Médecine

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Du Moyen Age au XVIIe siècle

Primat de la théorie des quatre humeurs et rôle des monastères

Jusqu’au XVIIe siècle au moins, la médecine repose sur la théorie des quatre humeurs formulée la première fois en 410 av. J.-C. par le gendre d’Hippocrate, Polybe. Les « humeurs » sont les liquides du corps, qui pour la médecine antique sont au nombre de quatre : le sang, le flegme ou lymphe, la bile jaune et la bile noire (sécrétée par la rate). Selon cette théorie, il y a santé parfaite quand les humeurs sont dans une juste proportion entre elles. Il y a maladie quand l’une de ces humeurs, en trop petite ou trop grande quantité ou qu’elle s’isole dans le corps au lieu de rester mêlée à toutes les autres. Depuis ce texte et pendant plus de deux millénaires, la très grande majorité des médecins occidentaux étaient fermement convaincus que la maladie est une perturbation générale ou locale des rapports entre les quatre humeurs. Cette théorie se diffuse grâce au relais de Galien, un médecin du IIe siècle de notre ère. Puis, au haut Moyen Âge, ce sont les monastères, les rares lieux où s’exerce encore une activité intellectuelle après l’effondrement de l’Empire romain, qui transmettent le savoir médical hérité de l’Antiquité. Aux premiers siècles du Moyen Âge, la médecine est donc exclusivement exercée par des religieux, qui voyaient dans les soins donnés aux malades une des œuvres de miséricorde. Au chapitre 36 de sa règle, écrite vers 547, saint Benoît évoque les soins à donner aux confrères malades. Au IXe siècle, la bibliothèque du couvent de Murbach comprend des ouvrages de médecine. Le codex écrit vers 1154 par la chanoinesse Guta de Schwarzenthann et illustré par Sintram, chanoine de Marbach, contient un calendrier, agrémenté de prescriptions hygiéniques pour chaque mois. Au XIe siècle, la médecine occidentale s’enrichit des traductions en latin d’œuvres médicales arabes effectuées par Constantin l’Africain, un moine du Mont-Cassin. Mais en 1130, le concile de Clermont défend aux moines et aux chanoines réguliers d’étudier la médecine. Cette défense est souvent réitérée par la suite. Désormais les moines se contenteront de traiter leurs frères malades et de recopier des manuscrits médicaux, car entre-temps, la donne a changé : l’Université est entrée en scène. Progressivement, la médecine échappe aux clercs et la part des laïcs augmente parmi les médecins.

Rôle de l’Université dans l’enseignement de la médecine

À partir du XIIIe siècle, les universités de Paris, Bologne et Montpellier ont un quasi-monopole dans la formation des médecins. C’est à Montpellier que les célèbres médecins bâlois Felix (1536-1614) et Thomas Platter (1574-1628) ont fait leurs études de médecine. Très longtemps, le contenu de l’enseignement est essentiellement formel et théorique, l’intervention de l’observation ou de l’expérience restant tout à fait exceptionnelle. Les écrits d’Aristote, d’Hippocrate et de Galien ont valeur de dogmes. Ils sont lus aux étudiants du haut d’une chaire. Un tel enseignement conduit à se figer dans le passé et à rejeter toute découverte qui est le fruit de l’observation. Au XVIIe siècle encore, Molière critique cet état de fait lorsque le docteur Diafoirus fait l’éloge de son fils, étudiant en médecine : « il s’attache aveuglément aux opinions des Anciens, et jamais il n’a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle touchant la circulation du sang et autres opinions de même farine ». En effet, Harvey (1578-1657) a démontré par l’expérience la double circulation du sang. Comme ni Hippocrate, ni Galien n’en ont parlé, cette découverte se heurte à une vive opposition de la part de tous les tenants de la tradition. La querelle entre circulateurs et anticirculateurs dure presque tout au long du XVIIe siècle.

