Ketzer

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Hérétique.

Le terme de « Ketzer » proviendrait de « cathare » (« pur » en grec). Il désigne aux termes du droit canonique, des chrétiens dont la foi dévie de la doctrine orthodoxe de l’Église catholique, par conséquent hérétiques, par opposition aux non-chrétiens ou infidèles. Dans le langage courant, le mot ketzer porte sur toutes sortes d’hérétiques, et pas seulement les « cathares » proprement dit. L’hérésie entraîne, depuis la fin de l’Empire romain, l’excommunication et, sur le plan pénal, le bannissement ou la mort. Les Pères de l’Église et les conciles définissent, dans des controverses ardentes, orthodoxie et hérésie ; au haut Moyen Âge, les définitions de l’hérésie concernent principalement ceux qui n’acceptent pas l’organisation et l’autorité de l’Église, pape, évêques, prêtres, religieux et religieuses.

Le terme ketzer apparaît au début du XIIIe siècle et figure dans le Schwabenspiegel (1275). Le Landrecht, art. 13, refuse aux imbéciles, aveugles, fous et sourds-muets, bannis, Ketzer (hérétiques) et parjures la capacité d’être témoins, c’est-à-dire la capacité juridique. L’article 174, qui énumère les crimes et délits et les peines qui leur sont applicables, prescrit cependant que : « Nous appelons traîtres ceux qui diffament autrui, en lui refusant la qualité de chrétien, et en déclarant qu’il est sodomite ou coupable de bestialité ou encore Ketzer (hérétique). Les dénonciateurs qui ne peuvent apporter de preuves [de leurs dires], doivent être exécutés par la roue ». L’article 313 du Landrecht prescrit la procédure pénale applicable aux hérétiques (Ketzer). Ils doivent être traduits devant le juge ecclésiastique et, s’ils sont convaincus d’hérésie, livrés au juge laïc. Ce dernier juge et condamne au bûcher. Le juge qui sera convaincu de partialité envers les hérétiques sera traduit devant l’évêque. Le prince, qui protège les hérétiques, sera excommunié et, s’il n’arrive pas à résipiscence, il doit être privé de son fief. L’hérétique qui veut abandonner son erreur sera accueilli : l’évêque le fait jurer d’abandonner son hérésie et de ne plus jamais y retourner.

Dans le Saint Empire, pape et princes peuvent rivaliser, avec plus ou moins de zèle, dans la répression des hérétiques, Cathares et Vaudois. Les évêques font de même dans leurs diocèses. L’empereur Frédéric II promulgue les « Ketzergesetze » (lois contre les hérétiques) de 1220 et de 1232 et 1238. Le pape rattache à son autorité les religieux chargés de la recherche (Inquisitio) des hérétiques, dont les méthodes et la procédure se codifient au cours des XIIIe, XIVe et XVe siècles.

L’inquisiteur (Ketzersucher ou Ketzermeister – ce terme est également utilisé pour désigner les chefs des hérétiques), le plus souvent un dominicain, chargé par la papauté de la répression sur un ensemble de diocèses, est appelé par l’évêque du diocèse ou par les autorités laïques (princes ou villes) pour interroger des suspects d’hérésies ou ketzer, dénoncés par des curés, ou des bourgeois. Au XIVe siècle, au fur et à mesure que s’étendent et se précisent ses pouvoirs, cet enquêteur ecclésiastique, recourt de plus en plus souvent, pour aboutir à l’aveu, aux méthodes des tribunaux laïcs, en particulier à la torture. Les repentis sont astreints à l’exposition publique et notamment par la procession publique (1212-1215, Charles Schmidt).

Une des villes les plus importantes du sud-ouest du Saint Empire, Strasbourg, a connu des épisodes de répression d’hérétiques ou ketzer, en 1212 et 1215 (les sectateurs du théologien strasbourgeois Ortlieb). Nouvel accès en 1399-1400 (en même temps qu’à Berne et Fribourg en Suisse) : les ketzer sont dénoncés dans l’église des Dominicains par un inquisiteur ; le Sénat de Strasbourg, où d’influents altammeister avaient déjà par le passé temporisé aux yeux des inquisiteurs, admet que la réputation de la ville souffrirait trop du scandale, et se décide au procès. Il se termine par le bannissent des prévenus (Modestin). Exemple des persistances clandestines et des résurgences vaudoises, l’évêque itinérant hussite Reiser, issu d’une famille vaudoise de Souabe, et consacré en Bohème, élit domicile à Strasbourg en 1457 ; il est arrêté, convaincu d’hérésie par l’Inquisition, puis brûlé au Marché-aux-Chevaux (Rapp, 458-459).

