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De tout temps, les jeux ont été un loisir auxquels se sont adonnés les adultes pendant leur temps libre, soit après les heures de travail et les jours sans activité. Parallèlement à leur caractère frivole, les jeux sont constitutifs de la sociabilité. Pour autant, ils sont sources de débordements verbaux, d’[[Injure|injures]] et de blasphèmes, de conflits dégénérant parfois en
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De tout temps, les jeux ont été un loisir auxquels se sont adonnés les adultes pendant leur temps libre, soit après les heures de travail et les jours sans activité. Parallèlement à leur caractère frivole, les jeux sont constitutifs de la sociabilité. Pour autant, ils sont sources de débordements verbaux, d’[[Injure|injures]] et de blasphèmes, de conflits dégénérant parfois en&nbsp;bagarres, de dettes, voire de ruine, car l’on jouait pour de l’argent ou des biens. Aussi les autorités ont-elles pris des mesures visant à les encadrer ou à les interdire, sommairement au XIV<sup>e</sup> siècle, puis régulièrement et sévèrement aux siècles suivants.
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== Diversité des jeux ==
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Le nombre et la diversité des jeux sont légion, comme l’atteste J.&nbsp;Fischart dans sa traduction de ''Gargantua'' en allemand (1575). Il en ajoute 400 à ceux répertoriés par Rabelais, au nombre de&nbsp;218 (Fischart, ''Geschichtklitterung''). D.&nbsp;Martin, au début du XVII<sup>e</sup> siècle, consacre plusieurs textes aux jeux&nbsp;: dames et trictrac, quilles, paume, dés (dont il dit que «&nbsp;c’est un jeu de laquais, soldats, goujats et berlandiers, inventé pour attraper le bien d’autruy. Un tel gain et acquest ne vaut guère mieux qu’un larcin, car les joueurs usent de toutes sortes de ruses pour dupper les simples (…)&nbsp;».
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=== Jeux de cartes ===
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Les jeux de cartes éveillent chez D.&nbsp;Martin méfiance et dénigrement (« je vous diray qu’il vaudroit mieux qu’il n’y en eust jamais eu au monde&nbsp;: car cent homme s’y sont plustot appauvris, qu’un enrichi&nbsp;»)&nbsp;; il admet qu’on puisse y jouer pour se divertir, non pour ruiner son prochain. Il cite ainsi le ''trente et un'', la ''triomphe'', le ''piquet'', le ''lansquenet'', la ''Beste'', tous jeux dont il retrace le déroulement. Ces cartes, depuis le Moyen Âge, sont l’œuvre de ''[[Kartenmacher|kartenmacher]]'', dont certains utilisent des tirages de gravures sur cuivre, œuvres parfois de graveurs célèbres, comme celle du Maître des Cartes à jouer (1<sup>re</sup> moitié du XV<sup>e</sup> siècle), susceptible d’être le peintre Conrad Witz (Girodie, p.&nbsp;82).
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=== Jeux de galets, échecs, ballon, osselets, dés, billes, marelles… ===
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Les autres jeux sur lesquels D. Martin s’attarde sont le jeu de galets (''Spiel auf der Schiesstaffel oder Bilckensteinenspiel'') en fer, airain ou laiton, qui se joue sur une table spéciale, les échecs et le jeu de ballon&nbsp;: on le frappe entre le coude et le poignet (Nerlinger-Martin). Dans les sources de la fin du Moyen Âge sont mentionnés les jeux de cartes, d’échecs, de quilles, d’osselets, de dés, de billes et ceux se jouant sur un damier (marelle&nbsp;; dames), ainsi que toute une série d’autres au sens obscur (''küwell'' ou ''faßspiel''?) et qui ont disparu au fil du temps. Le jeu des osselets était très répandu&nbsp;; les joueurs utilisaient de petits os du tarse (bombés d’un côté, creux de l’autre), en général de mouton. Ce jeu est cité par plusieurs poètes du Moyen Âge, dont Konrad von Würtzburg (dans sa ''Guerre de Troyes'', XIII<sup>e</sup> siècle), qui en parle comme d’un [[Divertissement|divertissement]] auquel se livraient les jeunes filles («''&nbsp;junge megde''&nbsp;»). Ce jeu avait plusieurs dénominations, ''hiltekens'' (Fischart), ''knöcheln'', ''knobeln'', ''datschelspiel''… (voir :&nbsp;Grimm). En Alsace, on trouve les termes ''bäpstels'' (Strasbourg, Bouxwiller, [[Haguenau_(ville_de)|Haguenau]]), ''strohlstein'' (Andolsheim), ''sternerlis'' ou ''julehäle'' (Soultzmatt) ou encore ''drusch'' (Mulhouse) (Stœber).
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== Espace des jeux ==
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L’archéologie a mis en évidence que l’on jouait dans des endroits insolites&nbsp;: à l’étage du clocher de l’église d’Obermorschwiller, sur le coussiège de la fenêtre géminée sud, ont été répertoriés deux jeux de moulin gravés. Ce jeu de patience était destiné au [[Gardien|gardien]] ou à des habitants réfugiés en ce lieu (le clocher est daté&nbsp;1267 par dendrochronologie) (Grodwohl). D’autres grilles de jeux (marelle) ont été découvertes par les archéologues au château du Grand-Geroldseck (Rebert) et dans d’autres châteaux (Brunel, Kill, Schnitzler, Mengus). Lorsque, en&nbsp;1970, le plancher sous les stalles de l’église Saint-Léger de Guebwiller a été déposé, on y a trouvé ce que les [[Chapelain|chapelains]] y avaient laissé tomber, entre autres des cartes à jouer et des dés (''CAAAH'').
