Kartenmacher

De DHIALSACE
Aller à : navigation, rechercher

Kartenmaler, Pictor cartarum, Pictor cartiludiorum, Cartier.

Le mot cartier désigne le réalisateur de cartes à jouer, quel que soit le procédé utilisé, alors qu’en allemand le Kartenmaler est celui qui les peint ou colorie et le Kartenmacher le fabricant de cartes.

L’origine des cartes à jouer est discutée. Selon les uns, elle serait arabe (Laran) ; selon d’autres, les cartes nous viendraient d’Extrême-Orient, d’où elles auraient été importées en Europe dans le dernier quart du XIVe siècle, époque à laquelle le jeu de cartes s’est implanté à Strasbourg : « Dies Jahr (1382) ist erstlich zu Strassburg und im Lande darum das Kartenspiel aufgekommen, und triebens die Edeln Tag und Nacht auf ihren Trinkstuben ; zuvor spilte man Schach- und Brettspiel, und hielt man das Kartenspiel für sehr kunstreich. Es legte sich schier jedermann darauf, also dass man es verbot, und nur den Edeln und Burgern (erlaubte) damit zu spielen. Alle Maler hatten genug zu thun nur Karten zu malen » (Specklin, p. 310).

Des mesures d’autorité avaient déjà été prises pour en réserver l’emploi aux nobles et aux bourgeois et pour réprimer les abus. À la même date, un employé de justice, qui s’était permis de jurer en jouant, a été banni de la Ville (Dacheux, p. 211). En 1467, l’exposition au pilori punira un autre abus : « Ein Hauptmann der Stat wurde, weil er es geschehen liess dass zwei seiner untergebenen am grünen Donnerstag nachts mit Karten um Geld spielten, mit den spielenden an’s halsseissen gestellt mit der überschrift ihres verbrechens » (Specklin, p. 459).

Il est bien précisé, en 1382, que tous les peintres de la Ville avaient fort à faire pour confectionner des jeux de cartes. Avec le temps, certains se sont spécialisés dans ce domaine et se sont appelés Kartenmaler, pictor cartarum ou pictor cartiludiorum.

Ce n’est pourtant qu’au XVe siècle que les plus anciens sont attestés : Bechtold Lebesanft (1448, 1451), Hans Seman, (1449, 1451, 1466) et Hans Lutzeman (1476). À la même époque, une succession de cartiers était implantée dans la même maison « zuo dem helme in Fladergaß » : Augustinus, « der Kartenmoler » (1465-1483), remplacé par son beau-frère (1484-1487), puis par Bartholomaeus Kÿstenler (Kysteller, Kistler), « pictor cartularum » (1489-1490), enfin par Gabriel Schwartz, « pictor cartularum seu cartarum » de 1491 à  1505 (ABR G 4836/21). Ce dernier, « der moler von Ammerswiller » (Ammerschwihr), est attesté comme papetier à partir de 1503.

Le cas de Barthelémy Kistler mérite d’être relevé. Il avait acquis le droit de bourgeoisie à Strasbourg dès 1486 en tant que peintre (« Bartholomeus Kistler von Spire der moler ») et, en 1489-1490, il est mentionné comme « pictor cartularum », mais, de 1497 à 1510, il sera imprimeur. Il a publié une trentaine de livres populaires, la plupart ornés de gravures sur bois (Gérard, p. 315-320 ; Ritter, p. 137-145).

À la liste des Kartenmoler du XVIe siècle dressée par Depaulis, on ajoutera les noms de Bernhardus Bollman, « pictor cartarum » (attesté en 1500) et de Johannes Hug, « ex leberawiga, kartenmoler argentine commorans » (1552).

Signalons en outre que Fiacrius (Vix) Anshelm est attesté de 1540 à 1564. D’autre part, un étranger, Hans Grapp « von Gengenbach, Kartenmoler », est mentionné à l’occasion d’un différend avec Wolfgang Götz, « pictor cartarum, ciuis Arg. » (1522-1534) (AMS KS 13, f. 96 v°).

Le commerce devait être d’un certain rapport, puisque parfois deux, voire trois d’entre eux ont coexisté. Mais ce ne fut pas le cas de tous. Vers 1514, Hans von Rotenburg « genant heyligen moler der kartten moler » voulut, en outre, faire du commerce : il fut obligé de quitter la corporation de l’Échasse, réservée aux artistes et aux imprimeurs, pour s’immatriculer dans celle de la Mauresse (AMS  XI, 100, p. 73 ; XI 101, 32).

On peut penser que certains de ces cartiers ont continué à porter le même nom de métier, alors qu’ils se contentaient déjà de colorier des cartes qu’ils avaient imprimées ; dans ce dernier cas, le nom de Kartenmacher que portent d’aucuns est approprié. Il faudra attendre le début du XVIe siècle pour trouver trace à Strasbourg d’un cartier qui se donne pour fabricant de cartes et non plus comme peintre : « Heren Veltin der Karten macher, ciuis Arg. » (1506) (AMS KS 8 f. 92 v°). Plus tard, il est fait mention de deux étrangers exerçant ledit métier : Thomas Gebler, de Mayence, « factor seu pictor Cartiludiorum in Maguntia residens », reconnaît devoir à Johann Will, fripier à Strasbourg, 48 florins pour du papier en 1524 (AMS KS 17, f. 156) et Reinhard Ellen, « kartenmacher zu Offenburg », attesté en 1538 (AMS KS 35/2, f. 43).