Progrès de la médecine

Progressivement, la médecine et son enseignement se dégagent du carcan des représentations antiques. En 1527 déjà, lors de sa leçon inaugurale à l’université de Bâle où il a obtenu la chaire de médecine, Paracelse jette au feu les ouvrages d’Avicenne et de Galien – une action qui l’oblige à prendre la fuite. Mais au courant du XVIe siècle, l’anatomie fait de gros progrès, aussi à Strasbourg où des planches représentant un squelette (Skeletbild) ou des viscères (Das grosze Eingeweidebild) sont publiées chez Hans Schott en 1517. Cette même année a lieu à Strasbourg la première dissection sur un corps humain par Wendelin Hock von Brackenau. Gwinter von Andernach, célèbre humaniste et médecin, a également œuvré dans le domaine de l’anatomie. Professeur de médecine à l’Université de Paris (1526-1538) et médecin de la cour de France (1535-1538), il s’établit à Strasbourg en 1544. En 1536, il publie à Bâle les Institutions Anatomiques, un ouvrage destiné aux étudiants en médecine, qui sera réédité de nombreuses fois. Son œuvre a surtout porté sur les muscles, les vaisseaux, les glandes, les membres et leurs extrémités. Il a également publié plusieurs ouvrages sur la peste qui continue à faire des ravages en Alsace, ouvrages dans lesquels il fait preuve d’intuition en ce qui concerne les mécanismes de la contagion. Il prône également des mesures d’hygiène collective et de prophylaxie qui s’avèrent efficaces. Michel Servet (vers 1511-1553) et Vésale (1514- 1564) ont été ses élèves. Ce dernier a révolutionné l’enseignement de l’anatomie en pratiquant lui-même les dissections. Ses travaux, synthétisés dans l’ouvrage De humani corporis fabrica (1543), resteront la référence en la matière pendant près de trois siècles. Gabriele Fallopio (1523-1562) et Fabrizio d’Acquapendente (1533-1619) compléteront l’oeuvre de Vésale, si bien qu’au début du XVIIe siècle, la configuration du corps humain était connue dans ses grandes lignes. Par contre, on n’observe pas d’avancées notoires en physiologie, nosologie, thérapeutique ou encore dans le domaine de l’hygiène.

Les médecins et autres soignants

En Alsace, les renseignements concernant les médecins se font plus nombreux à partir des XIIIe-XIVe siècles. La plupart d’entre eux sont clercs ou chanoines, d’autres laïcs comme le médecin lombard Humbertus établi à Strasbourg en 1187 (SUB I 101 n°122). Lors de l’épidémie de peste de 1349, un « Régime de pestilence » a été composé à Strasbourg, probablement à la demande du Magistrat, par cinq médecins, dont l’un était chanoine de Saint-Thomas, un autre chapelain chez les Pénitentes, un troisième prébendier du Grand Chœur. Ernest Wickersheimer a publié les observations cliniques faites par un médecin à Strasbourg et à Haslach en 1362. Cette relation révèle l’importance, selon les principes hippocratiques, de l’interrogatoire long et minutieux du patient et de son entourage, et de l’observation (du malade, du pouls, des urines, des selles) pour poser non pas un diagnostic, ce qui arrive assez rarement, mais un pronostic. Très souvent, il pronostique la mort ou conclut l’observation d’un cas par l’expression antiquus fuit et mortuus est. Dans ses commentaires, il s’en prend aussi aux non-médecins, vieilles femmes et autres laici, qui ont la prétention de soigner. Cette même animosité à l’égard de ceux qui n’ont pas étudié la médecine se retrouve dans une lettre adressée au Magistrat par le docteur Widmann en 1483, lettre dans laquelle il donne des conseils à la ville pour améliorer la médecine à Strasbourg (Winckelmann II, p. 14). Widmann souhaiterait réserver l’exercice de la médecine aux docteurs, accuse les empiriques – Juifs baptisés, chirurgiens, vieilles femmes et autres idiotes (torechten), itinérants (lantferen), bourreau – de faire beaucoup de mal, et voudrait au moins qu’on leur fasse passer un examen avant de les autoriser à exercer. À cette date, en 1483, la ville de Strasbourg a donc à son service un médecin qui la conseille dans le domaine de l’hygiène publique et de la lutte contre les épidémies, et qui contrôle les pharmaciens et les sages-femmes. Il faudra néanmoins attendre 1515 pour qu’un médecin diplômé soit rattaché au Grand Hôpital de Strasbourg. Son contrat d’engagement donne une idée des tâches qui lui sont dévolues : visiter les malades, inspecter ceux qui sont suspects de lèpre, indiquer au valet ou à ceux qui distillent à l’hôpital à quel moment il faut cueillir les plantes, fleurs ou racines et comment les conserver, donner des conseils au chirurgien de l’hôpital en ce qui concerne les malades, lui indiquer comment et quand il devra saigner, poser des ventouses ou des sangsues.

