Lorraine (duchés et évêchés)

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La Lorraine, duchés et évêchés : un aperçu (843-1789)

L’espace lorrain tire son nom de l’ancienne Lotharingie (pays dévolus à l’empereur Lothaire entre la Gaule – Francia occidentalis – de Charles le Chauve et la Germanie – Francia orientalis de Louis le Germanique, d’où le nom Lotharingia, Lothringen), née lors du partage de Verdun en 843. Dans ses dimensions actuelles, il correspond aux départements des Vosges, de la Meurthe et Moselle, de la Moselle et de la Meuse et à un ensemble géographique limité par l’Argonne et la Meuse à l’ouest, les Vosges à l’est, les Ardennes au nord et le plateau de Langres au sud. Sa limite occidentale correspond à la frontière de la France et à celle reconnue comme telle à la fin du XIIIe siècle, du Saint-Empire.

La Lorraine entre la France et le Saint-Empire romain

La Lorraine fait partie du Saint-Empire, mais est en majorité de langue romane. Elle est en contact avec la Bourgogne et la principauté de Liège, mais aussi avec la Champagne, la Picardie. L’influence du Royaume de France s’y fait de plus en plus sentir. Les nouveaux ordres monastiques implantés en Lorraine viennent de France. La noblesse lorraine dispose de fiefs dans le Royaume comme en Empire, et doit l’hommage au Roi tout comme à l’Empereur.

À partir du XIIIe siècle, institutions et traditions françaises y pénètrent et le cadre impérial se relâche. Lorraine occidentale, Toul, Verdun et Bar entrent dans l’orbite française et en  1346, les contingents lorrains, barrois et verdunois prennent part dans l’ost du Roi de France, à la bataille de Crécy (1346).

La Lorraine est la proie de tous les conflits : guerre franco-anglaise, schismes de l’Église et de l’Empire, luttes entre les maisons de France et de Bourgogne.

L’Empereur Charles IV de Luxembourg confère aux villes de Toul et Verdun le statut de villes impériales et se les attache. Il tient deux diètes d’Empire à Metz en 1354 puis en 1357, au cours de laquelle il promulgue la Bulle d’Or (voir : Empire).

Les ducs de Bar et de Lorraine sont bien engagés dans les affaires du royaume de France et assistent au sacre des rois Charles V et Charles VI. Mais ils sont tout aussi engagés dans les affaires de l’Empire où en 1437, les Habsbourg, succèdent aux Luxembourg.

Le duché de Lorraine

Fondée par Gérard d’Alsace, comte de Metz au milieu du Xe siècle, la dynastie ducale connue sous le nom de « Maison d’Alsace » s’éteint en ligne masculine avec le duc Charles II en 1431 mais se poursuit à travers la Maison d’Anjou, suite au mariage de sa fille Isabelle avec René Ier (« le roi René »), duc de Lorraine et de Bar en 1420, roi de Naples en 1434. Théâtre des rivalités entre la France et la Bourgogne, la tentative d’annexion de la Lorraine par Charles le Téméraire (1473-1477) se solde par une consolidation durable en la personne de René II (1473- 1508) puis de son fils Antoine (1508-1544). Par le traité de Nuremberg entre Charles Quint, la Ligue de Smalkalde et le duc de Lorraine (1542), la Lorraine se voit reconnaître un statut particulier au sein du Saint-Empire : duché libre et non incorporable (ein frei uneingezogen Fürstenthum), simple protégé de l’Empire, elle ne relève plus de la compétence du Reichskammergericht. René II et ses successeurs, Antoine, duc de Loraine et de Bar (1508-1544), François (1544-1545) et Charles III (1545-1608) règnent sur « le siècle d’Or de la Lorraine ». Ils font de Nancy leur capitale où s’étend l’influence française, y compris dans la littérature et l’art.

Le territoire du duché

Le territoire s’articule en trois grands bailliages : la Vôge, au sud et à l’ouest (Mirecourt), le bailliage de Nancy, dit bailliage français et le bailliage d’Allemagne ou Deutsches Bellistum de langue allemande francique). Au sud, il confine à la Franche-Comté, dans des limites incertaines (« les terres de surséance ») ; à l’est, il comprend la rive gauche de la Lièpvrette, le bourg de Saint-Hippolyte et un quart de la marche de Marmoutier.

