Krieg (Moyen Age)

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Terminologie

Le vocabulaire relatif aux affrontements armés juxtapose des mots à l’origine très variée. Le substantif Krieg qui s’apparente au verbe kriegen (se procurer quelque chose, éventuellement par la force), a supplanté le francique werra (lutte, de même racine que le latin versus = opposé), qui a donné guerre en français et war en anglais. Du grec polemos et de son équivalent romain bellum dérivent, notamment, les adjectifs polémique et belliqueux. Nombreux sont les termes désignant les modalités offensives de la guerre (Angriff, Zug, Lauf…), leurs acteurs (Heer, Volk, Kriegsvolk, armées…) et les différentes catégories de faits concernés (Fehde, guerre privée, Treffen, Schlacht, bataille…).

Typo-chronologie

À en croire les chroniques médiévales, la guerre est un état permanent qui ne laisse aucun répit aux habitants de l’Alsace et des régions voisines. C’est une erreur de perspective, qui ne rend pas compte de la durée et de l’intensité, très variables, des événements guerriers. Le changement d’échelle, qui se produit après 1500 et se traduit par des moyens militaires plus coûteux et par une professionnalisation du métier des armes, a pour effet d’espacer et de déplacer les conflits, rendant possible de longues périodes de paix.

La chronologie impose une typologie très différenciée.

Expéditions lointaines et croisades

Menées dans le cadre de l’Empire – voire de la Chrétienté toute entière –, les guerres auxquelles participent ès-qualités les différentes composantes de l’Alsace (seigneurs immédiats, villes, membres de la noblesse, sujets roturiers) peuvent être des expéditions lointaines, liées à des agressions venues de l’extérieur ou des campagnes de conquête.

Les guerres de Charlemagne contre les Saxons, les Avars, les Musulmans d’Espagne, etc., le rejet des Hongrois par les Ottoniens (955), les opérations de ces derniers ou des Hohenstaufen en Italie, la défense de l’Europe orientale contre les Mongols et les Turcs (XIVe-XVIIe siècles) entrent dans ce cas.

Les croisades encouragées par l’Église (en Terre sainte entre 1098 et 1291), dans les Balkans (Nicopolis en 1396, Varna en 1444), l’appui aux ordres religieux militaires (Hospitaliers de Rhodes, 1481, 1522) puis de Malte, Teutoniques en Baltique (XIIIe-XVe siècles) constituent une autre catégorie, mais peuvent se combiner avec des initiatives impériales, à l’instar de la mobilisation lancée par l’Empereur contre l’hérésie sécessionniste des Hussites de Bohème (1420-1434). La sacralisation des armes n’est pas étrangère à la persistance de l’esprit chevaleresque, notamment à travers le réseau de commanderies de l’ordre de Saint-Jean ou de l’ordre teutonique, l’Alsace étant la seule région de la France actuelle où les deux coexistent.

Les guerres transrégionales entre puissances voisines

Elles s’inscrivent dans des logiques d’hégémonie. Elles mettent en scène deux partis rivaux : ainsi, pendant la Querelle des Investitures, quand les comtes d’Eguisheim, partisans du pape, guerroient contre les Hohenstaufen, au service des empereurs Henri IV et Henri V. Sur le terrain, l’affrontement se traduit par la construction (et/ou l’attaque) de châteaux forts ou d’infrastructures fortifiées, destinées à contrôler des secteurs stratégiques, comme le montre la politique castrale du duc de Souabe Frédéric le Borgne, qui élève, notamment, le futur Haut-Koenigsbourg et le château de Haguenau vers 1115. La conquête du pouvoir est au cœur de ces conflits. Les principaux protagonistes de ceux-ci sont, outre l’Empereur, les grands seigneurs territoriaux (tels les évêques de Strasbourg et de Metz, l’abbé de Murbach) et les dynastes locaux (duc de Lorraine, Eguisheim, comte palatin, Ferrette, Habsbourg, Ochsenstein, Lützelstein, Lichtenberg, Ribeaupierre, Geroldseck-Lahr). Les affrontements les plus spectaculaires ont lieu entre le XIe et le XIIIe siècle, avec les campagnes de Conrad II et de Frédéric Barberousse contre les Eguisheim, puis les guerres liées à la succession de ces derniers (bataille de Blodelsheim en 1228, remportée par l’évêque Berthold de Teck sur Frédéric de Ferrette), à la vacance du pouvoir impérial (Grand Interrègne de 1250 à 1273) et aux prétentions des Habsbourg à la tête de l’Empire (guerre contre Ottokar de Bohème, 1278), entre Albert d’Autriche et Adolphe de Nassau, 1291-1298, puis de ses fils contre Louis de Bavière (1314-1330).

Conflits généralisés

Ces conflits généralisés donnent lieu à de nombreux sièges de villes et de châteaux et à des combats sporadiques. Caractérisés par des coalitions, ils se combinent avec d’autres types d’événement belliqueux – révoltes, séditions, coups de mains, razzias. L’exemple emblématique du phénomène est le Bellum Waltherianum opposant l’évêque de Strasbourg Walter de Geroldseck, sa famille et ses partisans aux bourgeois rebelles de sa ville épiscopale et à leurs alliés, conduits par le comte Rodolphe de Habsbourg (1261-1263) : son résultat est une recomposition du pouvoir entre Vosges et Rhin au profit de ces derniers.