À la fin du XVe siècle, l’inquisiteur du sud de l’Allemagne, un moment prieur à Sélestat, dont il était originaire, le dominicain Heinrich Kramer – Institor, étend, malgré les réserves de nombreux théologiens y compris de son propre ordre, l’incrimination d’hérésie à la sorcellerie, infraction poursuivie depuis le XIe siècle et qui fait l’objet d’une répression massive dans le Saint Empire à partir des années 1470. Il rédige le manuel Malleus Maleficarum en 1486 où il donne une description du crime ainsi que les règles d’enquête et de procédure pour les juges ecclésiastiques et laïcs. Ce traité a surnagé dans la masse des traités de démonologie traditionnelle marquée par la croyance en une omniprésence surnaturelle (de Dieu et du diable) dans les évènements.

La fin du XVIe siècle marque un apogée pour la diffusion d’ouvrages relevant de la démonologie traditionnelle. À Strasbourg, en 1591, Fischart publie une traduction du traité de Jean Bodin Vom Außgelasnen Wütigen Teuffelsheer Allerhand Zauberern, Hexen vnnd Hexenmmeistern, Unholden, Teuffelsbeschwerern, Warsagern, Schwartzkünstlern, Vergifftern, Augenverblendern e[t]c. Le code pénal, dit « Caroline » (1532), n’a pas exclu les crimes des « devins, magiciens, sorciers » et fait du « sortilège - maléfice qui se fait par des superstitions et enchantements », un crime puni du bûcher, mais il appelle les juges à la prudence (art. 109, code La Caroline, traduction à l’usage des Conseils de guerre des troupes suisses). On n’y a pas retenu pour eux l’incrimination d’hérésie, présente dans le Code antérieur de Bamberg. Cependant, les ordonnances pénales territoriales peuvent maintenir cette incrimination pour les crimes de « devins, magiciens, sorciers » (Malefitz, Sorcellerie). Et la jurisprudence criminelle est marquée par la vague des répressions de la guerre de Trente Ans.

La polémique et les controverses religieuses de la Réforme provoquent une profusion de l’appellation Ketzer. Ketzer pour les catholiques que les adhérents de la Réforme : Ketzer les papistes catholiques, pour les protestants.

La Grande Ordonnance criminelle de 1670 fait figurer parmi les « cas royaux » : « le crime de lèse-majesté en tous ses chefs, sacrilège avec effraction, rébellion aux mandements émanés de nous ou de nos officiers, la police pour le port des armes, assemblées illicites, séditions, émotions populaires, force publique, la fabrication, l’altération ou l’exposition de fausse monnaie, correction de nos officiers, malversation par eux commises en leurs charges, crimes d’hérésie, trouble public fait au service divin, rapt et enlèvement des personnes par force et violence, et autres cas expliqués par nos ordonnances et règlements » (art. 11).

