Orfèvres

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Les orfèvres exercent un artisanat qualifié de prestigieux eu égard aux coûteux matériaux utilisés : métaux précieux (or, argent), vermeil, pierres précieuses et semi-précieuses, cristal de roche, bois précieux, perles… et à la précision de leur « art » destiné à des clients aisés.

Ils sont à la fois fondeurs, modeleurs, graveurs, doreurs, émailleurs, sertisseurs. L’éventail de leurs créations est vaste ; il va des bijoux aux objets d’art, religieux ou profanes.

I. Évolution du travail des orfèvres

Au haut Moyen Âge, les orfèvres œuvrent principalement pour les abbayes (Wissembourg, Ebersmünster, Erstein…) qui constituent leurs trésors pour les églises. En font partie les encensoirs, les croix, les crosses, les tabernacles, les monstrances, les calices… Au XIVe siècle, l’essor des villes favorise une orfèvrerie civile destinée à une population patricienne ou bourgeoise alors en plein développement. Ainsi, l’or se désacralise et entre dans le monde profane mais les orfèvres maintiennent une production religieuse. Au XVe siècle, les formes sont encore simples : travail en coquillé, décor de torsades, moulures, créneaux et feuillages, filigrane. Puis les pièces d’orfèvrerie gravées gagnent en raffinement dans la production des gobelets, des pièces tournées ou sculptées, des hanaps… (Encyclopédie d’Alsace, Histoire de l’art, p. 3991-92).

Naissance de la gravure d’images

Lors de ce même siècle, les orfèvres participent au foisonnement artistique que connaissent les villes, notamment dans le Rhin supérieur. Les ateliers d’artisans « d’art » (peintres, sculpteurs, doreurs, imprimeurs, relieurs…) se développent et prospèrent grâce à leur renommée et au commerce de l’art qui dépasse largement les frontières de la région. Les orfèvres donnent alors naissance à un métier quasiment nouveau, la gravure d’images. Celle-ci n’est pas nommément désignée comme telle, les graveurs étant même absents des listes corporatives, car ce sont les orfèvres et les peintres qui gravent, tout en exerçant leur métier initial, création de bijoux et d’objets précieux pour les premiers, œuvres peintes pour les seconds. Ils sont donc des pionniers dans cette nouvelle discipline qu’est la gravure d’images, dont la reproduction est facilitée par l’impression, la présence du papier et la dévotion. Des graveurs célèbres, dont les œuvres connaissent la renommée de leur vivant, sont issus de l’orfèvrerie. Ainsi, Maître ES, orfèvre, initie la gravure sur cuivre au mitan du XVe siècle. Martin Schongauer (vers 1450-1490) fait son apprentissage chez son père orfèvre, Caspar, à Colmar, puis chez les peintres colmarien Caspar Isenmann et strasbourgeois Jost Haller.

La diffusion des sceaux

Les orfèvres gravent aussi des cachets (pitschier, en général enchâssés dans une bague) et des sceaux (siegel, plus grands que les cachets), et dont l’usage se répand, alors qu’ils étaient auparavant réservés aux institutions civiles ou ecclésiastiques ou aux puissants. Les sceaux « nouvelle génération » répondent aux exigences d’une clientèle qui s’écartent des modèles quasi normalisés précédents. Ils traduisent les qualités de leurs possesseurs et acquièrent le statut d’objets d’art. Le tracé de certains sceaux révèle leur provenance : l’atelier Schongauer de Colmar, et plus particulièrement Martin, dont les œuvres gravées deviennent des modèles. La complexité et la précision des Rinceaux d’ornements et d’autres décors ciselés, par exemple, de Martin Schongauer, ne laissent aucun doute sur son apprentissage dans un atelier d’orfèvre, celui de son père.Les fils Schongauer, Caspar, Jörg (à Bâle), Paul et Martin, tous orfèvres, et Ludwig, peintre, ont tous bénéficié de l’art de leur père. Les orfèvres réalisent ainsi les matrices, gravées en général sur laiton, démontrant des qualités de dessinateur et de calligraphe et un goût esthétique nouveau. À côté des orfèvres œuvrent aussi d’exclusifs graveurs de sceaux, siegelschneideret des graveurs de cachets, pitschier schneider(Rott, p. 276-280). Le domaine d’activité des orfèvres s’étend aussi à la gravure de poinçons permettant de marquer ou de décorer leurs ouvrages, d’autant plus qu’en 1534, une réforme du statut des orfèvres strasbourgeois réitère l’obligation d’apposer un poinçon sur leurs œuvres (Haug, L’art en Alsace, p. 145 et L’orfèvrerie en Alsace, p. 116).

