Ligue (urbaine) des villes du Rhin

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Rheinischer Bund, Rheinischer Städtebund.

Ligue (urbaine) rhénane, rheinischer Bund/rheinischer Städtebund (Moyen Âge) : généralités

Il n’y eut pas une, mais des ligues rhénanes, aux configurations changeantes, entre le XIIIe et le XIVe siècle. Longtemps la tradition historiographique ne s’est intéressée aux ligues qu’à l’aune de leur poids dans la politique générale d’Empire. Elle a consacré sous cet angle deux grandes ligues comme « rhénanes » et « urbaines » (Rheinischer Städtebund), en 1254-1256 et en 1381-1389.

Comme toutes les ligues, les « ligues urbaines rhénanes » correspondent à des unions jurées conclues entre différentes forces territoriales, pour un temps déterminé. Ces alliances supposent des règles de fonctionnement interne. Leurs clauses s’appliquent, plus ou moins explicitement, à un espace. En l’occurrence, les ligues dites rhénanes agrègent au départ des territoires qui s’échelonnent le long de l’axe du Rhin, dans la partie haute et moyenne du cours du fleuve (Haute-Rhénanie, Rhénanie centrale). Ce couloir rhénan présente un semis urbain assez dense au regard d’autres régions allemandes (Städtelandschaft), dominé par des villes épiscopales anciennes et en voie d’émancipation (Worms, Spire, Mayence, Strasbourg, Bâle) et quelques villes impériales. L’appellation de « ligue urbaine rhénane » est à mettre en vis-à-vis de la « ligue urbaine souabe », deux ensembles qui ont parfois uni leurs destinées.

La première ligue rhénane (1254-1256)

La première ligue rhénane fonctionna de 1254 à 1256. Elle a pu être considérée comme la première ligue urbaine de grande ampleur au nord des Alpes, alors que du côté italien s’étaient déjà succédé deux générations de ligues (1re ligue lombarde en 1167, 2nde en 1226). Même s’il est question dans une chronique médiévale d’une « paix fondée à la manière des ligues lombardes », la ligue rhénane ne fut pas animée par la même dimension contestataire de l’ordre impérial qu’eurent les alliances italiennes. Elle apparaît plutôt comme une ligue d’autodéfense née pour garantir la paix impériale en l’absence d’un pouvoir fort. Qualifiée d’« urbaine » par l’historiographie du XIXe siècle, elle est aujourd’hui plutôt désignée comme la « ligue rhénane », puisque d’autres types de membres y eurent une part importante.

