Landschaft

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Les deux sens du mot « Landschaft »

Sens générique

Sens générique de pays, perçu comme espace cohérent du point de vue de sa topographie et de l’identité de ses habitants. En 1548, le chroniqueur suisse Johannes Stumpf désigne le Sundgau comme Sequaner oder Sundgower landschaft under Basel gelegen, en le situant par rapport à Bâle et en faisant des Sundgoviens les successeurs des Séquanes de l’Antiquité. L’acception actuelle de « campagne » (pour le canton de Bâle-Campagne) ou de « paysage » dérive de cette définition.

Sens politique et institutionnel

Le « pays » conçu comme communauté politique dans son rapport avec le prince. En Alsace, à côté de rares occurrences concernant les terres de l’évêque de Strasbourg, le terme s’applique essentiellement aux possessions de la Maison d’Autriche sur les deux rives du Rhin et concerne plus spécialement le « tiers état » des états provinciaux des pays antérieurs, bien que la toute première mention du mot, en 1427, ait également englobé la noblesse allen unnsern landleuten aller landschaft edelen und unedlen, suivant une formulation qu’on retrouve au Tyrol (die ganze lantschaft, edel und unedl). La terminologie la plus fréquente est die gemeine landschaft ou stett, empter und gemeine landschaft (villes, bailliages et l’ensemble du pays). On différencie les deux rives du Rhin : les gouvernés de la rive gauche du fleuve, die landschaft hie disseits Rheins, ont conscience de former un ensemble plus visible que leurs compatriotes du Brisgau, de la Forêt Noire et des Villes forestières du Rhin, ce qui leur vaut de siéger séparément lors des assemblées d’état. Dans les documents de langue romane, à Belfort notamment, le mot lantschaft est employé sous sa forme allemande ou traduit par « bonnes villes » et « pays ».

La Landschaft de Haute-Alsace

L’apparition sur la scène politique d’une landschaft associée à la chevalerie (ritterschaft) et s’exprimant au nom de l’ensemble de la Haute-Alsace autrichienne a lieu le 20 août 1433, à l’occasion d’un appel à l’aide adressé au duc Frédéric IV suite aux incursions répétées des Bourguignons dans le Sundgau. Elle est contemporaine de la députation de ces mêmes ordres, ritterschaft und landschaft, envoyée par le royaume de Bohème au concile de Bâle et se place à un moment, dans le premier tiers du XVe siècle, où l’on assiste à un reformatage des pratiques de coopération entre villes et seigneuries voisines (union monétaire du Rappenmünzbund sur le Rhin supérieur, réglementation commune des métiers, etc.). La notion de patria communis est une réponse collective aux dangers du temps, brigandage, incursions des belligérants de la guerre de Cent Ans, etc., et procède des initiatives plus anciennes prises à l’échelle locale (landfrieden) ou encouragées par l’Empereur (les ligues comme celle des villes impériales).

En 1433, la réunion commune de la chevalerie et des représentants des villes (der statte botten), c’est-à-dire du « pays », se tient à Ensisheim. La « motion » destinée à être portée à Innsbruck, où se trouve alors le duc d’Autriche, désigne ce dernier comme « notre prince naturel » (unsern naturlichen fürsten) et comme « notre seigneur territorial » (landesherren). Elle est revêtue du sceau de la société de l’écu de Saint-Georges, dont le ressort s’étend du lac de Constance aux Vosges, pour la noblesse (voir : Chevalerie) et de celui du landgericht de HauteAlsace pour les autres sujets.

