Lohn

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Salaire, gages.

Le salaire-Lon dans les statuts urbains : le VIe statut de Strasbourg (1322)

La réglementations du niveau des salaires ou rémunérations du travail des hommes libres, effectué pour autrui, a toujours relevé du pouvoir des souverains, seigneurs, puis des villes. À Strasbourg, après l’évêque, c’est la ville qui le réglemente.

Les réglementation des salaires occupe une place importante dans la réglementation des villes : ce sont les corporations et confréries qui en inspirent et en imposent l’essentiel (Schmoller).

La réglementation de Strasbourg est souvent citée en exemple. Le VIe statut urbain (1322) peut aller loin dans les détails. Et la ville est concernée au premier chef, du fait de l’importance des marchés de travaux municipaux.

Son article 499 réglemente le salaire (lon) des charpentiers (Zimberleute) et maçons (murer). Il est calculé à la journée et comprend aussi le repas, et celui des compagnons, knechte dont les salaires dépendent de l’ancienneté (UBS IV 2, p. 165-166).

L’article 509 réglemente les rémunérations des officiers de la ville. Elles sont calculées à l’acte comme pour l’apposition d’un sceau qu’ils effectuent, d’une taxe qu’ils perçoivent, ou plus généralement au temps – semaine ou mois ou versées à échéances fixées – Noël (wihennachten), Mardi gras (vastnacht), ou Pâques (ostren), la Pentecôte (pfingsen), la moisson (ernen), la vendange (herbst), la Saint-Martin (Martinstag). Peuvent s’y ajouter du vin, le drap et la fourrure pour les vêtements de travail ou la livrée (voir : Lappengeld), et le logement, si le salarié est logé, ou encore logé et nourri par la ville.

Ce sont les Lohnherren qui veillent au paiement des salaires.

Bibliographie

UBS. IV.

SCHMOLLER (Gustav), Die Straßburger Tucher-und Weberzunft, 1879.

BRUCKER, Polizei-Verordnungen (1889).

EHEBERG, Verfassung (1899).

LIVET (Georges), RAPP (Francis), Strasbourg des grandes invasions au XVIe siècle, Strasbourg 1982.

PETRAZOLLER (François), L’urbanisme à Strasbourg au XVIe siècle, Strasbourg, 2002.

Lohn, lon, salaires : la réglementation des métiers (XIIIe-XVIe siècles)

Le salaire est la rémunération touchée par les salariés en contrepartie d’un travail. Il est versé par un maître patron de l’artisanat, du commerce, par les exploitants de la terre, des seigneurs et des institutions, religieuses ou laïques, ayant du personnel à leur service.

Dès le XIVe (sans doute auparavant), les salariés sont les compagnons de métier (handwerksknechte, handwerksgeselle), les ouvriers « à vie » n’ayant pu accéder au statut de maître (lohnarbeiter), les ouvriers agricoles, les domestiques (servantes, mägde, gesinde, attachés à une maison, et autres valets, knechte), mais aussi les maîtres de certaines professions, comme ceux de la construction ou du tissage, qui touchent un salaire de leurs donneurs d’ordre (particuliers, gouvernement des villes, Église ou entrepreneurs privés). Les salariés font partie de la couche sociale la moins favorisée : ils vivent de la force de leurs bras et leur salaire, habituellement modeste, est la condition sine qua non de leur subsistance. Être salarié est le lot de la majorité de la population. Cependant, la situation des salariés est diverse : certains vivent décemment, d’autres font partie des pauvres, chroniquement ou occasionnellement.

Les sources (règlements corporatifs, de confréries, d’associations liées à un poêle, municipaux, relations de conflits liés aux conditions de travail, comptes d’institutions) donnent des indications sur les salaires au XIVe, XVe, XVIe siècle et au-delà. Si certaines de ces sources sont limpides, d’autres ne le sont guère lorsqu’elles présentent des échelons salariaux variant en fonction d’une production aux appellations aujourd’hui disparues, par exemple dans la pelleterie strasbourgeoise. Indiquer les salaires pratiqués dans tous les métiers, toutes les villes, toutes les périodes est impossible, les sources étant lacunaires ou muettes pour certains d’entre eux et constituerait une étude d’une grande ampleur. Ils figurent par ailleurs dans des études générales consacrées à l’économie, la démographie ou à des groupes de la population.

