Leinenweber

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Tisserand de lin, tisseur de lin, toilier de lin.

Le métier de tisserand, tisseur ou toilier de lin (Leinenweber) consiste à confectionner des toiles ou tissus de lin à partir d’un fil obtenu par un long travail de filage domestique. Les sources archivistiques livrent aussi les termes de lininweber et Lynenweber. Le tissage consiste à entrelacer régulièrement des fils, la trame et la chaîne du lin cultivé (Linum, Flachs). La toile de lin est utilisée dans la confection de pièces de vêtements (pantalons, chemises, bonnets), du linge de maison, de la literie.

À propos de la plante

Le fil de lin est un des produits de la plante de lin (Leinen ou Flachs). Dans son Kreutterbuch du XVIe siècle, le botaniste Hieronymus Bock expose les multiples usages et vertus de cette plante. Les graines de lin (Flachsamen/Leinsamen) et l’huile de lin (Linehl, Leinöl) obtenue à partir des graines sont utilisées dans l’alimentation. Feuilles et graines sont également connues pour leurs bienfaits thérapeutiques. Incorporé dans des préparations ou servant de cataplasme, parfois même ingéré sous forme d’huile, le lin soigne, pour ne citer que quelques affections, la toux, le rhume, la constipation, soulage les coliques, les inflammations intestinales.

Hieronymus Bock ne manque pas de rappeler l’utilisation de l’huile de lin par les artisans peintres et les menuisiers. Les fibres de lin, obtenues à partir des tiges de cette plante, sont utilisées pour la confection de textile. Il décrit notamment les nombreuses et fastidieuses opérations nécessaires à la transformation de la plante : égrenage ou écapsulage, rouissage (pourrissage dans l’eau), teillage (broyage et battage pour séparer les fibres). Il en résulte à la fois des résidus grossiers de fibres (l’étoupe) et les brins longs et fins, partie plus noble qui est ensuite peignée avec des peignes spéciaux avant d’être filée. Il qualifie cette suite d’opérations de véritable torture pour cette plante (Flachs ein gemartet kraut).

Ancienneté du tissage du lin en Alsace

Les découvertes archéologiques témoignent du filage et le tissage de lin dans la région dès l’époque celte. Des fusaïoles en terre cuite ont notamment été découvertes dans des sépultures celtes du Wasserwald à Saverne. Selon Albert Fuchs (Die Kultur der keltischen Vogesensiedlungen), les femmes celtes tissaient elles-mêmes l’étoffe en lin permettant de confectionner les pièces de vêtements que portaient habituellement les Celtes. Ces habits étaient adaptés au climat et à leur activité agricole. A. Fuchs cite notamment les pantalons serrés et les chemises à manches larges en lin.

À l’époque gallo-romaine, certains vêtements étaient également confectionnés en toile de lin. Ces habits jouissent d’une très bonne réputation au sein de l’Empire. L’archéologie a révélé des métiers à tisser en terre cuite. La présence d’artisans de l’habillement à cette époque est attestée par la découverte de vestiges d’outils de filage, tissage et foulage mais aussi d’ateliers. Si le filage est alors encore une activité domestique, dévolue aux femmes au sein du foyer, « le tissage, toujours pratiqué dans le cadre de la sphère privée, se concentre progressivement dans les agglomérations au sein d’ateliers » (N. Mengus, p. 145).

Une filière organisée et une présence du lin au quotidien à l’époque médiévale

Au Moyen Âge, le lin continue d’être cultivé et transformé. Il est semé à la fois en plein champ et dans les jardins. Des noms de champ (Feldnamen) strasbourgeois s’en font écho : Lingarten (1274), Linland (1340) (C. Schmidt). Le terme Flachs apparaît dans des noms de cantons. Jean Vogt signale un canton Flachsländer à Schoenenbourg. Bernhard Metz rappelle que Wolf von Salmbach tient en fief de l’abbaye de Wissembourg une chenevière proche d’Altenstadt (Flachsland vor der Altenstadt) au début du XVe siècle (J. Vogt). Le lin peut être récolté deux fois l’an, au printemps, puis vers l’été ou parfois à l’automne (H. Bock).