Révolutions politiques ou tentatives d’émancipation

Révolutions politiques ou tentatives d’émancipation se traduisent par des batailles décisives et des hostilités à répétition, suivant le modèle donné par les bourgeois de Strasbourg qui écrasent la chevalerie de l’évêque Walter à Hausbergen (8 mars 1262) et guerroient ultérieurement contre leur ancien maître ou ses fidèles. Le rejet de l’autorité de la Maison d’Autriche par les premiers cantons suisses, au début du XIVe siècle, entretient durablement l’esprit de revanche de la noblesse alsacienne, décimée à Sempach (1386), et demeurée en première ligne dans les opérations ultérieures jusqu’à l’ultime défaite de Dornach, aux portes de Bâle (1499). La confrontation de belligérants au profil social très différent – milices populaires contre guerriers de métier – se retrouve virtuellement au moment du Bundschuh, dont les conjurés sont souvent comparés aux Suisses (entre 1493 et 1517), puis lors de la Guerre des paysans, où l’on a affaire à des armées paysannes combattant contre des soldats expérimentés (batailles de Lupstein et de Scherwiller, 16 et 20 mai 1525). Le concept de guerres féodales regroupe une grande variété d’événements diffus, rivalités entre puissants ou entre villes et seigneurs, guerres privées (Droit de l’Alsace (Fehde), Fehde, Guerres privées), brigandage, opérations de représailles ou de police.

Contingents alsaciens dans des campagnes extérieures

La participation d’Alsaciens à des campagnes extérieures à leur région s’effectue dans le cadre d’une mobilisation décidée par l’Empire, par l’autorité dont ils relèvent (ville, seigneurie territoriale), ou à titre individuel. Ainsi, en 1487, les vassaux et les sujets rhénans de l’archiduc Sigismond d’Autriche prennent part à la défense de Trente contre les Vénitiens et remportent la victoire de Calliano (10 août 1487) ; sept ans plus tard, ils contribuent à la reconquête de la Franche-Comté pour le compte de Maximilien. Ces mêmes contingents avaient été engagés sur plusieurs fronts lors des Guerres de Bourgogne (1474-1477), aux côtés de leurs alliés de la Basse-Union et des Confédérés suisses (batailles d’Héricourt, de Morat et de Nancy).

Les Landsknechte alsaciens

Ces projections lointaines peuvent se faire à titre individuel ou dans des compagnies formées à cet effet : le mercenariat noble est particulièrement florissant en Italie au XIVe  siècle (un Beger fonde une chapelle à Lucques, en Toscane) ; au moment de la Renaissance, l’Alsace est l’un des principaux foyers de recrutement des lansquenets (Landsknechte) ; elle est également un vivier de spécialistes de l’artillerie.

Les retombées des grands conflits européens

Ils affectent particulièrement les pays d’entre-deux, qui profitent du déplacement des activités économiques et jouent un rôle géopolitique toujours plus grand. Ainsi, à plusieurs reprises, l’Alsace et les régions voisines subissent les épanchements de la guerre de Cent Ans, sous la forme de chevauchées massives (1365, bandes d’Arnaud de Cervole ; 1375 « Anglais » d’Enguerran de Coucy ; 1439 et 1444-45, Armagnacs de l’armée du roi de France). Ces invasions – et d’autres raids similaires venus de Bourgogne, 1424, 1431, 1433 – consistent généralement dans un circuit rapide, entre le Col de Saverne et la Trouée de Belfort, car ces armées n’ont guère le temps d’assiéger les villes et les châteaux et n’ont pas d’adversaire organisé face à eux : seule exception, la présence de l’armée du Dauphin Louis, qui prend ses quartiers d’hiver en Alsace en 1444-1445, est perçue comme une occupation militaire et considérée par certains comme le prélude de l’annexion qui aura lieu sous Louis XIV.

Les rivalités entre les Habsbourg et la France

De la fin du XVe siècle aux Traités de Wesphalie, la rivalité des Habsbourg et des rois de France impacte directement les Vosges et le Rhin, faisant de la montagne et du fleuve, exposés aux passages de troupes, un double rempart de l’Allemagne. Elle se superpose à la fracture confessionnelle de la Réforme, avec l’appui des Valois, puis des Bourbons, aux princes protestants d’Allemagne, et, parallèlement, l’implication de ceux-ci dans les guerres de religion en France. Sa chronologie se traduit par plusieurs temps forts – une tentative d’invasion du duché de Lorraine (1516) en réplique à Marignan, l’entrée en Alsace de l’armée française pour réprimer l’insurrection paysanne du printemps 1525, interprétée, à tort, comme une offensive impériale consécutive à la défaite française de Pavie, la « chevauchée » d’Henri II jusqu’à Haguenau et Wissembourg en 1552, les exactions de l’armée de comte palatin au service des huguenots en 1569, celles de « Navarrais » et des Lorrains en 1587, puis la Guerre des évêques de Strasbourg entre partisans du luthérien Jean-Georges de Brandebourg et du cardinal Charles de Lorraine (1592-1604).

