Mendiants (ordres religieux)

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Les religieux mendiants sont obligés, par leur règle, de mendier pour vivre. Ce qui, concrètement, se traduit par leurs déplacements chez les paysans, les vignerons, les commerçants, les particuliers, pour quêter. En Alsace, il existe cinq ordres mendiants : les Augustins, les Dominicains et les trois ordres issus du même rameau franciscain : les Capucins, les Conventuels, les Récollets. Lorsque le roi de France reprend à son compte les droits de l’Empereur en Alsace par les traités de Westphalie en 1648, se pose le problème politique de la maison-mère. Ces cinq ordres doivent couper, par injonction royale, l’un après l’autre, le cordon ombilical avec la maison mère allemande ou suisse.

Mendiants (ordres mendiants) avant 1648

Notices connexes

Augustins, Couvent, Capucins, Cordeliers, Dominicains, Franciscains

Mendiants (ordres) en Alsace après 1648 - Bettelorden

Les Dominicains

Premier ordre à se séparer : les Dominicains, dès 1690. L’opération est menée par le P. Massouillé envoyé par le P. Antonin Cloche, maître général de l’ordre en France en 1687, pour qui « ce sera l’honneur de son administration que la restitution de nos couvents d’Alsace », à savoir Colmar, Guebwiller, Haguenau, Sélestat. En 1703, le P. Cloche nomme le P. Pierre Gérard comme premier vicaire général de la province dominicaine d’Alsace. Il considère comme mission essentielle de franciser les religieux, dont il reçoit la direction. Durant la visite qu’il fait au couvent des Dominicaines de Sélestat, il fait de longues conférences en français pour initier à la langue les religieuses et mute disciplinairement le P.  Loewel, d’origine allemande, qui s’est permis de critiquer les autorités françaises. En 1709, le P. Cloche note que les religieux d’Alsace ne se résignent pas d’avoir des supérieurs français. En 1715, un Alsacien est nommé vicaire général : le P. Joseph Dusacker, lequel connaît l’allemand. Pour faciliter l’intégration francophone, des novices sont envoyés au couvent des Dominicains de Paris. Si, au début du XVIIIe siècle, l’influence française ne se fait pas sentir – pas de gallicanisme, ni de jansénisme –, faute de documents trouvés, en revanche, au moment de la Révolution, celle-ci est bien présente. Les Dominicains sont, tous ordres confondus, les plus nombreux dans le clergé constitutionnel.

Les Capuçins

La difficile indépendance de la province capucine d’Alsace agite cet ordre de 1721 à 1729. Les quinze couvents capucins existant alors dans la région font partie de la province suisse. Ce sont Bergzabern et Wissembourg dans le diocèse de Spire, Fort-Louis, Haguenau, Molsheim, Obernai, Sélestat et Strasbourg dans le diocèse de Strasbourg, Colmar, Ensisheim, Landser, Neuf-Brisach, Soultz, Thann et Weinbach dans le diocèse de Bâle [S’ajouteront plus tard les cinq nouveaux couvents de Landau, petit couvent de Strasbourg, Wasselonne, Blotzheim, Trois-Épis]. Un décret royal, du 28 août 1721, est communiqué par le gouverneur, le comte du Bourg, au P. Patrice Litzler. Il stipule que désormais aucun étranger ne pourrait plus faire la visite des couvents alsaciens sans autorisation royale. Seuls les régnicoles peuvent émettre leurs vœux dans ces couvents. Seuls les religieux du pays peuvent être élus gardiens des couvents.

L’injonction royale se heurte à des difficultés. Sur onze grands couvents, sept sont pourvus de gardiens alsaciens. Sur 220 religieux qui y résident, 111 seulement sont des Alsaciens. Le bras de fer dure jusqu’en 1728 et est évoqué jusqu’à Rome. L’intendant d’Angervilliers note, le 8 août 1728, que la séparation a été résolue dans un chapitre général tenu à Rome. Le cardinal de Polignac s’emploie à obtenir la confirmation du pape. Un bref de Benoît XIII enregistre le fait en décembre 1728.

