Kehl

De DHIALSACE
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Village de la rive droite du Rhin, puis ville du margraviat de Bade (1774), du grand duché de Bade (1806).

Dénominations anciennes  : Kelle (1289), Kenle (1326), Keule (1374), Keyle (XVIe siècle), Kaile (XVIe siècle), Keuhl (XVIe siècle), Keuln (1575), Kayl (XVIe-XVIIIe siècle), Käl (1638). La forme actuelle du nom apparait pour la première fois en 1665.

Située à l’embouchure de la Kinzig dans le Rhin, Kehl, au croisement de deux importants axes de communication nord-sud et est ouest fut l’objet d’ardentes convoitises après la construction du pont sur le Rhin à la fin du XIVe siècle.

Dès l’antiquité romaine

La voie romaine, que l’empereur Vespasien fit construire en 74 de notre ère pour aller de Rottweil (Arae Flaviae) à Strasbourg, suit le tracé de la Kinzig et franchit le Rhin au niveau de Kehl. Malgré la découverte à 7 mètres de profondeur lors de la construction de la tour d’habitation voisine du Pont de l’Europe d’une structure antique maçonnée, que Carl Steckner interprète comme étant un tablier de pont, il est peu probable qu’un tel pont ait existé et l’utilisation de bacs pour le franchissement du fleuve paraît plus plausible. 

Seigneurs alsaciens et patriciens strasbourgeois : un village rural de Strasbourg

Kehl, petit village de pêcheurs, qui est mentionné pour la première fois dans un acte de 1288, fait alors partie d’un territoire de trois communes avec Sundheim et Jeringheim, lieu de l’église paroissiale. Il est propriété des Geroldseck-Lahr, puis est partagé à la mort de Walter Ier, père de l’évêque du même nom entre les deux lignées héritières de Hohengeroldseck et Geroldseck-Lahr. Au XIVe siècle, ceux-ci les concèdent en fief pour moitié aux Grostein, aux Bock, pour l’autre moitié aux Boecklin de Boecklinsau, et aux Lenselin. Mais il est évident que la ville de Strasbourg gardait la haute-main sur ce territoire, si important pour son commerce.

Bacs et ponts strasbourgeois

Des liaisons par bac sont attestées dès la fin du XIIIe siècle, elles étaient réalisées à partir de trois embarcadères sur chaque rive. Les bacs portés par le courant traversaient le fleuve en biais pour accoster sur l’autre rive.

Le bac principal appelé zu den Hunden part de Saint-Jean-aux-Ondes parcourt le Rheingiessen et aboutit à Kehl à l’embouchure du bras nord de la Kinzig non loin d’Auenheim.

Un second bac dit de Hundsfeld relie Graffenstaden à Hundsfeld, village aujourd’hui disparu au sud de Kehl.

Un troisième bac est crée à la hauteur de la Robertsau.

En 1333 et en 1370, la Ville de Strasbourg avait déjà construit des ponts sur bateaux à travers le Rhin. En 1388 elle entreprend de construire un pont sur piles. Il est attaqué par les seigneurs furieux de la perte de revenus pour les bacs. Mais Strasbourg en obtient le privilège de l’empereur Wenceslas (1394). Fragile, le pont est emporté en partie en 1404 et il doit être reconstruit. C’est pour longtemps le seul pont permanent sur le cours du Rhin, de Bâle jusqu’à son embouchure.

Kehl connait un modeste essor comme tête de pont, d’autant plus que les deux villages de Hundsfeld et de Jeringheim ont été emportés par des crues du Rhin et que leurs habitants se sont établis entre Kehl et Sundheim au lieu appelé Mitteldorf. Les fiefs des Böcklin et Lenzelin passent en 1426 passer aux Moers-Saarwerden qui en cèdent peu après une moitié au margrave de Bade alors que l’Œuvre Notre-Dame acquiert en 1491 les parts des Grostein et des Bock. En 1525, tout comme Strasbourg, Kehl passe à la Réforme.

Les forts strasbourgeois de Kehl

L’octroi sur la rive droite est protégé à partir de 1526 par un bastion ; puis dès le début de la guerre de Trente Ans, les Strasbourgeois fortifient Kehl d’une levée de terre qui sera transformée à partir de 1626 en un important retranchement, occupé par une garnison de mercenaires strasbourgeois et un contingent du Wurtemberg, qui changera plusieurs fois de main au cours de ce conflit.

Les forts de Kehl : Vauban et Tarade

Pendant de la Guerre de Hollande, le pont subit une première attaque par les troupes de Condé en 1672 puis une deuxième en 1676 par le maréchal de Créqui qui aura pour conséquence la destruction totale du village de Kehl. La paix de Nimègue de 1678 et l’accord entre le France et l’Empire qui suit en 1679 cèdent pour 20 ans à la France un terrain de 56 ha sur lequel sera construite en 1681 une forteresse selon les plans de Vauban en même temps que la citadelle strasbourgeoise. Les habitants chassés s’installent à Mitteldorf qui deviendra par la suite l’actuel Kehl-Dorf.