L’introduction d’un style nouveau et nouvelles activités

La guerre de Trente Ans met un frein à la production des orfèvres qui connaissent un regain d’activité après les traités de paix (1648). Ils s’adonnent à un nouveau style fait de grandes fleurs repoussées et ciselées figurant sur la panse des hanaps et des gobelets. Les gobelets des membres des Magistrats et des échevins font florès, ils sont frappés aux armes des villes et comportent des décors gravés, ciselés, guillochés ou repoussés (v. Gobelet de Magistrat, droit de). L’art de la médaille (Schaumünze) et de l’horlogerie, proche de l’orfèvrerie, se développe également, les boîtiers étant parfois sertis de pierres précieuses, matériaux de prédilection des orfèvres. Les liens entre orfèvres, médailliers, horlogers et joailliers sont manifestes (Encyclopédie, p. 3999).

Au XVIIIe siècle, l’orfèvrerie de luxe imprègne l’activité des orfèvres qui perpétuent les traditions locales tout en rivalisant avec les évolutions et modes parisiennes. Le vermeil devient une spécialité strasbourgeoise, de renommée internationale. Les créations luxueuses, qui vont de la vaisselle aux nécessaires de voyage ou aux objets de toilette, favorisent l’émergence de nouvelles dynasties d’orfèvres (Haug, L’art en Alsace, p. 189 ; Encyclopédie, p. 4005).

II. Les orfèvres, artisans soumis aux réglementations de tout ordre

La détention d’argent conduit à des réglementations précises. Ainsi, à Strasbourg, lorsque la ville prend le contrôle de la Monnaie en 1369, elle promulgue un règlement visant à endiguer la spéculation, limitant à un an la possession privée d’argent. Les bateliers (schiffleute), épiciers (krämer), aubergistes (wirte), batteurs de laine (wollenschläger), marchands au long cours (fernhändler), drapiers au détail (gewandlüte) et orfèvres jurent de l’observer (Alioth, p. 97). À Colmar, en 1378, défense est faite à quiconque de fondre l’argent, sauf aux orfèvres, qui doivent marquer leurs œuvres d’un poinçon aux armes de la ville (mit dem stette zeichen) (AMC, BB43, p. 18). Par ailleurs, les orfèvres (et les batteurs d’or, goldschläger), approvisionnent en or et en argent les sculpteurs et les peintres pour leurs réalisations incluant ces métaux.

L’obligation corporative

Comme tous les artisans, les orfèvres sont regroupés dans une corporation avec d’autres métiers, en particulier les forgerons : à Colmar, dans celle Au Sureau, Zum Holderbaum, à Mulhouse dans celle des Maréchaux, à Strasbourg, dans celle de l’Échasse, Zur Stelze (v. Échasse, corporation de l’). Les corporations édictent au fil du temps des règlements propres aux orfèvres concernant temps et prix de la formation, accès à la maîtrise, règles de fabrication, comportement confraternel, règlement des conflits, etc. Strasbourg édicte ainsi des règlements en 1434, 1533, 1538, etc. ; le règlement colmarien figure aux archives municipales (AMC, HH 87/2).

À Strasbourg, les orfèvres sont inscrits dans des registres particuliers, les tables d’insculptation, qui fournissent de ce fait la liste des maîtres et indiquent leur poinçon personnel. À ce poinçon s’ajoute, au XVIIIe siècle, un poinçon de contrôle garantissant le titre d’argent : le nombre 13 couronné d’une fleur de lys et, en 1752, une contremarque fixant par une lettre le millésime et un poinçon BB se réclamant de la Monnaie de Strasbourg. À Colmar, le poinçon des orfèvres figure un gant (Haug, L’orfèvrerie de Strasbourg).

La formation des orfèvres

La formation au métier d’orfèvre répondait aux exigences habituelles : apprentissage payant chez un maître, compagnonnage assorti d’une période de déplacements dans des ateliers situés dans d’autres villes ou régions (wandern), réalisation d’un chef-d’œuvre. Selon K. Schultz, le temps de formation était en moyenne de 2 ou 3 ans, mais il s’allonge au cours des XVe et XVIe siècle, d’une part, à cause du développement des techniques et des exigences accrues des spécialisations, d’autre part, en raison de la volonté des maîtres de restreindre autant que possible le nombre de compagnons parvenant à la maîtrise, ces derniers représentant une concurrence indésirable. Ainsi, à Strasbourg, selon un règlement corporatif de 1567, tout maître ne pouvait former dans son atelier plus d’un apprenti et trois compagnons à la fois (H. Meyer, art. 2, p. 111).