Les sources médiévales alsaciennes évoquent des artzotinnen, des femmes exerçant la médecine sans grade universitaire. Les compétences de certaines d’entre elles sont reconnues, par exemple dans le soin de la syphilis, mais c’est sans doute elles que le docteur Widmann considère comme torecht.

À l’époque médiévale et moderne, le médecin vit et exerce en ville. Il est néanmoins susceptible de se rendre à la campagne pour soigner. Felix Platter (1536-1614), médecin engagé par la ville de Bâle, a été appelé plus de 700 fois à l’extérieur de la ville pour assister des malades. En 1574, Gwinter von Andernach n’hésite pas à quitter Strasbourg où il exerce la médecine pour se rendre au chevet de son ami, le baron Lazarus von Schwendi, tombé gravement malade dans son château de Kientzheim. Au fil du temps, le nombre de médecins augmente sensiblement. Pour Strasbourg, le docteur Wolf en a répertorié 64 au XVIe siècle. En effet, à partir de 1545, Sebald Hawenreuter enseigne la médecine au Gymnase de Strasbourg fondé en 1538. En 1549, Gwinter von Andernach lui succède. À partir de 1585, l’Académie de Strasbourg, fondée en 1566, dispense aussi des cours de médecine. Sebald Hawenreuter y a enseigné, de même que Melchior Sebiz père. Tous deux occupaient également la charge de Stadtphysicus (médecin de la ville). Lors de la fondation de l’Université de Strasbourg en 1621, Melchior Sebiz est nommé doyen de la Faculté de médecine. À Paris, il avait été l’élève de Paré, à Lyon celui de Joubert et avait soutenu sa thèse à Valence. Ses descendants s’illustreront également dans le domaine de la médecine. Johann Albrecht, son petit-fils, est considéré comme le fondateur de l’amphithéâtre de médecine dans la chapelle Saint-Erhard attenante à l’hôpital de Strasbourg.

La médecine au XVIIIe siècle

Au cours de ce siècle, la médecine, considérée comme une science, poursuit son développement, tout en incluant des permanences héritées des siècles précédents. Ainsi, la recherche des causes de la maladie repose toujours sur la théorie des humeurs dont le déséquilibre provoque des maux. La mire des urines continue d’être pratiquée mais s’affine dans son analyse (Helvetius, p. 10 sq). Des saignées sont effectuées, malgré leur recul au cours de la seconde moitié du siècle, car accusées « de relâcher et d’affaiblir les muscles » (De La Roche, I, p. 21). En 1782, L. S. Mercier affirme : « On saigne beaucoup moins, il n’y a plus que les vieux chirurgiens qui soumettent le bon peuple à cette dangereuse évacuation » (Mercier, p. 90). Au XVIIe siècle déjà, le médecin anglais Thomas Sydenham (1624- 1689) recommandait les purgatifs et la diète plutôt que les saignées (Bariéty et Coury, p.  542-544). Ordonnées par les médecins, elles sont opérées par un chirurgien, seul habilité à y procéder. Les médicaments prescrits par les médecins sont préparés par un apothicaire. Ainsi, les attributions des uns et des autres sont clairement définies. La pharmacopée, issue de la connaissance des propriétés et des vertus des plantes, des minéraux et des produits d’origine animale, ainsi que des qualités curatives de la chimie (dont le sel polychreste de Seignette ; Caudron) qui s’était introduite peu à peu, est, dans les grandes lignes, la même qu’auparavant, mais bénéficie des recherches des botanistes. Dans le même temps, des voix s’élèvent contre ce qui est considéré comme des « superstitions ». Par exemple, l’efficacité des pierres précieuses médicinales ou des perles dans la pharmacopée est de plus en plus contestée. G. H. Behr, médecin strasbourgeois, précise, en 1748, que le grenat soigne la gonorrhée et la leucorrhée mais que le saphir ne préserve pas la chasteté et que les perles ne sont d’aucune utilité ni pour les parturientes ni pour le cœur (Behr, p. 260, 318 et 348).

