Mainmorte

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Fall, Todfall, Tote hand, Manus mortua.

1. La main/Hand désigne le pouvoir d’une personne, et dans l’expression « tote hand » le droit d’occupation d’un fermier qui perd ce droit à sa mort (soit la mort de sa main).

2. On distingue la mainmorte personnelle que doit l’héritier du serf mainmortable au seigneur, et la mainmorte réelle que doit l’héritier d’une terre mainmortable au seigneur féodal (Besthaupt, Fall, Heimfall). Elles sont souvent confondues : les paysans établis sur ces biens avaient été serfs et « le servage était devenu la mainmorte » (Hanauer, Les Paysans, p. 139). La mainmorte est souvent associé à une cour colongère (Dinghof). Si ces biens formaient un corps, ils ne pouvaient être partagés et l’héritier, parfois le cadet (Coutume, Juveigneurie) devait dédommager ses co-héritiers. Hanauer qui le recense dans les rotules colongères (Coutume, Rodel), en fait un droit attaché aux Mainmorte terres des cours colongères. Il est parfois équivalent de l’Ehrschatz ou Laudème (Hanauer, Les Paysans, p. 71).

Le Jahrspruch du Hattgau de 1490 établit ce droit pour les Fleckenstein et les Lichtenberg dans les villages du Hattgau (Hanauer, Constitution des Campagnes, p. 107), et « les lettres patentes portant confirmation des droits de madame la princesse de Hanau dans sa terre de Kutzenausen » le confirme pour la seigneurie de Kutzenhausen (sept. 1721, Ordonnances d’Alsace I, 560-561). Au XVIIIe siècle, la mainmorte réelle existait encore dans certaines terres des comtes de Montbéliard, entre autres à Beaucourt, dans la seigneurie de Blamont ; nous en avons trouvé aussi des traces à Mittelwihr écrit Pfister (RA, 1888). Pour J.-M. Boehler aussi, en ce qui concerne la mainmorte, les droits sur la personne tendent à s’effacer devant les droits sur la terre, et ils ne se seraient maintenus que dans l’Outre-Forêt et dans le Sundgau et seraient léger – 2% dans les terres du duché de Deux-Ponts contre 10% outre Rhin – et ne comportant pas le droit d’échute que dénoncent les paysans de la seigneurie de Montjoie-Vaufrey (Paysannerie, p. 1220-1221). Dans le Saint Empire, la mainmorte – Besthaupt ou Fall – est l’une des caractéristiques de la Leibeigenschaft, abolie en 1771 par le duc de Wurtemberg pour le comté de Montbéliard, en 1783 par le margrave de Bade dans le margraviat de Bade, en 1781 et 1782 par l’empereur Joseph II dans les territoires des Habsbourg, en 1794 en Prusse, et dans le sillage de la Révolution et des armées françaises dans les autres principautés allemandes. La mainmorte est encore répandue en France et concerne de 500 000 à un million de sujets et est prescrite par 57 coutumes territoriales et 25 coutumes générales (Bressan). On la trouve en Lorraine et en Alsace, mais c’est en Bourgogne et en Franche-Comté que les paysans mainmortables étaient les plus nombreux. Au milieu du XVIIIe siècle, l’un des caractères de ce droit encore appliqué, le droit d’échute, qui autorise le seigneur à reprendre tout l’héritage d’un fermier mort sans héritier direct, est pourtant annulé par le Parlement de Paris. Le duc de Wurtemberg abolit le droit pour le comté de Montbéliard (1771) et le margrave de Bade-Durlach pour ses domaines (1770). En 1772/1773, les serfs de l’abbaye de Saint-Claude, soutenus par Voltaire, attaquent l’abbaye devant le Parlement de Besançon, mais ce dernier les déboute et les condamne à l’amende. Les procès se multiplient. Le droit de mainmorte a donné lieu à des polémiques furieuses, tant il semblait pour les juristes philosophes du XVIIIe siècle symboliser la barbarie féodale. « On ne peut pas se dissimuler que la main-morte dans son origine ne vienne de la force et de l’abus du pouvoir, dans les siècles barbares où les grands tenaient les petits dans l’esclavage le plus rude et se servaient d’eux pour défricher la terre, comme aujourd’hui nous nous servons des animaux », écrit Guyot l’ancien avocat au Parlement de Nancy, dans le Dictionnaire qu’il publie avec Merlin, avocat au Parlement de Douai. Rien de plus impie et de plus indigne de la chrétienté, écrit Dumoulin. Les articles et factums se succèdent. Mais cette campagne se heurte à des résistances : la mainmorte est une protection pour le paysan, et ce droit est minime, plaident-ils. C’est ce que soutient aussi le bénédictin bisontin Dom Grappin dans sa Dissertation sur les origines de la mainmorte (1779), longuement cité par Hanauer (Paysans d’Alsace), avec l’historien du droit Grimm. Necker s’est décidé en 1779 à prendre un édit qui abolit la mainmorte dans le domaine royal, édit peu appliqué par les officiers royaux, et que le Parlement de Besançon met dix ans (1789) à enregistrer ! Par ses décrets des 5-11 août 1789 et du 28 mars 1790, la Constituante abolit la mainmorte réelle, déclarée rachetable, suivant l’avis de Merlin de Douai et de Sièyes, puis abolie sans indemnité par les lois du 18 juin 1792 et du 17 juillet 1793.