L’administration ducale

Les ducs modernisent l’administration ducale. La noblesse ancienne siège aux Assises (de Nancy, des Vosges et du bailliage d’Allemagne). Mais les maîtres du jeu sont les États généraux, composées des trois États (Noblesse, Clergé, villes), dominée par la noblesse, qui doit donner son accord à toute levée d’impôt. Antoine les convoque à dix-sept reprises, Charles III au moins quarante deux fois.

L’administration est exercée par les baillis et les bailliages sont composés de prévôtés, et celles-ci de communautés. La justice est rendue par les tribunaux des seigneurs mais l’appel est porté devant des juridictions d’appel, dénommées buffets (comme ceux de Vaudémont, Remiremont, Saint-Dié, Haroué, Vannes-le-Château, à Villacourt, à Beaufremont) et « Grands jours ». Le duc y nomme des juristes professionnels, qui imposent un appel concurrent.

Le duché de Bar et les Trois-Évêchés

Dans le duché de Bar, à l’instar de ceux des bailliages français voisins (Chaumont, Sens), les juristes procèdent à la rédaction des coutumes du duché (Bassigny, rédigée et homologuée en 1582 par les états assemblés et Saint Mihiel, rédigée et corrigée dans une assemblée des États 1571, homologuée en 1598). Ils se heurtent à la monarchie française, qui impose au duc de Bar la reconnaissance de l’appel devant le Parlement de Paris pour les territoires lorrains à l’ouest de la Meuse, les bailliages de Bar-le-Duc et de Lamarche, dits le Barrois mouvant ou la mouvance (1539). La campagne du Roi de France Henri II, appelé par les princes protestants dressés contre Charles Quint, aboutit à l’annexion de fait des Trois Évêchés, dont les villes sont pourvues de garnisons et d’une administration françaises (1552).

La coutume de Lorraine

Les tribunaux lorrains appliquent cependant la coutume générale de Lorraine, dont la rédaction est vérifiée par une Assemblée des Etats des trois bailliages des Vôges, de Nancy et d’Allemagne en 1594 et homologuée par ordonnance ducale en 1599. Désormais, sauf coutumes locales reconnues – dont Épinal qui passe de l’évêché de Metz au duché de Lorraine, La Bresse, le Val de Lièpvre, etc. – on applique les dispositions de la coutume générale de Lorraine (voir : Coutume [coutumiers territoriaux, coutumier du Val de Lièpvre, de la Marche de Marmoutier]). La Lorraine applique le code pénal de Charles Quint, la Caroline. La création à Pont-à-Mousson d’une Université (1572) dotée en 1576, d’une chaire de droit coutumier, fournit aux ducs de Lorraine, le personnel d’officiers lorrains qui composent son administration (voir : Avocats, Gelehrte-gradués, gradués des universités du royaume, Jésuites).

Les intendances françaises : 1633-1663 et 1670-1697

À l’appel des États protestants et de la Suède, l’intervention française de 1631 opère la mainmise française sur l’ensemble de la Lorraine.

Les Trois-Évêchés en sont soustraits à partir de 1648 et le Parlement de Metz crée en 1633 déjà, devient une instance d’appel du conseil provincial d’Alsace de 1661 à 1679 (voir :  Droit de l’Alsace, Interprète, Justice et Institutions judiciaires dans la province d’Alsace 1657-1789).

Le duc Charles IV, allié à l’Empereur puis aux Espagnols ne recouvre son duché que par le traité de Vincennes de 1661, moyennant la cession de la route de France, de Metz à Sarrebourg et Phalsbourg. Mais Charles IV est trop indocile et la France occupe à nouveau le duché de 1670 à 1697.