Les catégories de salariés

Les salariés du commerce

Ils sont particulièrement nombreux dans les villes exportatrices de biens. Certains occupent des emplois publics et travaillent à la pesée dans les octrois ou les entrepôts, chargent et déchargent les marchandises, en particulier dans les ports maritimes ou fluviaux. Ils sont aussi porteurs ou empaqueteurs. Ils perçoivent un salaire suffisant pour réaliser quelques économies susceptibles d’être investies dans les affaires de leur maître. Cette participation aux affaires constitue parfois l’amorce d’une amélioration sociale propice à un changement ultérieur de statut (Maschke, p. 25).

Les domestiques (gesinde)

Ils sont généralement inclus dans le ménage de leur maître dont ils dépendent, sont logés et nourris et touchent un salaire. Ils sont parfois assimilés aux compagnons de métier à l’occasion de réglementations concernant ces derniers, comme la Knechteordnung s’appliquant à tous les métiers du Rhin supérieur, datant de 1436, remaniée en 1465 et 1473.

Les journaliers (tagwaner, tagwerker)

Leur situation est précaire. Leur salaire figure parmi les salaires les plus bas. Ils n’ont pas d’emploi fixe et ne font pas partie, en général, d’une corporation (unzünftig). À Colmar, ils sont embauchés à la journée dans les champs et les vignes et peuvent s’inscrire dans la corporation des marchands de grains, des agriculteurs/moissonneurs ou des jardiniers. Contrairement aux compagnons de métier, ils touchent exclusivement leur salaire, réglementé à plusieurs reprises par le Conseil ; leur patron ne peut leur servir de repas (AMC, BB 45/1, 1438). À partir de 1488, une décision du Conseil les autorise à bénéficier d’un mass de vin (environ 2 litres) (AMC, BB 43, Altes Rotbuch). La construction embauche aussi des journaliers dont certains touchent leur salaire avant midi, de sorte à pourvoir à leur déjeuner et à celui de leur famille (Maschke, p. 59).

Les compagnons de métier

Ils sont actifs dans les innombrables métiers de l’artisanat urbain. Ils perçoivent un salaire de leur maître, variable selon les métiers, l’avancement de leur formation, les conditions (logement et/ou repas fournis ou non), les villes et les périodes. Ils constituent la majorité des salariés.

Montant des salaires

Indiquer des salaires n’est pertinent qu’en les mettant en parallèle avec le coût de la vie. Selon W. Abel, le troisième tiers du XIVe siècle et le XVe siècle se caractérisent par une surproduction agricole à l’échelle européenne qui conduit à un effondrement des prix, du grain en particulier. Cette période est en même temps marquée par une forte demande en main-d’œuvre et une augmentation des salaires, initiée par les compagnons qui réussissent à imposer leurs revendications. Ils avaient pris conscience du poids qu’ils représentaient dans l’économie et de leur valeur en tant qu’acteurs de la production des biens. W. Abel parle ainsi d’un « âge d’or » du salariat. Son opinion a été discutée par d’autres historiens économistes qui estiment qu’il n’a pas suffisamment tenu compte des graves crises, notamment frumentaires, que le XVe siècle a traversées. À la fin de ce siècle, prix et salaires sont en adéquation, et cette situation perdurera jusque vers 1625.

K. Schulz divise le XVe siècle en quatre périodes de vingt-cinq ans en se fondant sur l’homogénéité de la situation salariale, politique et frumentaire à l’intérieur de chacune d’elles. Les salaires augmentent fortement au cours des années 1400-1425 à la suite des pressions des salariés, qui concernent aussi la fourniture des repas, en particulier chez les salariés du bâtiment et du maraîchage. Les autorités municipales mettent un terme à ces revendications en édictant des barèmes destinés à stabiliser les rémunérations.

Les livres de comptes des municipalités révèlent les salaires des compagnons occupant des emplois publics. Ceux de Colmar contiennent des indications relatives aux salariés travaillant dans la construction et le maraîchage (AMC, CC, 142, Kaufhausbücher). Dans les statuts des confréries et des associations figurent quelques indications salariales qui ont pour but de définir le montant de l’adhésion et des cotisations. Ainsi, les compagnons maréchaux-ferrants de Sélestat (1478) touchent 6 d./semaine (d. = denier ou pfennig) (AMSél., HH 69), les pelletiers de Strasbourg (1404), 3 florins/an, soit 7 d. par semaine (AMS, CH n°2969) et les compagnons strasbourgeois dans les métiers du bâtiment, entre 1475-1499, 2 ß (schillings)/jour (en été).

