Landfriede(n)

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Paix provinciale, pax provincialis, constitutio pacis.

À partir du Grand Interrègne (1250-1273), l’éclipse et l’éloignement du pouvoir impérial se traduisent par des rivalités continuelles sur un fond de violence permanente. Pour y remédier, les puissances locales s’associent pour établir des règles communes à l’intérieur d’un espace défini, en s’efforçant d’imposer leur arbitrage et, à défaut, d’utiliser la force contre les contrevenants. On parle alors de Landfriede[n], les deux formes du mot étant admises au singulier.

Les origines de cette pratique remontent aux mouvements de la paix de Dieu et de la Trève de Dieu proposés par l’Église autour de l’an mille – à l’instar de la Paix de Dieu des Alsaciens du pape Léon IX, au milieu du XIe siècle. Leur but est de protéger les non-belligérants en interdisant aussi la guerre à certains périodes (voir : Friede) et dans certains lieux (voir : Asile-Freistatt). Tant que l’autorité de l’Empereur reste forte, ces dispositions sont régulièrement rappelées, comme le proclame Frédéric Barberousse en 1152 ou Frédéric II en 1235.

La fondation de ligues de villes et de seigneurs destinées à maintenir l’ordre face aux guerres privées et au brigandage endémique du royaume d’Allemagne est indissociable d’institutions de paix garanties par un serment commun, pour une durée déterminée (voir : Bund). Elles donnent lieu à un engagement solennel, par serment, et à des actes scellés par l’ensemble des contractants. Le pacte qui réunit les trois premiers cantons suisses, Uri, Schwytz et Unterwalden, en août 1291, en est un exemple fameux.

Les ligues urbaines rhénanes

Dans la région du Rhin, le mouvement commence avec le Rheinischer Städtebund conclu en 1254 pour une durée de trois ans entre 59 villes situées le long du fleuve ainsi que dans des régions plus éloignées, de Zurich à Lübeck : Strasbourg et Bâle y adhèrent, ainsi que Fribourg-en-Brisgau.

Sa première déclinaison visant expressément l’Alsace est conclue à Haguenau le 24 juin 1278 : ses contractants sont le comte palatin et plusieurs grands seigneurs rhénans, ainsi que seize villes parmi lesquelles Strasbourg, Bâle, Colmar, Sélestat, Haguenau et Wissembourg qui décident « une sainte paix de portée générale adoptée par un serment unanime », d’une durée de deux ans, pour garantir la circulation sur le fleuve, en établissant un péage commun à Mayence et à Boppard.

Les Landfrieden deviennent un mode de régulation plus fréquent au cours du XIVe siècle. On en dénombre une quinzaine : 1301, 1310, 1318, 1338, 1342, 1343, 1345, 1347, 1352, 1353, 1366, 1378, 1389, 1395, qui se chevauchent parfois, et sont censés rester en vigueur, au total, pendant une cinquantaine d’années. S’il arrive que l’initiative soit prise par le souverain, Henri VII en 1310, Charles IV en 1347 ou en 1378, ils sont, pour la plupart, mis en place par des partenaires locaux, qui peuvent, de leur côté, conclure d’autres types d’alliances.

La Landfriede de 1343

En 1343, l’évêque Berthold de Bucheck, les comtes Louis et Frédéric d’Oettingen, détenteurs de l’office de landgrave de Basse-Alsace, les villes de Strasbourg, Haguenau, Colmar, Sélestat, Obernai, Rosheim, Mulhouse, Turckheim et Munster concluent une paix provinciale de deux ans dont la circonscription s’étend de la crête des Vosges à celle de la Forêt-Noire, entre une ligne imaginaire située à deux lieues au sud de Mulhouse et les cours d’eau du Seltzbach, sur la rive gauche du Rhin et de l’Oos, qui rejoint la Murg en aval de Baden-Baden. Les points concernés sont :

  • la lutte contre le brigandage et l’insécurité au bénéfice de tous les ressortissants de l’alliance, marchands, clercs et laïcs, chrétiens et juifs, établissements religieux ;
  • une coopération judiciaire pour le recouvrement des créances ;
  • l’adhésion personnelle des seigneurs et des nobles du ressort de la paix ;
  • l’absence de protection en cas de refus de leur part ;
  • la coopération des contractants en cas de violence commise contre un ressortissant et la possibilité d’un arbitrage par les neuf arbitres du Landfrieden ;
  • la liberté accordée à un membre d’intervenir ou non pour un tiers extérieur à l’alliance, sans implication pour les autres partenaires ;
  • une aide militaire de tous les contractants en cas d’opération de guerre ;
  • la poursuite des contrevenants à la paix ;
  • et de leurs complices ;
  • le recours à la justice en cas de litige portant sur des dettes ou des biens, sans que la ligue soit impliquée si l’affaire dégénère en guerre privée entre un de ses membres et un tiers ;
  • la mise en place d’un comité de neuf membres présidé par le Strasbourgeois Berthold Swarber, deux pour l’évêque, un pour les landgraves, deux pour Strasbourg, trois pour les villes impériales pour régler pacifiquement les contestations qui leur seront portées ;
  • l’application immédiate des décisions ;
  • dans les cas graves, les contractants pourront être directement requis par leurs partenaires ;
  • le comité d’arbitres se réunira à Sélestat le lundi après les Quatre-Temps, ou plus fréquemment si son président le demande ;
  • les arbitres empêchés pourront être remplacés ;
  • les alliés s’engagent à protéger les arbitres si ceux-ci sont mis en cause par un justiciable mécontent ;
  • si on décide une campagne militaire ou un siège, tous les partenaires sont requis, au prorata établi par les neuf ;
  • une intervention commune n’a pas d’impact sur les droits et franchises des différents partenaires ;
  • qui conservent leurs alliances antérieures ;
  • les contractants ont une mission permanente de police et de répression des délinquants qui parcourent le ressort de la paix ;
  • l’alliance est sans préjudice pour l’Empereur et l’Empire ;
  • elle est valide à partir du moment où elle a été scellée par ses partenaires.