La guerre de Trente Ans

La guerre de Trente Ans comprend deux phases très aigües, en 1622-1623, avec la campagne du comte Ernst de Mansfeld, qui balaye les terres de l’évêque de Strasbourg et pénètre profondément en Haute-Alsace autrichienne, puis à partir de 1632, avec l’entrée en scène de Suédois, face aux Impériaux soutenus par les Lorrains et, en 1634-35, l’arrivée de l’armée française au secours de ses alliés protestants. La résistance de Benfeld, principale place de guerre catholique, de Dachstein et de Saverne, et, surtout, de Brisach, qui ne tombe qu’en 1639, s’accompagne de la prise de nombreuses villes, du siège de plusieurs châteaux (Guirbaden, Haut-Koenigsbourg, Wildenstein…) et d’une vigoureuse guérilla, épaulée par les Lorrains dans le sud, suite à l’effroyable répression de l’insurrection sundgovienne (hiver-printemps 1633). Les allées et venues de belligérants issus de toute l’Europe, italiens, croates, espagnols dans le camp des Habsbourg, allemands, scandinaves, slaves, dans celui de leurs ennemis, avaient été précédées par un effort militaire et fiscal sans précédent, entre 1623 et 1632.

À l’exception des troubles de la Fronde, les guerres ultérieures sont le fait d’armées régulières et s’inscrivent dans des préoccupations géopolitiques plus larges.

Procédures, usages de la guerre

Déclenchement

Au Moyen Âge, le recours à la violence militaire est encadré par la loi et par la coutume. La guerre permet de rétablir un ordre légitime. Elle peut être menée par tout homme libre, en tant qu’individu ou en sa qualité de membre d’une communauté, mais elle est interdite aux gens d’Église, à qui il est défendu de verser le sang. Elle implique plus spécialement les princes, les seigneurs immédiats et villes impériales, en tant que protecteurs de leurs administrés, mais elle est également reconnue aux villes seigneuriales (charte de Belfort en  1307), voire à des communautés villageoises.

Les conflits programmés, les « guerres ouvertes » (offener Krieg, offene Fehde) sont licites, contrairement aux attaques-surprises. La déclaration officielle est notifiée par lettre (Absagebrief) ou communiquée par un héraut. Elle désigne expressément l’adversaire et indique le nom de ses protagonistes, qui s’engagent à titre personnel. En 1431, par exemple, 248 vassaux rhénans du duc d’Autriche Frédéric IV allié du roi Charles VII défient le duc de Bourgogne.

Coalitions/alliances

Les buts assignés à une expédition militaire font l’objet de débats au sein des instances dirigeantes des territoires et donnent lieu à des préparatifs concertés. À partir du XIIIe siècle (Ligue du Rhin, 1254), la préservation de la paix publique est validée par des accords de Landfrieden (Friede) et confortée par des ligues (Bund). Elle se traduit par la mise en place de coalitions ad hoc, en particulier lorsqu’il s’agit de faire cesser les méfaits de chevaliers brigands (alliance rhénane contre les Raubritter de Schwanau, en 1333, réunissant villes et seigneurs d’Alsace, mais également des cités plus lointaines telles Berne et Lucerne ; opérations contre le Haut-Koenigsbourg (1454, 1462), le château de la Roche (1469), l’Ortenburg (1470)…). La notion de « patria communis Alsatiae » apparaît dans ces circonstances (1382, à propos de Châtillon, près de Blâmont, attaqué par les Strasbourgeois), bien qu’elle ne corresponde pas forcément à un espace cohérent : il existe d’autres solidarités, liées à une appartenance territoriale (les terres de l’Autriche, de part et d’autre du Rhin, où les Landstände jouent un rôle prépondérant) ou à des communautés d’intérêt (les villes de la Ligue des villes impériales (voir : Bund, Décapole, Empire, Freie Reichsstädte), pour maintenir leurs privilèges et leur régime politique. La sécurité collective donne lieu à des échanges d’informations, des opérations de police, ou une politique de coopération dans des modalités qu’on retrouve dans d’autres régions, comme la Suisse à partir de 1291. Au printemps 1445, le reflux des Armagnacs est suivi par des opérations de nettoyage et par un projet de raid contre Montbéliard, où se sont fixés certains d’entre eux : les seigneurs et les villes qui se coalisent à cette occasion se décrivent comme des « amis » (Frunde) et les membres d’une alliance (Bund). Ces initiatives communes n’excluent pas des actions individuelles, comme l’attaque de l’arrière-garde ennemie par les bourgeois de Sélestat, dans la vallée de la Lièpvrette ou des accords locaux, entre voisins, pour assurer la surveillance des secteurs les plus exposés (par exemple, entre les villes de Thann et de Cernay et les sujets de l’abbaye de Murbach, à la même date). Les guerres de Bourgogne concourent à l’institutionnalisation de ces pratiques, qu’on retrouve ailleurs, notamment en Souabe (Schwäbischer Bund, établi en 1488, voir : Bund). Placée sous l’égide de l’Empire et fondée en 1474, pour une durée de quinze ans, la ligue appelée Basse Union, Niedere Vereinigung, regroupe les villes et les territoires immédiats, en concertation avec la ligue de Haute-Allemagne, celle des Confédérés suisses, d’où son nom (Niedere Vereinigung). Elle est reconduite d’une manière informelle sous le règne de Maximilien, qui l’instrumentalise à son profit, et en fait un organe militaire limité à l’Alsace. Ces « états généraux du pays » (elsässische Landstände, à ne pas confondre avec les Landstände des territoires) sont chargés de la protection de l’Empire face à ses ennemis de l’ouest ; à partir de 1515, ils établissent et remettent à jour des plans de défense (Landsrettungen), destinés à empêcher une invasion à travers les Vosges. Cette mission, qui s’exerce jusqu’à la guerre de Trente Ans dans le cadre du grand bailliage (Reichslandvogtei) de Haguenau reste cependant virtuelle, du fait des options divergentes de ses partenaires.

