Landgraben (de Bergheim)

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De tous les Landgraben d’Alsace, celui de Bergheim est le seul connu du grand public. On l’évoque chaque fois qu’il est question de différences ou de différends entre la Haute et la Basse-Alsace, en supposant volontiers qu’il séparait déjà le Nordgau du Sundgau au haut Moyen Âge (Schoepflin), ou même la Germania Prima de la Maxima Sequanorum, voire les territoires des Médiomatriques et des Séquanes de La Tène (Beatus Rhenanus), quitte à négliger le fait qu’il n’en est jamais question avant 1436, et que ce n’est pas lui, mais l’Eckenbach qui marque la limite des diocèses, la seule précisément connue.

Si ce Landgraben est aujourd’hui un fantasme, il l’était déjà du XVe au XVIIe siècle. On voit mal comment les bourgeois de Bergheim ont pu croire qu’un fossé ne barrant qu’une courte section de la frontière nord de la Haute-Alsace mettrait cette dernière à l’abri de quelque ennemi que ce soit, ni comment les autorités autrichiennes ont pu partager cette illusion pendant deux siècles, alors qu’elles ne pouvaient ignorer combien il était facile à tourner.

En 1436, à la suite d’une attaque sur Rorschwihr, la ville de Bergheim demande l’appui du duc d’Autriche pour faire un lantgraben en surcreusant et élargissant le lit de l’Eckenbach, qui sépare les diocèses de Strasbourg et de Bâle, et pour lui obtenir un péage destiné à en financer les travaux, qui doivent inclure une tour et deux ponts-levis [sur la grand’route de Bergheim à Sélestat], afin de faire de la Haute-Alsace « un pays fermé » (ein beslossen land), à l’abri d’agressions extérieures (AHR E 525, éd. Hanauer, p. 163). En 1446, le péage est accordé (Als dipl. II, p. 380) et le Landgraben existe (RA NS 4, 1875, 544). Il ne suit pas le cours de l’Eckenbach, mais passe un peu plus au sud, du nord-est de Rorschwihr au bras ouest de l’Ill, sur une longueur d’environ 5 km ; entre la voie romaine de piémont et l’actuelle RN 83, il suit la limite des bans de Bergheim et Saint-Hippolyte. En 1473, un envoyé du duc de Bourgogne évoque « ung grant foussé bien profond descendant ou Rin », qui sépare la Haute-Alsace de la seigneurie épiscopale de Strasbourg (Stouff, p. 69) – ce qui est loin de la réalité. En 1553, un projet de Landesrettung prévoit, en cas d’attaque venue du Nord, de concentrer des troupes « entre le Landgraben et la montagne, entre Bergheim et Saint-Hippolyte » (Stolz, p. 198). En 1592, craignant que la Guerre des Évêques ne s’étende à la Haute-Alsace, la Régence d’Ensisheim fait inspecter le Landgraben, qui consiste alors en deux fossés parallèles, séparés par un talus, le tout en mauvais état, embroussaillé et seulement long de 2 020 pas. La Régence le fait restaurer, et fait creuser en six semaines un nouveau Landgraben de Bergheim à Guémar, sur une longueur de 2,5 km ; on envisage de le compléter par des redoutes et de le prolonger de l’Ill au Rhin, mais ce projet s’avère trop coûteux (AHR 1C 2164, E 535). Lorsqu’en 1621 Mansfeld s’avance vers la Haute-Alsace, la Régence d’Ensisheim compte sur le(s) Landgraben pour l’arrêter, mais une inspection constate que l’ancien est ein abgangen werk : il est envahi de broussailles et des chemins le traversent, ménagés par les riverains qu’il obligerait sinon à de longs détours. Le nouveau ne vaut pas mieux, cavaliers et voitures peuvent le franchir. On entreprend de le réparer et de le renforcer par sept redoutes, tout en se doutant qu’elles ne serviraient à rien sans une huitième sur les hauteurs à l’ouest de Bergheim (Ellerbach I, p.  233-35). Mais les troupes de Mansfeld tournent le Landgraben par le Ried (ibid., p. 298), car tous les projets de le prolonger sur la rive droite de l’Ill ont tourné court (AHR 1C 2164, ABR G 380/M). En 1632, les Suédois le franchissent sans encombres (Ellerbach II, p. 389-90). En 1652, il résiste à l’assaut des Lorrains, sur quoi ils le tournent par la montagne (Reuss I, p. 188). En 1673, une carte des environs de l’Illwald (ABR G 1254) figure l’ancien et le nouveau Landgraben ; l’ancien, seul, est renforcé par deux redoutes. Dans l’Alsace française, ils perdent toute fonction. La carte de Cassini ne les figure plus, mais en 1882, Schricker a repéré l’ancien Landgraben à l’est de la RN 83.

Bibliographie

HANAUER (Auguste), Les constitutions des campagnes d’Alsace au Moyen Âge, 1864, p. 162-64.

SCHRICKER (August), « Älteste Gaue & Grenzen im Elsass », Straßburger Studien 2, 1884, tiré à part.

REUSS (Rodolphe), L’Alsace au 17e siècle, 2 vol. 1897-98.

STOUFF (Louis), La description de plusieurs forteresses … de Charles le Téméraire en Alsace, 1902.

ELLERBACH (Johann Baptist), Der dreißigjährige Krieg im Elsaß, 3 vol., 1912-29.

STOLZ (Otto), « Die Landsrettungen für Oberelsaß und Breisgau aus dem 16. Jh. », Elsaß-lothringisches Jahrbuch 20, 1942, p. 181-199.

SCOTT (Tom), Regional identity & economic change, the Upper Rhine 1450-1600, 1997, p. 42-45.

MONTAVON (Jean-Marie), « L’histoire du Landgraben, de l’ère primaire à nos jours, racontée aux enfants »,Annuaire Sélestat 67, 2017, p. 79-90 [appelle arbitrairement Landgraben l’ensemble géologique formé par le Grand Ried et les bassins de Villé et de Saint-Dié].

Notices connexes

Assemblées de district

Assemblée de département

Canaux

Charpentiers

Ehn

Frontière

Graben-fossé-limite

Ill

Bernhard Metz