Ces dispositions se retrouvent dans la plupart des Landfrieden.

Les alliés et leurs territoires : une patrie commune d’Alsace ?

La liste des membres peut différer, de même que l’étendue concernée, bien que les deux crêtes, des Vosges et de la Forêt-Noire, soient la limite habituelle. Au sud, l’extension de l’alliance peut aller jusqu’à Montbéliard (1318) ou le Hauenstein (dans le Jura) ; au nord, jusqu’à Neustadt ou Wiesloch (1378). Tous les seigneurs de la circonscription ne sont pas concernés ; en 1301, les terres transrhénanes de l’évêque de Strasbourg sont incluses, mais pas celles de l’évêque de Bâle. On peut remarquer que les contractants, en majorité implantés sur la rive alsacienne du Rhin, n’utilisent pas le fleuve comme limite, ce qui invite à réfléchir sur la consistance de la « patrie commune d’Alsace », invoquée à partir du troisième quart du XIVe siècle (voir : Landsrettung). Les terres dépendant de la Maison d’Autriche (Haute-Alsace, comté de Ferrette) y sont peu impliquées. On peut remarquer que le Landfrieden de 1343 est le pendant de la « commune paix de Lorraine », conclue à la même date entre les seigneurs de l’ouest des Vosges.

Par ailleurs, le nombre d’arbitres peut varier entre trois et dix, généralement des chevaliers expérimentés, que l’on qualifie d’obmann ou obmänner. Des dispositions militaires plus détaillées sont possibles. Elles sont compatibles avec d’autres réseaux, comme la ligue des villes impériales (Décapole). En 1365, les partenaires du Landfrieden, réunis à Sélestat, prévoient de projeter leurs troupes à Mulhouse, Florimont, Delle, Belfort, Rougemont, Grandvillars et Porrentruy.

L’imbrication des différentes politiques explique de fréquentes recompositions. Les Landfrieden rendent compte d’une solidarité régionale à géométrie variable.

Le terme survit à l’institution telle qu’elle fonctionne à son apogée. On l’utilise encore pour qualifier des accords de paix, par exemple lors du concile de Bâle, dans les années 1430, et, surtout, en 1495, lors de la diète de Worms qui met un terme à la guerre privée et instaure une cour de justice impériale, le Reichskammergericht.

Sur les Landfrieden, il faut évidemment revoir les grands Urkundenbücher de la région, ceux de Bâle, Strasbourg, Mulhouse, des Ribeaupierre et les compléter par les collections de regestes, comme ceux des évêques de Strasbourg et, bien entendu, RUSER (Konrad), Die Urkunden und Akten der oberdeutschen Städtebünde vom 13. Jahrhundert bis 1549, 3 vol., Göttingen, 1979.

Bibliographie

KAMMERER (Odile), DROUX (Jean-Philippe), « La géographie des ligues peut elle être cartographiée ? »,Ligues urbaines et espace à la fin du Moyen Âge, sous la dir. de BUCHHOLZER (Laurence) et RICHARD (Olivier), Strasbourg, 2012, p. 91-104.

MÜLLER (Friedrich Wilhelm), Organisation und Geschäftsordnung der elsässischen Landständeversammlungen und ihr Verhältnis zu Frankreich nach dem westfälischen Frieden, Strasbourg, 1906.

WILSDORF (Christian), « Léon IX et la Paix de Dieu des Alsaciens », L’Alsace des Mérovingiens à Léon IX, Strasbourg, 2011, p. 371-390.

BUCHHOLZER (Laurence) et RICHARD (Olivier) (dir.), Ligues urbaines et espace à la fin du Moyen Âge, Strasbourg 2012.

Notices connexes

Absagebrief-lettre de défi, Armes (port d’armes), Asile-Freistatt

Bund

Droit de conduite-Geleit, Diète (Tag), Droit de l’Alsace, Droit criminel

Eid, Empire, Enregistrement, États d’Alsace-Elsässische Landstände

Fehde, Friede

Krieg

Obmann

Reichskammergericht

Georges Bischoff