Service militaire/mercenariat

Exigé de tous les hommes libres, le service militaire est réorganisé sous Charlemagne, qui le subordonne à leurs moyens matériels et le remplace par un système de cotisation plus adapté au recrutement de cavaliers (capitulaire de Thionville, 805). L’avènement de la chevalerie découle de cette spécialisation, en parallèle au développement des liens d’homme à homme (voir : Féodalité, Vassalité). Les vassaux sont astreints à la garde des biens de leur seigneur (dans le cadre d’un fief castral, Burglehen) et l’accompagnent à la guerre. Leurs obligations sont précisément codifiées, dans leur durée (40 jours à leurs propres frais), leur distance et leur équipement. Dans les villes impériales, ce groupe, assimilé à la noblesse, est exempté d’impôt direct en contrepartie de sa fonction militaire, comme le stipule, entre autres, la charte de Colmar de 1278. Dans les seigneuries territoriales, ce service armé reste en vigueur jusqu’à la conquête française du XVIIe siècle. En 1552, les détenteurs de fiefs castraux d’Ensisheim sont toujours mobilisés pour en assurer la défense.

Les habitants roturiers des villes et des villages sont constitués en milices sédentaires, affectées à la garde des portes et des murailles et régulièrement entraînées (sociétés de tir, Schützengesellschaft). Dans les localités les plus importantes, ce rôle peut être confié aux corporations (Zünfte). En cas de conflit, le seigneur ou les autorités municipales peuvent les engager sur un théâtre d’opération plus lointain, selon des dispositions précisées dans les chartes de franchise ou établies par la coutume. Tous les hommes adultes portent les armes, ce qui confère un avantage numérique à ces armées inexpérimentées et peu enclines à s’éloigner de leur base, et, partant, à entreprendre des opérations lourdes, comme des sièges. De là, l’intérêt de forces de cavalerie comme celles des Constofeler strasbourgeois, recrutés parmi les plus riches des bourgeois (164 chevaux de guerre en 1477) ou du recours à des mercenaires (Soldner), comme le fait, par exemple, Haguenau, dont les archives conservent des contrats d’engagement à partir de 1359.

L’existence d’un vivier de combattants professionnels répond à une demande locale autant qu’à des sollicitations extérieures. Elle combine l’esprit d’aventure, la recherche des honneurs et le goût du lucre, et n’abolit pas la loyauté due à la puissance souveraine. En effet, un mercenaire n’a pas le droit de servir contre l’Empereur ou son « seigneur naturel », sous peine de commettre un crime de lèse-majesté (Majestätsbeleidigung, Reichsverrat) à l’égard du premier ou de trahir le second. Dans ces conditions, de nombreux Alsaciens prennent part à des guerres étrangères, à l’instar des gentilshommes qui participent à la Guerre du bien public dans le camp bourguignon (1465) ou des lansquenets qu’on retrouve à travers toute l’Europe. Cette main d’œuvre mercenaire se substitue aux levées locales lors des campagnes décidées par l’Empire pour contrer ses ennemis turcs ou français.

En campagne

La mobilisation des troupes implique d’en connaître les effectifs. À l’échelle locale, elle nécessite un relevé complet des hommes et de leur équipement et donne lieu à une montre d’armes-Musterung, ou, à défaut, à des listes nominatives (généralement, dans la série EE des Archives municipales). En  1604, les seigneuries de la Porte de Bourgogne peuvent aligner 1 313 combattants, dont les deux tiers disposent d’arme à feu ; certains sont d’anciens soldats de métier, blanchis sous le harnais. L’unité de base est la compagnie (Fähnlein qui compte entre 300 et 500 combattants, Bannière), plus facile à encadrer et à manœuvrer. Au XIVe et au XVe siècle, la cavalerie destinée aux chevauchées est répartie en sections, appelées lances (Lanze, Gleven) composées d’une dizaine de combattants spécialisés, y compris quelques piétons, conduits par un chevalier lourdement armé. Au XVIe et au XVIIe siècle, ces petites formations tactiques sont supplantées par des ensembles plus compacts, organisés en compagnies et en régiments.

