Meister, Meisterin

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Maître, Maîtresse

Un mot polysémique

Le mot meister est polysémique. Dans le domaine de l’artisanat, il désigne un maître artisan, qui exerce son métier de façon indépendante et est habilité à former des apprentis et des compagnons. C’est seulement à partir de la fin du Moyen Âge qu’il faut pour devenir maître effectuer un tour de compagnonnage et produire un chef-d’œuvre selon les normes imposées par son métier. Le mot meister s’applique également au bourreau.

Par ailleurs, meister ou meisterin désigne une personne exerçant une fonction dans un couvent, un reclusoir, un béguinage, une communauté d’ermites ou de béghards, une confrérie, un hôpital ou une léproserie. Avant d’essayer de définir cette fonction, il faut relever l’imprécision du vocabulaire dans ce domaine. Ainsi les supérieures des couvents de Sindelsberg et Saint-Jean-lès-Saverne sont-elles appelées en général meisterin, mais parfois prieure ; il arrive aussi que ces couvents aient à la fois une prieure et une supérieure –auquel cas c’est sans doute la meisterin, première nommée, qui dirige l’institution. Dans d’autres couvents de femmes alsaciens, par exemple à Mirmelberg, Biblisheim et Schoenensteinbach, seules des meisterinnen (supérieures) sont citées.

Dans le milieu hospitalier, jusque dans les premières décennies du XIVe siècle, le terme Meister/Magister est employé comme synonyme de procurator et désigne le Schaffner. Cependant à ses fonctions de gestionnaire semblent aussi attachées celles d’un supérieur de confrérie. Cette dualité se reflète dans l’expression magister et fratres parfois employée au Grand Hôpital de Strasbourg.

En ce qui concerne les léproseries, seules celles des plus grandes villes d’Alsace – Strasbourg, Colmar, Haguenau, Sélestat et Obernai – disposent d’un meister ou/et d’une meisterin parmi leur personnel, car plus une léproserie est importante, plus les fonctions sont diversifiées et plus le personnel est nombreux. Personnage incontournable dans la vie d’une léproserie, le maître ou la maîtresse est continuellement sur place. Il a une fonction de surveillance et de gestion. À Colmar et Sélestat, il porte le titre de « père de la maison » (hausvater). Une « mère de la maison » (hausmutter) est également citée à Colmar – et doit prêter serment de faire respecter le règlement et de dénoncer tout manquement aux administrateurs. C’est également le maître qui est tenu de signaler à ces derniers les négligences de l’économe ou du fermier (meiger) de la cour. Il est aussi responsable de l’économie domestique de la maison, de ses provisions et du bois de chauffage. Comme le montre l’exemple de Colmar, où le hausvater fait office de meister, l’imprécision du vocabulaire concerne aussi les léproseries. À Colmar, le mot meister désigne en réalité un administrateur (appelé ailleurs pfleger) de la léproserie. Il en va de même pour les léproseries d’Ingwiller et de Neuwiller. Si l’on se place sur le plan diachronique, on constate que la fonction de meister dans une léproserie a évolué au fil du temps. À Haguenau, le premier meister est cité en 1348, date à laquelle il achète une rente pour la léproserie. À cette date, il semble donc faire fonction d’économe (schaffner). Puis les sources sont muettes pendant plus d’un siècle. Ce n’est qu’en 1465 que le maître et sa femme apparaissent parmi le personnel rémunéré de la maison. On peut raisonnablement supposer qu’à cette date le maître, éventuellement avec sa femme, est responsable de la bonne marche de l’établissement. L’exemple de Haguenau montre bien qu’au fil du temps les fonctions se diversifient et que les dénominations changent. Dans les léproseries strasbourgeoises, le tableau est fort différent, car les maîtres et maîtresses connus sont des lépreux, bourgeois de la ville, qui, avec l’accord des administrateurs, ont été élus à cette fonction par leurs pairs. Le règlement les oblige à l’accepter, même s’ils ou elles ne le souhaitent pas (AMS V 116h f°56r). D’après le règlement de Strasbourg, la maîtresse a le pouvoir d’ordonner aux lépreux de faire la paix (inen fryden zu gebieten), car l’une des difficultés majeures de cette fonction est de se faire obéir par les autres malades.