Les médecins sont gradués d’une université, en dépit du caractère vaguant de leurs études ; étudiants, ils sont nombreux à s’inscrire successivement dans l’une ou l’autre université, puis à passer leur doctorat dans une université choisie (Basset, p.  84). À ces médecins patentés dont certains exercent dans des hôpitaux, s’ajoutent des officiers de santé, sortes de médecins au rabais autorisés à pratiquer sans avoir le grade de docteur (cette faculté sera supprimée en 1892). Dans les campagnes surtout, qui connaissent ce que l’on appellerait aujourd’hui un « vide médical », et même si les médecins « de ville » s’y déplacent, la population a recours au bourreau, ou à sa femme, la bourrette, ses prestations étant moins coûteuses que celles d’un médecin. Le bourreau disposait de connaissances médicales et du corps humain – eu égard aux supplices physiques qu’il infligeait aux condamnés –, réduisait des fractures, préparait des poudres, des onguents, dont la graisse humaine axungia humanae, destinée à « oindre les membres paralysés, la goutte, la gale, la gangrène sèche, les rages de dents, etc. » (Bachhoffner, p. 139-150). L’ostracisme dont les bourreaux et leur famille étaient frappés s’atténue au fil des décennies, les fils de certains effectuant à présent des études de médecine dans une faculté et obtenant leur doctorat (Debus Kehr, Moi, Jean Joseph Reisser, p. 159-163). Les sages-femmes sont mieux formées, d’une part, par la diffusion d’ouvrages sur l’accouchement (Le Boursier du Coudray ; G.-M. de la Motte ; J.-G. Scheid ; J.-L. Baudeloque), d’autre part, par les écoles de sages-femmes où sont dispensées des cours d’obstétrique, d’anatomie, de dissection, etc. L’école de Strasbourg, ouverte en 1728, est renommée à partir de 1737. Les sages-femmes sont par ailleurs placées sous la dépendance d’un medicus obstetricans et leur activité est contrôlée (Lefftz ; Gelis ; Debus Kehr, p. 131 sq).

Ces avancées sont complétées par des nouveautés dans divers domaines. Elles interagissent entre elles pour accroître tant les connaissances du corps humain et son fonctionnement (anatomie et physiologie) que pour améliorer le diagnostic et les soins à apporter aux malades. Ainsi, le matériel médical bénéficie de progrès, comme les forceps courbes qui épousent la voûte pelvienne et facilitent la naissance des enfants mal placés (Levret, 1703-1780) ou l’amélioration du microscope par le Néerlandais A. van Leeuwenhoek (1632-1723), qui permet d’observer de très petits organismes, comme les spermatozoïdes. Cette avancée constitue le premier pas vers la biologie cellulaire et la microbiologie.