Un gouverneur et un intendant l’administrent ; le Parlement de Metz y étend sa compétence. Une chambre spéciale de ce Parlement procède à partir de 1679 en vertu de la souveraineté royale, aux « dénombrements … des biens et droits des vassaux des trois évêques, qui doivent foi et hommage », faute de quoi les biens sont réunis au domaine épiscopal. L’administration royale s’étend sur l’ensemble des évêchés et des duchés. Ils sont ruinés : châteaux démantelés, villes incendiées, villages désertés, économie désorganisée. La noblesse lorraine est divisée, les uns servant le roi de France, d’autres restant fidèles à l’Empire, églises paroissiales et abbayes sont désertées faute de relève cléricale. Les apports venus de France, d’officiers dans les garnisons et les Parlements y pourvoient en partie. À Metz, le collège de jésuites fondé en 1642, concurrence celui de Pont-à-Mousson, où l’Université est dotée d’une chaire de droit français. À partir de 1657, à Toul, 1661 à Metz, 1678 à Verdun, la fondation des séminaires permet une reprise du recrutement d’un clergé bien proche du jansénisme, et les visites pastorales assurées par des évêques désormais résidents permettent l’encadrement d’une vie paroissiale plus active (voir : Liturgie, Règlements, Rituale_metense). Mais elle se traduit aussi par l’offensive contre le calvinisme messin qui représentait 30% de la population en 1630 et 21% en 1685. Les protestants messins pensaient pouvoir échapper à la révocation de l’édit de Nantes, comme les luthériens alsaciens : le Parlement de Metz l’enregistre en octobre  1685 : les temples sont démolis, pasteurs et fidèles émigrent, une partie accepte de se convertir. L’économie messine est durement touchée par l’exode des huguenots, nombreux dans la banque, le négoce et les métiers. L’accroissement de la communauté juive par l’arrivée de réfugiés du Palatinat ne compense pas cette perte (voir : Jude,_juif : Nation juive d’Alsace, juifs de la généralité de Metz).

Paradoxalement cet affaiblissement du pôle évêchois resté à la France renforce le pôle ducal rendu aux ducs. Charles V (1643-1690), neveu de Charles IV est « le duc sans duché » : général au service des Habsbourg, il a épousé une archiduchesse, dont il a un fils, Léopold, élevé à Vienne. Le traité de Ryswick (1697) le rétablit dans ses duchés.

Le duc Léopold (1679-1729), réorganise le gouvernement et l’administration ducales sur le modèle absolutiste : conseil d’état, secrétaires d’État, Cour souveraine de Nancy et Chambre des comptes à Nancy et Bar ; il crée une maréchaussée de Lorraine ; il arrête une nouvelle carte judiciaire et administrative. Le siège du bailliage d’Allemagne est fixé à Sarreguemines (également prévôté), qui comprend les prévôtés et offices de Bouzonville, Insming (prévôté), Dieuze (prévôté), Saint-Avold, Bitche, Bouquenom, Saarverden, Boulay, Siersberg, Schombourg, Sarralbe, Morhange (comté), Sareick (terre de), Lixheim (prévôté), Fénétrange (seigneurie). Au bailliage de Nancy avec 12 prévôtés est soustrait un bailliage de Lunéville, résidence ducale, avec 4 prévôtés ; le bailliage des Vosges (Mirecourt) en compte 8, Épinal étant un bailliage particulier. Les bailliages du Barrois non mouvant sont rattachés à la Cour souveraine de Nancy. Il promulgue de nouveaux Codes de procédure, impose aux duchés la coutume de Lorraine réformée (1723).

Fiscalité et monnaie lorraines sont alignées sur celle de la monarchie : la livre lorraine est calquée sur la livre tournois et le Léopold d’or est un doublet du Louis d’or. Sa politique monétaire, faite de fontes et de refontes, vise à capter les monnaies du voisin pour financer les grands travaux, à Nancy (qui double sa population), à Lunéville, où Léopold a établi sa résidence. Le renouveau économique est réel : il repeuple les pays désertés par une politique de colonisation et relance l’agriculture ; son administration des Ponts et Chaussées permet la circulation des biens et marchandises ; l’exploitation et l’exportation du bois (par flottage), des blés, du sel, double l’expansion industrielle : verreries, faïenceries, fonderies et draperies. Mais Léopold est très engagé auprès des Habsbourg, et son fils François (1709-1765) est établi à Vienne depuis 1723 où Charles VI songe à le marier avec la jeune Marie-Thérèse. À la mort de Léopold (1729), François III de Lorraine ne séjourne que brièvement en Lorraine, y découvre le délabrement des finances ducales, et la quitte au bout de deux ans en 1731, confiant la régence à sa mère, la duchesse Élisabeth-Charlotte. En 1733, pendant la guerre de la succession de Pologne, le duché est à nouveau occupé. En  1737, le traité de Vienne avec l’Empereur Charles VI, arrête pour le duc François III, marié en 1736 à la future impératrice Marie-Thérèse, l’échange contre le grand duché de Toscane de ses duchés lorrains, destinés au roi Stanislas de Pologne, beau-père du roi Louis XV, chassé de Pologne par les Russes et les Impériaux. Sous l’autorité du duc de Lorraine et du Barrois, c’est une administration française qui s’étend en Lorraine, avec un intendant nommé chancelier, un Conseil souverain ducal à Nancy. De nouvelles institutions s’étendent en Lorraine, devenue une quasi-généralité. À la mort de Stanislas en 1766, la Lorraine et le Barrois sont définitivement annexés à la France.

