Livre de raison : Différence entre versions

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''Hausbuch''.
 
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Étymologiquement, livre de comptes domestiques (''liber rationis''), mais le mot allemand de ''Hausbuch'' (livre de maison) semble plus approprié. Sans prétendre accéder au statut de comptabilité, le livre de raison, toujours manuscrit, parfois transmis de génération en génération, se dissimule souvent derrière un simple almanach annoté ou un journal domestique. Le père de famille y inscrivait, sans ordre apparent, un certain nombre de faits censés présenter quelque intérêt pour les siens ou pour ses héritiers. Ces derniers peuvent être d’ordre démographique (naissance ou [[Baptême|baptême]], [[Décès|décès]] ou [[Enterrement|enterrement]]), alimentaire ou médical (recettes de cuisine, remèdes naturels ou empiriques, conseils de nature astrologique), religieux ou moral (extraits de livres de piété, formules de bénédiction ou de protection, préceptes de sagesse populaire), météorologique (en particulier les anomalies climatiques : années de grand froid, de sécheresse ou de pluies diluviennes), économique relevant de la gestion du bien familial (production de la terre, prix et qualité du blé ou du vin de l’année, nombre de sacs de blé disponibles pour le marché, naissance d’un veau, réparations apportées à la maison, à la grange ou à l’étable, gages des valets ou des servantes, indication des dettes et créances). S’y ajoutent parfois des bribes de relations de voyage ou l’écho d’événements propres à la « grande histoire » (par exemple, la prise de Belgrade par les Turcs, la mort de Louis XIV ou la visite de la dauphine en Alsace).
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Étymologiquement, livre de comptes domestiques (''liber rationis''), mais le mot allemand de ''Hausbuch'' (livre de maison) semble plus approprié. Sans prétendre accéder au statut de comptabilité, le livre de raison, toujours manuscrit, parfois transmis de génération en génération, se dissimule souvent derrière un simple almanach annoté ou un journal domestique. Le père de famille y inscrivait, sans ordre apparent, un certain nombre de faits censés présenter quelque intérêt pour les siens ou pour ses héritiers. Ces derniers peuvent être d’ordre démographique (naissance ou [[Baptême|baptême]], [[Décès|décès]] ou [[Enterrement|enterrement]]), alimentaire ou médical (recettes de cuisine, remèdes naturels ou empiriques, conseils de nature astrologique), religieux ou moral (extraits de livres de piété, formules de bénédiction ou de protection, préceptes de sagesse populaire), météorologique (en particulier les anomalies climatiques : années de grand froid, de sécheresse ou de pluies diluviennes), économique relevant de la gestion du bien familial (production de la terre, prix et qualité du blé ou du vin de l’année, nombre de sacs de blé disponibles pour le marché, naissance d’un veau, réparations apportées à la maison, à la grange ou à l’étable, gages des valets ou des servantes, indication des dettes et créances). S’y ajoutent parfois des bribes de relations de voyage ou l’écho d’événements propres à la « grande histoire » (par exemple, la prise de Belgrade par les Turcs, la mort de Louis XIV ou la visite de la dauphine en Alsace).
  
Remontant au XIV<sup>e</sup> siècle, mais surtout répandu entre le XVI<sup>e</sup> et le XIX<sup>e</sup> siècle, le livre de raison est le propre de milieux relativement cultivés, ouverts à une culture écrite ou intégrés dans un circuit économique. C’est la raison pour laquelle on le trouve essentiellement chez les gentilshommes, marchands et hommes de loi. Il est également présent dans les archives familiales des laboureurs (les Luttmann de Fessenheim-le-Bas, 1744-1767&nbsp;; les Fix de Dossenheim-Kochersberg, 1791-1794&nbsp;; les Schmidt de Merxheim, 1784-1789) ou chez certains vignerons : à Reichsfeld, une belle série de ''Hausbücher'' de la famille Jehl couvre une période allant du XVIII<sup>e</sup> au XIX<sup>e</sup> siècle&nbsp;: ils figurent parmi les seuls à avoir été publiés. Avec les Lobstein d’Oberhausbergen, on change néanmoins d’échelle puisque, en tant qu’aubergistes, ils étaient censés tenir une authentique comptabilité (1759-1775).
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Remontant au XIV<sup>e</sup> siècle, mais surtout répandu entre le XVI<sup>e</sup> et le XIX<sup>e</sup> siècle, le livre de raison est le propre de milieux relativement cultivés, ouverts à une culture écrite ou intégrés dans un circuit économique. C’est la raison pour laquelle on le trouve essentiellement chez les gentilshommes, marchands et hommes de loi. Il est également présent dans les archives familiales des laboureurs (les Luttmann de Fessenheim-le-Bas, 1744-1767&nbsp;; les Fix de Dossenheim-Kochersberg, 1791-1794&nbsp;; les Schmidt de Merxheim, 1784-1789) ou chez certains vignerons&nbsp;: à Reichsfeld, une belle série de ''Hausbücher'' de la famille Jehl couvre une période allant du XVIII<sup>e</sup> au XIX<sup>e</sup> siècle&nbsp;: ils figurent parmi les seuls à avoir été publiés. Avec les Lobstein d’Oberhausbergen, on change néanmoins d’échelle puisque, en tant qu’aubergistes, ils étaient censés tenir une authentique comptabilité (1759-1775).
  