Quand on monte une coalition destinée à une campagne au long cours, on commence par mettre au point une matricule (Matrikel, Reichsmatrikel) définissant la contribution forfaitaire des uns et des autres, en combattants d’abord, en armement et en fournitures ou en équivalent en argent ensuite. À l’échelle de l’Empire, ces dispositions sont établies par la diète-Reichstag et se développent à partir des guerres contre les Hussites (1422) ; elles sont régulièrement réactualisées, notamment en 1481, 1521, etc., la dernière concernant les territoires immédiats d’Alsace étant adoptée en 1653. En 1521, la diète de Worms prévoit que l’évêque de Strasbourg entretient 15 cavaliers et 100 fantassins pendant un mois, celui de Bâle 7 et 42, l’abbé de Murbach 6 et 19, la ville libre de Strasbourg, 49 et 225, Colmar 5 et 39, Haguenau, 8 et 36, Rosheim, 1 et 9, etc., en proportion de la richesse des entités concernées. Sur le terrain, ces contributions se traduisent par l’embauche de mercenaires, et, dans le cas de la Décapole, par une mutualisation des moyens, à l’instar de ce qui se produit pour les opérations en Bohème (1431). Cependant, il arrive que des milices locales soient effectivement projetées au loin : en 1488, un contingent de 300 bourgeois des villes impériales est expédié à la rescousse du roi Maximilien Ier, prisonnier des Flamands. Les mobilisations qui ont lieu en Alsace même, pour des opérations de police (contre les Raubritter), pour empêcher une invasion étrangère (Landsrettungen) ou pour intervenir dans des régions périphériques (guerres de Bourgogne), fonctionnent suivant les mêmes règles de répartition, avec des effectifs plus élevés : pour éviter de dégarnir les villes et les villages et de perturber les activités économiques, on décide de n’engager qu’une partie des forces disponibles, généralement le tiers : la Feldordnung, adoptée par les paysans insurgés en mai 1525 fonctionne suivant cette procédure bien rodée.

En temps de guerre, le commandement est assuré conjointement par les alliés, mais sa coordination est difficile à mettre en œuvre, du fait des divergences d’intérêt, ce qui peut expliquer des défections (par exemple, lors des campagnes, coûteuses et difficiles, dans le Jura en 1475 ou, du côté des Confédérés suisses, à la veille de la bataille de Marignan en septembre 1515). Pour pallier ces inconvénients, les traités d’alliance en définissent strictement les règles et les reprennent dans les Feldordnungen. Acquise dès le XIVe siècle, mais parfois contestée, la prééminence du grand bailli-Reichslandvogt de Haguenau s’affirme définitivement sous le règne de Maximilien, conjointement avec l’Autriche antérieure (qui dispose de ses propres plans de défense et d’un commandement spécifique) et Strasbourg, dont les affaires militaires sont du ressort du conseil des XIII.

Les rassemblements et les déplacements des troupes sont planifiés : des camps et des étapes sont prévus, notamment aux « entrées » de l’Alsace (autour de Saverne, Molsheim, Val de Villé, Kaysersberg, Dannemarie). La logistique bénéficie de la réquisition des chevaux de trait et des chariots des établissements ecclésiastiques, qui contribuent de cette manière à l’effort commun. En l’absence d’uniforme, l’identification des soldats s’effectue par des marques distinctives (à partir de Maximilien, les Impériaux utilisent la croix de Saint-André bourguignonne), des écharpes, des brassards, des couleurs (les milices autrichiennes portent des manches rayées rouge et blanc), des drapeaux et des étendards (nombreux documents pour Strasbourg, publiés par Paul Martin) (voir : Bannière-Fähnlein).

Droit de la guerre

L’encadrement juridique de la violence guerrière repose, en grande partie, sur les prescriptions de l’Église et sur le concept de bellum justum élaboré par les théologiens. Les mouvements de la paix de Dieu et de la trêve de Dieu (Droit de l’Alsace, Friede), apparus à la fin du Xe siècle et au début du XIe, s’efforcent de circonscrire les hostilités en accordant l’immunité aux gens d’Église et au peuple laborieux – paysans au travail, voyageurs, femmes, vieillards et enfants –, en instaurant la protection des lieux sacrés, en les interdisant du mercredi soir au lundi matin et en les subordonnant au calendrier liturgique, l’avent et le carême étant voués à la trêve. La « paix de Dieu des Alsaciens », dont le nom même suffit à définir l’espace concerné, est établie dans ce sens par le pape Léon IX vers 1050 (Empire). Les arbitrages imposés par les Landfrieden visent à des résultats de même nature et aboutissent à la proscription des guerres privées. La guerre privée est envisagée sous le règne de l’empereur Sigismond (1410-1438) et définitivement actée par la diète de Worms de 1495, qui criminalise la Fehde et fonde une véritable justice d’Empire (Droit de l’Alsace, Reichskammergericht). À partir de la Renaissance, des juristes et des esprits éclairés, comme Erasme dans sa Querela Pacis (1516) établissent une jurisprudence, ouvrant la voie à Hugo Grotius (1583- 1645), dont le De iure belli ac pacis (Sur les lois de la guerre et de la paix), paraît en 1625 (voir : Krieg époque moderne). Dans l’intervalle, l’art militaire engendre un certain nombre d’ouvrages spécialisés, qui traitent de l’organisation et du comportement des armées, en dépassant les références savantes des auteurs latins (Végèce notamment) : dans le domaine germanique, on peut retenir Léonard Fronsperger (1520-1575, Von Kayserlichen Kriegßrechten, 1564) et le baron Lazare de Schwendi (1522-1583), seigneur du Haut-Landsberg. Inspiré par un patriotisme ardent, ces praticiens sont particulièrement attentifs aux questions de loyauté et de discipline : Schwendi a lui-même conduit à l’échafaud le principal entrepreneur de guerre de son temps, Sébastien Vogelsberger, de Wissembourg, coupable d’avoir fourni des milliers de soldats au roi de France (1548), au mépris des mandats impériaux proscrivant le service de l’ennemi. La conscience nationale, qui s’éveille à la fin du Moyen Âge et au début des temps modernes, met l’accent sur l’honneur de servir sa patrie et, inversement, sur le déshonneur qui frappe ceux qui s’en abstiennent et s’exposent alors à la vindicte de leurs compatriotes : les sympathies bourguignonnes de la noblesse rhénane ne sont pas étrangères aux soupçons dont elle fait l’objet dans le deuxième et le troisième quart du XVe siècle.

