Masevaux (abbaye de femmes et seigneurie)

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Une abbaye de femmes richement dotées

Maso, le fondateur légendaire (VIIe siècle ?)

Le diplôme de Louis le Pieux daté de 823 qui confirme son immunité attribue la fondation de ce monastère de femmes à un certain Maso, frère du duc d’Alsace Liutfrid et du comte Eberhard, à l’origine de l’abbaye de Murbach : des variantes ultérieures de cette légende font de ce personnage un « roi d’Alsace », dont le fils se serait noyé dans la rivière voisine ; elle serait corroborée par l’étymologie de Massmünster, en latin Masopolis, en roman Moisonval ou en français, depuis le XVIIe siècle, Massevaux puis Masevaux (officiellement depuis le 1er août 1918).

L’assise foncière de l’abbaye

L’assise foncière de l’abbaye est constituée de biens dans la vallée de la Doller et à travers le Sundgau. Dès la première édition de sa Cosmographie universelle (1554), Sébastien Munster évoque le « renommé monastère de nonnains… lequel on pense avoir esté fondé par Mason duc d’Allemagne du nom duquel ceste vallée s’est appelée la vallée de Mason, laquelle se nomma aultrement Vuast. Les prédécesseurs de ce Mason estoyent de la lignée royalle des François & Bourguignons. Il eut un filz unique comme il est aussi escript cy dessoubz en la description du Monastère de Murbach, lequel se voulant baigner en la rivière de Tolder se noya n’ayant que huict ans & ce fust soubz le chasteau où son père et sa mère faisoient leur résidence, lequel chasteau est maintenant ruiné … Environ l’an de salut 730, ilz donnèrent toutz leurs biens audict monastère, meubles, immeubles, hommes & terres, a sçavoir 25 villes & villages avec toutz leurs droictz & appertenances & y ordonnèrent 18 chanoynesses, 6 chanoines et 3 chappellains. Sur la tombe du filz de Mason il y a ainsi en escript : Icy est enterré le filz du roy Mason, fondateur de ce monastère. L’abbesse dudit monastère a les lettres de fondation approuvées par Louys le Débonnaire… ». Munster mentionne parmi les « villes et bourgades subiectes … Herlesheim, Mulhusen, Einsheim, Morsyler, Egisheim qui aujourd’huy sont d’une aultre iuridiction » (trad. fr. 1555). La mention la plus ancienne du récit se trouve dans la Chronique d’Ebersmunster, au milieu du XIIe siècle : elle se contente d’indiquer que Maso, frère d’Eberhard, résidait dans la vallée qui a pris son nom et que son fils périt tragiquement, noyé dans la Doller, de telle sorte que les deux frères privés l’un et l’autre de descendance, fondèrent chacun leur monastère sous le vocable de saint Léger de la famille duquel ils étaient issus. En 1518, en se réclamant de l’autorité de Conrad Peutinger, Franciscus Irenicus fait de Maso un duc de Souabe. Inhumée dans la chapelle Saint-Jean, la dépouille du fils de ce dernier avait été transféré dans le chœur de l’église capitulaire et un monument funéraire lui avait été élevé en 1407.

Selon un faux datant du XIIe siècle reprenant des éléments anciens

Connue par des transcriptions tardives (1362, 1467), édité par Laguille (1727), Schilter (1728), Charles Hyacinthe Hugo (1736) et dans l’Alsatia…diplomatica de Schoepflin (1772), le diplôme de 823 est reconnu depuis le milieu du XVIIIe siècle pour être une forgerie réalisée sous le règne de Frédéric Ier, dans la seconde moitié du XIIe siècle peut-être en relation avec le monastère de Hohenburg et celui d’Ebersmünster. Quelques invraisemblances de forme permettent d’exclure une rédaction contemporaine des Carolingiens – le terme sacrum imperium renvoie à l’époque des Hohenstaufen –, mais il n’est pas impossible qu’une partie des domaines mentionnés aient fait partie du patrimoine originel du monastère : la fondation réelle de celui-ci est mal connue. La date de 780 prétendument donnée par une inscription dégagée en 1859 à la suite de l’incendie de l’église abbatiale est postérieure d’un demi-siècle à celle-ci, si elle est bien contemporaine de celle de Murbach. En revanche, elle correspond bien à la première mention connue d’un monastère coenobium Mansunvilare confié par Charlemagne à un moine de Worms nommé Adam, originaire d’Alsace.