Elle est précédée d’ententes bilatérales depuis le début du XIIIe siècle, à l’image d’une entente entre Strasbourg et Spire en 1227 sur les affaires de dettes de leurs bourgeois respectifs. En 1226 déjà, Mayence, Bingen, Spire, Worms, Francfort, Gelnhausen et Friedberg formaient une vaste union pour défendre des intérêts communs qu’elles estimaient menacés. En 1231/32, la Constitution en faveur des princes semble devoir mettre un terme à toute ligue urbaine, au profit des seuls Landfrieden impériaux. Mais la déposition, puis la mort de Frédéric II, marquent le début de temps troublés et de concurrences pour le trône qui vont durer jusqu’en 1273 (Grand Interrègne). En l’absence du souverain Guillaume de Hollande, le 13 juillet 1254, un premier noyau de villes rhénanes s’engage à « préserver la paix » (voir : MGH Const. II, n°428, Mayence, Cologne, Worms, Spire, Strasbourg, Bâle, et des villes non nommées). Les évêques de Mayence, Cologne, Trèves, Worms, Strasbourg, Metz et Bâle, ainsi que plusieurs nobles, rejoignent d’emblée cette optima pax (Hermann de Niederaltaich). Forte du soutien pontifical (octobre 1254), la ligue, qui prend de plus en plus des allures de Landfrieden, réunit déjà 30 seigneurs et plus de 100 villes à la fin de 1255. Elle dépasse alors le cadre rhénan et va de Zurich à Aix-la-Chapelle, de Brême à Mülhausen (Thuringe). Plusieurs assemblées, d’octobre 1254 à novembre 1255, posent de nouveaux principes de fonctionnement, tels que la reconnaissance commune de Guillaume de Hollande comme souverain, l’interdiction d’accepter des bourgeois hors les murs (Pfahlbürger), la mise en place d’une flotte militaire commune, la lutte contre les péages indus sur le Rhin ou la levée d’une taxe au bénéfice de la ligue (Bundessteuer). Cette entente, hétérogène et vaste, n’est pas exempte de divisions et de litiges internes. Mais elle parvient à s’affirmer comme une puissance politique majeure dans l’Empire : le 10 mars  1255, Guillaume de Hollande en reconnaît l’existence légale. Désormais placée sous l’égide du souverain, l’entente se restructure, en prévoyant 4 assemblées annuelles (à Cologne, Mayence, Worms et Strasbourg) et une instance d’arbitrage présidée par les Schultheissen de Boppard, Francfort, Oppenheim, Haguenau et Colmar (10 novembre 1255, Ruser I, n°256). L’union survit à la mort de Guillaume de Hollande (28 janvier 1256) et continue d’ailleurs de s’étendre en 1256 en intégrant plusieurs villes du sud-est (Ratisbonne, Wurtzbourg et Nuremberg). Le principal théâtre d’opérations reste malgré tout l’espace rhénane médian. Les villes membres y obtiennent par la force et des arbitrages l’abolition de plusieurs péages d’origine nobiliaire.

Mais la double élection royale de 1257 sonne le glas du fragile front commun élaboré dans la ligue rhénane. Les alliances se resoudent alors dans des systèmes d’envergure plus restreinte. Pour le Rhin central, prévalent ainsi les unions contractées entre Mayence, Worms et Spire, et sporadiquement Oppenheim, régulièrement renouvelées entre la seconde moitié du XIIIe siècle et la fin du XIVe siècle. On retrouve par ailleurs des villes de l’axe rhénan dans les Landfrieden établis par les rois (Rodolphe de Habsbourg, 1278), par les concurrents au trône (pour le parti habsbourgeois, 1317, 1318 ; pour le parti de Louis le Bavarois, Bacharer Landfrieden de 1317), voire par des princes (Landfrieden de 1322-1323 à l’initiative de l’archevêque de Mayence).

À l’interface entre deux systèmes d’alliances, centrés respectivement sur la moyenne Rhénanie et la haute Rhénanie, Strasbourg contribue parfois à leur interconnexion. C’est ainsi qu’une seconde ligue à composante rhénane, qualifiée de « Grande ligue » (Grosser Bund), voit le jour le 20 mai 1327. Elle réunit les villes de Mayence, Worms, Spire, Strasbourg, Fribourg, Bâle, mais intègre aussi Constance, Zurich, Lindau, Überlingen, Bern, le comte de Kibourg et landgrave de Bourgogne, bientôt rejoints par les cantons primitifs suisses. Encore une fois, l’extension géographique (plus de 350 km) fait de cet ensemble un assemblage fragile, qui éclate en 1329. Mais déjà des unions plus resserrées se reforment dans l’espace rhénan. Le 12 janvier 1329, Strasbourg, Fribourg-en-Brisgau et Bâle renouent par exemple leur alliance de 1326 et, de renouvellement en renouvellement, restent alliées jusqu’en 1365 (avec des participations ponctuelles de Brisach et Neuenburg).

Ligue urbaine rhénane (1381-1388)

Dans la Bulle d’Or de 1356, l’Empereur Charles IV interdit le principe de toute alliance strictement urbaine (article 15). Mais les crises ouvertes lors de l’accès au trône de Wenceslas et le contexte du Grand Schisme contribuent à des regains de tensions. Aussi les villes ne cessent-elles pas vraiment leurs ligues d’autodéfense, d’autant que se structurent parallèlement de vastes sociétés de chevalerie. Au milieu du XIVe siècle des dispositifs d’alliances interurbains restent attestés dans l’espace rhénan (par exemple, Cologne, Mayence, Worms, Spire, Strasbourg et Bâle en 1365) ou encore entre villes d’Empire d’Alsace (par exemple en 1342-1346, puis en 1354-1378…) ou de Souabe.