 
Dans les familles nobiliaires, le livre de raison, plus ancien, est d’une autre nature&nbsp;: celui qui appartenait aux Waldburg-Wolfegg et Waldner fait apparaître une prédilection pour la [[Généalogie|généalogie]], l’[[Héraldique|héraldique]], la numismatique et la gravure par rapport aux remèdes et recettes pratiques du quotidien&nbsp;; rédigé vers 1480, le manuscrit a bénéficié d’une version imprimée, ce qui est relativement rare.
 
Dans les familles nobiliaires, le livre de raison, plus ancien, est d’une autre nature&nbsp;: celui qui appartenait aux Waldburg-Wolfegg et Waldner fait apparaître une prédilection pour la [[Généalogie|généalogie]], l’[[Héraldique|héraldique]], la numismatique et la gravure par rapport aux remèdes et recettes pratiques du quotidien&nbsp;; rédigé vers 1480, le manuscrit a bénéficié d’une version imprimée, ce qui est relativement rare.
  
Certaines sociétés savantes se mettent à les publier au XIX<sup>e</sup> siècle et, en&nbsp;1954, on envisage même d’en faire une recension au niveau de l’État, mais l’entreprise ne peut prétendre à l’exhaustivité dans la mesure où l’on se heurte à deux obstacles&nbsp;majeurs : certains livres de raison, enfouis dans des archives privées, restent inconnus, y compris, parfois, par leurs détenteurs ; d’autres sont inaccessibles. En effet, la plupart des livres de raison dorment ainsi dans les greniers, s’ils n’ont pas bénéficié d’une heureuse conservation aux [[Archive|archives]] ou dans les [[Bibliothèques|bibliothèques]] publiques (les Jacob de Hunawihr, 1666-1772, AHR Ms. 45 ; la famille Eschbach d’Ingersheim, BMC Ms.&nbsp;152).
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Certaines sociétés savantes se mettent à les publier au XIX<sup>e</sup> siècle et, en&nbsp;1954, on envisage même d’en faire une recension au niveau de l’État, mais l’entreprise ne peut prétendre à l’exhaustivité dans la mesure où l’on se heurte à deux obstacles&nbsp;majeurs&nbsp;: certains livres de raison, enfouis dans des archives privées, restent inconnus, y compris, parfois, par leurs détenteurs&nbsp;; d’autres sont inaccessibles. En effet, la plupart des livres de raison dorment ainsi dans les greniers, s’ils n’ont pas bénéficié d’une heureuse conservation aux [[Archive|archives]] ou dans les [[Bibliothèque|bibliothèques]] publiques (les Jacob de Hunawihr, 1666-1772, AHR Ms. 45&nbsp;; la famille Eschbach d’Ingersheim, BMC Ms.&nbsp;152).
  
 
== Bibliographie ==
 
== Bibliographie ==
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BOSSERT (Helmuth Th.), STORCK (Willy), ''Das mittelalterliche Hausbuch…'', publ. ''Jahresgabe des deutschen Vereins für Kunstwissenschaft'', t.&nbsp;IV, Leipzig, 1912 (BNUS Bh&nbsp;104).
 
BOSSERT (Helmuth Th.), STORCK (Willy), ''Das mittelalterliche Hausbuch…'', publ. ''Jahresgabe des deutschen Vereins für Kunstwissenschaft'', t.&nbsp;IV, Leipzig, 1912 (BNUS Bh&nbsp;104).
  
STEHLE (André), « Hausbücher des Martin Jehl in Reichsfeld&nbsp;», ''Ann. Société d’histoire et d’archéologie de Dambach-Barr-Obernai'', 6, 1972, p.&nbsp;40-44.
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STEHLE (André), «&nbsp;Hausbücher des Martin Jehl in Reichsfeld&nbsp;», ''Ann. Société d’histoire et d’archéologie de Dambach-Barr-Obernai'', 6, 1972, p.&nbsp;40-44.
  
 
BOEHLER, ''Paysannerie'' (1995), t.&nbsp;I, p.&nbsp;32 et t.&nbsp;III, p.&nbsp;2017.
 