Les comptes de l’Œuvre Notre-Dame et du chapitre Saint-Thomas indiquent les salaires suivants pour les compagnons maçons travaillant au chantier de la cathédrale : vers 1400 : 9 d./jour avec repas (sans vin) ; vers 1420 : 10 à 11 d. et à la fin dans années 1430 : 11 à 12½ d. (AMS, série II, 46 1). Dans ces métiers, les salariés travaillent parfois au forfait : ils sont tenus de réaliser la construction d’une maison ou d’entretenir une terre.

Le salaire ne permet guère à un compagnon d’amasser des biens. Celui qui habite sous le toit de son maître, et c’est là la règle commune, possède peu de choses : ses vêtements, une arme (généralement un couteau), parfois quelques outils et quelque argent. Cependant, dans la plupart des inventaires étudiés, l’argent est absent. En dehors de ces objets définis, il existait des biens difficiles à identifier : objets à titre d’héritage, futur cadeau ou partie du salaire promis à l’avenir par le maître (draps de lit, vieux manteau, par exemple).

Modalités du salaire

Le mode de rémunération ne répond pas à un schéma unique. Les compagnons touchent soit un salaire fixe pour un temps de travail donné, zeitlohn (une journée, une semaine, un mois, six mois ou un an), soit un salaire à la pièce (stücklohn), soit un panachage des deux formules, ce qui permet aux salariés les plus habiles d’augmenter leurs revenus. Le stücklohn ne s’établit réellement qu’à la fin du XIVe siècle (Göttmann, p. 45 sq).

Le salaire comprend généralement la fourniture des repas. Lorsque les repas sont servis par le maître pendant le temps de travail, le salaire peut être réduit d’un tiers, voire de moitié, par rapport à celui que touchent les salariés non nourris par leur maître. C’était particulièrement le cas des salariés de la construction, auxquels sont servis trois repas par jour en été (un seul en hiver) et même un petit « quatre heures » composé de fruits, accompagnés de vin, dont la quantité indique qu’il est un élément de la nutrition et non un simple agrément.

Dans certains métiers, le salaire varie en fonction de la saison, été ou hiver. Comme dit, les divers modes de rémunération changent selon les métiers. Ainsi, les salariés du bâtiment (tailleurs de pierre, maçons, charpentiers, couvreurs, plâtriers et paveurs) (Schulz, p. 329), du jardinage (viticulture et maraîchage) sont payés à la journée. Il en va de même pour ceux qui travaillent au domicile de leurs clients (tailleurs, par exemple, qui travaillent aussi à la pièce). Le travail dans la construction et le jardinage est étroitement lié à la saison : il est réduit en hiver et, partant, les salaires suivent la même courbe. Par exemple, à Strasbourg, les salaires des maçons engagés par la ville (1322) s’établissent ainsi : pour les maîtres, entre la Saint-Michel et le grand carnaval (7e dimanche avant Pâques), le salaire est de 8 d./jour avec repas ou de 1 ß /jour sans repas (1 ß = 12 d.) ; entre le grand carnaval et la Saint-Michel, 1 ß/jour avec repas ou 16 d./jour sans repas. En ce qui concerne les knechte : ceux qui sont dans la 1ère année de leur formation, qu’ils soient engagés par un maître ou non, touchent 4 d./jour avec repas ou 6 d./jour sans repas ; ceux qui sont dans leur 2e ou 3e année touchent 6 d./jour avec repas ou 8 d./jour sans repas. Ils doivent manger sur place lorsque le repas est fourni (ce point est important : des conflits éclatent car les knechte voulaient emporter ce repas et manger chez eux) (UBS, IV, 2, p. 25 et 164-166). Le salaire perçu par un compagnon était donc fonction de l’avancement de sa formation.