En 1777, la monarchie fait aboutir un vieux projet des ducs de Lorraine, et que le Saint-Siège avait refusé au duc Léopold : la création de deux évêchés lorrains, à Nancy et à Saint-Dié, dont les ressorts sont soustraits à l’évêché de Toul. Les diocèses de Toul et de Saint-Dié sont supprimés, à la suite du Concordat de 1801, par les Articles organiques de 1802. Le diocèse de Saint-Dié est cependant rétabli en 1823.

Les seigneuries immédiates du plateau lorrain, protestantes et germanophones (Comté de Sarrewerden et de Lützelstein, seigneuries de Diemeringen et Asswiller) sont rattachées au Bas-Rhin en 1793 (voir : Département).

Georges Bischoff, François Igersheim

La Lorraine et l’Alsace

Diocèses de Lorraine

Suffragants de l’archevêque de Trèves, les diocèses de Metz, Toul et Verdun apparaissent respectivement à la fin du IIIe siècle, avec saint Clément 280, et au cours du IVe, avec saint Mansuy et saint Saintin. Les deux premiers s’étendent jusqu’aux Vosges et les débordent légèrement, directement ou par le biais de maisons religieuses qui relèvent de leur autorité. Leur influence est d’autant plus forte qu’ils sont proches du pouvoir royal ou impérial, à l’instar de Sigebald de Metz, qui fonde l’abbaye de Neuwiller vers 723, de ses successeurs Chrodegang († 766) et Drogon (823-855), bâtard de Charlemagne, qui la reconstruit, ou de Bruno d’Eguisheim, évêque de Toul avant d’être porté à la papauté sous le nom de Léon IX (1049-1054). Princes d’Empire, les trois évêques possèdent un temporel très important. La juridiction de celui de Metz, dont la ville s’émancipe à partir du XIIe siècle, s’exerce sur l’Alsace bossue, s’étend à Neuwiller-lès-Saverne, partie intégrante de son diocèse, et confine à l’Alsace par les Vosges, en incluant la Marche de Marmoutier. Centré sur la Moselle, son territoire comprend notamment Épinal (jusqu’en 1444) ainsi que les salines de la vallée de Seille. Occupé par Henri II en 1152, il est réuni à la province française des Trois-Évêchés en 1613. Du fait de leur puissance, les évêques de Metz sont fortement impliqués dans les affaires de la vallée du Rhin : c’est notamment le cas du cardinal Charles de Lorraine, reconnu évêque de Strasbourg en 1604 à l’issue d’un conflit de douze ans. Le diocèse de Toul est démembré en 1777, lors de la création des diocèses de Nancy et de Saint-Dié.

Abbayes et maisons religieuses

Antérieures d’un siècle aux fondations du versant alsacien, les abbayes lorraines jouent un rôle important dans l’implantation monastique du massif vosgien et de ses abords. Remiremont, fondé par les saints Amé et Romaric dès  620, devenu un prestigieux chapitre de « dames nobles » recrutées dans la noblesse lorraine, comtoise mais aussi alsacienne, possède d’importants biens fonciers dans le Sundgau. Les quatre abbayes de la « croix monastique » des Vosges sont fortement liées à l’Alsace. Ce sont Etival, dont la légende recoupe celle de sainte Odile et dont le temporel dépend, à travers une donation de Charles le Gros, des chanoinesses d’Andlau, Senones, fondée vers 640, dont le destin se confond avec le pays de Salm, Saint-Dié, à qui le village du Bonhomme (Diedelshausen) doit son nom, et Moyenmoutier, illustrée par saint Hydulphe vers 671, lui aussi possessionné dans le val de Villé. Le patrimoine alsacien de ces maisons religieuses remonte souvent à des donations très anciennes : le chapitre de Saint-Dié dispose, entre autres, de biens fonds et de droits dans la région de Colmar (Hunawihr, dinghof d’Ingersheim, etc.).

