Kelsch

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Le kelsch est un tissu à armure toile, composé de chanvre, de lin ou de coton ou encore d’un mélange de fibres. Il se caractérise par la présence d’un motif de rayures ou de carreaux de couleur créés lors du tissage sur un fond écru ou blanc. Avant le milieu du XXe siècle, ce tissu était exclusivement utilisé pour confectionner du linge de lit.

Définition

Le substantif « kelsch » vient de l’adjectif koelnisch, coelnisch, colnisch, colisch, voire kellisch, « originaire de Cologne ». En effet, ce tissu à carreaux très apprécié était fabriqué dans cette ville au Moyen Âge avant d’être produit dans bien d’autres endroits du monde rhénan (Karlsruhe, catalogue d’exposition) et y garder son nom d’origine. En Alsace, la tradition rapporte que Charlemagne aurait encouragé la culture du pastel dans les environs de cette cité rhénane (M. Doerflinger). Aussi appelé gaude ou Waide, le pastel est une plante dont on tire une teinture bleue (koelnisch blau) qui a servi à colorer les fils de chanvre ou de lin jusqu’au XVIIe siècle. Puis l’indigo, qui produit une couleur beaucoup plus intense, est importé en Europe et va y être utilisé plus ou moins rapidement par les teinturiers.

Histoire

À partir du milieu du XVe siècle, sources écrites et sources iconographiques se complètent pour attester l’usage habituel, quoique de loin non exclusif, de ce type de tissu dans la literie. L’important corpus des bois gravés strasbourgeois imprimés au début du XVIe siècle montre maints exemples de taies à carreaux, tandis que des œuvres peintes par des artistes du Rhin supérieur y ajoutent l’indication de la couleur, bleue à une écrasante majorité. Parmi les œuvres alsaciennes qui en représentent figure la « Tenture de la vie de sainte Odile », provenant de l’abbaye Saint-Étienne de Strasbourg, datée des années 1470-1480 (Musée de l’Œuvre Notre-Dame). Des oreillers en kelsch à carreaux bleus sont visibles aussi sur le volet de « La Naissance de saint Jean » du « retable de saint Georges et des deux saints Jean », peint entre 1475 et 1500 (Musée Unterlinden), ainsi que sur la tapisserie de saint Adelphe à Neuwiller-lès-Saverne, vers 1507-1510.

À la même époque, les gravures d’illustration strasbourgeoises montrent parfois des lits où figurent des oreillers et des traversins recouverts de tissu à carreaux (C. Dupeux), bien que l’usage du tissu blanc soit de loin majoritaire. D’après les sources iconographiques, le kelsch était utilisé dans l’ensemble du Rhin moyen, mais là encore, exclusivement pour recouvrir des traversins et des oreillers, auxquels s’adossent les personnes alitées. Les draps étaient blancs, alors que les couvertures étaient faites d’un tissu de couleur, parfois luxueux comme le brocart. Toutefois, les intérieurs représentés sont ceux de personnes aisées : le kelsch est-il alors l’apanage des gens de ce milieu ? L’absence de données similaires pour les milieux paysans ne permet pas de répondre, mais la teinture des fils et le savoir-faire requis pour leur mise en œuvre sur le métier entraînent assurément une plus-value par rapport au coût d’un tissu blanc uni.

Plusieurs inventaires de locaux d’institutions religieuses (E. Ungerer) confirment la présence de taies (Ziechen) en kelsch, là encore pour des traversins (Schulterkissen) et des oreillers (Hauptkissen). Dans le château épiscopal du Haut-Barr, on trouve en 1526 « ein brabendisch Bett mit einer colnischen Ziechen ein Hauptpfulwen und ein gross Schulterkyssen mit colnischer Ziechen und ein rote catolonische Deck ». D’autres inventaires précisent que ce tissu comporte la couleur bleue, tel celui du couvent des Cordeliers de Saverne en 1573 : « in der Stuben [ein Lotterbet, ein Loderbetpulve], ein Scholterküssen mit einer weissen Ziechen und ein Hauptküssen mit einer blauwen colnischer Zieche ».

Fabrication

Ce type de tissu est orné de carreaux formés par le croisement de groupes de fils bleus introduits à intervalles réguliers dans la chaîne et croisés ensuite aux mêmes intervalles dans la trame. Aux XVIIIe et XIXe siècles, la confection du kelsch s’est développée dans des régions d’Alsace relativement pauvres, mais où les conditions naturelles étaient favorables, ainsi le Ried de Moyenne-Alsace, où l’eau pour faire rouir le chanvre et le lin ne manquait pas (Gander). L’industrialisation a, ensuite, introduit là l’usage de métiers mécaniques où l’alternance des fils de couleur était programmée sur cartes perforées.

Utilisation

Outre les oreillers et traversins présents dès le XVe siècle, l’édredon ou plumon, élément caractéristique du « lit à l’allemande », bien connu dans le monde rural, va se trouver lui aussi recouvert d’une housse à carreaux, du moins au XIXe siècle, comme le montrent certains ex-voto peints provenant de Thierenbach. Les exemplaires conservés (musées et collections particulières) attestent que le kelsch n’est employé que pour la partie visible des pièces de literie, la face inférieure étant faite de lin ou de chanvre blanchi uni. Le tissu à carreaux est encore considéré comme plus prestigieux. Deux rubans de lin ou de coton sont cousus de part et d’autre de l’ouverture de la housse et servent à la fermer autour de l’édredon ou de l’oreiller, les boutons et boutonnières n’apparaissant pas pour cet usage avant le milieu du XIXe siècle.