Si les contrats des mercenaires insistent sur leurs devoirs, c’est surtout dans les règlements en campagne que l’on trouve ce qui se rapporte aux relations avec la population civile : « on ne doit pas s’en prendre aux églises, aux prêtres, aux femmes et aux enfants » (Feldordnung de la Basse-Union, 1474) ; à la conduite à tenir en pays amis (où la maraude et le pillage sont interdits) ; ou encore en ce qui concerne le butin et les prisonniers. Les prises sont, en principe, réparties par les chefs et partagées au prorata des vainqueurs, mais les convoitises de ceux-ci provoquent des dérapages, comme le montre l’épisode de Georges Marx d’Eckwersheim, assiégé par les Strasbourgeois dans son château du Bilstein en 1477 pour avoir voulu tirer rançon du comte de Nassau qu’il avait capturé à la bataille de Nancy. La sauvegarde accordée aux lieux sacrés (asile) reste souvent lettre morte, et l’on ne compte plus les églises attaquées et profanées, à l’instar de celle de Dannemarie, brûlée par les Bourguignons avec, dit-on, les trois mille réfugiés qui s’y trouvaient, en 1431 ou de nombreuses maisons religieuses. Les non-belligérants demeurés neutres échappent difficilement aux réquisitions et aux brutalités de la soldatesque : en 1499, les sujets jurassiens de l’évêque de Bâle peignent le blason de leur maître sur la porte de leurs maisons pour afficher leur neutralité. Même s’il leur arrive d’être réprimés au moment même, à l’initiative de leurs chefs – il existe une justice militaire expéditive et Pierre de Hagenbach fait lui-même condamner à mort des maraudeurs –, les désordres perpétrés par une armée en campagne ont des répercussions durables. Les dommages commis peuvent être répertoriés pour obtenir réparation ou des compensations. Pour les communautés, le mode le plus courant est la remise d’impôts ou l’octroi de nouvelles libertés : en 1432, les villages de Courtavon et de Pfetterhouse sont exemptés d’impôt pour compenser les destructions faites par les Bourguignons ; pour la même raison, des villageois se voient accorder le droit de creuser des étangs. La dimension administrative (et judiciaire) des dommages de guerre se densifie à mesure que se développe la bureaucratie. Ainsi, on possède des mémoires très détaillés des dégâts subis par les sujets autrichiens, mis à mal par le passage des reitres du comte palatin, en 1569, ou par ceux de l’évêque de Strasbourg, harcelés par les protestants dans la dernière décennie du siècle, voire par les Lorrains en 1651.

Les procédures qui permettent de conclure les hostilités et de ramener la paix seront exposées ailleurs.

Mémoire et imaginaire

Tradition écrite et tradition orale : l’opinion des contemporains

La perception du temps historique est lourdement impactée par la mémoire et par l’imaginaire des générations successives. En effet, les événements les plus récents se superposent à ceux qui les précèdent. Rebaptisée Schwedenkrieg (Guerre des Suédois) par référence à l’un des belligérants les mieux identifiés, parce qu’exotique, la guerre de Trente Ans devient le marqueur chronologique le plus fréquemment allégué par la tradition orale, éclipsant des guerres plus anciennes. Ces dernières sont régulièrement évoquées par des témoins dans des enquêtes antérieures, au XVIe et au XVe siècle, pour valider la qualité de leur témoignage : en 1535, par exemple, dans un procès relatif à la glandée de la forêt de la Harth, la guerre de Souabe de 1499 sert de terminus ante quem pour attester une coutume ; en 1416, une vieille dame attribue la destruction du petit château de Stettenberg, dans le Haut-Mundat, à l’invasion des « Anglais » qu’on sait avoir eu lieu en 1375. L’expression « ante guerras gentium Delphini » (« avant les guerres des gens du dauphin ») joue le même rôle après 1445.

Malgré leur caractère incident, voire anecdotique, ces tessons chronologiques rendent compte de l’impact psychologique et matériel des conflits évoqués. Ils invitent à distinguer la mémoire publique, consignée par des écrits, instituée par des commémorations ou portée par des reliques, et celle des individus susceptibles de transmettre des informations inédites à leur entourage.