Le fort, qui comprend une importante garnison, offre aussi l’espace nécessaire à l’implantation de commerces, artisans et auberges tandis, qu’au Dorf s’installent les pêcheurs, agriculteurs et les flotteurs de la Kinzig.

La rive droite du Rhin au Saint-Empire

La paix de Ryswick (1697) rend brièvement la ville de Kehl à l’Empereur qui cède le fort, le village et Sundheim en fief au margrave Louis de Bade (Baden-Baden). Pendant la guerre de succession d’Espagne, Kehl est occupée par les Français après un siège dirigé par Tarade, l’ingénieur qui en avait conduit la construction (1703). Elle le demeurera jusqu’en 1714. Le traité d’Utrecht prévoit le retour à l’Empire des villes occupées de la rive droite : Brisach, Fribourg en Brisgau et Kehl. Une période de paix d’environ 60 ans permet le développement de la petite ville à l’intérieur de la forteresse à l’entretien passablement négligé.

Kehl devient un lieu de transactions pour le bois et le chanvre et nombre de commerçants strasbourgeois y ont des succursales, malgré l’interdiction royale. Le margrave lui confère en 1774 le statut de Ville (Stadtrecht). Elle compte environ 2 300 habitants.

L’imprimerie connaît un important développement de l’édition qui peut échapper à la censure royale, alors qu’à Strasbourg l’on échappe à la censure de l’Empire. Beaumarchais installe en 1780 la « Société littéraire et typographique », dans les casernes désaffectées. Elle publiera les œuvres complètes de Voltaire (70 volumes in-8°) et de Rousseau (34 volumes in-12°, très incorrecte), dites édition de Kehl, qui seront introduites en France par contrebande car elles y sont interdites. Strasbourg est le débouché le plus important pour tout ce qui est produit à Kehl et dans le pays de Hanau.

Révolution et guerres napoléoniennes

Les guerres de la Révolution et de l’Empire apportent à nouveau leur lot de dévastations et de misère. Une première fois Kehl est bombardée en 1793, et ses fortifications sont occupées en 1796. L’armée impériale de l’archiduc Charles d’Autriche entreprend sa reconquête et le siège provoque la destruction de Kehl et des villages d’alentour dont les habitants vont chercher refuge à Strasbourg et dans le Pays de Hanau.

La paix de Lunéville en 1801 prévoyait le retour de Kehl au margraviat de Bade, devenu grand duché en 1806 ainsi que le démantèlement du fort. Cependant, en 1808, Napoléon en ordonne la reconstruction de la place en élargissant considérablement le périmètre fortifié ; un sénatus-consulte rattache la place de Kehl à la ville de Strasbourg. La région est à nouveau mise à mal par des mouvements de troupes.

Ville frontalière badoise

C’est finalement en 1814, en exécution d’une des clauses de la paix de Paris, que l’ingénieur-major Tulla (NDBA, 3919) est chargé de la démolition du fort. Elle est exécutée rapidement et ses pierres serviront à la reconstruction de la ville à partir de 1815. Le grand-duc avait chargé son architecte, Weinbrenner (NDBA, 4139), de réaliser les plans dans le périmètre de la forteresse. Kehl-Stadt d’une part, Kehl-Dorf avec Sundheim d’autre part, sont ainsi des entités administratives distinctes avec chacune leur bourgmestre et leur territoire. Ce n’est qu’en 1910 que l’union de ces communes est enfin réalisée.

Bibliographie

KRIEGER (Alfred), Topographisches Wörterbuch des Großherzogtums Baden, t. I, Heidelberg, 1904, p. 1138.

BEINERT (Johannes), Geschichte des badischen Hanauerlandes unter Berücksichtigung Kehls, Kehl, 1909.

MECHLER (Wilhelm), Kehl am Rhein - Die bewegte Geschichte einer vielgeprüften Stadt, Kehl, 1956.

HORNUNG (Klaus), « Fähren und Brücken bei Kehl und Strassburg im Wandel der Jahrhunderte », Die Ortenau, 1965.

HORNUNG (Klaus), 700 Jahre Condominats- und Wappengeschichte der Grossen Kreisstadt Kehl, Kehl, 1973.

SADLAU (Angelika), SCHNEIDER (Helmut), STECKNER (Carl), Die lange Bruck - 600 Jahre Wege zum Nachbarn. Geschichte der Rheinbrücken zwischen Strassburg und Kehl, Kehl, 1989.

BERTRAM (Jenisch), Archäologische Stadtkataster Baden-Württemberg, Band 25, Kehl, 2004.

René Siegrist