Le travail à la pièce (ou à la tâche) est la caractéristique des salariés du transport interurbain (transport des grains et du vin), des tisserands et des pelletiers. Les salariés de ces deux derniers métiers effectuent parfois des tâches confiées par un client, à son domicile, et le paiement de leur travail est réparti entre les maîtres et les salariés selon un barème défini entre eux.

Les salaires sont versés à la fin de l’engagement, dont la durée et le délai de préavis étaient définis d’avance, dans la monnaie en usage dans la vie quotidienne, le pfennig, qui sert aussi à effectuer les achats courants (Schulz, p. 317). À la fin du Moyen Âge, la durée des engagements tend à se raccourcir, ce qui réduit d’autant le risque de verser une amende pour rupture de contrat (par le salarié, un maître pouvant rompre sans prévenir), et la rémunération à la pièce s’impose de plus en plus.

Fixation des salaires, interventions du Magistrat et des corporations

Le montant des salaires n’est pas uniforme et varie en fonction de l’activité, certains métiers étant mieux payés que d’autres. Dans la construction, par exemple, les salaires sont particulièrement élevés par rapport à ceux d’autres métiers (Schulz, p. 329 sq, où sont présentées les évolutions du salaire des ouvriers de la construction à Bâle, Strasbourg, Colmar, Ensisheim, Fribourg-en-Brisgau et Mulhouse entre 1307 et 1611). Dans cette activité, il arrive que les maîtres et les compagnons, engagés par des maîtres d’œuvre, perçoivent le même salaire.

En principe, c’est le maître qui définit, unilatéralement, le montant du salaire. Cependant, il n’est pas toujours libre, le gouvernement des villes et les corporations intervenant parfois dans leur fixation. Par exemple, à Colmar, en 1439, le Magistrat définit les salaires des journaliers travaillant dans les vignes : il considère qu’ils sont trop élevés ; à l’avenir, ils ne devront pas dépasser 3 d./jour (AMC, BB 45/1, f°120). En 1361, les villes de Colmar, Sélestat, Bergheim, Ribeauvillé, Kaysersberg, Sigolsheim, Kientzheim, Ammerschwihr, Turckheim, Rouffach, Guebwiller, Soultz et Mulhouse élaborent un texte commun à la demande des maîtres meuniers de Colmar (AMC, BB 43, Altes Rotbuch, p. 70-71). Parmi d’autres points concernant les contrats de travail, il énonce que le salaire des compagnons meuniers ne devra pas dépasser 2 ß/semaine.

Vers la fin du XVe et au XVIe siècle, des négociations se font progressivement entre maîtres et compagnons pour fixer les salaires. Par exemple, en 1509, une décision du Magistrat de Strasbourg spécifie, parmi d’autres points concernant les modalités du travail, que le salaire sera fixé d’un commun accord entre les parties (Mone, p. 54).

Améliorer le salaire

La question est de savoir si le salaire perçu par les compagnons est suffisant à l’aune du coût de la vie soumis aux fluctuations monétaires dues elles-mêmes à la situation politique et économique générale. Les salariés semblent perpétuellement impécunieux et sont à la recherche de moyens visant à l’augmenter. Ainsi, les compagnons boulangers colmariens, au XVe siècle, s’emploient au travail de la terre les jours où l’on ne cuit pas le pain (tous les deux jours, ou plus, ou moins selon les villes). Ce fait est également attesté par une réglementation municipale de 1556 sur les salaires des compagnons de la construction travaillant pour la ville de Strasbourg. Il y est question des ouvriers spécialisés qui doivent être mieux payés que d’autres salariés de renfort, les boulangers entre autres (AMS, XI, Corporation des maçons, 1, fos 65-80).

Dans de nombreux métiers, il est d’usage de verser, en plus du salaire, un pourboire dont le montant est fixe, et qui sert, par exemple, à payer le bain hebdomadaire (badgelt). Ce pourboire, octroyé par le maître, se différencie de celui donné parfois par des clients satisfaits, comme les 2 ß que perçurent les compagnons du peintre strasbourgeois Hans Hirtz pour la restauration d’un crucifix dans la cathédrale (Rott, p. 192-193, 1451). Les tailleurs et les pelletiers, en contact direct avec les clients, perçoivent aussi des pourboires, pratique quasi institutionnalisée.

