finit en banquet. En 1604, la visite de l’archiduc Maximilien avait donné lieu à un déploiement de faste inédit, le prince étant suivi, pour l’occasion, d’une cour forte de 380 personnes.

Les nobles siègent à titre personnel ; les prélats sont représentés par le chef de la maison religieuse concernée, le rang le plus élevé étant tenu par l’abbé de Lucelle tandis que les membres de la landschaft envoient des députés (membres du conseil, agents seigneuriaux, etc.) responsables devant leurs mandants. Il est possible de se faire représenter (ainsi Belfort, qui a procuration des petites communautés voisines). Les deux premiers ordres acquittent chacun 25 % des charges communes, le tiers état assurant à lui seul la moitié des contributions à raison de 55 % pour l’ensemble Alsace-Sundgau, 45 % pour la rive droite. Lors des diètes, les trois ordres délibèrent en curie, séparément, mais s’informent mutuellement et ne se retrouvent qu’au moment des conclusions.

En théorie, les sessions sont convoquées par lettres officielles, manuscrites ou imprimées (exemple en 1511) à la demande du prince, par la chancellerie de celui-ci ou par la Régence d’Ensisheim. Les délais sont courts, un mois au maximum au départ de Vienne, généralement quinze jours (Convocation datée d’Innsbruck le 28 mars 1509, réunion à la mi-avril à Ensisheim), voire moins, et peuvent comprendre l’ordre du jour. Faute d’accord immédiat, il n’est pas rare que les séances se prolongent quelques jours ou soient reportées à une date ultérieure, après un temps de réflexion (hintersichbringen).

Elles sont présidées par le bailli (landvogt) autrichien ou son lieutenant, et accueillent des commissaires venus exposer les demandes du prince.

Les ordres rendent un avis (antwort), suivi de contre-propositions, puis d’une réplique, elle aussi reprise par les commissaires, d’une duplique, puis une triplique, voire une quadruplique La négociation consiste à trouver un accord intermédiaire, notamment en matière de finances ; les subsides consentis ne sont jamais ceux qui ont été demandés. Un schéma récapitulatif a été établi par D. Speck (Neuenburg, op. cit., p. 81).

Les conclusions sont consignées dans le recès (abschied), qui est exécutoire : il est mis en œuvre par l’administration princière, sous le contrôle des états. Certaines réunions se font à l’initiative de leurs membres, en dehors du cadre officiel : elles permettent de préparer les débats ou de régler des problèmes internes.

Les états sont l’émanation des gouvernés : ils sont donc l’interlocuteur direct du duc ou de l’archiduc d’Autriche, leur prince. Ils accompagnent le règne de celui-ci, d’abord en lui prêtant serment (premier exemple, 1458), puis en l’accueillant lors de ses rares visites officielles – Ferdinand Ier n’ayant paru devant eux qu’à deux reprises, en 1524 à Brisach, en 1562, à Fribourg –, enfin, en approuvant des choix successoraux éventuels (en 1490, l’abdication de Sigismond au profit de Maximilien Ier). Les réunions plénières sont des moments intenses de «tractations politiques » : ainsi Maximilien Ier s’efforce de recueillir leur adhésion lors de ses opérations de guerre contre le roi de France (1492, 1498) ou les Confédérés (1499). En 1523-1524, les rumeurs de cession des pays héréditaires de l’Autriche au frère cadet de Charles Quint, l’archiduc Ferdinand, sont interprétées très négativement : elles expliquent le peu d’empressement de la diète à recevoir ce nouveau maître et justifient une certaine fermeté à son égard.

Cette fonction pédagogique est réversible dans la mesure où les trois ordres informent les gouvernants, les interpellent ou font pression sur eux. En 1444-1446, les initiatives de la chevalerie et de la landschaft ne sont pas étrangères à l’arrivée des Armagnacs, sollicités par les premiers pour aider l’Autriche contre les Suisses. En 1499, après la défaite impériale de Dornach, l’assemblée adopte toute une série de mesures de restauration de l’ordre. Elle apparaît comme la garante des intérêts de la province autrichienne et c’est dans cette optique que ses émissaires se rendent très fréquemment à Innsbruck, Vienne ou ailleurs, et participent aux états généraux de 1518, à Innsbruck, aux côtés des landstände des autres territoires des Habsbourg. C’est également pour cela qu’on relève quelques rencontres avec les villes impériales du landgraviat supérieur ou avec des territoires immédiats, en particulier lorsque se dessinent des coalitions comme la Basse-Union, fédérée par l’Autriche, ou, surtout, lorsque se réunissent les états d’Alsace.

De fait, l’ordre public et la sécurité commune sont indissociables de leur premier développement. En 1470, par exemple, le bailli Pierre de Hagenbach les mobilise pour sa grande opération contre les chevaliers-brigands de l’Ortenburg. Les relations de voisinage sont également de leur ressort, de même qu’une quantité d’affaires dictées par l’actualité (en 1512, par exemple, des secours demandés par Neuenbourg à la suite d’une inondation, une pension pour la veuve d’un trompette du contingent alsacien tué devant Pavie…) Dans ces conditions, les états, la landschaft surtout, sont appelés à contribuer à la réglementation locale, à ratifier les propositions de la régence ou à mettre en place des mandats impériaux ainsi, en 1550, quand on rejette un projet d’ordonnance de police venu d’Innsbruck, ou, périodiquement, quand on évoque la proscription du service à l’étranger (kriegsverbot). Leur rôle s’observe également dans la sphère économique, en concertation avec des partenaires extérieurs comme ceux du Rappenmünzbund et vise des activités commerciales comme la boulangerie ou la boucherie, de même que les conditions d’exercice de certains métiers (tanneurs) ou le monopole de la vente de sel.