Si le « Maître des Cartes à jouer » (vers 1430-1455), actif dans la région du Rhin, fut le premier à graver en creux sur métal, il ne semble pas avoir fait école en Alsace : nos artisans locaux ont sûrement produit des xylographies en taille d’épargne, réduisant le dessin aux contours qu’il leur restait à colorier.

Seuls trois cartiers sont attestés à Strasbourg dans les premières années du XVIIe siècle, avant que cette petite industrie ne s’effondre du fait de la guerre de Trente Ans. Après 1681, des cartiers français viennent s’implanter dans les pas des armées du Roy, qui devaient constituer une bonne clientèle, en premier Antoine Joly, de Montbéliard, attesté de 1687 à 1714. Une quinzaine d’autres arrivera au XVIIIe siècle. Dans diverses collections, il subsiste des cartes de certains d’entre eux, dont nous indiquons les dates d’activité :

- un tarot de Pierre Lachapelle (1714 à 1742) à Munich (Bürgerliches Nationalmuseum) ;

- deux jeux de Léonard Chasso (1735-1759) et Ignace Henrion (1735-1750), à Brunswick (Herzog-Anton-Ulrich-Museum) ;

- un tarot de Jean-Baptiste Benoist (1761-1782), à Paris (Collection Jacqueline Letellier) ;

- un tarot de Nicolas-François Laudier (1744-1746), gravé par Pierre Isnard (1746), à Marseille (Musée National des Arts et Traditions Populaires) ;

- un valet de trèfle d’un tarot de François Bouchaud (1759-1783), à Paris (Bibliothèque Nationale) ;

- deux cartes d’un tarot révolutionnaire de Jean-François Benoist fils (1783-1800, ibid.) ;

- des cartes de deux jeux de Louis Carrey (1776-1811), au Deutsches Spielkarten-Museum à Leinfelden-Echterdingen.

François Kechler, établi à Kehl, débite des cartes, gravées par Isnard pour Laudier, et leur fait de la concurrence.

Six cartiers, dont deux fils de Carrey et un fils de Sarramon, sont encore actifs dans le premier tiers du XIXe siècle. Un jeu de 32 cartes, gravé à l’eauforte, par le Suisse Anselme Schildknecht (1825-1832) est conservé au Musée National des Arts et Traditions Populaires à Marseille.

Colmar a abrité quelques cartiers dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, notamment Blanck et Tschann et la famille Mann ; un tarot de Jean Mann, « Maiter cartie à Colmar » est conservé à la Bibliothèque nationale. Les exemptions de droit à l’exportation dont jouissait l’Alsace contribuèrent à y attirer des cartiers venus de Savoie, du pays de Bade et de Suisse (Montchaud, p. 260).

Bibliographie

DELABORDE (Henri), La gravure. Précis élémentaire de ses origines, de ses procédés et de son histoire. Nouvelle éd., Paris.

GERARD (Charles), Les artistes de l’Alsace pendant le Moyen Age, Paris, 1873, t. II, p. 315-320.

SPECKLIN (Daniel), Les collectanées... Chronique strasbourgeoise du seizième siècle. Fragments recueillis par Rodolphe Reuss, Strasbourg, 1890, p. 310.

SEYBOTH (Adolphe), « Verzeichnis der Künstler, welche in Urkunden des Strassburger Stadtarchivs vom 13.-18. Jahrhundert erwähnt werden », Repertorium für Kunstwissenschaft, XV, 1892, p. 37-42.

DACHEUX (Léon), « Annales de Sébastien Brant »,B.S.C.M.H.A., XIX (1899), p. 211.

SCHREIBER (Wilhelm Ludwig), Die ältesten Spielkarten und die auf das Kartenspiel Bezug habenden Urkunden des 14. und 15. Jahrhunderts, Strasbourg, 1937.

RITTER (François), Histoire de l’imprimerie alsacienne aux XVe et XVIe siècles, Strasbourg-Paris, 1955, p. 137-145, 304-305.

LARAN (Jean), L’estampe, Paris, 1959, t. I, p. 296.

SEITHER (Charles), « Aperçu historique sur l’origine des cartes à jouer et leur introduction en Alsace », Almanach d’Alsace et des Marches de l’Est, 1965, p. 103-104.

DEPAULIS (Thierry), « Maîtres cartiers strasbourgeois », Le Vieux Papier, 1989.

MONTCHAUD (Fabienne), « Le petit monde des cartes à jouer », Trésor des Bibliothèques et Archives d’Alsace, Strasbourg, 2017, p. 260.

Notices connexes

Échasse (corporation de l’)

Images

Imprimerie

Jeux

Loisirs

Papetier

Peintre

Steltzen_(Zunft_zur)

Louis Schlaefli