Lieue

De DHIALSACE
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Meile, Weg(e)stunde.

Mode d’évaluation des distances avant l’introduction du système métrique. Ces dernières ne correspondent pas à des valeurs constantes ni universelles, puisqu’elles sont soumises à deux variables : celle de la longueur du trajet à parcourir et celle du temps nécessaire pour l’effectuer.

Les cartes anciennes de l’Alsace (au XVIe siècle, celle de Sébastien Münster et celle de Daniel Specklin), n’offrent, en dépit de leur intérêt topographique, que peu de précisions, mais partagent déjà une préoccupation commune, celle d’évaluer les distances en heures de marche. Au XVIIe siècle, les géographes du roi, dont Guillaume Sanson (1666), ont avant tout le souci d’affermir l’autorité royale par rapport aux multiples seigneuries qui font l’originalité de la province nouvellement conquise, mais aucun d’entre eux ne s’étant rendu sur place, ils dépouillent les récits de voyage existants pour évaluer le temps mis par les voyageurs pour se rendre d’un lieu à l’autre. Il faut attendre les ingénieurs-géographes de la fin du XVIIe et du XVIIIe siècle pour obtenir davantage de précisions, grâce au perfectionnement de la technique des levées et à l’impulsion des officiers du Génie militaire, très sensibles aux indicateurs de distance (parmi eux, Régemorte dès les années 1690 et, entre 1757 et 1759, Tonnet et Capitaine, deux anciens ingénieurs militaires qui ont fourni des relevés pour la carte Cassini). C’est donc très progressivement que les calculs mathématiques et géométriques prennent le pas sur les évaluations pragmatiques en heures de marche.

La distance s’inscrivant avant tout dans le rapport espace-temps, la lieue correspond à «  une heure de route » (« Stunde » ou « Weg(e)stunde »), à savoir entre 4 et 5 kilomètres par heure. D’après un rapport des préposés au bailliage du Haut-Landser en 1767-1769 pour le trajet Saint-Louis-Strasbourg (AHR 1 E 44), la lieue équivaut à 4,8 kilomètres. Quatre heures de route : c’est ce qui sépare la résidence strasbourgeoise de Berckheim de leur Gültgut situé à Schwindratzheim pour une distance de moins de 30 kilomètres (AM Obernai B 50, 1761), ainsi que pour les 15 kilomètres entre Ribeauvillé et Wihr-en-Plaine (AMO Obernai B 55, comptabilité des Berckheim, 1778). Les renseignements fournis par les relations de voyage de la fin du XVIIIe siècle convergent : quatre heures de route, c’est ce que met ce voyageur anonyme du Göcking’s Journal pour atteindre, en 1778, Wangen depuis Strasbourg à raison de 5 kilomètres ¾ à l’heure. Quant à Frédéric Saltzmann, il met 40 heures, en 1780, pour traverser l’Alsace du nord au sud, soit 40 lieues et, une dizaine d’années plus tard, le russe Nicolas Karamzine fait 24 lieues en 14 heures : un bon marcheur avancerait donc à raison d’une à deux lieues par heure, à peine moins qu’un cheval au trot. La comparaison a son importance pour la fréquentation des marchés : de l’Outre-Forêt ou du pays de Hanau au marché de Haguenau (BN Ms. 11/474, fin XVIIe siècle), de Sélestat ou de Rouffach à celui de Colmar (BMC Ms. fr. I. Chauffour 61, Chronica Colmariensis, XVIIIe siècle, p. 124), ou encore du Kochersberg à celui de Strasbourg, il faut se mettre en route assez tôt le matin pour arriver dès l’ouverture (9 heures en été, 10 heures en hiver) et quitter dès la fermeture du marché (entre 13 et 14 heures) de façon à être de retour avant la tombée de la nuit.

Servant d’étalon aux déplacements quotidiens, la « lieue de pays » ou « elsässische Meile » est l’équivalent de l’ancien mille romain (1,5-3 kilomètres). Elle mesure la moitié de la « lieue commune française » ou « petite lieue de Paris » (« französiche », « welsche Meile ») qui, moyennant 2000 à 3000 toises (4-5 kilomètres), correspond à une heure de marche (4-5 kilomètres environ) et se distingue de la « grande lieue », « lieue d’Intendance » française ou « deutsche Meile », « Postmeile », « Landmeile » allemande, qui correspond à deux heures de marche (4000-6000 toises, environ 7-9 kilomètres), soit à 10000 doubles pas, en fait autant de doubles pieds (Doppelschritte). En France, l’Armée et les Eaux-et-Forêts, en prise avec de longues distances, sont amenées à utiliser cette dernière. Fort différentes, les valeurs s’adaptent donc aux distances à parcourir. Les autorités des villes ramènent parfois à 1 kilomètre ½ la « petite lieue » de façon à se démarquer du plat-pays : Félix Platter l’évalue ainsi à 1000 Doppelschritte dans la ville de Bâle en 1465. À l’inverse, la lieue s’allonge avec les grandes distances, jusqu’à 7 kilomètres ½ dans la campagne bâloise. La plus grande prudence s’impose donc dans les conversions, puisqu’on peut passer de l’équivalent du simple au double entre la lieue de pays alsacienne et la lieue officielle ayant cours en France comme en Allemagne et nécessitant presque le recours aux légendaires « bottes de 7 lieues » (Siebenmeilenstiefel) réservées aux géants…

Bibliographie

LÖTSCHER (Valentin), « Aus der Frühzeit von Felix Platters Praxis », d’après le Basler Stadtbuch, 1465, p. 82.

SALTZMANN (Frédéric Rodolphe), Schrifttasche auf einer neuen Reise durch Teutschland, Frankreich, Helvetien und Italien gesammelt…, Frankfurt-Leipzig, 1780.

Anonyme, Göcking’s Journal, on und für Deutschland. Bemerkungen auf verschiedenen Reisen durch Elsass, Wasgau nach Lothringen und dem obern Rhein entlang, 1784, t. 1/2, p. 331.

KARAMZINE (Nicolaï), « Voyage en France, 1789-1790 », Lettres d’un voyageur russe en France, en Allemagne, en Suisse, 1789-1790, trad., Paris, 1867, rééd. 1991, p. 26.

WILT (Isabelle), L’Alsace vue par les géographes français des XVIIe et XVIIIe siècles, mém. DEA, Strasbourg, 2002.

BOEHLER (Jean-Michel), Paysannerie (1994), t. I, p. 45 et Poids et mesures dans l’Alsace d’autrefois, Strasbourg, 2010, p. 36-39.

Notices connexes

Cartographie

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Jean-Michel Boehler