Le monastère d’Echery, fondé au Xe siècle par l’abbaye bénédictine de Gorze, passe pour être le point de départ de l’exploitation des mines d’argent de la vallée de la Liepvrette et de l’influence du duc de Lorraine dans le secteur. Il en va de même du prieuré de Lièpvre, fondé par Fulrad en 770 et rattaché à l’abbaye de Saint-Denis en 777 : au terme d’une histoire mouvementée, il passe sous la mouvance ducale et échoit au chapitre Saint-Georges de Nancy (1512).

D’autres maisons religieuses lorraines sont possessionnées sur le versant oriental des Vosges, à l’instar de l’abbaye cistercienne de Haute-Seille, présente à Dorlisheim (1140).

Les relations spirituelles entre monastères alsaciens et lorrains sont nombreuses : au XIIe siècle, l’abbaye de Hohenbourg fait appel aux prémontrés d’Etival pour fonder le prieuré de Saint-Gorgon ; le pèlerinage de sainte Odile est rétabli par le Lorrain Hugues Peltre à la fin du XVIIe siècle. Il en va de même des Trois-Épis, par un chanoine de Saint-Dié, en 1651. En 1659, l’abbaye de Munster passe sous le contrôle de la congrégation Saint-Vanne et Saint-Hydulphe (voir : Bibliothèque).

Constitution et fonctionnement des domaines lorrains d’Alsace

L’implantation des ducs de Lorraine sur le versant alsacien tient davantage aux circonstances qu’à une politique cohérente établie dans la durée.

Dans le Val de Lièpvre, elle se fonde sur l’avouerie du prieuré de l’abbaye de Saint-Denis, bien que celle-ci, forte de l’appui du roi de France et du soutien de la papauté, soit peu encline à en accepter la tutelle jusqu’au début du XVe siècle. Le faux diplôme de Charlemagne confiant celle-ci au duc de Lorraine remonte vraisemblablement à Gérard d’Alsace (vers 1065). Il est contesté à plusieurs reprises, mais demeure un argument décisif : en 1250, Mathieu de Lorraine inféode le Haut-Koenigsbourg, Saint-Hippolyte et le village d’Entzheim à son allié Conon de Berckheim.

Un deuxième volet se rapporte à la succession des comtes de Dabo, partagée à partir de 1100 entre le duc et l’évêque de Strasbourg, puis à celle des Eguisheim-Dabo, en 1227. Son enjeu est le contrôle du passage des Vosges au sud du col de Saverne, notamment des routes du sel. Le monastère d’Obersteigen et le château du Bilstein « lorrain », dans le Val de Villé sont vraisemblablement liés à cette politique qui donne lieu à plusieurs opérations de guerre, notamment à la prise de Rosheim (1218) et à la résistance de ses habitants (« la guerre des caves », relatée par Richer de Senones). Dans le même contexte, le comte de Montbéliard Thierry III fait oblation de Belfort au duc Mathieu II en 1228.

Généralement confiées à des vassaux alsaciens, les fiefs lorrains ont une histoire complexe. Ce n’est qu’à la fin du XIVe et au cours du XVe siècle que les ducs envisagent une domination directe des possessions du versant oriental de la crête (First, Faîte), avec la reprise de Saint-Hippolyte, usurpée par l’évêque de Strasbourg (1374, 1393) puis les convoitises de Charles II sur le temporel de l’évêché. En 1415, lorsque Guillaume de Diest s’apprête à engager Saverne et le château du Haut-Barr, considérés comme « l’œil de toute la patrie et … la clé de celle-ci », les Strasbourgeois capturent leur évêque et le placent sous tutelle.

En 1500, le comte de Linange (Leiningen) renonce en faveur de René II à sa part de la Marche de Marmoutier mouvant de l’évêché de Metz. Celle-ci était probablement aux mains du duc depuis les environs de 1470. En mai 1525, cette « tête de pont » du duché n’est pas étrangère à la croisade du duc Antoine contre les « rustauds » et au bain de sang subséquent.

Relations politiques entre la Lorraine et l’Alsace

S’il n’est pas sûr que cet événement soit à l’origine d’une animosité permanente voire d’une haine durable entre Alsaciens et Lorrains, force est de reconnaître que les relations entre ces deux voisins sont traversées par des tensions récurrentes, du fait de la perméabilité des Vosges et des concurrences politiques, confessionnelles ou économiques afférentes.