Les Récollets

Les cousins des Capucins, les Récollets, font partie jusqu’en 1750 de la « nation Germano-Belge » qui regroupe une cinquantaine de maisons dont Augsbourg, soit un ensemble géographique englobant l’Alsace, l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse. L’Alsace compte douze couvents : Bischenberg, Ehl, Hermolsheim, Kaysersberg, Luppach, Neuwiller, Rouffach, Saverne, Schauenberg, Sélestat, Strasbourg Citadelle et Strasbourg. Après « l’indépendance » des Capucins d’Alsace, en 1729, quelques Récollets présents aux chapitres généraux de la « nation germano-belge » évoquent la possibilité d’une séparation de la province-mère, notamment les 25 et 26 mai 1734 à Münster en Westphalie. Un projet est envoyé au père général à Madrid. L’affaire suit, très lentement, son cours. Le 15 septembre 1750, le père général Molina érige la nouvelle province, laissant le titre de province de Strasbourg à la province-mère et la baptisant Saint Pierre d’Alcantara. La nouvelle province est rattachée à la province des Récollets en France. La bulle de confirmation du pape Benoît XIV date du 24 avril 1754 et la lettre d’attache du roi du 24 juin 1754, enregistrée par le Conseil Souverain d’Alsace le 9 septembre 1754. À la nomination de cette province, 181 pères et 41 frères sont mentionnés par un catalogue.

Les Augustins

Les Augustins franchissent le pas en 1764. Les cinq couvents alsaciens de l’ordre se trouvent à Colmar, Haguenau, Landau, Ribeauvillé et Wissembourg. Ils font partie de la province augustinienne de Rhénanie-Souabe qui en comprend 21 dont Bitche, Constance, Erfurt, Fribourg, Mayence, Wurtzbourg. L’injonction royale de 1721 aboutit à quelques naturalisations de religieux « étrangers ». Mais un ensemble de documents (AM Haguenau, GG17) montre qu’en 1739, le problème des nationalités n’est pas encore réglé. Il faut attendre trente ans pour assister à la naissance de la 44e province de l’ordre qui ajoute aux cinq couvents alsaciens celui de Bitche.

Les Conventuels Franciscains

Restent les Conventuels qui terminent l’ensemble des transferts en 1772. Ils n’occupent du fait de leurs faibles effectifs et de leurs pauvres ressources qu’une place peu importante parmi les ordres mendiants et les religieux en règle générale. Leurs quatre couvents de Haguenau, Liebfrauenberg, Sarrebourg, Thann font partie de la province franciscaine de Strasbourg, titre au demeurant trompeur, car les 17 autres couvents sur les 21 qui la composent sont situés en Allemagne et en Suisse de Lucerne et Soleure jusqu’à Gemund, Wurtzbourg, Ratisbonne. Après l’injonction royale de 1721, les Conventuels s’exécutent immédiatement. Toutefois, aucune séparation n’est à l’ordre du jour. Un document de 1755 (AM Haguenau, GG18) donne cependant le point de vue de religieux désirant le rattachement de la custodie d’Alsace à une province française. L’administration se sert de l’inquiétude générée par l’établissement de la Commission des Réguliers, en 1766, pour parvenir à ses fins. La séparation est évoquée à l’ordre du jour du chapitre général qui se tient à Rome en mai 1771. Des Alsaciens non séparatistes y protestent. Ils ne peuvent empêcher l’action du gouvernement français, qui se substitue à la structure conventuelle. Celui-ci, d’office, décide le 5 octobre 1771 une nouvelle classification de toutes les provinces conventuelles. Les quatre couvents de Haguenau, Liebfrauenberg, Sarrebourg et Thann sont attribués à la province Saint-Joseph de Cupertino, laquelle regroupe désormais les custodies d’Alsace, du Languedoc, du Dauphiné et de la Franche-Comté. La nouvelle distribution est confirmée par un bref papal du 23 décembre 1771, lequel est enregistré le 23 mai 1772 par le Parlement de Paris. Elle l’est aussi par l’impératrice Marie-Thérèse le 7 avril 1772.

Notons que la Commission des Réguliers de 1766 n’a eu, contrairement au reste de la France, aucun impact, à l’exception de l’abbaye de Marbach qui se rattache à la collégiale Saint-Martin de Colmar, quant à la suppression des couvents ou monastères d’Alsace dans le dernier tiers du XVIIIe siècle.

Les ordres mendiants sous la Révolution et l’Empire

Fermeture des couvents, suppression des ordres religieux

La fermeture des couvents des ordres mendiants se fait, à la Révolution, selon un schéma général, avec des variations locales. La chronologie serrée témoigne à la fois d’un empressement révolutionnaire et d’une inattendue résistance des communautés.