Les botanistes, qui répertorient, classent et recherchent les propriétés médicinales des plantes, enrichissent l’arsenal de la pharmacopée. Par exemple, Jean-Baptiste Monet de Lamark, dans son Encyclopédie méthodique botanique, en 1783, décrit, entre autres, les propriétés de la scille : « Cette substance, prise intérieurement, aiguillonne, irrite et agace les parties solides, dont la contraction est augmentée par ce moyen ; ce qui accélère la circulation des fluides, dissipe les stases, excite les sécrétions et les excrétions, &c ; elle produit d’excellents effets dans les affections glaireuses et catarrhales de la poitrine, dans les maladies comateuses, l’apoplexie séreuse, l’asthme humide, l’hydropisie, les obstructions invétérées, & enfin dans toutes les maladies qui reconnaissent pour cause le relâchement et l’atonie des fibres ». Les fibres sont en effet une dimension de la recherche médicale depuis le début du siècle, qui leur attribue une attention accrue. En 1700, le médecin italien Giorgio Baglivi (1668-1707, professeur de médecine à l’université La Sapienza à Rome) avait publié son Specimen quatuor librorum de fibra motrice et morbosa. Il y expose que la majorité des phénomènes physiologiques et pathologiques peuvent s’expliquer par la structure et les mouvements des parties solides du corps humain, dont la fibre constitue l’unité élémentaire (fibres carnées, motrices, contractiles, qui composent la masse musculaire et sont liées au cœur et au flux sanguin, et fibres membraneuses constituant les vaisseaux, les viscères et les tendons, qui transportent la sensibilité et sont animées par la dure-mère). La plupart des actions vitales sont ainsi attribuées aux fibres, les maladies aiguës étant dues à un excès de tonus des fibres et les maladies chroniques à leur relâchement (Mazzolini). Baglivi bouleverse ainsi l’ancienne conception de la constitution de l’être humain, en en proposant une conception matérielle, renonçant ainsi à la doctrine des quatre humeurs. À partir de 1747, l’électrisation de corps paralysés destinée à leur redonner la mobilité accentue l’attention portée à la fibre corporelle, qui devint « l’unité anatomique minimale, le premier fragment dont se composent les parties du corps ». L’Encyclopédie de Diderot se fait l’écho de ces résultats par des planches fibrillaires qui évincent les représentations traditionnelles des corps faites surtout de poches et de cavités retenant les humeurs, et leurs qualités, qui déterminaient les caractères (bilieux, flegmatiques, sanguins ou mélancoliques). Même s’ils ne disparaissent pas complètement, les anciens dogmes d’Hippocrate et de Galien s’éloignent.

Par ailleurs, une attention nouvelle est portée au système nerveux, dont la dégradation des fonctions provoque des maladies, que certains médecins voient toutes comme nerveuses (D. de La Roche, I, p. 13). Cependant, l’attention des médecins chercheurs se porte aussi sur l’importance de l’âme dans la santé. Georges Stahl, médecin allemand (1660-1734), par exemple, dont la doctrine est l’animisme, estime que le corps est passif, les fonctions vitales ne s’expliquant pas seulement par les lois physiques et chimiques mais par l’âme qui en est le principe. Il s’oppose ainsi à deux courants, l'iatrochimie et l’iatromécanisme, la première se réclamant d’un système médical qui considère que tout est chimie, la seconde ramenant tous les phénomènes vitaux – et la thérapeutique – à des actions mécaniques. Les travaux novateurs sont portés à la connaissance du monde médical dans d’innombrables ouvrages, et des articles paraissent dans des publications spécialisées comme la Bibliothèque médicale, ou recueil périodique d’Extraits des meilleurs Ouvrages de Médecine et de chirurgie, ou le Journal de médecine, chirurgie, pharmacie, etc. Cette littérature spécialisée figure dans la bibliothèque de tout médecin et témoigne du bouillonnement que connaît la médecine.

Par ailleurs, la Société royale de Médecine, par un arrêt du Conseil d’État du 26 avril 1776, avait créé « une commission de Médecine à Paris pour tenir une correspondance avec les médecins de province pour tout ce qui peut être relatif aux maladies épidémiques et épizootiques ». Le secrétaire général de la Société était Félix Vicq d’Azir, spécialiste de l’anatomie, en particulier du cerveau, auteur de l’article sur l’anatomie pathologique dans l’Encyclopédie.