Un patrimoine disputé entre évêque de Bâle et l’avoué comte de Ferrette

La distinction entre la vallée considérée comme un tout jusqu’au sommet du Gresson et les différents biens dispersés à travers le Sundgau et la Haute-Alsace est à mettre sur le compte du conflit de juridiction qui oppose les moniales, encore bénédictines à cette date, l’évêque de Bâle – dont l’autorité est expressément reconnue par Eugène III en 1146 (abbatiam de valle Masonis cum omnibus appendiciis suis) – et le comte de Ferrette. Ce dernier détient l’avouerie du chapitre de Masevaux telle qu’elle est définie dans le faux de  823. En 1241, l’abbesse Mathilde reconnaît pour avoué le frère du comte Ulrich II et du futur évêque Berthold, Albert, qui passe pour être un cadet insignifiant. A-t-il abusé de sa fonction, comme le suggère la bulle d’Innocent IV qui réforme l’abbaye en la replaçant sous la coupe de ses aînés en 1254 ? Ce qui est sûr, c’est que la famille comtale et ses successeurs de la Maison d’Autriche établissent leur autorité sur la vallée en s’appuyant sur leurs droits d’avouerie. En 1270, Thiébaut de Ferrette reconnaît la dépendance bâloise de la vallée tale ze Masmunster, puis en 1278, son fils Thibaut confirme que die vogteie von Masemünster est bien tenue en fief de l’évêque, comme le feront, ultérieurement, les Habsbourg.

La seigneurie abbatiale sous la domination des Ferrette, puis des Habsbourg

Le passage de la seigneurie abbatiale sous la domination de la famille comtale s’inscrit dans un processus comparable à celui qui dépossède l’abbé de Munster de la plus grande partie de son autorité sur le Val Saint Grégoire. En 1241, Albert de Ferrette s’était engagé à laisser à l’abbesse les deux tiers des amendes et des redevances liées à sa fonction, à ne pas prélever de taille sans son consentement et à respecter le statut de sa familia. Dans le terrier réalisé après 1324, qui décrit sa circonscription comme l’espace compris entre le Hanenbach, ruisseau marquant la limite entre Sentheim et Burnhaupt-le-Haut et le Gresson, il est spécifié que l’avoué vient de se voir concéder l’office de schultheis (schulthesse  – amt, mentionné dès 1210) et qu’il prélève la taille de mars à hauteur de 250 livres, celle de l’automne, d’un montant de 300 ainsi que quelques taxes. La fiction d’un condominium est maintenue dans des actes postérieurs, comme celui par lequel la duchesse Jeanne de Ferrette et l’abbesse Marguerite confirment le statut des tisserands de Masevaux le 6 novembre 1338. Engagée à partir de 1357, la seigneurie est quelquefois qualifiée de mairie. L’Autriche y conserve la souveraineté et continue à exercer sa juridiction sur les mines qu’elle attribue à des concessionnaires et pour lesquelles elle nomme un bergvogt.

L’abbaye sécularisée en un chapitre de chanoinesses

Dépossédée de ses pouvoirs temporels, l’abbaye est probablement devenue un chapitre de chanoinesses régulières de saint Augustin au cours du XIVe siècle, sans qu’on puisse dater ce changement. Son histoire reste à faire pour la période médiévale. Le « format » de 18 moniales (et de 6 chanoines) évoqué par S. Munster n’a jamais été atteint. Le recrutement semble s’être focalisé très rapidement sur la noblesse de la région. Le chapitre de chanoines a pu exister, furtivement, jusqu’à la fin du XVe siècle.

Contrairement à Hohenbourg ou Andlau qui ont pu prétendre à l’immédiateté et à un titre princier, Masevaux relève de la Maison d’Autriche et appartient au Praelatenstand ce qui permet à l’abbesse de siéger aux réunions des états provinciaux (Landstände), en acquittant sa quote-part de contribution.

Un établissement pour femmes de la noblesse d’Alsace ou des États antérieurs

Entretenu par le mythe d’une fondation royale, le prestige de l’abbaye la destine exclusivement aux jeunes filles de la noblesse, pour la plupart venues d’Alsace ou de la mouvance de la Maison d’Autriche. Quoique lacunaire et parfois fautive, la liste des abbesses comprend 36 noms, d’Adélaïde, à la fin du VIIIe siècle (?) à Xavière de Ferrette, élue en 1760. Son histoire suit une trajectoire comparable à celles des autres établissements féminins : elle échappe de peu à l’extinction avant de connaître un redressement sous le long abbatiat de Scholastique de Falkenstein (1551-1603), considérée comme la seconde fondatrice de Masevaux.