Le tissage du lin évolue également. Des tisseurs de lin exercent en ville et à la campagne. Jacques Hatt identifie à Strasbourg le métier de tisseur de lin (lininweber) en 1360 et encore plus tard, en 1628, sous la terminologie de Leinenweber, mais aussi le marchand de lin (flachsverkäufer) en 1313 (J. Hatt, p. 61).

À Strasbourg, les Leinenweber font partie de la tribu des Drapiers (Tucher-Zunft) qui groupe les métiers du textile : tisseurs de laine (Wullenweber), tisseurs de couvertures (Sergenweber), fabricants de draps (Tuchlüte), drapiers (Tuchhändler), brodeurs de soie (Seydensticker), teinturiers (Ferber), teinturiers de soie (Seydenferber), teinturiers en noir (Schwartzferber), chaussetiers (Hosenmacher), tricoteurs de chausses (Hosenstricker), marchands de futaine (Barchetkrämer), cardeurs de laine (Wollenstreicher). En 1601, une décision du Magistrat de la ville de Strasbourg exige des tisserands de lin qu’avant de passer maître un compagnon devait être formé pendant six ans (apprentissage et compagnonnage) ou avoir pérégriné. En 1609, le Conseil des Vingt-et-un règlemente la vente et l’achat de tissus de lin dans la halle aux tissus de lin (Leinwadhaus, Schmoller, p. 239). En 1641, le statut des tisserands de lin strasbourgeois est réformé par le Conseil des Quinze (Schmoller, p. 273). Les tisserands de lin de Colmar avaient créé une confrérie de piété en 1463 et ceux de Strasbourg en 1479 (M. Debus Kehr).

L’activité de tisserand de lin faisait partie des métiers réputés indignes, au bas de l’échelle sociale, car associés à la mort, comme ceux de bourreau, de fossoyeur, de barbier-chirurgien (voir : Artisanat). Les défunts sont en effet inhumés enveloppés dans un suaire en lin.

La production de la toile de lin

La toile de lin est confiée à des couturières pour confectionner vêtements, linges et literie. Le terme lin se retrouve ainsi dans des mots composés comme Linduch (Leintuch), Line Duch, Linlàche, Lilàche (linge en lin). En 1300, douze Lilachen d’une valeur de 1 pfennig et 6 schilling ont été volés au chanoine Johann de Saint-Amarin. L’inventaire après décès du curé Peter Eckehart de 1446 mentionne 15 Linlachen. En 1499, l’inventaire de Ludwig von Odratzheim note neuf Lilachen (Schmidt). C’est d’un drap de lin que se couvre Geiler de Kaysersberg, par matins froids quand sonne la cloche qui appelle au prêche : « So man an dem Morgen zu Predig lütet, so ist es kalt und man zücht das Leilachen an sich ». Thomas Murner évoque un moine imitant un fantôme en s’enveloppant dans un Lilachen. Le lin entre également dans la composition du kelsch, comme le chanvre. L’usage habituel du kelsch dans la literie est attesté dès le milieu du XVe siècle. Les taies en kelsch recouvrent alors traversins et oreillers. La toile de lin figure parmi les textiles utilisés pour la confection de chemises, bonnets, draps, linges, nappes.

À la fin du XIVe siècle, le mode de production du Verlag ou domestic system se met en place pour la production du lin. Dans ce système, les maîtres tisserands travaillent pour des marchands-tisserands ou Verleger qui disposent de capitaux, achètent la matière première et fournissent les métiers à tisser placés dans les ateliers en ville ou dans les zones rurales alentours (M. Debus Kehr, p. 36).

Autres usages de la toile de lin

À cette époque, le tissu en lin fait l’objet de multiples usages, autres que domestiques. Dans les hôpitaux, il sert de compresse ou de couche, voire comme linge pour laver le corps (H. Bock). Il est également utilisé comme suaire.

Vers le déclin du lin

Ichtersheim, dans sa topographie alsacienne de 1710, fait figurer le lin aux côtés des nombreuses cultures du sol alsacien du XVIIe siècle. Hermann signale le lin comme l’une des cultures les plus communément cultivées durant ce siècle (Hoffmann, I, p. 267).

Au XVIIIe siècle, la toile de lin et de chanvre était encore fabriquée sur place pour un usage ordinaire.