3. Mainmorte, caractère de la propriété d’une collectivité qui de ce fait ne peut être partagée et se maintient perpétuellement en l’état. Homines ou gentes manus mortuae, ou « gens de mainmorte », expressions qui désignent les personnalités morales ecclésiastiques ou séculières – hôpitaux, fondations, communautés –, dont le patrimoine, qui peut s’accroître par achats, donations, legs ou héritages, n’est pas transmissible et partageable par décès et successions. Ils sont perpétuellement vivants, gens aeterna (Ferrière). Or, les établissements ecclésiastiques bénéficient d’une immunité fiscale depuis la fin de l’époque mérovingienne et leur accroissement prive les princes, seigneurs, villes et communautés, d’une ressource fiscale précieuse et accroît la charge des autres contribuables. Elle retire ces biens du commerce et les familles se montrent souvent mécontentes, car les donations ou successions les privent de biens dont ils auraient pu hériter.

Comme nombre de princes et de villes qui les taxent (lois d’amortissement-Amortisationsgesetze, autorisant le changement de statut en bien de mainmorte contre indemnité), le Magistrat de Strasbourg limite fortement le montant des dons et legs aux établissements religieux en 1300, puis en 1471 (voir : Finances des villes). Dans les Cent Remontrances (Gravamina) de la nation allemande (de la Diète de Nuremberg de 1521, avec la participation du député de Strasbourg), l’article 98 se plaint : « les moines et moniales d’Allemagne peuvent hériter, mais les familles ne peuvent pas hériter des moines et moniales » et exigent de remplacer ce système par la dotation à un tarif garanti par le Magistrat. Le contrôle, la limitation ou la saisie des patrimoines monastiques et leur sécularisation seront l’un des ressorts de la politique de Réforme des villes et princes des XVIe siècles (voir : Femme, droit de la femme religieuse).

Les édits royaux, en dernier lieu l’édit de 1666, obligent les gens de mainmorte à « vuider leurs mains » c’est-à-dire à renoncer à l’acquisition de nouveaux biens qui privent les seigneurs de recettes fiscales, sauf à acquitter des indemnités et à obtenir des lettres d’amortissement. Mais l’édit royal du mois d’août 1749 relève que les établissements religieux imposent à leurs donateurs la charge de droit d’amortissement et tournent ainsi ces dispositions. L’édit insiste sur « les inconvénients et la multiplication des établissements des gens de main morte et la facilité qu’ils trouvent à acquérir des fonds naturellement destinés à la subsistance et à la conservation des familles… ». Il décrit les déséquilibres qui en résultent : « une très grande partie des fonds de notre royaume se trouve actuellement possédée par ceux dont les biens ne pouvant être diminués par des aliénations et s’augmentent au contraire continuellement par de nouvelles acquisitions ». Il renouvelle donc l’interdiction de créer tout nouvel établissement « Chapitres, Collèges, Séminaires, Maisons ou Communautés religieuses…, sauf à y être autorisé par lettres patentes enregistrés en Parlement ou conseil souverain  », après avis des évêques, juges royaux et officiers municipaux… les héritiers ayant droit d’opposition. L’édit excepte les œuvres pieuses (voir : Fondation, Piae causae) ayant pour objet la subsistance d’étudiants ou de pauvres ecclésiastiques ou séculiers, les mariages de pauvres filles, écoles de charité, soulagement de prisonniers ou incendiés pour lesquels suffit une simple déclaration. L’enquête réclamée au Conseil souverain retrace la trentaine de transactions foncières opérées par les communautés religieuses alsaciennes depuis 1749 jusqu’à 1774, date de la publication du recueil Ordonnances d’Alsace. La nationalisation des biens du clergé met fin au privilège des gens de mainmorte et les législations ultérieures (voir : Concordat, Articles organiques) se montrent méfiantes devant une nouvelle accumulation de biens de mainmorte (Mense).

Bibliographie

« Lettre patentes portant confirmation des droits de madame la princesse de Hanau dans sa terre de Kutzenausen », 1721, Ordonnances d’Alsace, t. I, p. 560-561.

« Édit concernant les Établissements et Gens de main morte août 1749 », Ordonnances d’Alsace, t. II, p. 340 ss.

FERRIERE, Dictionnaire (1762), art. Mainmorte, gens de mainmorte.

GUYOT (Joseph), Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, ouvrage de plusieurs jurisconsultes, 1775-1786, t. 37, Mainmorte.

HANAUER (Charles), Les Constitutions des Campagnes de l’Alsace au Moyen Âge, Paris-Strasbourg, 1864.

HANAUER (Charles), Les paysans de l’Alsace au Moyen Âge, étude sur les cours colongères de l’Alsace, Paris-Strasbourg, 1865.

PFISTER, (Christian), Revue d’Alsace, 1888.

HOFFMANN (Charles), L’Alsace au XVIIIe siècle, t. 2, ch. 2, l’Agriculture, Bibliothèque de la Revue d’Alsace,1907, https:// www.numistral.fr/.

PUZA (R.), ‘Tote Hand’, Lexikon des Mittelalters, 10 vols (Stuttgart: Metzler, [1977]-1999), vol. 8, col. 894-895, Brepolis Medieval Encyclopaedias – Lexikon des Mittelalters Online.

BOEHLER (Jean-Michel), La paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), Strasbourg, 1994.

BRESSAN (Thierry), Serfs et mainmortables en France au XVIIIe siècle, la fin d’un archaïsme seigneurial, Paris, 2007.

LEMARCHAND (Guy), « Thierry Bressan, Serfs et mainmortables en France au XVIIIe siècle, la fin d’un archaïsme seigneurial  », Annales historiques de la Révolution française, n°354, 2008.

Notices connexes

Besthaupt

Coutume

Dinghof

Ehrschatz

Erblehen

Fall

Fondation-Stift

Heimfall

Indemnité

Juveigneurie

Laudème

Mense

Servage

François Igersheim