Contrairement à une opinion courante, les châteaux forts du massif ne constituent pas une ligne « Maginot » destinée à protéger l’Alsace contre une éventuelle invasion venue de l’ouest. Leur genèse correspond à des enjeux locaux (implantation seigneuriale, exploitation des ressources naturelles, contrôle de la route). Ce n’est qu’au XVIe siècle que se met en place un verrouillage illustré par quelques forteresses modernes et les plans militaires (voir : Landsrettung) des « états d’Alsace ». La notion de frontière internationale apparaît à ce moment.

Les deux versants sont concernés par les débordements de la guerre de Cent Ans et par le brigandage, qui justifie des opérations de police comme la destruction du château de Châtillon, près de Cirey-sur-Vesouze par une coalition de villes et de seigneurs au nom de la « Patria communis Alsatiae », en  1352, ou le siège du château de la Roche et du Geroldseck, par le duc et par l’évêque de Strasbourg en 1469-70.

Les incursions de l’armée ducale sur le versant alsacien se présentent comme des promenades militaires qui consistent à traverser un col, généralement celui de Saverne, pour revenir par le Val de Villé (1374, 1408, 1516, 1525, 1587, 1592…). Balançant entre France et Empire, le duché de Lorraine choisit le camp de la Contre-Réforme et des Habsbourg, ce qui l’implique fortement dans la Guerre des Évêques (1592-1604), puis dans celle de Trente Ans et ses prolongements, sous le règne à éclipse du duc Charles IV (1604-1675). Entre 1634 et 1639, les Lorrains forment l’essentiel du parti impérial face aux Suédois de Bernard de Saxe-Weimar. Vaincus à Wattwiller (1634), ils entretiennent une longue guérilla depuis leurs « sanctuaires » du massif.

L’indépendance de la Lorraine pose la question des communications entre le Royaume de France et la tête de pont sur le Rhin qu’est devenue la province d’Alsace. En 1661, le traité de Vincennes imposé par Mazarin à Charles IV prévoit l’abandon par la Lorraine d’un « corridor » d’une demi-lieue de largeur entre Metz et Strasbourg, « le chemin royal » pour permettre le passage des troupes françaises : cet acte se traduit, entre autres, par la cession de Sarrebourg et de Phalsbourg (voir : France, route de).

Ces considérations stratégiques jouent un rôle modeste dans l’aménagement de la route d’Épinal à Belfort par le Ballon d’Alsace entre 1751 et 1753 considérée par les contemporains comme une entreprise dispendieuse. Cependant, au cours du XVIIIe siècle, il n’est pas rare que des manœuvres militaires aient lieu sur les grands axes qui relient à Champagne et l’Alsace. On peut rappeler à ce sujet que la barrière douanière se trouve à Saint-Dizier et que les provinces lorraines (Trois-Évêchés et duchés) relèvent, comme l’Alsace, du statut de provinces à l’instar de l’étranger effectif (voir : Ferme des impôts).

L’administration des pays lorrains d’Alsace

Quoique administrées par des officiers germanophones, respectivement par un « gouverneur » et par un « capitaine » – car Marmoutier et Saint-Hippolyte ne relèvent pas du bailliage d’Allemagne, mais sont rattachées à Nancy. Il en va de même pour la rive lorraine du Val de Lièpvre.

Cependant, les instances locales disposent de libertés étendues. À plusieurs reprises, les bourgeois de Saint-Hippolyte entrent en conflit avec le représentant du duc : ils obtiennent la destitution du capitaine Olry de Widranges, accusé de leur imposer des nouveautés 1566. À Sainte-Marie-aux-Mines, Sainte-Croix-aux-Mines et Lièpvre, où le duc s’est progressivement substitué au prieur de cette dernière localité, la situation est plus complexe du fait du « protectorat » exercé par l’Autriche sur les mines d’argent (voir : Bergbau) et sur les possessions limitrophes des sires de Ribeaupierre. Les coutumes du Val sont consignées en 1575. Les officiers ducaux désignent le maire et les neuf échevins qui rendent la justice, y compris en matière criminelle. Nancy reçoit les appels, sauf dans ce domaine. Les travaux de M. Simon (sur la sorcellerie) et d’A. Follain (sur les affaires criminelles) permettent de saisir le fonctionnement de ces institutions dans leur environnement local aussi bien que dans leur contexte général, faisant de cette exclave lorraine un laboratoire unique en Alsace.

Cependant la recherche aura tout à gagner d’approfondir l’étude comparative des institutions, coutumes et pratiques de ces pays du Saint Empire, de part et d’autre des Vosges. La langue les sépare sans doute moins que la montagne, car celle des gouvernants et des clercs est pour une bonne part la même (le latin), ils sont assez nombreux à être bilingues, et le recours aux interprètes dans la pratique judiciaire et administrative est la règle jusqu’au XIXe siècle.

