Louveterie

De DHIALSACE
Révision datée du 8 janvier 2021 à 22:05 par Mfrison (discussion | contributions)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Aller à : navigation, rechercher

Dans le royaume de France, la lutte contre les prédateurs relève d’une administration centralisée et hiérarchisée, héritière d’une tradition remontant aux Carolingiens. La création de la louveterie chargée d’éradiquer les loups est attribuée à une décision de Charlemagne dans un capitulaire de 813 qui institue des luparii pour lutter contre ce prédateur. La louveterie disparaît avec la fin de l’empire carolingien même si les ravages du loup ne cessent pas dans la vallée du Rhin. Les chroniques médiévales rapportent de nombreuses attaques de loups en particulier à l’encontre d’enfants comme à Uffholtz en 1271 ou à Wattwiller l’année suivante (Pfeiffer p. 66).

Après une éclipse de quelques siècles, l’institution de la louveterie réapparaît au XIVe siècle dans le royaume de France. Les officiers de la louveterie disposent d’un droit de « prise de loup » qui leur permet de réclamer aux habitants deux deniers par loup et quatre par louve dans un rayon de deux lieues autour de l’endroit où les prises ont été effectuées. Au cours de la guerre de Cent Ans, alors que les loups se sont multipliés, le roi Charles VI libéralise le droit de chasse en 1413 en permettant aux paysans de détruire les loups sur leurs terres pour suppléer les louvetiers décriés par les populations rurales pour leur inefficacité et le prélèvement d’une taxe impopulaire. François Ier officialise cette administration qui est dirigée par un grand louvetier assisté d’officiers, les lieutenants de louveterie, et de sergents de louveterie. Un édit de janvier 1583 signé par Henri III confie aux officiers des Eaux_et_Forêts le soin d’organiser trois fois par an des battues aux loups. Le rôle de l’administration forestière dans la destruction des nuisibles se renforce encore à la fin du XVIe siècle. L’existence de deux corps chargés de la destruction des loups, et plus généralement des nuisibles, ne manque pas de créer des tensions entre les forestiers et les louvetiers.

En Alsace, pour éradiquer les loups d’un finage, toute la population est appelée à s’unir. Le loup cristallise les peurs et fédère les hommes pour la préservation de leurs biens. On construit des palissades et l’on creuse des louvières, des fosses à loups (Wolfsgrube) à la périphérie du village. Dans le Ried en 1505, la Wolfsbund fédère quarante villages de Kunheim à Gertsheim. Les communautés rémunèrent les chasseurs de loups. En 1514, à Colmar, le Magistrat ordonne une battue spéciale aux loups dans le Niederwald ; chaque loup tué procure une prime d’un schilling pour un loup adulte et six pfennigs pour un louveteau. Dans les années 1520, les villages autour de Benfeld se regroupent pour lutter contre les incursions de loups. Chaque sujet est tenu d’entretenir les fossés, d’assurer la garde du troupeau et la protection des palissades en bois. En 1522, des villages comme Roppenheim et Dalhunden érigent des palissades (Pfeiffer p. 67). Si le droit de chasse est progressivement accaparé pour la noblesse au XVIe siècle, de notables exceptions sont mentionnées dans les coutumes. Ainsi, les coutumes du Val d’Orbey dans leur version de 1564 autorisent les sujets à chasser les loups et à conserver leur dépouille (Bonvalot, p. 14).

Sous l’Ancien Régime, la louveterie s’entend comme le service de la maison du roi en charge de la destruction des nuisibles et à la tête duquel se trouve le grand louvetier de France. Ce droit de chasse au loup peut être considéré comme un monopole puisque le roi interdit à toute autre personne, de quelque état et condition, de s’y ingérer en-dehors des forestiers royaux et des seigneurs hauts justiciers dans l’étendue de leurs terres. Selon la réglementation en usage, les officiers de louveterie doivent enregistrer leurs provisions ou commissions au greffe de la Maîtrise des Eaux et Forêts où ils exercent.

