Lager

De DHIALSACE
Aller à : navigation, rechercher
  1. Endroit, lieu où se reposer, couche, lit (de malade, de mort), camp d’une armée, siège (Belagerung), gîte.
  2. Lieu de stockage de marchandises, halle, entrepôt.

Moyen Âge

Avec le développement économique des XIe et XIIe siècles et la multiplication des marchés dans les villes, l’on assiste à la construction de halles où les marchands peuvent stocker leurs marchandises et les offrir à la clientèle. Il peut s’agir de véritables magasins généraux qui reçoivent tous types de produits ou des halles spécialisées pour certaines productions, particulièrement le drap. L’une des fonctions essentielles de la halle est de permettre l’exercice de la vérification des marchandises, en qualité, poids et mesures. Les produits y sont inspectés par les inspecteurs (Schauer). Ces halles se développent vite : Épinal (1224), Colmar (1226, halle aux draps), Mayence (1239), Saint-Dié (1240). Metz dispose même de 16 halles aux marchandises (pour les couteliers, pour les tanneurs etc.), Fribourg-en-Brisgau de 12, Francfort-sur-le-Main de 12, Cologne de 8. Liés aux privilèges de tenir marché ou foires, ainsi qu’aux contraintes du sauf-conduit et transport en convoi (geleit), les halles mettent les produits à l’abri du vol et de l’incendie. Elles permettent de concentrer l’activité des percepteurs, inspecteurs, experts, commissionnaires, transporteurs… et celles des clients de la ville. Mais la halle, appelée le plus souvent kaufhaus et érigée à proximité de l’Hôtel de ville (Rathaus), revêt de très nombreuses autres fonctions municipales et commerciales. À Mulhouse, hôtel de ville (Rathaus), halle (Kaufhaus) et balance (Waghus) sont attenants, de même qu’à Colmar (Koïfhus) et à Haguenau.

Un certain nombre de grandes villes bénéficient en outre du privilège et d’entrepôt ou droit d’étape (stapelrecht), lié le plus souvent à un monopole d’embarquement et de transport (voir : corporation de l'Ancre). Pour un certain nombre de marchandises définies par règlements, sur une voie commerciale et pour une localité bien déterminées, les marchands doivent obligatoirement stocker leurs marchandises dans des entrepôts créés en vertu du droit d’entrepôt ou d’étape : elles y sont déchargées, déclarées, s’acquittent des droits et taxes, principalement, le droit de douane (zoll) et le droit d’entrepôt (Hausgeld, Lagergeld) et des accises (en particulier l’Umgelt). Elles peuvent être exposées et vendues sur place et réexpédiées plus loin.

Les grandes villes du sud-ouest du Saint Empire, qui disposent du droit d’étape, se sont fort souvent équipées d’un seul entrepôt central, attenant à un port, dont le modèle architectural est la grande « Halle gothique », à deux ou trois nefs, un ou deux étages, avec dépôts, magasins d’exposition, bureaux pour l’administration et les commis, tel qu’il est appliqué à Mayence en 1317, et qui se répand au cours du XIVe dans le sud-ouest du Saint Empire, ainsi dans la halle de Constance (1388) où se tiendra le concile. Celle de Strasbourg date de 1358 ; elle est agrandie à plusieurs reprises au cours des XIVe et XVe siècles ; elle prendra, après 1803 et sa désaffection, le nom d’ancienne Douane (R. Will).

Strasbourg voit confirmer son droit d’entrepôt par l’empereur Sigismond en 1414 et elle a défendu ce privilège bec et ongles contre tous concurrents et contestataires.

Venus par la voie terrestre, marchands et paysans comme ceux du Hanauerland sur la rive droite, passent par le pont du Rhin, y déposent une somme de garantie et obtiennent un billet (briefelein), puis acheminent leurs produits au Kaufhaus (Ancienne Douane) où est remis le billet, s’acquittent de leurs droits (de douane -Zoll- et d’entrepôt -Lagergeld-, de pesage -Waggeld- et d’inspection -Schauergeld), remettent les produits au destinataire, puis s’en retournent munis du bon de livraison (worzeichen) qui leur permet de récupérer leur dépôt de garantie au Pont du Rhin (Rheinbrückenzoll). Il en va de même pour les produits venus par la voie fluviale, avec des bureaux de douane (wasserzoll) à la Robertsau pour les bateaux rhénans qui remontent l’Ill, puis au Rheingiessen, ou encore aux Ponts couverts (où passent tous les produits venus de Sélestat et Colmar, par exemple les foudres de vin, principal produit d’exportation alsacien). Ils sont déchargés à la grande halle construite en face du Pont du Corbeau, équipée de quais et de deux grues. De même, le marchand qui exporte doit d’abord passer par l’entrepôt ou Kaufhaus, où, après avoir acquitté les droits et taxes, il obtient les certificats à présenter aux bureaux et postes de douane des portes de la ville. L’entrepôt permet de centraliser toutes les formalités du commerce médiéval, codifiées pour la dernière fois par la ville en 1624 (Kaufhausordnung de 1624). Une administration municipale, avec un Kaufhausherr, membre du Conseil des XV, et du Hussmeister-Hausmeister avec une foule de commis, Packer et Spanner (emballeurs et ficeleurs), Lastträger (porte-faix), Kranknecht (conducteurs de grue), Kärchelzieher (convoyeur), Waagemeister (commis de la balance). Les commissionnaires et courtiers (Kaüfler) mettent en rapport vendeurs et acheteurs, ainsi que les différents transporteurs, bateliers et voituriers. La ville module les tarifs douaniers et d’entrepôt appliqués aux marchands en fonction des accords passés avec les villes partenaires. Elle a un accord de libre échange avec Cologne, Francfort, Nuremberg, mais aussi Haguenau et Saverne, où les marchands bénéficient également des entrepôts de la ville.