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Les lieux où se pratiquaient les jeux sont connus par le biais des autorisations et surtout des interdictions. Une typologie peut ainsi s’établir. En tout premier lieu, les jeux se pratiquaient dans les poêles, où se créaient et s’entretenaient les liens de sociabilité professionnelle et sociale. Les poêles des métiers et des [[Confrérie|confréries]], (maîtres et/ou [[Compagnon|compagnons]]), des patriciens (''[[Constofler|constofler]]'' et ''[[Ammeister|ammeister]]'') étaient loués ou achetés&nbsp;; ils servaient aux assemblées, prestations de serment, à la conservation des archives, des objets (comme les bannières), de la caisse, et de tribunal jugeant les conflits internes à une profession. Leur fonction courante était de permettre aux gens de métier et autres de se retrouver le soir afin de prendre des repas en commun, de consommer ou de banqueter. Ces activités de loisir étaient assorties de jeux de toute sorte.
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L’on jouait aussi dans les [[Jardin|jardins]], dont les métiers ou les confréries étaient propriétaires ou qu’ils louaient, dans les [[Auberge|auberges]] et les tavernes, dans les [[Bain|bains]] publics tenus par les [[Barbier|barbiers]] (''schererhüser'') qui servaient autant à assurer l’hygiène qu’à s’adonner à d’autres plaisirs, comme les relations galantes ou liées à la prostitution.
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L’on jouait surtout sur l’aire de jeu du [[Bourreau|bourreau]], qui disposait des prérogatives d’organiser les jeux sur un espace qui lui était réservé et de prélever une part des gains (''scholder nehmen''). D’autres lieux sont mentionnés&nbsp;: à Strasbourg, on jouait sous la ''Pfalz'', ''am Holwige'', sous la ''[[Laube]]'' (XV<sup>e</sup> siècle s.&nbsp;d.), à Thann, aux deux portes de la ville (1548-1581). On jouait aussi chez soi, cela va sans dire, secrètement&nbsp;lorsque les jeux étaient interdits. Si l’on joue dans le cadre urbain, on joue aussi ''extra muros'', sur le [[Ban-Banlieue|ban]] de la ville.
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== Les jeux dans les écrits anciens et contemporains&nbsp;: suspicion et interdictions ==
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Autant que les jeux et les endroits où l’on s’y adonnait, les écrits qui en font mention sont pléthoriques. Du sud au nord de l’Alsace, des articles (historiques ou archéologiques), des mentions, des évocations ou des [[Images|images]] concernant les jeux témoignent de l’intérêt qu’ils soulevaient et soulèvent toujours. Par exemple, Herrade de Hohenbourg, dans son ''Hortus deliciarum'' (XII<sup>e</sup> siècle) présente deux enfants jouant aux marionnettes de combat sous l’œil de Salomon. S. Brant parle des jeux dans son ''Narrenschiff'' et indique le jeu de cartes à la mode : le ''karnöffel'' (XV<sup>e</sup> siècle). Geiler de Kaysersberg, en 1500, adresse au Magistrat de Strasbourg vingt-et-un articles pour présenter les réformes souhaitables et dénoncer les jeux comme une plaie sociale des plus dangereuses&nbsp;; les [[artisan|artisans]] y perdent la plus grande part de leurs revenus, voire tous leurs biens, certains s’endettent et deviennent des voleurs (Hatt, ''Une ville au XV<sup>e</sup> siècle'', p.&nbsp;393). Les ordonnances de police, en&nbsp;1628, interdisent les jeux avec une mise en argent aux journaliers, valets de métier, domestiques, jeunes garçons et jeunes filles, mais autorisent ceux dont l’enjeu est un pot de vin (Hatt, ''La vie strasbourgeoise''). À Thann, un règlement municipal (''Statuten und Ordnungen'', 1548-1581) indique qu’il est interdit de jouer aux deux portes de la ville, sauf à des jeux sur damier (''brettspiel'') et pour de courts moments. Il est interdit aux [[Gardien_(des_portes)|gardiens des portes]] de jouer, ni avec un damier ni au jeu de marelle (''neüntenstein'', ''mühlenspiel'') (Baumann, p.&nbsp;94-106).
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À l’époque contemporaine, Antoine Ingold donne la composition d’un jeu de cartes médiéval (couleurs, figures) (1882), Auguste Hanauer relate les interdiction à Haguenau (1900) et Alfred Pfleger parle des jeux dans la vallée de Munster (1966), par exemple. Des ouvrages complets, aussi, ont été consacrés aux jeux, comme celui de Jean-Michel Mehl, de Johan Huizinga ou de Nicolas&nbsp;Witkowski (à propos des [[Jeu_d'enfants|jeux d’enfants]]).
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== Un groupe social particulièrement visé par les règlements&nbsp;: les [[Compagnon_de_métier|compagnons de métier]] ==
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Les règlements des poêles et des confréries de compagnons de métier dans les villes du Rhin supérieur au XV<sup>e</sup> siècle précisent les conditions dans lesquelles les compagnons peuvent s’adonner au jeu et les [[Amende|amendes]] en cas d’infraction. Ainsi, en&nbsp;1437, la [[Confrérie|confrérie]] des [[Compagnon|compagnons]] [[Boulangers|boulangers]] de Colmar (AMC&nbsp;55/18) interdit les jeux à son trésorier et aux débiteurs de la caisse sous peine d’une amende de 5 ß ; celle des compagnons&nbsp;meuniers et [[Charron|charrons]] de Sélestat, en 1472, agit de même en ce qui concerne le trésorier (AMSél. HH&nbsp;66). Le règlement des compagnons [[tanneur|tanneurs]] de Colmar, en 1470, interdit de jouer sur l’aire de jeu du bourreau (située au marché aux grains), dans les auberges ou ailleurs, sous peine d’une amende de 5&nbsp;ß et interdit également d’organiser des jeux et de prélever une part des gains (StA Freiburg-im-Breis. A1/VI) avec la même amende à la clé. La confrérie des compagnons tisserands de lin de Strasbourg interdit à ses membres de jouer sur l’aire de jeu du bourreau&nbsp;; la punition prévue est une amende de 5&nbsp;ß (1479, AMS, CH&nbsp;6580). À [[Bâle]], Spire, Fribourg ou Schaffhouse, les interdictions sont analogues. En revanche, à Sélestat, le règlement de la confrérie des compagnons tailleurs précise en 1498 que tous les jeux sont permis dans le poêle (AMSél. HH 13) (Debus Kehr). Les jeux sont réglementés afin de préserver le bon comportement social et convivial qui est requis des compagnons. La tranche d’âge dont ils font partie les expose à des emportements, bagarres et autres excès, même si certains d’entre eux sont des adultes qui n’ont pu accéder au statut de maître. Que les trésoriers et les débiteurs de la caisse soient interdits de jeu atteste que l’enjeu était financier et pouvait déboucher sur des pertes d’argent et des dettes. Les situations qui en découlaient étaient souvent inextricables, car les compagnons avaient des revenus modestes.
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== La répression des jeux à l’exemple des règlements&nbsp;strasbourgeois ==
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Les interdictions prononcées par les autorités, en particulier les Magistrats successifs de Strasbourg, constituent un corpus qui permet au mieux d’appréhender le phénomène des jeux.
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En 1382, il est question des jeux et d’une première réglementation&nbsp;: il y est dit que cette année, les jeux de cartes ont fait leur apparition à Strasbourg et à la campagne et que les nobles y jouent nuit et jour dans leurs poêles. Auparavant, on jouait aux échecs et sur un damier et l’on considérait les jeux de cartes comme très ''kunstreich'' (soit savants, soit risqués). Ils sont donc rapidement interdits, sauf aux nobles et aux bourgeois. Il est ajouté que les peintres avaient suffisamment d’ouvrage, rien qu’en peignant des cartes (Specklin, ''Collectanées'', p. 310). Transgresser l’interdiction était sévèrement puni&nbsp;: la même année, un ''fürsprecher'' (sorte d’[[Avocat|avocat]]), nommé Gudo, qui avait proféré des blasphèmes (''unchristliche schwüre'') en jouant, avait été condamné au [[Bûcher|bûcher]] et mis ainsi au ban de la ville à perpétuité (Dacheux, ''Annales'', p.&nbsp;211). L’on peut cependant admettre que les blasphèmes ont pesé davantage dans la balance que les jeux, qui n’ont été qu’une circonstance aggravante.
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=== Règlements du XV<sup>e</sup> siècle concernant tout un chacun ===
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Entre 1447 et 1493, le Magistrat et le Conseil des XXI strasbourgeois, avec l’accord des [[échevin|échevins]] (une occurrence) légifèrent à dix-sept reprises pour encadrer les jeux de hasard (''lüstelinsspiele'') ou les interdire, totalement, partiellement, à certaines heures ou pendant certains jours ou une période de l’année. Dans leur ensemble, ces règlements reprennent des dispositions antérieures, parfois en les modifiant, d’autres fois en y ajoutant des données. Un règlement concernant une maison spécialement dédiée aux jeux, sorte d’ancêtre du casino (''Spielhaus-Ordnung'') s’y ajoute au XV<sup>e</sup> siècle (s.&nbsp;d.) (Brucker, p.&nbsp;470-484).
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Les raisons des interdictions avancées par les autorités sont multiples. Ainsi, les jeux de hasard et autres mettent en danger les femmes, les enfants, les personnes honorables et les jeunes gens (1447, 1448, 1462, XV<sup>e</sup> siècle s.&nbsp;d.) qui courent le risque d’être grugés. Les jeux favorisent les jurons (1447) et les proférer entache l’honneur de Dieu, de la Vierge et des saints (1447, 1448, 1488)&nbsp;; il est nécessaire de les prohiber en interdisant les conditions propices à leur survenue, afin de garantir la louange aux divinités (1463). Malgré les interdictions, les habitants continuent de jouer (1463, 1493), les jeux sont même pratiqués secrètement (XV<sup>e</sup> siècle s.&nbsp;d.) et de nouveaux noms ont été trouvés pour les désigner et contourner ainsi les interdictions (1462). Par ailleurs, certains métiers louent leur poêle à des [[Échanson|échansons]] qui le transforment en [[Auberge|auberges]], y donnant à manger et à boire et y permettant les jeux (XV<sup>e</sup> siècle s.&nbsp;d.).
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Les lieux dans lesquels les jeux sont interdits sont les poêles des artisans (1447, 1448, 1462, 1475, 1488, XV<sup>e&nbsp;</sup>siècle s.&nbsp;d.) et des ''[[Constofler|constofler]]'' (1447, 1448), ceux des compagnons (1463), puis les poêles après la cloche de 9&nbsp;h (XV<sup>e</sup> siècle s.&nbsp;d.), les [[Bain|bains]] (''schererhüser'') (XV<sup>e</sup> siècle s. d.), les auberges et autres lieux (1463, 1475, après 9&nbsp;h, XV<sup>e</sup> siècle s.&nbsp;d.), dans la ville et son ban (1462, 1463, 1468, 1488, 1493, XV<sup>e</sup> siècle s.&nbsp;d.), à l’extérieur de la ville (1488), sous la ''Pfalz'', ''am Holwige'', sous la ''[[Laube]]'' (XV<sup>e</sup> siècle s.&nbsp;d.). En revanche, les jeux sont autorisés sur l’aire de jeu du bourreau («&nbsp;près de la porte&nbsp;») (1447, 1448, 1463), dans les poêles «&nbsp;honorables&nbsp;» (XV<sup>e</sup> siècle s. d.), dans le poêle de l’''[[Ammeister|ammeister]]&nbsp;''(cartes et dés, à condition que le responsable ne prélève par une part du gain, XV<sup>e</sup> siècle s. d.). En 1452, les dés, damiers et cartes sont interdits dans les auberges et les tavernes nuit et jour&nbsp;; il est prévu une amende de 30&nbsp;ß pour les tenanciers et les joueurs qui contreviendraient à cette interdiction. S’ils ne pouvaient&nbsp;
  