En 1376, plusieurs villes souabes d’Empire, alors aux prises avec les sires de Wurtemberg, fondent une ligue qui prend Ulm pour siège (Ulm, Constance, Überlingen, Ravensbourg, Lindau, St-Gall, Wangen, Buchhorn, Reutlingen, Rottweil, Memmingen, Biberach, Isny, Leutkirch, 4 juillet 1376). Cette ligue, très structurée et militante, précède de peu la résurgence de la seconde « ligue urbaine rhénane » célébrée par l’historiographie. Une telle mise en exergue est surtout due au rôle que les deux ligues souabe et rhénane finirent par jouer dans l’histoire générale de l’Empire en affrontant ensemble des princes territoriaux lors la première grande « guerre des villes » (Städtekrieg, 1388-1389).

La « ligue urbaine rhénane » est conclue le 20 mars 1381 entre Strasbourg, Spire, Mayence, Worms, Francfort, Haguenau et Wissembourg. Prévue initialement sur 3 ans, l’entente est prolongée dès 1382 pour 10 ans. Le nombre de partenaires double dans l’intervalle (entrées de Wetzlar, Friedberg et Gelnhausen à l’automne 1382, Pfeddersheim, Sélestat, Obernai, Selz). Quelques nobles possessionnés en Rhénanie médiane rejoignent également l’alliance. Les membres s’assurent la protection réciproque en cas d’attaque, tout en excluant les actions contre le roi et l’Empire, les évêques et le Landvogt d’Alsace, etc. La ligue s’organise en trois sous-secteurs urbains avec chacun une ville référente : le Rhin médian (Mayence), la haute Rhénanie (Strasbourg) et la Wetterau (Francfort). Les aides militaires se répartissent comme suit : Mayence, 100 glèves, Worms et Spire, 65 glèves chacune, Francfort, 65 glèves, Wetzlar, 10, Friedberg, 8, Gelnhausen, 6, Strasbourg, 100, Haguenau, 16, Wissembourg, 8.

Le 17 juin 1381, à Spire, la ligue rhénane se connecte à la ligue urbaine souabe et ses 33 villes membres. Cette superstructure préserve l’existence des deux entités associées, mais doit permettre de faire front militairement et diplomatiquement. Elle obtient dans un premier temps la reconnaissance à l’échelle impériale (Heideberger Stallung, 1384). Mais en 1388, une action des ducs de Bavière contre l’archevêque de Salzbourg, allié à la ligue urbaine souabe, déclenche le conflit, qui s’étend par le jeu des alliances. Le 23 août 1388, à Döffingen, les villes souabes connaissent la défaite face aux comtes de Wurtemberg et à leurs partisans. De leur côté, les villes rhénanes reculent devant l’armée du comte palatin Ruprecht II (6 novembre 1388). Dans ces conditions, le roi Wenceslas peut imposer le Landfrieden d’Egra (5 mai 1389). Les ligues urbaines souabes et rhénanes sont dissoutes et de lourdes réparations sont demandées aux villes.

Pour le devenir des ligues urbaines dans le fonctionnement politique de l’Empire, un deuxième acte se jouera en 1449-1450 sous l’égide de la ligue urbaine souabe, mais sans plus de succès.

On trouvera des éléments dans les Urkundenbücher relatifs aux villes membres des ligues urbaines rhénanes, et pour la seconde ligue urbaine de 1381, dans les Deutsche Reichstagsakten édités par Julius Weizsäcker.

Bibliographie

MGH Constituiones et acta publica…, II, n°428, « Confoederatio Pacis Rhenana 1254 » (Mayence, Cologne, Worms, Spire, Strasbourg, Bâle, et des villes non nommées) https://www.dmgh.de/de.