La fonction de meister dans les hôpitaux

Dans les hôpitaux, le maître est nommé par le Magistrat de la ville ou par les administrateurs. Il est rémunéré, contrairement aux administrateurs, dont l’office est – du moins en principe – honorifique. Le meister est tenu de résider à l’hôpital, où il dispose d’un logement. Il peut être religieux ou laïc. À partir du XIVe siècle, des laïcs sont de plus en plus nombreux à exercer cette fonction. À la fin du Moyen Âge, maîtres et maîtresses sont souvent des couples, présents dans l’institution, dont ils gèrent le quotidien. Ils sont le plus souvent engagés à vie.

Au Moyen Âge, à Strasbourg, le maître est chargé de faire rentrer les cens et rentes de l’hôpital, de faire vendre à l’encan les biens des débiteurs insolvables, et de payer les cens et rentes dus par l’hôpital. C’est pourquoi il est parfois désigné par le terme de Rentmeister ou de Zinsmeister. Il doit faire l’inventaire des provisions, du mobilier, de l’état des troupeaux. Il veille également à la distribution équitable des prébendes, au soin des malades et au respect du règlement. À ce titre, il peut punir les contrevenants. De nombreuses tâches annexes lui sont confiées : distribuer des aumônes, veiller à l’exécution des fondations, des messes anniversaires à célébrer à la chapelle de l’hôpital. En ce qui concerne les affaires importantes – ventes ou achats de terres –, il ne peut décider seul, mais doit demander l’accord du Conseil ou des administrateurs, auxquels il doit aussi rendre compte de sa gestion.

En 1535, le Magistrat de Strasbourg instaure la fonction de Spitalmeister au Grand Hôpital (AMS 1MR 03, f°234) afin d’alléger les tâches du Schaffner, dont la fonction principale reste la gestion du patrimoine et des revenus. En effet, la charge de travail de ce dernier se trouva accrue après l’incorporation à l’hôpital des biens des couvents de Sainte-Claire-au-Marché-aux-chevaux, Saint-Arbogast (pour moitié) et des revenus du couvent des Dominicains.

D’après le règlement de 1565 qui régit ses fonctions (AMS, 1AH 117), le Spitalmeister a en charge toute l’économie domestique de l’hôpital. À ce titre, il assure la gestion du personnel et des grands services de l’institution (cuisine, cave, boulangerie, stocks des céréales). Pour les malades et les pensionnaires, il veille aux repas, à la distribution du vin et à leurs conditions d’hébergement. Envers eux, précise le règlement, il doit se comporter comme un bon père de famille (alß ein getraůwer haůßvatter). Enfin, il a aussi en charge la gestion de la grande ferme du Hoerderhof, au sud de Kehl, une des principales sources d’approvisionnement de l’hôpital en denrées alimentaires.

Comme le Schaffner, le Spitalmeister est recruté par le Magistrat. À ce titre, il est placé sous l’autorité des Pfleger, mais doit toutefois tenir compte des avis du Schaffner dans sa gestion courante. Des rivalités de compétence semblent être apparues assez rapidement et ont perturbé cette nouvelle organisation à la tête de l’hôpital. Dès 1542, le Conseil des  XXI constate des difficultés de coexistence entre les deux fonctions : Im spitall ein spitalmeister und schaffner zůgleich schädlich (AMS, 1R 4, f°21v°).