Les relations culturelles

La frontière linguistique qui sépare le domaine roman de l’aire germanique se déploie entre le Ballon d’Alsace et le Donon. Elle se traduit par des échanges, par des xénismes liés à la mobilité des hommes (Ventron, de Winterung, lieu d’hivernage, kyriolés calqués sur kilbes, kaffouse pour Kaufhaus) et par une familiarité toponymique « en miroir », faisant de Rumelsberg l’équivalent de Remiremont, de Blankenberg celui de Blamont…, Bergart de Baccarat… et inversement de Colombier pour Colmar, Chenonville pour Scherwiller, etc.

Ce métissage s’explique par la proximité : migrants et voyageurs sont reçus dans leur langue, à l’instar des mineurs de la Croix-aux-Mines dont l’administrateur est le Strasbourgeois Louis de Kageneck à la fin du XVe siècle ou des curistes de Plombières accueillis par Claude de Reinach un siècle plus tard : cette station thermale est reconnue comme une annexe de l’Alsace. Des seigneuries du versant lorrain peuvent être aux mains de familles alsaciennes, comme le montre l’exemple des sires de Hattstatt, maîtres de la Bresse jusqu’en 1585. De même, des familles lorraines peuvent s’implanter durablement en Alsace, comme les sires de Montreux, issus d’une branche cadette de la Maison ducale, ou comme les [de] Dietrich, venus de Lunéville à Strasbourg dans la personne de Demange Didier.

Ces croisements sont entretenus par la fréquentation conjointe des pèlerinages (Sewen, Remiremont, Saint-Nicolas-de-Port, Vergaville-Widersdorf) ou par des affinités confessionnelles au moment de la Réforme. Par ailleurs, le mode de vie des uns et des autres peut s’exprimer souvent par des pratiques similaires. En 1600, l’architecte italien Scamozzi remarque que les villageois de Plainfaing portent des bonnets « à l’allemande ». Ces remarques valent aussi dans le domaine de l’alimentation ou celui de la vie domestique (les « poêles » « à l’alsacienne » concurrencent les cheminées).

La culture savante est la même sur les deux versants : les humanistes du Gymnase de Saint-Dié sont en partie des Alsaciens.

Ces interférences s’observent également sur le plan artistique. Des peintres et des graveurs rhénans sont actifs à Metz ou à Nancy, à l’instar de Jost Haller, dans le 3e quart du XVe siècle, d’Hans Waechtlin, au début du XVIe siècle, et de Matthieu Merian, un siècle plus tard.

Les relations économiques

Les relations économiques avec la Lorraine reposent, traditionnellement, sur le couple formé par le sel (Marsal, Rosières) et le vin d’Alsace. Dès le haut Moyen Âge, des établissements ecclésiastiques du versant oriental disposent de droits sur les salines (Ebersmunster à Moyenvic ou Marsal), dans lesquelles les négociants alsaciens auront ultérieurement des intérêts au moment de la Renaissance. Ce trafic interrégional se double d’un commerce au long cours à travers les cols (la haute vallée de la Moder, Saverne, Bonhomme et Bussang en particulier), sur les axes qui relient l’Italie du Nord et les Pays Bas.

Sur place, dans le massif, l’appétit des marchés rhénans stimule l’économie pastorale en direction des hautes-chaumes lorraines : les habitants de Munster exercent une véritable hégémonie sur les « gazons » du duché et de l’abbaye de Remiremont. Reconnu sous le nom générique de munster au cours du XVIe siècle, le fromage fait l’objet de rivalités à la suite desquelles les Munstériens perdent une partie de leurs avantages : c’est dans ce contexte que le Président de la Chambre des comptes de Nancy, Thierry Allix, fait réaliser la vue cavalière des hautes-chaumes des Vosges en 1576-1578. L’exploitation minière, plus précoce qu’on l’a cru, l’essor de la papeterie au milieu du XVe  siècle, en liaison avec l’imprimerie et le développement simultané des verreries placent le versant lorrain dans l’orbite des grandes villes rhénanes, Strasbourg et Bâle, où se trouvent les investisseurs et les marchés. Coutumes générales du Duché de Lorraine és Bailliages de Nancy, Vôges et Allemagne. 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