Mais le traité de Westphalie, qui garantit aux Protestants l’exercice paisible de leur religion, les exclut des poursuites contre les hérétiques, qui disparaissent officiellement du reste du Royaume, du fait de la Révocation de l’édit de Nantes (1685). On ne trouve que deux mentions du terme « hérétiques » dans la jurisprudence imprimée du Conseil souverain. En 1724, le Conseil rejette la prétention du curé d’Aubure qui veut récupérer les « droits curiaux » (ou casuels) perçus par le pasteur de Sainte-Marie-aux-Mines sur les « calvinistes » du hameau dit Schlock [aujourd’hui Schluck, où se trouve encore le petit temple protestant d’Aubure]. Le Conseil arrête que le droit de clocher d’un curé catholique ne peut s’étendre que sur les habitants catholiques et non sur les hérétiques habitants d’un lieu… » (Notes d’Arrêt du Conseil souverain d’Alsace, Droits d’un curé sur les luthériens et les calvinistes, 1728, p. 364). Mais, en 1727, il déboute l’appel d’un calviniste, à qui la ville a interdit de prendre une cense à ferme à Bergheim, village entièrement peuplé de catholiques ; les traités de Passau et la paix de 1624 n’autorisant le libre exercice des cultes luthériens et de la RPR que dans les lieux où elles étaient en possession en 1624. Les rédacteurs ajoutent à cet arrêt de 1724 un arrêt du 20 février 1751 : il déboute un paysan qui voulait s’établir à Altenstadt, où il y aurait eu des calvinistes en 1624, mais qui entretemps n’a été peuplé que de catholiques, et arrête que cette règle s’applique aux villages luthériens convertis des années 1680 et suivantes. Cette jurisprudence est renouvelée le 20 mars 1762 par laquelle est interdit à un protestant (Hummel, bourgeois de Strasbourg, marchand retraité) de s’établir à Kuttolsheim, « village à portée de Strasbourg… et de ses familles luthériennes », avec domestiques et fermiers protestants, et les somme de vider les lieux, « à quoi faire ils seront contraints, par toutes voies dues et raisonnables et même par éjection de leurs meubles sur le carreau ». Hummel est, cependant, autorisé à faire exploiter ses fermes par des catholiques et de venir à Kuttolsheim « toutes et quantes fois que ses affaires le requerront » car il s’agit à Kuttolsheim « d’y maintenir la Religion catholique sans altération et sans mélange d’habitants sectaires » (Ordonnances d’Alsace, II, 23-24 et II, p. 615-616) (voir : Hof).

Si les « États des procès criminels dignes de mort et de peines afflictives » (ABR  C  396-1 à 4) ne relèvent pas de crimes d’hérésie, ils comprennent quelques cas royaux de blasphème, le plus souvent d’effraction et de vol dans une église, pour lesquels la peine est sévère. La peine d’amende honorable est exercée devant la porte de l’église : le condamné s’y tient debout pendant deux heures avec une torche ardente, a ensuite la langue percée au fer chaud, puis part pour les galères à perpétuité (1754-Landau ; 1757-Marckolsheim, Lutzelhouse).

Le mot figure abondamment dans la littérature polémique religieuse, mais l’emploi du terme Ketzer dans les conversations privées est une injure grave (Scheltwort) Elle est punie de 4 livres d’amende – point négligeable – par le tribunal royal de bailliage de Haguenau.

Bibliographie

DRW, Ketzer.

Notes d’Arrêt du Conseil souverain d’Alsace, Colmar, 1727.

Ketzerordnung Kaiser Friedrichs II., 1232. https://de.wikisource.org/ wiki/Kaiser_Friedrich_II._Der_Wegbereiter_der_Renaissance/ Anhang.

Code criminel de l’empereur Charles V, vulgairement appelé la Caroline, traduction à l’usage des Conseils de guerre des troupes suisses, s. l., 1742.

Ordonnances d’Alsace, Recueil d’Ordonnances du Roi et de Règlements du Conseil Souverain, I-II, 1765.

Ordonnance criminelle du mois d’août 1670.

FISCHART (Johann), BODIN (Jean), De Magorvm Daemonomania : Vom Außgelasnen Wütigen Teuffelsheer Allerhand Zauberern, Hexen vnnd Hexenmmeistern, Unholden, Teuffelsbeschwerern, Warsagern, Schwartzkünstlern, Vergifftern, Augenverblendern etc. Wie die vermög aller Recht erkant, eingetrieben, gehindert, erkündigt, erforscht, peinlich ersucht vnd gestrafft werden sollen. Gegen des Herrn Doctor J. Wier Buch von der Geisterverführungen / durch ... Johann Bodin ... außgangen. Vnd nun erstmals durch ... Johann Fischart ... auß Frantzösischer sprach trewlich in Teutsche gebracht, vnd nun zum andernmahl an vilen enden vermehrt vnd erklärt,

Strasbourg, 1591. HAUPT (Hermann), « Waldenserthum und Inquisition », QUIDDE (Ludwig), Deutsche Zeitschrift für Geschichtswissenschaft, Fribourg-en-Brisgau, Leipzig, 1889.

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Notices connexes

Abjuration

Asile

Béguines

Confession de foi

Cultes (tolérance des)

Fête religieuse

Injure

François Igersheim