Les compagnons s’adonnent au jeu, au poêle, sur l’aire de jeux du bourreau ou en d’autres endroits, jeux faisant l’objet de règlements à répétition de la part du Magistrat, des poêles et des confréries. Bien que les gains soient une source de revenus aléatoire, il arrive nécessairement que les compagnons y gagnent, mais ils sont surtout susceptibles de s’endetter.

Retenues affectant le salaire

Les maîtres se prémunissent contre les ruptures du contrat de travail par les compagnons en retenant d’emblée, au moment de l’engagement, un certain montant sur les salaires à verser. Quittent-ils leur emploi avant terme, et les sommes retenues sont définitivement perdues. Dans une charte du 18 mai 1387 (AMS, CH n°2375), version écrite des us et coutumes en vigueur émanant des maîtres cordonniers de Strasbourg, il est prévu que le maître retienne 5 ß sur le salaire jusqu’à expiration du contrat de travail. La charte prévoit qu’un compagnon rompant son contrat avant terme devait verser une amende de 5 ß au métier (et se mettre en règle avec son maître). Dans le cas contraire, il ne pouvait s’engager chez un maître, ni fabriquer de chaussures dans le ban de la ville.

Le salaire peut être retenu par le maître lorsque le compagnon a des dettes. Par exemple, en 1526, à Colmar, le sculpteur Hans Bongart s’engage à acquitter une amende d’1 livre et 5 ß par versement échelonné de 18 deniers par semaine en lieu et place de son compagnon, Wendling Steinprun, condamné pour avoir tiré sa dague. Le délinquant s’engage à ne pas quitter son maître et à ne boire de vin dans aucune auberge jusqu’au paiement complet de sa dette (AMC, FF 431-455, Registre des menus délits (Unzuchtbuch), f°23).

L’absentéisme est interdit sans autorisation expresse du maître et passible d’une amende. Ainsi, chez les cordonniers strasbourgeois, en vertu d’une réglementation de la corporation de 1387 (AMS, CH n°2375, UBS, 6, p. 195-196), une absence d’une journée est sanctionnée par une amende d’1 ß, ce qui correspond à une semaine de salaire, qui sera retenue sur le salaire (sans que le compagnon en soit forcément averti). Toutes les retenues sont déduites à la fin de l’engagement, lorsque se font les comptes définitifs.

Les garanties du paiement du salaire des compagnons de métier

Théoriquement, le salaire est protégé par la loi. Lorsque le maître est endetté et que les créanciers réclament leur dû, le paiement du salaire des compagnons est prioritaire. Au moment du décès d’un maître, un officier assermenté dresse l’inventaire du défunt et indique les salaires en retard. Le salaire est payé pour partie en espèces et pour partie en drap ou en vêtements, tel qu’il appert des inventaires étudiés. Mais, dans la pratique, les sommes dues ne sont versées que dans la moitié des cas (Simon-Muscheid, p. 317-334). 

Affectation du salaire

Le salaire est destiné à assurer le pain quotidien (grains, légumineuses, viande, fromage, légumes, œufs, poisson, fruits et vin), à financer l’habillement, le logement (lorsque le salarié n’habite pas chez son maître), les adhésions aux diverses institutions (corporation, confrérie, poêle), les dons et offrandes remis à l’Église, les amendes, les loisirs (consommation dans les poêles, jeux), éventuellement le versement de l’impôt lorsque les revenus le justifient.

Alimentation

Plusieurs historiens ont établi des moyennes et des statistiques sur le prix des aliments de base que sont le grain, la viande, le poisson, les œufs, le beurre et le vin (Ammann ; Schultz, p. 400-428 ; Hanauer ; Dirlmeier ; Schmoller, p. 237-239 ; Saalfeld).

K. Schulz a calculé le prix moyen d’un viertel de seigle (116 litres) à Strasbourg sur des périodes de vingt-cinq ans entre 1400 et 1499. Ses résultats sont les suivants :

  • 1400-1424 : 55,72 d.
  • 1425-1449 : 66,72 d. (soit + 19% par rapport au premier chiffre)
  • 1450-1474 : 45,27 d. (soit - 33%)
  • 1475-1499 : 55,56 d. (soit + 22%)

Le salaire des compagnons dans les métiers du bâtiment à Strasbourg, entre 1475 et 1499 étant de 2 ß/jour (en été), il fallait donc 2,3 jours de travail pour acheter un quart de seigle. À partir de 1525, les prix vont s’envoler pour connaître des pics entre 1550 et 1640, le pic majeur étant atteint en 1620 avec 440 d. le viertel.