« On compte à peu près 1345 tisserands dans le Haut-Rhin. La largeur ordinaire de la toile est de 9 décimètres, ou trois quarts de l’aune de Paris. On paie 1 fr. par aune pour la façon de la toile de lin nappée, et depuis 30 c. jusqu’à 40 c. par aune de la toile chanvre. Il faut environ 15 kilogrammes de fil pour 100 aunes de toile. Dans le voisinage des manufactures, les tisserands sont nombreux. La plupart des cultivateurs leur fournissent les matières premières et font fabriquer les toiles et étoffes dont ils besoin » (Hoffmann, I, p. 511).

Mais c’est alors que sa culture va commencer à décliner, concurrencée par celle du chanvre et l’importation du coton. Selon Jean-Michel Boehler, « c’est sans doute parce que sa culture est coûteuse, épuisante, mal adaptée aux sols, que le lin recule au XVIIIe siècle au profit du chanvre […] » (Paysannerie… p. 770).

Dans son rapport statistique du département du Bas-Rhin de l’an X, le préfet du Bas-Rhin Laumond, note : « En général, la filature du chanvre et du lin est l’activité journalière des femmes dans la campagne ; des servantes après leurs travaux ordinaires ; et des jeunes filles après l’école. Cette occupation sans doute n’est pas propre au département du Bas-Rhin, mais il y en a peu où elle soti aussi générale » (Laumond).

Les grands centres de production qui utilisaient le lin vont diversifier leurs matières premières et diminuer le recours au lin. Ainsi, la bonneterie haut-rhinoise à Sainte-Marie-aux-Mines et Mulhouse qui transforme plus de lin que de coton encore au XVIIIe siècle, finit par réduire la quantité de lin utilisée. Avant la Révolution, la bonneterie Leydecker & Caeser de Sainte-Marie-aux-Mines consomme annuellement 400 quintaux de fils de lin fournis par la Basse-Alsace et les Vosges. En 1804, elle en transforme à peine 50 quintaux (F. L’Huillier, p. 317-318). En Alsace, tissage et filature de chanvre et lin disparaissent pratiquement totalement après 1815 ; ils se maintiennent en Normandie et en Bretagne. (Michel Hau, L’industrialisation de l’Alsace, voir : Industrie).

Bibliographie

GEILER de KAYSERSBERG, Emeis, Strasbourg, 1516.

MURNER (Thomas), Von den vier Ketzer, Strasbourg, 1521.

BOCK (Hieronymus), Kreutterbuch, Strasbourg, 1577.

LAUMOND, Statistique du département du Bas-Rhin de l’An VIII (1799).

SCHMOLLER, Die Straßburger Tucher- und Weberzunft, (1879).

SCHMIDT, Wörterbuch der Strassburger Mundart, (1896).

HOFFMANN, L’Alsace au dix-huitième siècle, (1906).

FUCHS (Albert), Die Kultur der keltischen Vogesensiedlungen mit besonderer Berücksichtingung des Wasserwaldes bei Zabern, 1914.

L’HUILLIER (Fernand), Recherches sur l’Alsace napoléonienne, Strasbourg, 1947.

HATT (Jacques), « Les métiers strasbourgeois du XIIIe au XVIIIe siècle », RA, 1962, p. 51-78.

HAU (Michel), L’industrialisation de l’Alsace (1803-1939), Strasbourg, 1987.

VOGT ( Jean), « Coup d’œil au lin et au chanvre dans l’Outre-Forêt », Outre-Forêt, 1992, p. 40-42.

BOEHLER, Paysannerie, (1994).

DEBUS KEHR (Monique), Travailler, prier, se révolter. Les compagnons de métier dans la société urbaine et leur relation au pouvoir. Rhin supérieur – XVe siècle, Strasbourg, 2007.

BURCKEL (Christiane), Les étoffes en Alsace : le kelsch, Strasbourg, 2014.

MENGUS (Nicolas), Aux origines des Alsaciens et des Lorrains : des Triboques, Médiomatriques et Rauraques aux Gallo-Romains, Strasbourg, 2017.

Notices connexes

Artisanat

Barbier, Batteur de laine, Bünde

Dörre-séchoir, Draperie

Eau

Fossoyeur

Gastronomie alsacienne (hanföl)

Hungertuch (en lin)

Industrie

Kelsch

Rouissage

Christine Esch