La louveterie n’est pas introduite en Alsace après le rattachement de cette province au royaume de France. D’une part, la monarchie française ne semble pas avoir eu l’intention de l’étendre à l’Alsace, peut-être pour ne pas froisser les susceptibilités des seigneurs alsaciens. D’autre part, l’implantation des Maîtrises des Eaux et Forêts qui agréent les louvetiers, se heurte à bien des hostilités et se limite finalement aux deux forêts royales de la Hardt et de Haguenau. Enfin, il n’est pas exclu que l’organisation de la lutte contre les nuisibles par les seigneurs territoriaux donne des résultats qui satisfont les populations et les autorités locales (Pfeiffer, p. 69-96). Dans le monde germanique, en Alsace, en Bade et dans le Jura suisse, les seigneurs s’y emploient personnellement ou désignent des gardes-chasse appelés « Jäger », chasseurs, pour éliminer les espèces nuisibles comme le loup. Il s’agit d’un service public à l’échelon de la seigneurie. L’autorité locale se charge d’assurer la sécurité des personnes et de leurs biens (troupeaux, cultures) contre les attaques et les dégradations qui pourraient être commises par la faune. Les autorités s’inquiètent de l’éventuelle prolifération des espèces classées comme nuisibles, non seulement à cause des dommages agricoles, mais aussi parce qu’elles peuvent avoir un impact négatif sur l’abondance du gibier dans leur seigneurie. Les seigneuries laïques ou ecclésiastiques tiennent une comptabilité de ces types de captures (AHR E 258 autorisation de tirer les fauves par les gardes au XVIIIe siècle dans le comté de Horbourg). En 1780, la seigneurie de Ribeaupierre décide même la construction d’une cabane pour protéger du froid ses chasseurs de loups dans la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines (AHR E 693). En cas de nécessité ou à la suite de plaintes des sujets, les autorités seigneuriales organisent des battues pour venir à bout des animaux nuisibles qui dévastent les cultures ou effraient les hommes et les troupeaux. Des traques aux loups sont organisées aux XVIIe et XVIIIe siècles dans la vallée du Rhin, par exemple dans la forêt de l’Ill par la ville de Sélestat en accord avec la chancellerie de Ribeaupierre à la suite des attaques de bétail (AHR E 1170). De même, il n’existe aucune administration comparable à la louveterie française sur la rive droite du Rhin ou dans la principauté épiscopale de Bâle. Dans le royaume de France, la louveterie fort décriée pour les excès et l’incurie de certains lieutenants, est officiellement abolie par ordonnance royale du 9 août 1787, sous prétexte d’économie.

L’institution renaît en 1804 sous le Premier Empire, notamment à cause de la recrudescence de loups dans le pays. La louveterie est donc officiellement introduite dans les deux départements alsaciens. Par le décret du 8 fructidor an XII (26 juin 1804). Napoléon recrée le service de la louveterie, mais sans restaurer la charge de grand louvetier. Les fonctions de capitaine et de lieutenant de louveterie deviennent des commissions honorifiques bénévoles et contraignantes qui ne peuvent être assumées que par des notables fortunés, à raison d’un officier par arrondissement. L’ordonnance du 15 août 1814 spécifie les règles de la louveterie. Les lieutenants de louveterie doivent entretenir à leurs frais un équipage composé au moins d’un piqueur, de deux valets de limiers, d’un valet de chiens, de dix chiens courants et de quatre chiens limiers. Comme la chasse au loup ne leur fournit pas toujours l’occasion de tenir les chiens en haleine, ils ont le droit de chasser à courre le chevreuil, le lièvre et le sanglier deux fois par mois dans les forêts impériales de leur arrondissement. Ces officiers rédigent un rapport trimestriel sur leurs résultats. Les fonctions de lieutenant de louveterie sont réexaminées tous les ans : s’ils ne peuvent pas justifier de la destruction de loups, ils sont démis. Le ministre de l’Intérieur nomme les lieutenants de louveterie sur proposition du préfet qui désigne des notables passionnés de chasse comme Godefroy de Waldner ou Conrad Joseph d’Anthès, Mathieu Koechlin à Masevaux, le comte de Reinach-Foussemagne à Altkirch, Jean-Jacques Zurcher ou Samuel Koechlin pour Belfort. En Alsace, les lieutenants de louveterie constituent un corps stable, globalement reconduit jusqu’en 1870 malgré les changements politiques (AHR 10 M 52 et 1 N 6, ABR 2 M 2 et 7 M 21).

Bibliographie

BONVALOT (Édouard), Les Coutumes du Val d’Orbey, Paris, 1864.

MORICEAU (Jean-Marc), Histoire du méchant loup. 3000 attaques sur l’homme en France (XVe -XXe siècle), Paris, 2007.

TITEUX (Gilbert), JEHIN (Philippe), Livre d’or de la chasse en Alsace, Strasbourg, 2008, p. 156-163.

PFEIFFER (Thomas), Alsace, le retour du loup, Strasbourg, 2011.

MORICEAU (Jean-Marc), L’Homme contre le loup. Une guerre de deux mille ans, 2011.

Notice connexe

Chasse

Philippe Jéhin