Si la concertation spontanée de ces derniers apparaît comme une nouveauté en 1433, force est de reconnaître qu’elle a des antécédents du côté de l’autorité. Dès 1404, la duchesse Catherine de Bourgogne donne quittance d’une contribution de 1910 florins accordée par les différents empter de ses domaines, soit une quinzaine de seigneuries : ce document suggère une délibération prise par ceux-ci et une répartition de la somme en question. L’ayde faitte à maditte damme par ceulx du païs de Ferrettes et d’Aussais, d’un montant de 2500 florins est explicitement citée en 1423 dans les comptes tenus par ses agents. À la fin de sa régence, entre 1424 et 1426, puis sous le règne de Frédéric IV, ces mêmes circonscriptions sont associées à des actes du pouvoir, notamment à des alliances ou à des accords de paix avec des partenaires extérieurs. En 1428, la médiation des Bâlois dans le conflit qui oppose le duc d’Autriche au comte Jean de Fribourg est acceptée par les cinquante-trois délégués des douze communautés concernées : à côté des villes d’Ensisheim, de Thann, Masevaux, Altkirch, Delle, Belfort, Ferrette, on signale des seigneuries dépourvues de chef-lieu urbain, Landser, Rosemont, l’Assise, les mairies de Traubach et Burnhaupt. Ces députés sont des administrateurs, mais peuvent également être des bourgeois ou des villageois sans qualification : ainsi, Ferrette est représenté par son bailli Conrad de Morimont, par un habitant de la ville et par trois personnes domiciliées à Oltingue, Moernach et Durlinsdorf.

La matricule de la Landschaft

À partir du milieu du XVe siècle, lorsque les réunions des états fonctionnent à plein régime, la landschaft de Haute-Alsace donne lieu à une matricule servant à déterminer la quote-part de chacun, aussi bien pour la répartition des subsides que des soldats destinés au prince. L’ordre protocolaire de 1537 est le suivant :

Ville ou seigneurie Quote-part maximum (en p. 100) Quote-part minimum
Ensisheim 4,7 2,5
Ferrette 12,0 7,3
Altkirch 16,3 7,1
Cernay 4,7 2,5
Masevaux 7,1 5,3
Landser 20,0 11,3
Belfort 5,4 4,6
La Roche** 5,4 4,6
L'Assise** 5,4 4,6
Angeot 1,9 1,3
Rosemont 13,3 4,7
Delle 4,6 2,8
Florimont 4,5 1,0
Rougemont 2,0 1,5
Bergheim 4,7 2,5
Thann 26,7 20,3
    • Ces deux seigneuries dépendent du château de Belfort et contribuent avec la ville.

Le « pays » ne comprend que les domaines relevant directement des Habsbourg. Il n’inclut pas les fiefs tenus par des vassaux qui émargent à la chevalerie (au total, 125 localités) ou les deux ou trois villages dans lesquels les abbayes de Lucelle et Pairis exercent le droit de ban. La liste a légèrement varié selon le temps : Bergheim y figure irrégulièrement, Sainte-Croix-en-Plaine à une seule reprise (en 1542) tandis que le Val de Villé y échappe. La souveraineté de la Maison d’Autriche s’y exerce même lorsqu’elle n’administre pas directement son patrimoine et qu’elle en confie la gestion à des engagistes (voir : Engagement). En effet, le prince y conserve le droit d’y lever des impôts extraordinaires pour faire face à des dépenses d’utilité publique (landcosten, hilfe, schatzung en français aide ou get, etc.) et d’y lever des combattants en vertu du service militaire dû par ses sujets (landreisen). Entre 1469 et 1474, ses prérogatives passent aux mains du duc de Bourgogne.

La Landschaft et les Landtage-Diètes des Vorlande

La landschaft est la cheville ouvrière des états provinciaux des pays antérieurs autrichiens, en contribuant à hauteur de 50 p. 100 du total, la chevalerie et l’ordre des prélats, attestés vers 1460, se partageant le restant. La prépondérance de la rive gauche du Rhin se traduit par le fait que sa part y est bien plus forte que celle du Brisgau et des dépendances de la rive droite.

Sa participation à la diète peut être suivie jusqu’à la conquête française et à la déclaration royale du 19 juin 1661 qui met un terme à deux siècles d’états provinciaux. À cette date, l’institution s’était considérablement dégradée du fait de la guerre de Trente Ans et des exigences fiscales toujours plus lourdes des archiducs, ce qui explique son oubli rapide : l’impôt n’est plus consenti, mais il est trois fois moins élevé. La landschaft subsiste dans la partie des Vorlande restée aux mains de l’Autriche jusqu’en 1806.