Par ailleurs, l’apprentissage étant payant et des parents étant impécunieux, certains maîtres en allongent la durée et le rendent moins coûteux ou bien offrent la possibilité de racheter ce temps. Par exemple, Jörg Schongauer, frère de Martin, orfèvre établi à Bâle, avait signé devant notaire un contrat d’apprentissage de 8 ans avec un apprenti (en 1490). Il « remet » un an et demi sur son temps à l’apprenti, le déclare apte devant sa corporation, contre paiement de 14 florins. Le temps normal d’apprentissage était alors de 4 ans ; le contrat portant sur 8 ans démontre que le prix de l’apprentissage (lehrgeld) n’avait pas été versé (Schultz, p. 250). L’apprentissage n’était ouvert ni aux fils de curé (pfaffensun) ni aux bâtards (ce qui correspond aux règles générales des métiers de l’artisanat, dont l’exercice était réservé aux enfants de parents légitimes). Le wandern, complément de formation, apparaît à partir de 1450 et ne devient obligatoire qu’à partir de la seconde moitié du XVIe siècle (Ibid., p. 270). Selon un règlement strasbourgeois de 1597 (H. Meyer, art. 1 et 5, p. 119), les apprentis orfèvres suivaient une formation de 8 ans (dont 6 au moins à Strasbourg pour les fils de maître). Dès 1482, les orfèvres strasbourgeois exigent la présentation d’un chef-d’œuvre pour accéder à la maîtrise, à savoir la création d’un calice, d’un sceau et le sertissage d’un diamant dans une bague en or (AMS, XI, Corporation de l’Échasse, 101, fos 48-49), le coût des matériaux étant à la charge de l’impétrant (décision entérinée par le Magistrat). Le métier d’orfèvre n’était pas, au niveau régional, un geschenktes handwerk : les compagnons « étrangers » arrivant dans une ville ne bénéficiaient ni d’aide à l’embauche ni de subsides accordés par la corporation.

Ainsi, les orfèvres participent au développement esthétique de ce vaste ensemble que l’on désigne aujourd’hui sous le terme « art », dont les œuvres sont conservées dans les musées.

Bibliographie

Encyclopédie de l’Alsace, article Histoire de l’art, vol. 7, Strasbourg, 1984.

MEYER (Hans), Die Strassburger Goldschmiedezunft von ihrem Enstehen bis 1681. 'Urkunden und Darstellung,Leipzig, 1881.

MOEDER (Marcel), « L’orfèvrerie et les orfèvres à Mulhouse vers la fin du Moyen Âge », Archives alsaciennes d’histoire de l’art, vol. 6, 1927, p. 35-41.

ROTT (Hans), Quellen und Forschungen zur Kunstgeschichte im XV. und XVI. 'Jahrhundert. Oberrhein I, Stuttgart, 1933-38, p. 276-280.

HAUG (Hans), L’art en Alsace, Paris, 1962.

FUCHS (François Joseph), « Un orfèvre strasbourgeois du XVIe siècle à la recherche de métaux précieux », CAAAH, 1967, p. 77-89.

HAUG (Hans), L’orfèvrerie de Strasbourg dans les collections publiques, Paris, 1978.

HAUG (Hans),« L’orfèvrerie en Alsace des origines au XIXe siècle, RA, 110, 1984, p. 113-140.

OBERLÉ (Raymond), GUETH (Francis), SCHMITT (Éliane) et SCHMITT (Pierre), L’or et le papier : en hommage à Pierre Schmitt, RA, 127, 2001, p. 23-88.

FUCHS (François Joseph), « Nouvelles sources illustrant le rayonnement artistique de Strasbourg au début du XVIIIe siècle : extraits des procès-verbaux de la corporation de l’Échasse (1716-1724) », CAAAH, 2003, p. 55-85.

BASTIAN (Philippe), KUGEL (Alexis), LOEB-OBRENAN (Pauline), Vermeilleux'! L’argent doré de Strasbourg du XVIe au XIXe siècle, Château-de-Saint-Rémy-en-l’Eau, 2014.

Notices connexes

Chef-d’œuvre, Corporation, Échasse (corporation de l’), Lehrgeld, Lehrknabe, Lehrverding

Monique Debus Kehr