 
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Version du 6 janvier 2021 à 17:17

C’est au milieu du XIXe siècle que s’introduit une distinction nette entre le travail et les loisirs : l’industrialisation et la salarisation de masse, la séparation nette entre domicile et usine, le décompte net des heures et jours de travail, la progressive diminution du temps de travail et l’augmentation du temps libre y contribuent.

La pratique des jeux par les adultes, et plus encore celle des enfants, est sans doute moins marquée par ces coupures. Et la distinction entre temps de travail et temps libre est bien moins nette au Moyen Âge et à l’époque moderne : le temps de la journée est celui de la lumière du jour, longue en été, courte en hiver, et les rythmes du travail et du délassement sont ceux des saisons et du calendrier liturgique. Pourtant, hommes, femmes et enfants ne gâchent pas leur plaisir : les fêtes se succèdent dans l’année à un rythme soutenu. Fêtes de famille, souvent accordées aux actes liturgiques (baptêmes, mariages, enterrements) qui donnent lieu à des dépenses extravagantes, que les gouvernants urbains ou seigneuriaux veulent parfois réprimer, quand ils ne donnent pas le mauvais exemple par leurs fêtes privées, ou les fêtes publiques, fontaines et distributions de vin (voir : Gastronomie, Imbiss, Lois somptuaires). Dimanches et jours chômés sont nombreux (et les évêques tentent parfois de les limiter). C’est le jour où se réunissent les sociétés de tir, réserves de lansquenets et de milice (voir : Arbalète, Arquebuse, Krieg, Shützengesellschaften). Les grandes fêtes religieuses sont l’occasion de donner et d’assister aux représentations théâtrales, missions et passions (Geistliche Festspiele), alors que le chant religieux accompagne les offices (Kirchengesang), et que les sociétés de ménétriers (Chanteurs, Maîtres-Meistersänger) agrémentent les festivals et fêtes paroissiales (voir : Adelphi Tag, Carnaval, Dédicace, Kilbe). Dans ses tableaux célèbres, Pieter Breughel l’Ancien illustre ces loisirs de la société de l’Europe du Nord-Ouest à l’époque médiévale et moderne, et en particulier les jeux d’enfants. Hoffmann, dans son Alsace au XVIIIe siècle, consacré à la Haute-Alsace, dresse un tableau haut en couleurs des distractions de l’Alsace au XVIIIe siècle, avec ses sociétés de tir, sa passion du jeu, ses banquets et fêtes, leurs feux et illuminations, les salves des armes à feu (Büchsen), et surtout le vin dans les stuben et les auberges. S’y manifeste le goût apparemment irrépressible des Alsaciennes et Alsaciens pour la danse, sous les tilleuls et dans les cabarets. Et « si le paysan était ordinairement frugal dans ses repas, il aimait le vin passionément ». Quant à l’artisan, « il travaille toute la semaine, pour aller au cabaret le dimanche, à la promenade et à la danse (Mémoire de l’intendant La Grange, cité par Hoffmann p. 122-123). Cabarets et kunkelstuben (voir : veillées), où l’on mutualise la lumière et les poêles des longues journées et soirées d’hiver, et « lieux de sociabilité », ceux de la chanson, des longs récits et courtes plaisanteries… et des jeux.