À la dispersion du chapitre en 1793, les neuf chanoinesses titulaires vivaient dans un quartier canonial flambant neuf, à proximité de l’ancien freyhof, sur le site originel du monastère, sur la rive droite de la Doller.

Une seigneurie abbatiale au XVIe siècle : seigneurie de montagne !

La longévité de l’abbaye s’explique par le maintien d’une grande partie de son patrimoine foncier, malgré l’érosion de ses droits et de ses biens à l’extérieur de la vallée.

Ses prérogatives sont consignées dans le coutumier intitulé Dinghoffsgerechtigkeiten des loblichen S. Leodegarii stiffts zu Massmünster im obern und nidern thal dasselbst, so gewohnlichen zu Gewenheim solle gehalten werden, transcrit en 1579 (Grimm, Weisthümer, t. IV, p. 76-85) mais vraisemblablement bien plus ancien puisqu’il les ajuste à la mainmise de l’avouerie sur la vallée, sous une forme qui n’est pas sans rappeler le traité de Marquart qui organise la coexistence entre les moines de Munster et les habitants désormais soumis à l’empereur en 1339.

À l’instar du faux diplôme de 823, ce document fait de Guewenheim le siège de la justice de l’abbesse, qui détient toujours les deux-tiers des amendes, bien qu’il ne s’agisse que des délits mineurs (frevel) inférieurs à 30 sous. Le plaid confié au meier de ce village assisté par 24 jurés a lieu « sous le tilleul », le lundi après la Saint-Sébastien. Il donne l’occasion de recueillir le serment des tenanciers, d’en renouveler les tenures et de payer les redevances afférentes. L’autorité abbatiale procède du twing und bann qui s’exerce dans les limites tracées lors de la « fondation ». L’abbaye est maîtresse des forêts, des communaux, des cours d’eau. Elle désigne cinq agents seigneuriaux (amptlute), l’un pour la haute vallée, deux pour la ville – ce sont des sergents ou des garde champêtres – le maire de Guewenheim et celui de Sentheim, dispose d’un pêcheur apte à capturer des oiseaux (vischer und vogler) et d’« officiers », un intendant et son subordonné (ober et underschaffner), un maréchal (marchalk), qui fait également fonction de chasseur, un boulanger, un meunier et un sacristain dispensés des charges de la ville.

Les habitants de la vallée sont astreints à des corvées. Ils acquittent une taxe spécifique sur le vin, ainsi que d’autres menues exactions, les marchandises étant redevables de péages, comme les étrangers. Comme l’abbesse exerce une certaine tutelle sur les deux tribus de la ville, cordonniers et tisserands, qui existent dès 1320, on peut admettre que le coutumier a été composé ou modifié après cette date. Le fait que le plaid de Guewenheim reçoive les appels des dinghöfe de Zillisheim, Hundsbach, Dannemarie et Gildwiller milite pour un remaniement plus tardif.

À la fin du XVIe siècle (1582-1583), les revenus de l’abbaye de Masevaux sont de l’ordre de 16769 livres. Cette prospérité est imputable à la richesse de la vallée, notamment à la forêt et à l’élevage. Les religieuses possèdent des alpages au Rossberg, au Gresson et au Ballon d’Alsace. Elles les louent à des marcaires de la vallée de Saint-Amarin ou de la seigneurie de Belfort.

Une seigneurie de bon rapport

Passée aux mains de l’Autriche – en 1356, le duc Rodolphe IV s’intitule herre zu Massmünster – la seigneurie l’articule en trois sous-ensembles, la haute vallée (Sewen, Dolleren, Rimbach, Oberbrück, Wegscheid et leurs annexes), la vallée inférieure (Lauw, Bourbach-le-Bas, Sentheim et Guewenheim) et la ville. Elle est administrée par un bailli (vogt, puis obervogt cité depuis 1368). Ses revenus sont connus par le cartulaire des seigneuries-gageries (1469) et des documents comptables de la fin du XIVe siècle.

Engagée au riche bourgeois de Bâle Jean de Walbach (1357), elle demeure aux mains de pfandherren jusqu’au début du XVIIIe siècle. On peut citer Conrad de Fribourg (1387), Jean de Lupfen (1417), Hans Gunderichingen (1457), Louis de Masevaux (1468), en association avec des investisseurs strasbourgeois, Petermann d’Eptingen, début XVIe, puis à nouveau Christophe de Masevaux (1541-1557) – la famille éponyme issue d’anciens ministériaux de l’abbaye résidant alors au château du Ringelstein, cité entre 1362 et 1562.