Cela ne signifie pas pour autant que la fonction de Spitalmeister ait été supprimée. Tout au plus, d’après de curieuses absences de mentions dans la documentation disponible, il semblerait que le poste n’ait pas été occupé de manière continue. Dans les comptes annuels de l’hôpital de 1570 – qui commencent à la Saint Jean-Baptiste – une rubrique Spitalmeister est ouverte mais non renseignée, cependant le poste est occupé en avril 1571. En 1589, lors de l’appel à candidature pour remplacer le Schaffner Nicolas Braun, les  XXI rappellent qu’il y a lieu de recruter également un Spitalmeister. Or dans les comptes de l’année suivante le Spitalmeister n’apparaît pas dans les dépenses de personnel de l’hôpital. La fonction de Spitalmeister a probablement cessé d’être pourvue dans la dernière décennie du XVIe siècle.

La maîtresse, elle, s’occupe de la bonne marche de l’hôpital et du soin des malades. Au grand Hôpital de Strasbourg, néanmoins, elle a un rôle et un statut spécifiques. En entrant, elle doit prêter serment et donner tous ses biens à l’hôpital, qui doit la loger, la nourrir et la vêtir jusqu’à la fin de ses jours, qu’elle soit malade ou en bonne santé, comme les prébendiers. D’après le règlement, elle est, après l’économe, das oberste houpt, la première responsable. Avec l’accord de l’économe, elle engage et congédie le personnel. Par ailleurs, diverses tâches lui sont dévolues. Elle doit faire le tri parmi les malades et n’admettre à l’hôpital que ceux qui sont trop faibles ou trop malades pour mendier. Elle doit veiller à la literie et à l’approvisionnement de l’hôpital. Elle doit signaler les manquements des membres du personnel à l’économe. Ce dernier, inversement, doit informer les administrateurs (pfleger) de ceux de la meisterin.

Bibliographie

SCHULTE (Aloys), Urkundenbuch der Stadt Strassburg, Strassburg, 1884, III, p. 80, n°253 et p. 139, n°448.

BRUCKER (Johann Karl), Straßburger Zunft- und Polizeiverordnungen des 14. und 15. Jhs., Straßburg, 1889, p. 47.

WINCKELMANN (Otto), Das Fürsorgewesen der Stadt Strassburg, II, Leipzig, 1922, p. 5-7.

REICKE (Siegfried), Das deutsche Spital und sein Recht im Mittelalter, II, Stuttgart, 1932, p. 95-116.

GABLER (Jakob), « Verwaltungsorgane des Spitals zu Strassburg », AEKG 15, 1941-1942, p. 25-72.

ADAM (Paul), Charité et assistance en Alsace au Moyen Âge, Strasbourg, 1982, p. 173.

CLEMENTZ (Élisabeth), Les lépreux en Alsace : marginaux, exclus, intercesseurs ?, Thèse d’habilitation, Université de Tours, 2019, p. 239, 248-250.

Notices connexes

Ammeister, Artisanat

Baumeister, Béguine, Bergmeister, Bourreau, Büchsenmeister, Brunnenmeister, Bürgermeister

Chanteurs (Maîtres), Chef de chambrée, Chef d’œuvre-Meisterstück, Collèges, Confrérie, Corporation

Deichmeister, Dorfmeister

École, Elendenherberge, Enseignement féminin

Feldmeister, Femme, Femme (droit de la religieuse), Feuermeister, Feuerspritzmeister, Forstmeister

Hagmeister, Handwerksmeister, Hausmeister, Hebammenmeister, Hirtenmeister, Hochmeister, Hof, Horbmeister

Ingénieur du roi-Festungsmeister

Judenmeister

Kellermeister, Kerzenmeister, Kornmeister, Kranmeister, Kriegsbaumeister, Küchenmeister, Küsterin

Lademeister, Landmeister

Maître d’école, Maîtres Chanteurs-Meistersänger, Meisterbrief, Munzmeister

Œstrichmeister

Rebmeister, Regelmeisterin, Rentmeister

Schulmeister, Sorcière, Stettmeister, Stubenmeister

Wasenmeister, Wassermeister, Werkmeister

Zeugmeister, Zinsmeister, Zunftmeister

Jean-Marie Holderbach, Élisabeth Clementz