Première étape de l’irruption politique dans le silence du cloître, la venue de deux commissaires, généralement officiers municipaux ou personnels judiciaires, en mars et avril 1790. Un inventaire ou état des lieux des possessions territoriales, mobilières et immobilières des couvents, est partout établi.

L’opération s’explique par le vote le 2 novembre 1789 de la nationalisation des biens du clergé et le 12 juillet 1790, de la Constitution Civile du Clergé et de la mise en place d’un clergé fonctionnaire et salarié par l’État. Cette mesure permettrait de constituer la réserve financière avec laquelle l’État pourrait payer le traitement des ecclésiastiques, désormais fonctionnaires… à condition de prêter le serment de fidélité.

Les ordres mendiants, soit une bonne partie des 1065 religieux de la province, tombent sous le coup des décrets des 13-18 février 1790 qui décident « ne plus reconnaître les vœux monastiques solennels de personnes de l’un ou l’autre sexe » et déclarent que « les ordres et congrégations dans lesquels on fait de pareils vœux sont supprimés en France ».

Ordres et congrégations sont donc supprimés, leurs établissements fermés et vendus.

Le décret des 9 et 20 février 1792 fixe le tarif des pensions accordées aux religieux désormais sans domicile [lois et actes du gouvernement août 1789 à prairial an II]. Aux religieux qui ne voudront pas sortir des établissements, on indiquera la maison où ils pourront se retirer. Ce sont parfois des couvents non encore vendus, une situation provisoire donc.

Un pas supplémentaire est franchi, quand de nouveaux commissaires retournent dans les couvents pour un deuxième inventaire, visant à vérifier que rien n’a été soustrait. De plus ces commissaires interrogent pères et frères, l’un après l’autre, pour savoir s’ils restent dans leur ordre ou s’ils en sortent, notant scrupuleusement leurs réponses.

Regroupements et émigrations

Les religieux prêtres peuvent entrer dans le clergé séculier et doivent prêter le serment. Or, en Alsace, les religieux, majoritairement, y compris mendiants, se refusent à le prêter, suscitant l’incompréhension des révolutionnaires, qui ne saisissent pas pourquoi les moines refusent de « se libérer de leurs chaînes ». Lorsque l’un d’entre eux acquiesce, son exemple est aussitôt monté en épingle par la presse favorable à la Révolution. Ainsi du cas du P. David Ledez, capucin, largement exploité dans la presse révolutionnaire, alors qu’il n’est pas représentatif de l’ensemble de ses confrères. Pour autant, cette constatation relève d’une historiographie traditionnelle qui ne tient pas compte des 20% de dominicains assermentés. Remarquons toutefois que, parmi les religieux mendiants prêtant le serment, un certain nombre d’entre eux priaient, sous l’Ancien Régime, en vieille France. Apparemment, ils sont sensibles aux idées gallicanes et richéristes, en adéquation avec la prestation du serment.

Aussi bien dans le Bas-Rhin que dans le Haut-Rhin, les départements imaginent des regroupements de religieux d’ordres différents. Déjà en mars 1791, les augustins de Colmar sont invités à se rendre chez les cisterciens de Pairis et, en avril 1791, les capucins de Strasbourg sont priés de se rendre chez les bénédictins d’Altorf. Plus tard, en novembre 1791, un arrêté du département du Haut-Rhin stipule que les récollets de Luppach et les capucins de Blotzheim qui n’ont pas prêté le serment doivent se rendre à l’abbaye cistercienne de Lucelle. En définitive, de Blotzheim et de Neuf-Brisach viennent des capucins. Dès l 12  janvier 1792, le P. Mouleseau, capucin, écrit au département que les religieux de son ordre se trouvent dans l’impossibilité de poursuivre cette expérience et demandent de se retirer. Le mélange des ordres aura donc été aussi efficace pour la dispersion que la coercition.

Les religieux contemplatifs émigrent souvent de l’autre côté du Rhin, dans des abbayes ou couvents de leurs ordres qui veulent bien les accueillir, avant d’être contraints à un nouvelle émigration plus lointaine par le recès de sécularisation de 1803.