Bibliographie

HOFFMANN, L’Alsace au XVIIIe siècle, (1906), t. I.

Jeux, sports et divertissements au Moyen-Âge et à l’âge classique, Actes du 116e congrès national des Sociétés Savantes, Chambéry, 1991, numéro 116, ouvrage collectif.

CORBIN (Alain), L’Avènement des loisirs (1850-1960), Paris, 1995.

Notices connexes

Adelphi Tag, Alcoolisme, Arbalète, Artisanat

Bannfeiertage, Bechte, Bienfaisance, Brautlauf

Calendrier, Carnaval, Chanteurs (Maîtres-Meistersänger), Chasse, Christkindelmarik, Cimetière, Constitution civile du clergé-affaire d’Hirsingue, Cloches (sonnerie des), Communion, Compagnon, Confirmation, Cordonniers (fête de saint Crépin et saint Crépinien), Coutume

Danse, Décadi, Dédicace, Deux-Ponts-rois des fifres, Dimanche, Dorflinde-Tilleul, Droit de l’Alsace

États de l’Alsace-Elsässische Landstände

Fêtes liturgiques, Fifres, Fontaine à vin

Gastronomie alsacienne, Geistliche Spiele

Herrenstube, Hochzeit

Images

Kilbe-Kirwe, Kirchengesang

Mayen, Ménétriers (fête des), Milices, Musiciens, Musique

Schutzengesellschaft

Veillées

Jeux, Spiele

De tout temps, les jeux ont été un loisir auxquels se sont adonnés les adultes pendant leur temps libre, soit après les heures de travail et les jours sans activité. Parallèlement à leur caractère frivole, les jeux sont constitutifs de la sociabilité. Pour autant, ils sont sources de débordements verbaux, d’injures et de blasphèmes, de conflits dégénérant parfois en bagarres, de dettes, voire de ruine, car l’on jouait pour de l’argent ou des biens. Aussi les autorités ont-elles pris des mesures visant à les encadrer ou à les interdire, sommairement au XIVe siècle, puis régulièrement et sévèrement aux siècles suivants.