Après l’annexion de Strasbourg (1681)

La capitulation du 30 septembre 1681 garantit à la ville annexée le maintien du Kaufhaus et des droits afférents, en particulier l’exemption de droits de douane pour son commerce au Pont du Rhin. De longues négociations aboutissent à préciser ces concessions très générales, contestées par les Fermiers royaux qui ont repris la collecte des péages d’Alsace (voir : Ferme des Impôts). C’est ainsi que la ville continue de disposer du monopole d’entrepôt dans un rayon de deux lieues et la Ferme générale ne peut pas y établir d’entrepôt concurrent. La ville conserve le privilège de navigation sur le Rhin pour ses bateliers. Les marchandises venant ou partant de Strasbourg, ou celles qui passent en transit continuent d’être astreintes à l’entrepôt à la Douane de Strasbourg. Les marchandises venant du ou destinées au Saint Empire (par la Basse-Alsace) sont exempts de droits de douane, celles venant de ou destinées à la Suisse ou à la Franche-Comté (par la Haute-Alsace) paient des droits réduits. Il en va de même quand les produits proviennent de ou sont destinés à l’intérieur du royaume. Les marchandises destinées à l’Alsace même paient un droit réduit, sauf si elles sont achetées au détail à Strasbourg, auquel cas elles sont exemptes. Demi-tarif encore pour les marchandises vendues à Strasbourg pendant les Foires de la Saint-Jean et la Foire de Noël (voir : Christkindelsmarkt, Foire). Dès 1686, le gouvernement royal avait contraint la ville à affermer la douane, ainsi que de nombreuses autres perceptions. Elles rapportent pourtant peu, car en période de guerre, les mouvements de marchandises destinées aux troupes sont exempts de droits. Jean-Christophe Kellermann et ses associés emportent l’enchère. En 1687, le gouvernement royal crée le Corps des marchands, institution qui regroupe désormais les marchands de Strasbourg, appartenant aux cinq tribus marchandes (Mauresse, Lanterne, Gourmets et Francs-Bourgeois) et Kellermann est nommé prévôt des marchands (voir : Commerce, Corps des Marchands, Kaufmann).

De la Révolution à 1815

Les privilèges de la ville de Strasbourg sont abolis en 1790, avec le « reculement des barrières » (voir : Commerce), et les recettes de douane et d’entrepôt reviennent à l’État (voir : Impositions). À partir de cette date, l’Alsace et Strasbourg se voient imposer le régime commun douanier à la France, (avec ses exceptions). L’entrepôt s’impose pour les importations et les exportations, avec des procédures uniformes : visite des balles et ballots, pesées, décompte, plombage, expédition avec acquits à caution, puis transport sans plus de vérification en cours de route. Mais Strasbourg proteste tout au long de la période en réclamant avec l’entrepôt, le régime du transit. Les ruptures de charge imposées par les difficultés de la navigation rhénane, les monopoles de la batellerie (Cologne, Mayence, Bâle, Mannheim en 1811), les coûts des péages, l’insécurité, les tarifs douaniers des États riverains et les prix des commissionnaires et transporteurs, imposent aux marchands et aux transporteurs des arrêts sur les parcours. C’est en particulier le cas pour la voie maritime et fluviale rhénane des Pays-Bas à la Suisse, concurrencée depuis l’amélioration du réseau routier de la rive droite (voir : Inspecteurs des Ponts et Chaussées) par la voie terrestre. Le transit permettrait aux marchandises d’être entreposées en franchise, pourvues d’un acquit à caution, et de reprendre le voyage comme si elles n’avaient pas franchi de frontière douanière.