BOEHLER, ''Paysannerie'' (1995), t.&nbsp;I, p.&nbsp;32 et t.&nbsp;III, p.&nbsp;2017.
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== Notices&nbsp;connexes ==
 
== Notices&nbsp;connexes ==
  
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Version du 4 janvier 2021 à 20:12

Hausbuch.

Étymologiquement, livre de comptes domestiques (liber rationis), mais le mot allemand de Hausbuch (livre de maison) semble plus approprié. Sans prétendre accéder au statut de comptabilité, le livre de raison, toujours manuscrit, parfois transmis de génération en génération, se dissimule souvent derrière un simple almanach annoté ou un journal domestique. Le père de famille y inscrivait, sans ordre apparent, un certain nombre de faits censés présenter quelque intérêt pour les siens ou pour ses héritiers. Ces derniers peuvent être d’ordre démographique (naissance ou baptême, décès ou enterrement), alimentaire ou médical (recettes de cuisine, remèdes naturels ou empiriques, conseils de nature astrologique), religieux ou moral (extraits de livres de piété, formules de bénédiction ou de protection, préceptes de sagesse populaire), météorologique (en particulier les anomalies climatiques : années de grand froid, de sécheresse ou de pluies diluviennes), économique relevant de la gestion du bien familial (production de la terre, prix et qualité du blé ou du vin de l’année, nombre de sacs de blé disponibles pour le marché, naissance d’un veau, réparations apportées à la maison, à la grange ou à l’étable, gages des valets ou des servantes, indication des dettes et créances). S’y ajoutent parfois des bribes de relations de voyage ou l’écho d’événements propres à la « grande histoire » (par exemple, la prise de Belgrade par les Turcs, la mort de Louis XIV ou la visite de la dauphine en Alsace).

Remontant au XIVe siècle, mais surtout répandu entre le XVIe et le XIXe siècle, le livre de raison est le propre de milieux relativement cultivés, ouverts à une culture écrite ou intégrés dans un circuit économique. C’est la raison pour laquelle on le trouve essentiellement chez les gentilshommes, marchands et hommes de loi. Il est également présent dans les archives familiales des laboureurs (les Luttmann de Fessenheim-le-Bas, 1744-1767 ; les Fix de Dossenheim-Kochersberg, 1791-1794 ; les Schmidt de Merxheim, 1784-1789) ou chez certains vignerons : à Reichsfeld, une belle série de Hausbücher de la famille Jehl couvre une période allant du XVIIIe au XIXe siècle : ils figurent parmi les seuls à avoir été publiés. Avec les Lobstein d’Oberhausbergen, on change néanmoins d’échelle puisque, en tant qu’aubergistes, ils étaient censés tenir une authentique comptabilité (1759-1775).

Dans les familles nobiliaires, le livre de raison, plus ancien, est d’une autre nature : celui qui appartenait aux Waldburg-Wolfegg et Waldner fait apparaître une prédilection pour la généalogie, l’héraldique, la numismatique et la gravure par rapport aux remèdes et recettes pratiques du quotidien ; rédigé vers 1480, le manuscrit a bénéficié d’une version imprimée, ce qui est relativement rare.

Certaines sociétés savantes se mettent à les publier au XIXe siècle et, en 1954, on envisage même d’en faire une recension au niveau de l’État, mais l’entreprise ne peut prétendre à l’exhaustivité dans la mesure où l’on se heurte à deux obstacles majeurs : certains livres de raison, enfouis dans des archives privées, restent inconnus, y compris, parfois, par leurs détenteurs ; d’autres sont inaccessibles. En effet, la plupart des livres de raison dorment ainsi dans les greniers, s’ils n’ont pas bénéficié d’une heureuse conservation aux archives ou dans les bibliothèques publiques (les Jacob de Hunawihr, 1666-1772, AHR Ms. 45 ; la famille Eschbach d’Ingersheim, BMC Ms. 152).

Bibliographie

BOSSERT (Helmuth Th.), STORCK (Willy), Das mittelalterliche Hausbuch…, publ. Jahresgabe des deutschen Vereins für Kunstwissenschaft, t. IV, Leipzig, 1912 (BNUS Bh 104).

STEHLE (André), « Hausbücher des Martin Jehl in Reichsfeld », Ann. Société d’histoire et d’archéologie de Dambach-Barr-Obernai, 6, 1972, p. 40-44.

BOEHLER, Paysannerie (1995), t. I, p. 32 et t. III, p. 2017.

LACHIVER (Marcel), Dictionnaire du monde rural. Les mots du passé, Paris, 1997, p. 1044.

Notices connexes

Calendrier (almanach)

Jean-Michel Boehler