Diversité des jeux

Le nombre et la diversité des jeux sont légion, comme l’atteste J. Fischart dans sa traduction de Gargantua en allemand (1575). Il en ajoute 400 à ceux répertoriés par Rabelais, au nombre de 218 (Fischart, Geschichtklitterung). D. Martin, au début du XVIIe siècle, consacre plusieurs textes aux jeux : dames et trictrac, quilles, paume, dés (dont il dit que « c’est un jeu de laquais, soldats, goujats et berlandiers, inventé pour attraper le bien d’autruy. Un tel gain et acquest ne vaut guère mieux qu’un larcin, car les joueurs usent de toutes sortes de ruses pour dupper les simples (…) ».

Jeux de cartes

Les jeux de cartes éveillent chez D. Martin méfiance et dénigrement (« je vous diray qu’il vaudroit mieux qu’il n’y en eust jamais eu au monde : car cent homme s’y sont plustot appauvris, qu’un enrichi ») ; il admet qu’on puisse y jouer pour se divertir, non pour ruiner son prochain. Il cite ainsi le trente et un, la triomphe, le piquet, le lansquenet, la Beste, tous jeux dont il retrace le déroulement. Ces cartes, depuis le Moyen Âge, sont l’œuvre de kartenmacher, dont certains utilisent des tirages de gravures sur cuivre, œuvres parfois de graveurs célèbres, comme celle du Maître des Cartes à jouer (1re moitié du XVe siècle), susceptible d’être le peintre Conrad Witz (Girodie, p. 82).

Jeux de galets, échecs, ballon, osselets, dés, billes, marelles…

Les autres jeux sur lesquels D. Martin s’attarde sont le jeu de galets (Spiel auf der Schiesstaffel oder Bilckensteinenspiel) en fer, airain ou laiton, qui se joue sur une table spéciale, les échecs et le jeu de ballon : on le frappe entre le coude et le poignet (Nerlinger-Martin). Dans les sources de la fin du Moyen Âge sont mentionnés les jeux de cartes, d’échecs, de quilles, d’osselets, de dés, de billes et ceux se jouant sur un damier (marelle ; dames), ainsi que toute une série d’autres au sens obscur (küwell ou faßspiel?) et qui ont disparu au fil du temps. Le jeu des osselets était très répandu ; les joueurs utilisaient de petits os du tarse (bombés d’un côté, creux de l’autre), en général de mouton. Ce jeu est cité par plusieurs poètes du Moyen Âge, dont Konrad von Würtzburg (dans sa Guerre de Troyes, XIIIe siècle), qui en parle comme d’un divertissement auquel se livraient les jeunes filles (« junge megde »). Ce jeu avait plusieurs dénominations, hiltekens (Fischart), knöcheln, knobeln, datschelspiel… (voir : Grimm). En Alsace, on trouve les termes bäpstels (Strasbourg, Bouxwiller, Haguenau), strohlstein (Andolsheim), sternerlis ou julehäle (Soultzmatt) ou encore drusch (Mulhouse) (Stœber).

Espace des jeux

L’archéologie a mis en évidence que l’on jouait dans des endroits insolites : à l’étage du clocher de l’église d’Obermorschwiller, sur le coussiège de la fenêtre géminée sud, ont été répertoriés deux jeux de moulin gravés. Ce jeu de patience était destiné au gardien ou à des habitants réfugiés en ce lieu (le clocher est daté 1267 par dendrochronologie) (Grodwohl). D’autres grilles de jeux (marelle) ont été découvertes par les archéologues au château du Grand-Geroldseck (Rebert) et dans d’autres châteaux (Brunel, Kill, Schnitzler, Mengus). Lorsque, en 1970, le plancher sous les stalles de l’église Saint-Léger de Guebwiller a été déposé, on y a trouvé ce que les chapelains y avaient laissé tomber, entre autres des cartes à jouer et des dés (CAAAH).

Les lieux où se pratiquaient les jeux sont connus par le biais des autorisations et surtout des interdictions. Une typologie peut ainsi s’établir. En tout premier lieu, les jeux se pratiquaient dans les poêles, où se créaient et s’entretenaient les liens de sociabilité professionnelle et sociale. Les poêles des métiers et des confréries, (maîtres et/ou compagnons), des patriciens (constofler et ammeister) étaient loués ou achetés ; ils servaient aux assemblées, prestations de serment, à la conservation des archives, des objets (comme les bannières), de la caisse, et de tribunal jugeant les conflits internes à une profession. Leur fonction courante était de permettre aux gens de métier et autres de se retrouver le soir afin de prendre des repas en commun, de consommer ou de banqueter. Ces activités de loisir étaient assorties de jeux de toute sorte.