À partir de 1791, la guerre commerciale impose des droits élevés sur les produits coloniaux (sucre, café, cacao, thé, coton) et les produits anglais (filés, tissus), qui sont périodiquement prohibés (1796 à 1803, puis à partir de 1809). Ils ne peuvent être importés qu’après avoir été vérifiés après acquittement des droits dans des entrepôts, halles et magasins retenus à cet usage par les lois et règlements. Strasbourg se voit reconnu le droit d’entrepôt en 1803 « sans que le commerce strasbourgeois en soit plus satisfait » (Ponteil). Les marchandises sont désormais stockées dans de nouveaux entrepôts et le Kaufhaus du Pont du Corbeau, devenu « Ancienne Douane », affecté à un marché. Mais Cologne et Mayence, désormais capitales départementales disposent, également du droit d’entrepôt. La convention du 15 août 1804 sur l’octroi de navigation du Rhin, entre l’Empire français et l’électeur de Mayence, maintient les privilèges des bateliers colonais pour la navigation en direction des Pays-Bas et la région de Mayence pour le trafic entre Cologne et Strasbourg, les bateliers du Rhin conservant la liberté de la navigation entre Strasbourg et Mayence. Mais les routes de la rive droite voient augmenter fortement leur trafic. À partir de 1806, nouveau tarif, avec des droits exorbitants sur les produits coloniaux, dont le coton, et l’interdiction d’importer des toiles de coton. Le coton du Levant prend la voie terrestre à partir de la Mer Noire, puis passe sur le Rhin, en amont, jusqu’à Strasbourg et l’intérieur de l’Empire. La contrebande toujours endémique en Alsace se développe également prodigieusement, avec la complicité des fonctionnaires de la douane. Et « les assureurs-négociants et commissionnaires de Strasbourg, les J-F Turckheim, Menet et Prost, les Frank, les Humann poussaient plus loin l’audace. Ils travaillaient de connivence avec les principaux chefs des douanes d’Alsace. Les voitures chargées de marchandises venues de Francfort ou de Bâle étaient plombées au Pont du Rhin par capacité et dirigées sur Strasbourg pour être déchargées dans l’entrepôt. La formalité de l’acquittement était simple. Un commis des assureurs se présentait, une déclaration en poche. Les douaniers visitaient quelques ballots désignés à l’avance, dont le contenu était conforme à la déclaration. Les marchandises étaient alors plombées indistinctement et dirigées sur l’intérieur » (Ponteil). Les fausses déclarations de qualité et quantité étaient monnaie courante.

En 1819, Strasbourg obtient le transit avec entrepôt, mais pour une durée d’un mois, alors que la durée commune était de trois ans ; bridant l’activité des commissionnaires et transporteurs, la concession était illusoire. Mulhouse l’obtient pour 6 mois en 1827. La contrebande reste importante pendant toute la période.

Bibliographie

Almanach du Commerce de Paris (1810).

MARTENS (Georg-Friedrich von), Recueil des principaux traités…, VIII, 1803-1808, Goettingen,

1835. HERRMANN (Jean), Notices historiques, statistiques et littéraires de la ville de Strasbourg, Strasbourg, 1872.

EHEBERG (Karl Theodor von), Verfassung, Verwaltungs und Wirtschaftsgeschichte der Stadt Strassburg, Strasbourg, 1899.

GENY (Joseph), Schlettstadter Stadtrechte, Strasbourg 1903.

PONTEIL (Félix), Situation économique du Bas-Rhin au lendemain de la Révolution Française, Strasbourg, 1927.

L’HUILLIER (Fernand), Recherches sur l’Alsace napoléonienne, Paris, 1947.

SITTLER (Lucien), « Das Hagenauer Kaufhaus », Études haguenoviennes, Haguenau, 1948, p. 205-225.

GODECHOT (Jacques), Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, 1951.

MOEDER (Marcel), Les Institutions de Mulhouse au Moyen Âge, Strasbourg 1951.

SITTLER (Lucien), « L’organisation de la Douane (Koifhus) jusqu’à la Guerre de Trente Ans », Annuaire de la société d’histoire et d’archéologie de Colmar, Colmar, 1956.

WILL (Robert), « L’ancienne douane de Strasbourg. Construction primitive et transformations successives 1358-1897 », Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire.

LEVY-MERTZ (Georges), « Le commerce strasbourgeois au XVe siècle d’après les règlements de la Douane », RA, 1958, p. 91-114.

LEUILLIOT (Paul), L’Alsace au début du XIXe siècle, Essais d’histoire politique, économique, religieuse (1815-1830), II. Les transformations économiques, Paris, 1960.

HERTNER (Peter), Stadtwirtschaft zwischen Reich und Frankreich, Wirtschaft und Gesellschaft Strassburgs 1650-1714, Cologne, 1973.

DOLLINGER (Philippe), La Ville libre à la fin du Moyen Âge, Histoire de Strasbourg, t. 2, Strasbourg, 1981.

FUCHS (François-Joseph), « Les Foires et le rayonnement économique de la ville en Europe », Histoire de Strasbourg, t. 2, Strasbourg, 1981, p. 259-361.

HAU (Michel), L’industrialisation de l’Alsace (1803-1939), Strasbourg, 1987.

HECKL (Christoph), Das Strassburger Kaufhaus im Mittelalter, Hambourg, 2015.

Notices connexes

Commerce (corps des Marchands, chambre de commerce)

Douane

Étape (Stapelrecht / Niederlagerrecht)

Foire

Hausmeister

Impositions

Industrie

Kaufhaus

Octroi

Stapel

Tonlieu

François Igersheim