Se mirent ainsi en place des enquêtes de grande ampleur, dans le but de « rompre l’isolement des médecins de province en leur fournissant des listes de signes cliniques, de diagnostics, de types de médicamentation susceptibles d’arrêter épidémies et épizooties. Et pour cela, établir une correspondance étroitement suivie entre les médecins de province et les 7 correspondants nommés à cet effet […], de manière à enrayer les épidémies dès leur apparition. Ensuite, en cette époque où les progrès de la médecine n’ont jamais été si rapides, réunir en un corps de doctrine les observations des confrères de province ». Le but était de mettre en parallèle saisons et épidémies, de recenser les particularités géographiques en vue d’établir une carte des pathologies et d’étudier le lien entre épidémies et couches sociales par le biais d’un programme double : médecine pratique ou d’observation et enquête sur les épidémies (Desaive et alii). Parmi les quelque cent cinquante médecins qui participèrent à ce programme figure une trentaine d’Alsaciens, dont, principalement, le professeur Spielmann de Strasbourg, les docteurs Keller de Haguenau, Meyer de Mulhouse et Wanner d’Obernai (Borel).

L’accent est mis ici sur « la médecine pratique ou d’observation », soit l’inverse de la médecine théorique qui s’appuie sur un savoir livresque, comme l’Ars parva de Galien (introduction aux études médicales), les ouvrages de physiologie et de pathologie de la médecine antique, les Aphorismes d’Hippocrate sur la nature humaine et l’art médical, etc. L’observation consiste non seulement à s’attacher aux signes, symptômes d’une maladie, mais encore à examiner un malade en prenant en considération sa complexion, son tempérament, ses antécédents médicaux, son mode de vie, son alimentation, ses émotions et ainsi de suite, puis de mettre en relation ses maux avec ces données pour détecter l’origine probable d’un déséquilibre, source de maladie. Ainsi, le médecin se doit d’être proche du malade et se référer ensuite à son expérience, car « aucun livre n’est plus utile au médecin que l’expérience acquise au chevet du malade » (Mazzolini, p. 93-115). La palpation du pouls, la mire des urines peuvent compléter un examen et fonder une médication susceptible d’obtenir la guérison. Certaines affections relèvent davantage d’un déséquilibre nerveux, en particulier chez des femmes, atteintes de convulsions hystériques à la suite de fortes émotions. L’on assiste à la timide introduction d’une médecine de genre, dans laquelle les bains et un régime alimentaire doux sont privilégiés.

En 1621, la création de la faculté de médecine strasbourgeoise voit le renouvellement des statuts de 1604 de l’ancienne Académie. Cette dernière comprenait une chaire de medicina theorica, consacrée aux ouvrages pédagogiques, de physiologie et de pathologie de la médecine antique, et une autre de medicina practica, qui enseignait des matières comme le diagnostic et la thérapie. S’y ajoute à présent l’étude des signes et des symptômes (sémiotique). Une troisième chaire est créée en 1652, destinée à l’enseignement de l’anatomie et de la botanique. En hiver avait lieu une dissection, en été étaient étudiées les plantes et leurs propriétés pharmacologiques. Les cours magistraux étaient dispensés en latin, les cours privés (au domicile d’un professeur, payants), en latin, français ou allemand. Au XVIIIe siècle, l’enseignement n’est plus fondé sur les écrits d’Hippocrate et de Galien, mais sur des expérimentateurs, comme Harvey (anatomiste et physiologiste, père de la circulation sanguine) ou Albrecht von Haller (1708-1777), sur les travaux des observateurs comme Malpighi (père de l’histologie) ou de Leeuwenhoek (père de la biologie cellulaire et de la microbiologie), de Georg Stahl (voir ci-dessus) ou de Thomas Sydenham (voir ci-dessus) ou encore de Hermann Boerhaave (1668-1738), qui fait la synthèse entre les méthodes hippocratiques, l’iatromécanisme, l'iatrochimie et l’enseignement clinique. En 1738, la médecine pratique s’intensifie par un enseignement au lit du malade et, en  1756, est créée la première chaire de clinique (Histoire de la médecine à Strasbourg).