L’on jouait aussi dans les jardins, dont les métiers ou les confréries étaient propriétaires ou qu’ils louaient, dans les auberges et les tavernes, dans les bains publics tenus par les barbiers (schererhüser) qui servaient autant à assurer l’hygiène qu’à s’adonner à d’autres plaisirs, comme les relations galantes ou liées à la prostitution.

L’on jouait surtout sur l’aire de jeu du bourreau, qui disposait des prérogatives d’organiser les jeux sur un espace qui lui était réservé et de prélever une part des gains (scholder nehmen). D’autres lieux sont mentionnés : à Strasbourg, on jouait sous la Pfalz, am Holwige, sous la Laube (XVe siècle s. d.), à Thann, aux deux portes de la ville (1548-1581). On jouait aussi chez soi, cela va sans dire, secrètement lorsque les jeux étaient interdits. Si l’on joue dans le cadre urbain, on joue aussi extra muros, sur le ban de la ville.

Les jeux dans les écrits anciens et contemporains : suspicion et interdictions

Autant que les jeux et les endroits où l’on s’y adonnait, les écrits qui en font mention sont pléthoriques. Du sud au nord de l’Alsace, des articles (historiques ou archéologiques), des mentions, des évocations ou des images concernant les jeux témoignent de l’intérêt qu’ils soulevaient et soulèvent toujours. Par exemple, Herrade de Hohenbourg, dans son Hortus deliciarum (XIIe siècle) présente deux enfants jouant aux marionnettes de combat sous l’œil de Salomon. S. Brant parle des jeux dans son Narrenschiff et indique le jeu de cartes à la mode : le karnöffel (XVe siècle). Geiler de Kaysersberg, en 1500, adresse au Magistrat de Strasbourg vingt-et-un articles pour présenter les réformes souhaitables et dénoncer les jeux comme une plaie sociale des plus dangereuses ; les artisans y perdent la plus grande part de leurs revenus, voire tous leurs biens, certains s’endettent et deviennent des voleurs (Hatt, Une ville au XVe siècle, p. 393). Les ordonnances de police, en 1628, interdisent les jeux avec une mise en argent aux journaliers, valets de métier, domestiques, jeunes garçons et jeunes filles, mais autorisent ceux dont l’enjeu est un pot de vin (Hatt, La vie strasbourgeoise). À Thann, un règlement municipal (Statuten und Ordnungen, 1548-1581) indique qu’il est interdit de jouer aux deux portes de la ville, sauf à des jeux sur damier (brettspiel) et pour de courts moments. Il est interdit aux gardiens des portes de jouer, ni avec un damier ni au jeu de marelle (neüntenstein, mühlenspiel) (Baumann, p. 94-106).

À l’époque contemporaine, Antoine Ingold donne la composition d’un jeu de cartes médiéval (couleurs, figures) (1882), Auguste Hanauer relate les interdiction à Haguenau (1900) et Alfred Pfleger parle des jeux dans la vallée de Munster (1966), par exemple. Des ouvrages complets, aussi, ont été consacrés aux jeux, comme celui de Jean-Michel Mehl, de Johan Huizinga ou de Nicolas Witkowski (à propos des jeux d’enfants).

Un groupe social particulièrement visé par les règlements : les compagnons de métier

Les règlements des poêles et des confréries de compagnons de métier dans les villes du Rhin supérieur au XVe siècle précisent les conditions dans lesquelles les compagnons peuvent s’adonner au jeu et les amendes en cas d’infraction. Ainsi, en 1437, la confrérie des compagnons boulangers de Colmar (AMC 55/18) interdit les jeux à son trésorier et aux débiteurs de la caisse sous peine d’une amende de 5 ß ; celle des compagnons meuniers et charrons de Sélestat, en 1472, agit de même en ce qui concerne le trésorier (AMSél. HH 66). Le règlement des compagnons tanneurs de Colmar, en 1470, interdit de jouer sur l’aire de jeu du bourreau (située au marché aux grains), dans les auberges ou ailleurs, sous peine d’une amende de 5 ß et interdit également d’organiser des jeux et de prélever une part des gains (StA Freiburg-im-Breis. A1/VI) avec la même amende à la clé. La confrérie des compagnons tisserands de lin de Strasbourg interdit à ses membres de jouer sur l’aire de jeu du bourreau ; la punition prévue est une amende de 5 ß (1479, AMS, CH 6580). À Bâle, Spire, Fribourg ou Schaffhouse, les interdictions sont analogues. En revanche, à Sélestat, le règlement de la confrérie des compagnons tailleurs précise en 1498 que tous les jeux sont permis dans le poêle (AMSél. HH 13) (Debus Kehr). Les jeux sont réglementés afin de préserver le bon comportement social et convivial qui est requis des compagnons. La tranche d’âge dont ils font partie les expose à des emportements, bagarres et autres excès, même si certains d’entre eux sont des adultes qui n’ont pu accéder au statut de maître. Que les trésoriers et les débiteurs de la caisse soient interdits de jeu atteste que l’enjeu était financier et pouvait déboucher sur des pertes d’argent et des dettes. Les situations qui en découlaient étaient souvent inextricables, car les compagnons avaient des revenus modestes.