La première transite par des cérémonies ou par des trophées ; elle est indissociable des circonstances et concourt à la mobilisation des esprits. À Strasbourg, des processions et des messes sont organisées au moment des guerres de Bourgogne. La dernière a lieu en janvier 1477, en action de grâce suite à la mort de Charles le Téméraire, au moment même où paraît la toute première gravure représentant la cathédrale. À Belfort, en 1525, la défaite française de Pavie est fêtée par un feu de joie. Le rappel des faits d’armes de la communauté peut s’incarner dans des trophées conservés dans la longue durée : ainsi, un siècle après les événements, l’église Saint-Georges de Sélestat renferme toujours les drapeaux du butin pris sur les Armagnacs en mars 1445 ; il en va de même à l’église Saint-Léger de Guebwiller, où sont présentées, jusqu’à nos jours, les échelles abandonnées par ces mêmes soudards dans la nuit du 13 au 14 février précédent, suite à l’apparition miraculeuse de la Vierge et de saint Valentin sur le mur d’enceinte qu’ils s’apprêtaient à escalader : l’acte par lequel l’abbé de Murbach institue l’anniversaire de cette délivrance est daté du lendemain.

Comme l’essentiel des informations personnalisées est transmise par des chroniques, des notes prises au jour le jour ou des livres de raison, en plus des sources d’archives, il importe de les aborder avec circonspection, en tenant compte de la compétence ou de l’incompétence du narrateur, en particulier lorsqu’il s’agit d’un religieux coupé du monde profane. Les données chiffrées – effectifs, victimes, coût, destructions – sont sujettes à caution : le nombre des assaillants ou des morts est souvent surévalué : dans son Bellum Waltherianum, Ellenhardt cite le nombre de vassaux tués ou faits prisonniers à Hausbergen, respectivement 60 et 76, ce qui peut être, en partie, recoupé par d’autres sources, mais prétend qu’un seul Strasbourgeois a péri au moment de la bataille (et encore, il avait été fait prisonnier par l’ennemi). Dès 1444-1445, le volume de l’armée du dauphin Louis est surévalué à hauteur de 40 000 hommes, ce qui est peu vraisemblable, tandis qu’au XVIe siècle, quand on fait état du passage de lansquenets, on en fixe couramment le nombre à 6 000, en référence – savante – aux légions romaines, créditées d’un tel effectif. Estimé par les historiens à 10 à 20% des protagonistes d’une bataille rangée, le bilan des pertes effectives est, lui aussi, exagéré par les contemporains, mais il peut y avoir des exceptions : le total de 20 000 Alsaciens tués lors de la Guerre des Paysans n’est pas invraisemblable compte tenu de l’extrême violence des combats et des listes qui nous sont parvenues. Quand le chevalier Jean-Erard de Reinach relate l’invasion des Confédérés suisses dans le Sundgau en juillet 1468, il avance le chiffre plausible de 16 châteaux et 200 villages incendiés, soit 6 000 maisons. La fiabilité relative de ces chiffres doit être confrontée aux données de la mémoire collective, qui privilégie les éléments qualitatifs et s’exprime souvent d’une manière très allusive, par des légendes ou par des chansons. Collectées trop tardivement, et, parfois, polluées par des connaissances livresques et des affabulations poétiques, à l’instar de ce que font les folkloristes du XIXe siècle (Auguste Stœber et ses continuateurs), ces traditions orales n’en sont pas moins précieuses. Ainsi, un chant de victoire recueilli dans la Chronique lucernoise de Diebold Schilling (1513) corrobore les indications relatives aux châteaux sundgoviens détruits par les Suisses, et plusieurs pièces de vers du XVe siècle reflètent l’hostilité de la population alsacienne à l’égard des Écorcheurs venus de France. Le Chant du Rosemont, dont plusieurs versions concordantes sont attestées sur le versant welsche du Ballon d’Alsace au milieu du XIXe siècle n’est pas le récit d’un soulèvement contre les Suédois, comme on le pensait alors, mais, bien plus vraisemblablement, une sorte d’épopée de la paysannerie insurgée de 1525, bien qu’il ne soit pas exclu que d’autres épisodes guerriers aient pu le contaminer.

Même fossilisée par l’écrit, et, de ce fait, frappée de péremption, l’oralité peut suppléer aux lacunes des archives en leur ouvrant les portes de l’imaginaire. Les ruines de châteaux ou de villages désertés, généreusement attribuées aux Anglais de 1375, aux Armagnacs de 1439 ou 1444-1445 ou aux Suédois de « 1618-1648 », n’ont généralement pas de causes guerrières, et il est bien rare que la toponymie répercute le choc des armées : le lieudit Mordfeld, sur les pentes du Markstein, passe pour avoir été le théâtre du massacre des moines de Murbach par les Hongrois vers 927, mais son étymologie n’a probablement rien à voir avec cela, pas plus que le nom du Martelberg, près de Saverne, antérieur au massacre des paysans le 17 mai 1525, ne se rapporte à leur martyre. Il n’empêche qu’un décryptage de légendes travesties par le temps peut toujours être envisagé : L. Kern a montré que la « nuit des assises de Guirbaden », qui relate la prise de ce château, à la suite d’une traîtrise, repose bien sur un substrat historique.