Campagnes d’opinion, répression, persécutions

Ce n’est pas le cas des ordres mendiants, dont les membres sont souvent prédicateurs proches de leurs ouailles. La tension est à son comble quand les religieux mendiants s’en prennent à la fois aux protestants peuplant les instances révolutionnaires, tant à Strasbourg qu’à Colmar, et participant, en tant que citoyens, à l’élection de l’évêque constitutionnel. Des attroupements devant les couvents des capucins et des récollets notamment, destinés à soutenir les religieux, exacerbent les esprits. La mesure extrême survient en septembre 1791, avec la fermeture des couvents, qui se produit, malgré des protestations plus ou moins appuyées selon les localités. Débute alors l’intégration des pères religieux dans le clergé séculier, tandis que les frères lais s’en retournent dans leurs familles. Les religieux, embrassant le ministère paroissial, connaissent la première déportation (obligation de quitter le territoire national s’il n’y a pas eu de prestation de serment) en 1792, le retour en France en 1795, la deuxième déportation en 1797. Pour ceux qui ont prêté le serment ou restent illégalement dans le pays, se profilent l’emprisonnement, le mouvement déchristianisateur avec le culte de la Raison, précédant celui de l’Être Suprême, les obligeant à se défroquer et à abandonner le ministère. La décennie 1790 est marquée par la prestation successive de plusieurs serments.

Concordat : la pacification

Le Concordat, voulu par Napoléon Bonaparte, jette les bases d’une pacification religieuse. Outre les tribulations des hommes, il faut aussi évoquer le devenir des biens. Pour remplir les caisses, l’État fait procéder à des ventes massives de biens conventuels. Pour le petit mobilier, la foule se presse tant que les enchères se limitent à des petits prix. Lorsqu’il s’agit de terres, les paysans un peu aisés arrondissent leur bien par des achats de lots. Contrairement à une idée véhiculée par l’historiographie, les catholiques achètent en masse lorsque les prix sont bas. Les paroisses catholiques se pressent pour l’acquisition du mobilier peu cher ou à des prix défiant toute concurrence quand il s’agit d’orgues, d’autels, de statues, de stalles. Les bancs et les confessionnaux se débitent comme bois de chauffage. Lorsqu’il s’agit de vendre les bâtiments, la difficulté apparaît. Seuls quelques particuliers, souvent protestants, disposent d’une fortune suffisante pour acheter l’ensemble afin d’y installer une manufacture. Le regroupement d’acheteurs, chacun disposant d’un lot, permet aussi à l’État de se débarrasser de cet encombrant immobilier. Quand l’acquéreur manque, il est possible d’y loger des troupes, hommes et chevaux, ou d’utiliser les lots comme hôpital. Dans tous les cas, on assiste à un gigantesque transfert de richesses.

Mais pour les congrégations : le régime de l’autorisation par décret

Le Consulat et l’Empire proclament par le décret du 22 juin 1804 (3 messidor an XII) « Les lois qui s’opposent à l’admission de tout ordre religieux dans lequel on se lie par des vœux perpétuels, continueront d’être exécutées selon leur forme et teneur. Seules pourront exister les associations autorisées par décret, après examen de l’objet social de l’association ». Et le décret ajoute : Néanmoins les agrégations connues sous les noms de Sœurs de la Charité, de Sœurs Hospitalières, de Sœurs de Saint-Thomas, de Sœurs de Saint-Charles. Ainsi, sous l’Empire, aucun ordre mendiant ne s’installe en Alsace. Seuls subsistent d’ex-religieux mendiants incorporés dans le clergé séculier. Un recensement postérieur et nominatif de 1827 dressé par Louis Maimbourg, curé de Saint-Martin de Colmar, permet de les quantifier. Les commentaires qui les qualifient les discréditent quelque peu.

Bibliographie

LEMAIRE (Suzanne), La Commission des réguliers (1766-1780), Paris, 1926.

MULLER (Claude), Les ordres mendiants en Alsace au XVIIIe siècle, Haguenau, 1984.

MULLER (Claude), « La fin d’un monde. La suppression des monastères et abbayes d’Ancien régime sous la Révolution (1791-1792) », AEA, 52, 1995-1997, p. 1-255.

MULLER (Claude), « Du vétéran à l’ardent. Le clergé séculier du département du Haut-Rhin en 1827 », ASHS, 2016, p. 301-312.

Notices connexes

Capucins

Constitution civile du clergé

Cordeliers

Couvent

Dominicains

Femme (droit de la femme religieuse)

Fondations

Franciscains

Sécularisation

Claude Muller