Dépenses vestimentaires

Le linge de corps, les chemise, veste, chausses, chapeau (kugelhut des compagnons) – marqueur de la dignité –, chaussures, manteau – qui est un signe de correction vestimentaire – constituent l’habillement. Les compagnons de métier sont assez sourcilleux de leur vêture, suivent la mode et y attribuent des dépenses importantes eu égard à leurs revenus. Ils achètent aussi des vêtements de seconde main ayant appartenu aux bourgeois ou aux nobles chez les fripiers. Dans certains métiers, des pièces de vêtements ou des chaussures sont fournies par le maître (ville ou maîtres ou institutions). Les contrats passés au moment de ces engagements permettent de relever le prix de ces accessoires : veste, 15 à 20 ß ; chausses, 5 ß ; chaussures, 12 ß ; linge, 6 ß ; chapeau, 4 à 6 ß. À Sélestat, par exemple, l’intendant du poêle des nobles (herrenstube) doit pourvoir son commis et le préposé à la vaisselle (schüsselspüler) d’une paire de chaussures par an d’une valeur de 20 d., soit 1 ß et 8 d. (Gény, p. 698). À Colmar, les chaussures sont « standardisées » selon une réglementation tarifaire définie par le Conseil après les années de grande inflation monétaire de 1438-1439 (AMC, BB 45/1, fos 106-107). On trouve ainsi des chaussures à lacets (Bundschuh) de très bonne qualité (die besten), des chaussures à lacets ordinaires destinées aux salariés, gemeiner und junger knecht, qui coûtent 2 ß et 2 d. (ainsi que des chaussures de femmes et d’enfants). Si l’on compare ces prix avec les salaires perçus par les compagnons, par exemple par les pelletiers de Strasbourg (1404), 3 florins par an (7 d./semaine) (AMS, CH n°2969), il apparaît qu’une paire de chaussures engloutit presqu'un mois, sinon un mois entier de travail lorsqu’elles ne sont pas fournies. Plusieurs études indiquent par le menu le prix des vêtements et des chaussures, comme celle de K. Wesoly (p. 218-238).

Frais confraternels

La plupart des confréries obligent les compagnons à adhérer à cette structure (octroi de prêts, prévoyance maladie et vieillesse), d’autres donnant le choix d’y adhérer ou non, comme les pelletiers strasbourgeois (1404). Le montant de l’adhésion varie d’1 livre de cire (boulangers de Colmar, 1437), à 2 d. (tisserands de Haguenau, 1404, pelletiers strasbourgeois, 1404 et tisserands de lin strasbourgeois, 1479), à 4 d. (tanneurs strasbourgeois, 1477) et à 2 ß (meuniers et charrons sélestadiens, 1472), par exemple.

La plupart des confréries de piété exigent un don et une offrande lors des messes de requiem, des dimanches suivant les Quatre-Temps, de la Toussaint, des messes dominicales, etc.). Par exemple, les compagnons maréchaux-ferrants de Sélestat (1478) devaient verser quelque 51 d. par an (plus de 4 ß), ce qui représente plus de 16% du salaire, si l’on prend en compte le salaire le plus bas, 6 d./semaine, soit 312/an (les salaires variaient entre 6 et 18 d./semaine). L’absence ou le retard de paiement soumis à amende. Certaines confréries tiennent compte du salaire pour minorer ou majorer le montant de l’adhésion.

Amendes

Les compagnons de métier sont susceptibles de crouler sous le poids des amendes, tant les occasions d’y être soumis sont nombreuses et leur montant conséquent. Être absent à une réunion, à une messe, à une procession, payer sa cotisation à la confrérie avec retard (ou pas du tout) ou refuser d’y adhérer, injurier, se méconduire au poêle, commettre des voies de fait, désobéir, jouer avant le remboursement d’une dette, être souteneur, etc. se soldent par des amendes variant entre ¼ et 3 livres de cire, ¼ à 1 omen de vin, 4 à 6 d., 1 à 5 ß et 1 gulden (florin). Pour mémoire, un florin vaut 10,5 ß et 1 ß 12 d. Comme ces amendes figurent toujours et encore dans les règlements des confréries et des associations liées à un poêle, il est patent que les compagnons devaient y attribuer une part de leur salaire.