Le linge de lit en kelsch fait partie du trousseau de la future mariée, qui y brode ses initiales au fil rouge, parfois suivies d’un chiffre de 1 à 12, un trousseau de mariage comprenant habituellement une douzaine d’exemplaires de chaque pièce de linge. Le tout est ensuite empilé dans le coffre ou l’armoire et chaque taie y est maintenue pliée grâce à quelques points cousus avec une fine ficelle (E. Ungerer) qui sera enlevée avant la première utilisation.

Il est difficile de savoir quand ce tissu a commencé à être utilisé en milieu rural pour fermer l’ouverture de l’alcôve où était placé le lit des maîtres de maison, mais des rideaux en kelsch sont présents sur certains ex-voto de Thierenbach du XIXe siècle (Musée Alsacien).

L’arrivée du rouge

Le tissage du kelsch permet de produire une grande variété de motifs de carreaux, selon le nombre de fils teints et leur agencement sur le métier. L’arrivée d’une nouvelle couleur va encore enrichir le nombre de combinaisons possibles de fils colorés et il est difficile de trouver deux housses en kelsch totalement semblables. Il est probable que les fils rouges ont été utilisés lorsque la garance s’est trouvée largement cultivée, c’est-à-dire à la fin du XVIIIe siècle, en particulier aux environs de Haguenau. Le tissu devient donc tricolore, sans que l’on puisse y voir une motivation politique, puis la couleur rouge va être de plus en plus présente, supplantant même le bleu au XXe siècle dans une production de plus en plus folklorique.

Le Bettelkelsch

Appelé Bettelkelsch ou Armelittekelsch, « le kelsch des mendiants ou des pauvres » est réalisé par impression en réserve sur une toile blanche teinte en bleu. Cette technique est semblable à celle du batik : une matière non soluble est appliquée sur les motifs en relief d’une planche à imprimer. Celle-ci est plaquée sur le tissu, sur lequel elle dépose une pâte qui va le préserver de la teinture. Après séchage de la pâte, la toile est teinte en bleu dans des bains successifs de pastel ou d’indigo. Après le rinçage, les motifs sculptés en relief dans la planche restent de la couleur originelle de la toile, c’est-àdire blancs, tandis que le reste est bleu. D’après le style des motifs ornant les pièces de literie conservés, ce type de tissu existe en Alsace au moins dès le XVIIIe siècle, mais a sans doute été créé bien plus tôt, cette technique étant plus facile à mettre en œuvre que celle du kelsch tissé. Elle s’est longtemps conservée dans certaines régions d’Europe centrale et, en Autriche, la dernière fabrique artisanale de tissus teints au bleu de réserve a été classée au patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2010.

Dans les autres régions rhénanes, le kelsch tissé ne semble pas avoir connu une aussi grande longévité qu’en Alsace, et c’est sans doute grâce à l’engouement des Alsaciennes pour ce tissu dans les dernières décennies du XXe siècle que de nombreuses taies en kelsch ont été préservées de la destruction.

Bibliographie

UNGERER (Edmund), Elsässische Altertümer in Burg und Haus, in Kloster und Kirche. Inventar vom Ausgang des Mittelalters bis zum dreissigjährigen Kriege aus Stadt und Bistum, 2 vol., Strasbourg, t. 1, 1911, p. 214, 278 ; t. 2, 1913, p. 76.

HATT (Jacques), Une ville du XVe siècle, Strasbourg, Strasbourg, 1929, p. 155-157.

KLEIN (Georges), « Les toiles imprimées en « bleu de réserve », Art populaire de la France de l’Est, Strasbourg, 1969, p. 405-417.

DOERFLINGER (Marguerite), Encyclopédie de l’Alsace, t. VIII, 1984, p. 4548.

BOEHLER, Paysannerie, 1994, t. II, p. 1643-1645.

Wie sie sich betten. Eine Ausstellung zur Kulturgeschichte des Schlafens, catalogue d’exposition, Schweizerisches Museum für Volkskunde, Bâle, 1994, p. 25-26.

KLEIN (Georges),  Le mariage traditionnel en Alsace, s. l., 1996, p. 21-24.

Spätmittelalter am Oberrhein. T.1, Maler und Werkstätten, 1450-1525, catalogue d’exposition, Badisches Landesmuseum, Karlsruhe, 2001, p. 92, 121, 249, 253, 283, 345 et T.2, 1, Alltag, Handwerk und Handel, 1350-1525, p. 299.

DUPEUX (Cécile), LEVY ( Jacqueline) et al., La gravure d’illustration en Alsace au XVIe siècle, Strasbourg, 3 tomes, 2009.

BURCKEL (Christiane), Les étoffes en Alsace : le kelsch, Pontarlier, Strasbourg, 2014.

RÉZEAU (Pierre), L’Alsace au fil des mots. Dictionnaire des régionalismes du français en Alsace, s. l., 2015, p. 341-343.

Archives de Michel Gander, Muttersholtz.

Pièces en kelsch dans les musées : Strasbourg, Musée Alsacien ; Haguenau, Musée Alsacien.

Notices connexes

Chanvre

Dörre/Séchoir

Garance

Industrie (Filature)

Pastel

Malou Schneider