En matière religieuse, si l’on excepte le thème récurrent de l’expulsion des juifs, il ne semble pas qu’ils aient manifesté un zèle véritable, laissant la chose aux autorités centrales.

C’est dans le domaine de la guerre que les assemblées des pays antérieurs donnent la mesure de leur puissance. En effet, c’est d’eux que relève l’organisation militaire du pays, aussi bien sous la forme de levées de troupes – milices locales ou financement de soldats de métier – que par l’établissement de plans de défense (landsrettungen). La contribution en cavaliers, que fournit généralement la noblesse (89 en Italie en 1516), en moyens de transport, procurés par les prélats, ou en fantassins, désignés par la landschaft se fait dans des conditions précises : durée de l’engagement, rétribution éventuelle, répartition au prorata des uns et des autres. Elle peut se faire sur place, ou donner lieu à des projections lointaines, comme pendant les guerres de Bourgogne ou lors du conflit de l’archiduc Sigismond contre Venise (1487), dans lequel se distingue le contingent venu des Vorlande, illustrant le passage des lansquenets sédentaires vers l’armée de métier. Les effectifs mobilisables sont impressionnants : en 1595, les deux rives peuvent réunir 25.119 hommes, dont un tiers sous les armes (le dritter mann), dans 16 compagnies. L’Alsace et le Sundgau forment la moitié de cette armée (12.462), sur la base d’une matricule régulièrement mise à jour.

Le déploiement de ces troupes est prévu par les différentes moutures deslandsrettungen (1515, 1534, 1553) préparées par des comités ad hoc émanant des états.

Mais le volet central des compétences des Stände réside dans la fixation des impôts et dans le choix, éventuel, de leur affectation. « Landtag ist Geldtag », dit l’adage. Les termes de landsteur (furtivement, au XVe siècle) [bewilligte] schatzung ouanlaggeld, hilfe, landcosten, – en roman gest – désignent des subsides qui sont considérés comme des dons gratuits, sans préjudice pour les franchises de ceux qui les accordent et sans définir la forme qu’ils revêtent.

On distingue des impôts de circonstance, levés dans l’urgence, proportionnellement à la fortune des ressortissants du pays (comme le centième denier de 1469) ou forfaitairement, par feu (les 2 florins de 1455) et des taxes à vocation régulière, tel le masspfennig sur le vin (alias « mauvais denier »), considéré comme un umgeld (angalt), puis, à la veille de la guerre de Trente Ans, la 9e gerbe et la 9e mesure, suivies de la 18e gerbe et de la 18e mesure. Le vocable Turkenhilfe indique la destination initiale de ce subside, dont les états réduisent souvent le montant et détournent l’usage vers des dépenses locales (le palais de la Régence d’Ensisheim a été financé par ce biais).

La concession de l’impôt, quel qu’il soit, résulte d’une négociation tendue et d’un compromis, qui valide les privilèges des trois ordres. L’acte fondateur de 1455 prévoit que la noblesse lèvera elle-même sur ses dépendants les 2 florins par feu accordés, en tiendra les comptes et contrôlera leur emploi pour le dégagement des terres hypothéquées par le duc. C’est pourquoi la noblesse et la landschaft établissent elles-mêmes la clé de répartition de leurs impôts, suivant un système de quotas qui s’observe dès le départ et donne lieu à une matricule semblable à celle des contingents armés. Le paiement effectif des subsides se fait par termes, l’impôt étant accordé pour une durée limitée (six ans pour l’umgeld décidé en 1478, cinq pour celui qui lui succède en 1483) et souvent fractionné. Mieux : le pouvoir d’accorder ou de refuser des « nouveautés » fiscales s’assortit du droit de remontrances, et, par conséquent, d’une liberté précieuse. La légende noire faisant de Pierre de Hagenbach le créateur de la taxe impopulaire du « mauvais denier » ne tient pas : on sait pertinemment que cette accise a été soumise au bon vouloir des états de la rive « bourguignonne » du Rhin, en 1473.

Bien rodée, l’institution des landstände fonctionne à plein régime jusqu’au déclenchement de la guerre de Trente Ans. Elle s’emballe ensuite, du fait des exigences fiscales du prince, et ne survit guère à la désorganisation de la province autrichienne du Rhin. Cependant, elle donne à celle-ci une identité véritable et une culture politique commune. C’est dans cet esprit que, pendant l’insurrection du printemps 1525, la paysannerie du Sundgau réclame une participation à part entière aux travaux de la diète.

Sources - Bibliographie

La série 1 C des AHR permet de suivre les travaux des états à partir de la 2e décennie du XVIe siècle (no 1060-1650). Les sessions antérieures sont connues par des pièces dispersées, notamment aux AM de Thann (111) et à travers les comptes des AM de Belfort.

Les procès-verbaux des diètes sont conservés dans les dossiers des archives de la Régence d’Ensisheim (1C 1086-1089) et dans le ms 845 de la BNUS, sous le titre Landbuch.

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Notices connexes

Abschied

Ausschuss

Autriche Antérieure

Chevalerie

Denier (mauvais denier)

Elsässische Landstände

Engagement - engagiste

États d’Alsace

Landcosten

Landgericht

Landsrettung

Landschaft

Landstände

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Maspfennig

Officialité

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Recès

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Stand

Tribunaux Vehmiques

Türkenhilfe

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Vorlande

Georges Bischoff