À l’Hôpital militaire, créé par Vauban au début du siècle mais dont le fonctionnement sera intermittent jusqu’en 1742, un enseignement pratique est dispensé et appliqué dans les salles des malades et des dissections ont lieu, plus fréquentes et moins coûteuses qu’à la faculté de médecine (p. 146-148). À ce titre, il devient l’un des trois Hôpitaux-amphithéâtres (avec Lille et Metz). Leur nom change en 1788 pour devenir Hôpitaux auxiliaires.

Le nombre de médecins allait de 25 à 35 pour une population estimée de 30 000 à 45 000 habitants. Parmi eux émergent des praticiens renommés, dont certains enseignaient à la faculté, par exemple Georges-Henri Behr, Philippe Nenter, Francois-Balthazar von Lindern, Jean Salzmann ou Jean-Jacques Sachs.

Malgré une évolution lente, le regard porté sur le malade et la maladie change au cours du XVIIIe siècle, le mouvement des Lumières se propageant aussi dans le domaine médical. La maladie n’est plus considérée comme une punition divine ou comme l’expression d’une destinée subie par le malade. La médecine et les médicaments se dégagent graduellement de la pression religieuse et affermissent leur rôle salvateur au détriment des intercessions de saints protecteurs, même si, cela a été dit, les mentalités ne changent pas rapidement. Le médecin caricaturé par Molière cède la place à des hommes de sciences investis dans la recherche, l’enseignement et les soins.

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BACHHOFFNER (Pierre), « Bourreaux, pharmacie et chirurgie : un problème de santé publique en Alsace du XVe au XIXe siècle  », RA, 119, 1993, p. 139-150. Voir aussi : NOWOSADTKO (Jutta), Scharfrichter und Abdecker. Der Alltag zweier „unehrlicher Berufe“ in der Frühen Neuzeit, Paderborn, 1994 ; WILBERTZ (Gisela), « Scharfrichter, Medizin und Strafvollzug in der Frühen Neuzeit », Zeitschrift für Historische Forschung, 26, 1999, p. 515-555.

SOURNIA (Jean-Charles), Histoire de la médecine, Paris, 1992, rééd. en 1997.

Histoire de la médecine à Strasbourg, ouvrage collectif publié par la Faculté de médecine de Strasbourg sous la présidence du doyen honoraire Jean-Marie MANTZ, Strasbourg, 1997.

MAZZOLINI (Renato), « Les lumières de la raison : des systèmes médicaux à l’organologie naturaliste », GRMEK (Mirko D.) et FANTINI (Bernardino),Histoire de la pensée médicale en Occident, 2. De la Renaissance aux Lumières, Paris, 1997, p. 93-115 (ici, p. 98-99).

VIGARELLO (Georges), Histoire des pratiques de santé. Le sain et le malsain depuis le Moyen Âge, Paris, 1999.

BOREL (Philippe), « Un médecin des Lumières : le Docteur Jean-Baptiste Keller de Haguenau, correspondant de la Société royale de Médecine (1705-1793) », Chantiers historiques en Alsace, n°4, 2001, p. 101-107.

CAUDRON (Olivier), « Découverte scientifique et succès commercial sous l’Ancien Régime : le « sel de Seignette » ou « sel de La Rochelle », Revue de la Saintonge et de l’Aunis, tome XXXVIII - 2012, La Rochelle, p. 35-47. Voir aussi : DEBUS KEHR (Monique), « Les prescriptions de sel polychreste de Seignette par un médecin alsacien au début du XIXe siècle », Revue de la Saintonge et de l’Aunis, tome XLIV, 2018-2019, p. 205-217.

DEBUS KEHR (Monique), Moi, Jean Joseph Reisser, docteur en médecine à Thann. 1750-1816. Savoir et pratique. Étude critique d’un manuscrit, Strasbourg, 2019.

Élisabeth Clementz, Monique Debus-Kehr