SCHAAB (Karl Anton), Geschichte des großen Rheinischen Städtebundes gestiftet zu Mainz im Jahre 1254 durch Arnold Walpold, vol. 2 : Quellen, Mayence, 2e édition, 1855.

QUIDDE (Ludwig), « Der Rheinische Städtebund von 1381 », Westdeutsche Zeitschrift für Geschichte und Kunst 2, Heft 4, 1883, p. 323-392.

QUIDDE (Ludwig), Der Schwäbisch-Rheinische Städtebund im Jahr 1384 bis zum Abschluß der Heidelberger Stallung, Stuttgart, 1884.

RUSER (Konrad), Die Urkunden und Akten der oberdeutschen Städtebünde vom 13. Jahrhundert bis 1549, vol. 1 : Vom 13. Jahrhundert bis 1347, Göttingen, 1979 ; vol. 2 : Städteund Landfriedensbündnisse 1347-1380, Göttingen, 1988 ; vol. 3 : Städte- und Landfriedensbündnisse von 1381 bis 1389, Göttingen, 2005.

KREUTZ (Bernhard), Städtebünde und Städtenetz am Mittelrhein in 13. und 14. Jahrhundert, (Trier Historische Forschungen 54), Trèves, 2005, avec une très large bibliographie.

BÖNNEN (Gerold), « Der Rheinische Bund von 1254/56: Voraussetzungen, Wirkungsweise, Nachleben », dans FELTEN (Franz J.) (dir.), Städtebünde – Städtetage im Wandel der Geschichte, Stuttgart (Mainzer Vorträge 11), 2006, p. 13-35.

Notices connexes

Bund

Décapole

Empire (villes d’)

Landfrieden

Städte

Rheinischer Bund (1658-1668) (Période moderne)

C’est aussi sous le nom de « Rheinischer Bund » / « erster Rheinbund » / « Rheinische Allianz » qu’est connue une alliance défensive interconfessionnelle nouée le 14 août 1658 entre les trois princes électeurs ecclésiastiques (Mayence, Cologne, Trèves), l’évêque de Münster, le prince de Brême (Suède), le Palatinat-Neubourg, Brunswick-Lünebourg et Hessel-Kassel. Rejointe dès le lendemain par la France, cette union devait garantir aux contractants une protection réciproque. Le prince électeur de Mayence en est le principal artisan. Il parvient en effet à connecter les alliances de Cologne et d’Hildesheim (Kölner Allianz, Hildesheimer Allianz). Dans le contexte encore très précaire établi par les Paix de Westphalie, les membres du Rheinischer Bund entendent créer un contre-poids face à l’Empereur habsbourgeois. L’alliance se dissout après la guerre de Münster en 1667.

Bibliographie

SCHNUR (Roman), Der Rheinbund von 1658 in der deutschen Verfassungsgeschichte, Bonn, 1955.

ARETIN (Karl Otmar Freiherr von), Das Alte Reich 1648-1806, vol. 1 : Föderalistische oder hierarchische Ordnung (1648-1684), Stuttgart, 1993.

ARETIN (Karl Otmar Freiherr von), « Das Alte Reich, eine Föderation? », WEBER (Wolfgang E. J.) und DAUSER (Regina) (dir.), Faszinierende Frühneuzeit. Reich, Frieden, Kultur und Kommunikation 1500-1800. Festschrift für Johannes Burkhardt zum 65. Geburtstag, Berlin, 2008, p. 5-26.

SCHINDLING (Anton), « Der erste Rheinbund und das Reich », dans Volker Press (dir.), STIEVERMANN (Dieter) (éd.), Alternativen zur Reichsverfassung in der Frühen Neuzeit, Oldenbourg, Munich, 1995, p. 123-129.

On lira aussi avec profit la synthèse proposée sur le site historicum.net https://www.historicum.net/themen/erster-rheinbund-1658/

Laurence Buchholzer