Archéologie

La connaissance des techniques de guerre, des effets matériels qu’elles produisent, et même, car c’est possible, de l’anthropologie des combattants ou des victimes des conflits, bénéficie très largement des progrès de l’archéologie. Les infrastructures de défense ou d’attaque, les batailles et les sièges laissent des traces visibles à l’œil nu ou discernables par des moyens modernes (photo aérienne, laser scanning, détecteurs de métaux, etc.), permettant d’affiner la chronologie ou de retrouver des événements inconnus. Ainsi, les fouilles du château de Rougemont (Territoire de Belfort) ont livré un millier de pointes de flèches et de carreaux d’arbalètes qui semblent indiquer que la place a été abandonnée à la fin du XIVe siècle, à la suite d’une attaque dévastatrice, mais sans doute infructueuse, de même que l’analyse des crânes de l’ossuaire Sainte-Marguerite d’Epfig fait apparaître des lésions assénées de haut en bas, vraisemblablement des coups d’épée infligés par des cavaliers à des piétons, en l’occurrence, les paysans vaincus à Scherwiller le 20 mai 1525. Des couches d’incendie, des inhumations, des monuments commémoratifs, des graffitis permettent des conclusions de même nature.

Propagande

Une approche dépassionnée de l’histoire militaire de l’Alsace s’avère d’autant plus délicate que le sujet a donné lieu à des lectures anachroniques, liées au contexte national du XIXe et du XXe siècle, et à une reconstruction mémorielle axées sur les idées de victimisation et de résilience. Parler de « crimes de guerre » à propos de Turenne et de la bataille de Turckheim (1675) équivaut à un contresens, mais peut servir à accuser le présent et à disculper un passé moins lointain : c’est la reprise d’une polémique née dans le climat de tensions de l’entre-deux-guerres. On peut faire la même remarque à propos de la Guerre des Paysans, lorsqu’on impute l’écrasement des « rustauds » d’Alsace aux seuls Lorrains et qu’on en fait la preuve d’une animosité durable de part et d’autre de la crête des Vosges. Ces interprétations sans nuances s’inscrivent dans un environnement de propagande, dont les origines demandent à être explicitées : ainsi, les horreurs imputées à la soldatesque suédoise sont le leitmotiv d’une historiographie accusatrice, ou, sous un angle différent, le point de départ d’une singularité démographique des Alsaciens, qui sont, malgré eux, les enfants du brassage et de l’immigration.

Ces remarques appellent une analyse plus approfondie de l’image de l’ennemi, au moment où il fait irruption, dans la mémoire qu’il suscite et dans la manière d’écrire l’histoire. Les mots ne sont pas indifférents : en 1439, comme en 1444, les Armagnacs sont qualifiés de Schinder (écorcheurs), Kellenschneider (coupeurs de gorges) ou, par assonance, arme Gecken-pauvres gueux, et leurs exactions rapportées à celles que commettent les Turcs à l’est de l’Europe. Le nom schwyter est considéré comme une insulte, en relation avec le crime de bestialité, censé être pratiqué par les montagnards des premiers cantons.

De fait, la diabolisation de l’ennemi change d’intensité avec l’avènement des médias : l’imprimerie n’est pas étrangère à la mobilisation de l’opinion allemande face au danger ottoman, dès 1454, face à la Bourgogne, entre 1474 et 1477, puis face au roi de France. Les archétypes de la perversité et de l’honneur sont fixés une fois pour toutes. J. Wimpheling en est un des promoteurs les plus actifs. En 1474, des soudards italiens, des « Lombards », au service de Charles le Téméraire, faits prisonniers à Héricourt, sont accusés d’avoir pris part au raid de représailles dans la région de Dannemarie, à la suite de l’exécution de Pierre de Hagenbach. Sous la torture, ils avouent pratiquer la sodomie : c’est pour ce crime, et non pour leurs exactions dans le Sundgau, qu’on les condamne au bûcher à Bâle en décembre suivant.

Sources et bibliographie

Sources

En dehors de Strasbourg et de Mulhouse, qui possèdent un cadre de classement différent, les documents relatifs aux questions militaires se trouvent dans la série EE des archives municipales, mais peuvent être complétés par les actes des séries AA et BB ainsi que par les comptes de la série CC. Les sources publiées sont accessible à partir du portail alsatia numerica.

Ouvrages généraux, guides

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Une sélection

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Notices connexes

Absagebrief, Arbalète, Artillerie, Asile

Bannière-Fähnlein, Bund, Burglehen

Château fort, Constofeler, Corporations

Décapole, Diète-Tag, Droit de l’Alsace (Fehde, Friede)

Empire (freie Reichsstädt), Elsässische Landstände

Feldordnung, Fehde-Guerre privée

Haguenau (grand bailliage)

Landesrettung, Landsknechte, Landstände, Lanze

Majestätsbeleidignung, Matrikel, Müsterung, Mercenaire-Söldner

Reichslandvogtei, Reichstag, Reichsverrat

Georges Bischoff