En raison de leur fréquence et du nombre de députés qui y représentent les villes et les bailliages, les sessions des landstände (voir : États provinciaux de Haute-Alsace) sont à l’origine d’une culture politique sans équivalent dans le reste de l’Alsace : la solidarité territoriale s’exerce dans la concertation, en combinant autonomie et déférence à l’égard d’un souverain lointain, qui réside au Tyrol ou bien plus loin. On peut alors parler d’un pouvoir partagé sur le mode de la connivence entre la Régence d’Ensisheim et les élites de la landschaft.

Les débats de la diète ou landtag ont généralement lieu à Ensisheim, mais peuvent également se tenir à Brisach, Neuenbourg ou Fribourg : les députés des villes et des bailliages ne prennent pas de décision sans se référer à leurs mandants (cette pratique se nomme hintersichbringen) ; il arrive que des rencontres officieuses se tiennent à Thann ou ailleurs pour arrêter une attitude commune.

En temps normal, les représentants de la landschaft présentent leur point de vue et négocient le montant des aides demandées, ou, parfois, le subordonnent à des compensations. Ainsi, la Turkenhilfe destinée à la défense de l’Autriche orientale est-elle en partie utilisée pour financer la reconstruction des locaux de la Régence d’Ensisheim. Le dégagement des seigneuries données en gage à des pfandherren (voir : Engagement) est largement son œuvre.

Dans des circonstances graves, les gouvernés font des recommandations aux commissaires du prince, tentent d’infléchir sa politique et vont jusqu’à s’opposer à lui. En 1524, la landschaft remet ses doléances à l’archiduc Ferdinand lors de sa visite à Brisach : il s’agit d’un véritable programme de réformes du fonctionnement des pays antérieurs ; beaucoup de ses éléments seront repris dans les XXIV articles des paysans sundgoviens insurgés l’année suivante : toutefois, ces derniers vont bien plus loin puisque leur 21e article demande expressément que le peuple des campagnes puisse : « prendre part aux états provinciaux pour savoir ce qui s’y passe ».

Tout en étant considérée comme l’interlocuteur privilégié du prince et comme l’interprète du pays, et en étant associée au gouvernement de celui-ci (médiation dans des litiges, organisation militaire, consultation dans des affaires courantes), la landschaft n’est pas reconnue en tant que telle, et disposant de privilèges garantis par des chartes. Seules en possèdent les villes qui en sont membres. Mais sa représentativité est très forte : c’est en son sein qu’est formé le malefitzgericht chargé de juger et de condamner les meneurs de la Guerre des Paysans entre 1525 et 1528.

Sources et bibliographie

La série 1 C des AD du Haut-Rhin comporte de nombreuses pièces à son sujet (1 C 1241-1614, particulièrement 1 C 1411-1436). Des documents isolés se trouvent dans les fonds d’archives municipales, notamment à Thann et Fribourg.

Les procès-verbaux de la landschaft sont partiellement conservés : le plus complet (1 C 1086) recouvre les sessions des années 1512 à 1519. Après une interruption de quatre ans, il est suivi par le Landschaftbuch commencé en 1523, et poursuivi jusqu’en 1580, avec des lacunes et des extensions portant sur Landschirmverein de l’ensemble de l’Alsace (BNU Strasbourg, ms 845). Trois autres registres se succèdent de 1584 à 1610 (1 C 1087-1089).

BADER (Joseph), « Der Neuenburger Landtag von 1469 », ZGOR, 1861, p. 465-481.

BISCHOFF (Georges), Gouvernés et gouvernants en HauteAlsace à l’époque autrichienne. Les états des pays antérieurs des origines au milieu du XVIe siècle, Strasbourg, 1982 (liste chronologique des réunions consultable dans la version dactylographiée de cette thèse aux ADHR).

BLICKLE (Peter), Landschaften im Alten Reich. Die staatliche Funktion des gemeinen Mannes in Oberdeutschland, Munich, 1973.

SEIDEL (Karl Josef), Das Oberelsass vor dem Übergang an Frankreich: Landesherrschaft, Landstände und fürstliche Verwaltung in Alt - Vorderösterreich, 1602-1638, Bonn, 1980.

SPECK (Dieter), Die vorderösterreichischen Landstände. Entstehung, Entwicklung und Ausbildung bis 1595/1602, Veröffentlichungen des Stadtarchivs Freiburg i. Br. 29, 2 Bde. Fribourg, 1994.

Georges Bischoff