La répression des jeux à l’exemple des règlements strasbourgeois

Les interdictions prononcées par les autorités, en particulier les Magistrats successifs de Strasbourg, constituent un corpus qui permet au mieux d’appréhender le phénomène des jeux.

En 1382, il est question des jeux et d’une première réglementation : il y est dit que cette année, les jeux de cartes ont fait leur apparition à Strasbourg et à la campagne et que les nobles y jouent nuit et jour dans leurs poêles. Auparavant, on jouait aux échecs et sur un damier et l’on considérait les jeux de cartes comme très kunstreich (soit savants, soit risqués). Ils sont donc rapidement interdits, sauf aux nobles et aux bourgeois. Il est ajouté que les peintres avaient suffisamment d’ouvrage, rien qu’en peignant des cartes (Specklin, Collectanées, p. 310). Transgresser l’interdiction était sévèrement puni : la même année, un fürsprecher (sorte d’avocat), nommé Gudo, qui avait proféré des blasphèmes (unchristliche schwüre) en jouant, avait été condamné au bûcher et mis ainsi au ban de la ville à perpétuité (Dacheux, Annales, p. 211). L’on peut cependant admettre que les blasphèmes ont pesé davantage dans la balance que les jeux, qui n’ont été qu’une circonstance aggravante.

Règlements du XVe siècle concernant tout un chacun

Entre 1447 et 1493, le Magistrat et le Conseil des XXI strasbourgeois, avec l’accord des échevins (une occurrence) légifèrent à dix-sept reprises pour encadrer les jeux de hasard (lüstelinsspiele) ou les interdire, totalement, partiellement, à certaines heures ou pendant certains jours ou une période de l’année. Dans leur ensemble, ces règlements reprennent des dispositions antérieures, parfois en les modifiant, d’autres fois en y ajoutant des données. Un règlement concernant une maison spécialement dédiée aux jeux, sorte d’ancêtre du casino (Spielhaus-Ordnung) s’y ajoute au XVe siècle (s. d.) (Brucker, p. 470-484).

Les raisons des interdictions avancées par les autorités sont multiples. Ainsi, les jeux de hasard et autres mettent en danger les femmes, les enfants, les personnes honorables et les jeunes gens (1447, 1448, 1462, XVe siècle s. d.) qui courent le risque d’être grugés. Les jeux favorisent les jurons (1447) et les proférer entache l’honneur de Dieu, de la Vierge et des saints (1447, 1448, 1488) ; il est nécessaire de les prohiber en interdisant les conditions propices à leur survenue, afin de garantir la louange aux divinités (1463). Malgré les interdictions, les habitants continuent de jouer (1463, 1493), les jeux sont même pratiqués secrètement (XVe siècle s. d.) et de nouveaux noms ont été trouvés pour les désigner et contourner ainsi les interdictions (1462). Par ailleurs, certains métiers louent leur poêle à des échansons qui le transforment en auberges, y donnant à manger et à boire et y permettant les jeux (XVe siècle s. d.).

Les lieux dans lesquels les jeux sont interdits sont les poêles des artisans (1447, 1448, 1462, 1475, 1488, XVsiècle s. d.) et des constofler (1447, 1448), ceux des compagnons (1463), puis les poêles après la cloche de 9 h (XVe siècle s. d.), les bains (schererhüser) (XVe siècle s. d.), les auberges et autres lieux (1463, 1475, après 9 h, XVe siècle s. d.), dans la ville et son ban (1462, 1463, 1468, 1488, 1493, XVe siècle s. d.), à l’extérieur de la ville (1488), sous la Pfalz, am Holwige, sous la Laube (XVe siècle s. d.). En revanche, les jeux sont autorisés sur l’aire de jeu du bourreau (« près de la porte ») (1447, 1448, 1463), dans les poêles « honorables » (XVe siècle s. d.), dans le poêle de l’ammeister (cartes et dés, à condition que le responsable ne prélève par une part du gain, XVe siècle s. d.). En 1452, les dés, damiers et cartes sont interdits dans les auberges et les tavernes nuit et jour ; il est prévu une amende de 30 ß pour les tenanciers et les joueurs qui contreviendraient à cette interdiction. S’ils ne pouvaient