Grands officiers des Empereurs, grands officiers des Rois de France

Le 8 décembre 1557, le gage est repris par le baron Nicolas de Bollwiller, qui le transmet à ses héritiers, les Fugger, jusqu’à ce que ces derniers le revendent à Conrad de Rosen, futur maréchal de France, en 1680. La seigneurie passe au gendre de celui-ci, le comte Frédéric-Nicolas de Rothenbourg, en 1684 : elle est convertie en fief au profit de son fils, en 1721, puis couplée avec celle de Rougemont, en 1724 : la fusion des deux justices est validée par le Conseil souverain en 1751. L’ensemble – on parle de « seigneuries réunies » – passe à une nièce, puis au gendre de celle-ci, Armand de Rosen, dont la fille, Sophie, épouse en 1779 le prince Charles Louis Victor de Broglie († 1794), dernier seigneur de Masevaux.

La ville de Masevaux

Issue d’une communauté de vallée comparable à celle de Munster et d’un bourg abbatial relativement tardif, Masevaux devient une ville en 1368 lorsque les ducs d’Autriche l’autorisent à se doter d’une enceinte. Organisées dès 1320, ses activités artisanales précèdent les institutions urbaines, qui se développent au XVe siècle, en liaison avec le textile et, ultérieurement, les mines et la métallurgie. Ces privilèges – all und jeglich freyheit, gnade, brief, recht und loblich gut gewonheit – sont renouvelés en termes généraux à partir de 1429, notamment par Charles Quint le 19 août 1520 et par Rodolphe II le 15 janvier 1599.

La position de Masevaux à la porte de l’Alsace en fait un enjeu stratégique depuis le traité de Mersen (870) qui l’attribue au royaume de Germanie. Elle est rappelée dans les Landfrieden du XIVe siècle : ses habitants ont conscience d’être un avant-poste de l’Empire. En 1375, c’est depuis Masevaux qu’Engerrand VII de Coucy revendique l’héritage de sa mère, Catherine d’Autriche, contre ses cousins Albert III et Léopold III.

Sources et bibliographie

Les archives de l’ancienne abbaye forment la série 10 G des AD du Haut-Rhin. Celles de la seigneurie les séries 3 B, 1 C et 1 E 38.

Les archives municipales de Masevaux renferment en particulier les pièces relatives à la juridiction 3 JJ 1-105.

GASSER (Edmond), « L’abbaye de Masevaux, ses droits, ses privilèges », RA, 1872, p. 486-499 ; RA, 1908, p. 318-353.

PFISTER (Christian), « Histoire sommaire de l’ancienne seigneurie de Masevaux », Pages alsaciennes, Strasbourg, 1927, p. 168-196.

STINTZI (Paul), « Les seigneuries de Thann, Cernay et Masevaux dans le cartulaire des seigneuries gageries », Annuaire Thann-Guebwiller, 1957-1960, p. 58-77.

BRUN (Aimé), « Les corporations de Masevaux », Annuaire Thann-Guebwiller, t. 10, 1974, p. 67-70.

BRUN (Aimé), Masevaux aux XIVe et XVe s. : les corporations, la ville, Thèse dactylographiée, Besançon, 1979.

MARTIN-TRESCH (Étienne), L’abbaye de Masevaux. Art et architecture dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Strasbourg, Société savante d’Alsace, 1985.

TRESCH (Pirmin), Histoire de Masevaux. Abbaye et sanctuaires, trad. et commenté par Étienne MARTIN-TRESCH, Strasbourg, Société savante d’Alsace, 1987.

BRUN (Aimé), « 1368, naissance de la ville fortifiée de Masevaux », Patrimoine Doller/Bulletin de la société d’histoire de la Vallée de Masevaux, 1998, p. 5-17.

EICHENLAUB (Jean-Luc), « Les grandes lignes de l’abbaye de Masevaux », Les chapitres des dames nobles entre France et Empire, Paris, 1998, p. 301-311.

METZ (Bernhard), « Essai sur la hiérarchie des villes médiévales d’Alsace (1250-1350) », RA, t. 134, 2008, p. 129-167.

BORNERT (René), Les Monastères d’Alsace, t. 1, Eckbolsheim, 2009.

LACOURT (Philippe), « L’abbaye de Masevaux et le Sundgau : un nouvel éclairage de la charte falsifiée de 823 », Annuaire de la Société d’histoire du Sundgau, 2018, p. 275-398.

Notices connexes

Abbaye

Avouerie

Bergbau (mines de Masevaux)

Chanoinesse

Chapitre

Doyenné (Masevaux)

Engagement

Enseignement féminin (pensionnat de Masevaux)

Fer (forges de Masevaux)

Georges Bischoff