Adhésion à la corporation en tant que maître

L’objectif de tout compagnon est de terminer sa formation pour parvenir au statut de maître. Il doit à cet effet, réaliser un chef-d’œuvre (meisterstück) en fournissant les matières premières nécessaires à sa réalisation, fort coûteuses dans certains métiers, comme l’orfèvrerie. Au préalable, il aura fait son tour de compagnon (wandern), au cours duquel il s’engage dans divers ateliers hors de sa ville pour gagner sa vie, et acquérir le droit de bourgeoisie (payant, variable selon les métiers, les périodes et les lieux). Il peut alors adhérer à la corporation de son métier en versant une taxe, l’einung, d’un montant variable. Dans ce domaine aussi, que ce soit à Strasbourg, à Colmar, à Haguenau ou à Sélestat, le Magistrat intervient pour fixer le montant de l’einung qui varie selon les métiers (Debus Kehr, p. 70 sq). L’ensemble de ces sommes provient du salaire et, à moins d’épouser une veuve d’artisan ou d’être fils d’artisan (le montant est alors minoré), le compagnon a souvent du mal à le réunir. À Strasbourg, par exemple, le droit d’association au métier de cordonnier, en 1382, se monte à une livre d’argent (20 ß), soit le salaire de quelque cinq mois d’activité, en 1448 à Colmar, les boulangers paient 30 ß.

Les conflits liés au salaire

Les conflits relatifs aux salaires (mais aussi aux conditions professionnelles comme les modalités d’engagement, les jours chômés et autres revendications) sont nombreux, en particulier dans les métiers où les compagnons sont souvent mariés et doivent subvenir aux besoins de leur famille. C’est le cas, par exemple, des salariés du tissage et de la draperie, métiers dans lesquels le salaire revêt la forme de pièces ouvragées que les compagnons revendent au marché, mais à un prix insuffisant pour leur permettre de vivre décemment (Wesoly, p. 180-181). Ces conflits sont le fait d’un seul compagnon, des compagnons d’un métier dans une ville ou dans l’Oberrhein. Les termes pour les évoquer tant par les autorités civiles et corporatives que par les compagnons eux-mêmes dans leurs suppliques et actions tourne autour de tensions (spenne), divergences (zweiungen), troubles (breste), désaccord grave (missehellung), conflits (stösse), graves dommages (schedelichen indraig) ou révoltes (ufflufe).

En s’appuyant sur de nombreux exemples, F. Göttmann explique ce phénomène par le changement dans le statut social des salariés. De quasi-membre de la famille du maître et futur maître lui-même, le compagnon glisse vers celui de « salarié vendant sa force de travail ». Souvent, il n’est plus logé chez son maître, travaille à la pièce, tente de fonder son propre foyer et travaille sans appartenir à une corporation (unzünftig). Il est contraint de prendre en charge lui-même l’assistance qui était initialement dévolue aux maîtres (fürsorge), en versant des cotisations à sa confrérie. Les compagnons essaient donc d’obtenir des salaires plus conséquents, soutenus en cela par les organisations qu’ils créent.

Conclusion

Comme toujours et dans tous les domaines, à la fin du Moyen Âge et au début des Temps modernes, rien n’est uniformisé. Toute ville, toute corporation, tout maître et toute institution octroient des salaires d’un montant variable et selon des modalités qu’ils définissent unilatéralement, sans que le salarié intervienne dans leur fixation. Si, dans certains métiers, le salaire est suffisant, il ne l’est pas dans d’autres eu égard au coût de la vie. Aussi l’ambiance dans le monde du travail est-elle houleuse et conduit-elle à des contestations.

Bibliographie

MONE (Franz-Josef ), « Zunftorganisation vom 13.-16. Jh. », ZGO, 16, 1864, p. 54.

SCHMOLLER (Gustav), « Die historische Entwicklung des Fleischkonsums sowie der Vieh- und Fleischpreise in Deutschland », Zs. f. d. ges. Staatswiss., 27, 1871.

HANAUER (Auguste), Études économiques sur l’Alsace ancienne et moderne, 2 : Denrées et salaires, Paris-Strasbourg, 1876-78.