Juveignerie (droit de)

De DHIALSACE
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Droit d’accès, Droit de préférence, Vorrecht, Vorsitzgerechtigkeit.

Le fait d’avantager le cadet (du latin junior) dans les successions ne relève pas en Alsace, comme dans les régions de l’Ouest, du droit féodal, mais du droit coutumier. En effet, la coutume dite « de Ferrette », fondée sur l’usage et largement répandue en Alsace, pas uniquement dans le Sundgau comme son nom l’indique, et qui date probablement de la fin du XIVe siècle, en fait une pratique successorale roturière d’une importance capitale à la campagne, du moins pour les couches relativement aisées de la société rurale. Alors que le modèle nobiliaire privilégie, en général, la primogéniture sous la forme du droit d’aînesse, cette pratique concède au contraire un avantage successoral au puîné, ce qui présente bien des avantages : celui d’assurer la transmission intégrale de la partie des biens immeubles, constituant le noyau de l’exploitation agricole (la maison et les dépendances ainsi que, dans l’intérêt même du propriétaire, les terres emphytéotiques « attachées aux cours ») et de préserver ainsi le Hof du démembrement (Bollwiller), tout en permettant au père de famille de rester provisoirement à sa tête, en en repoussant la cession à plus tard ; celui d’autoriser entre temps l’installation des frères et sœurs plus âgés ayant déjà accédé à une certaine autonomie, etc. Sous les apparences d’une transmission inégalitaire, le principe de l’égalité successorale est donc sauf : en effet, tandis que le cadet s’assure la maîtrise du Hof, ses cohéritiers sont indemnisés, sur la base de l’estimation de la ferme paternelle, au moyen de soultes pouvant s’échelonner sur des dizaines d’années et représentant chacune une part du prix estimé ; ils peuvent bénéficier, en outre, du partage égalitaire de terres et d’éventuelles maisons (Rouffach) tenues en toute propriété. Comme le signale l’exemple de Traubach, les risques sont partagés : les aînés doivent parfois attendre 12 à 16 ans pour toucher le premier terme de leur soulte et le puîné, qui n’est jamais à l’abri de dépenses d’entretien ou d’une catastrophe comme l’incendie, est parfois acculé à une revente de la ferme pour pouvoir acquitter dettes et compensations.

Est également respecté le principe de masculinité, très prégnant dans le droit féodal : ce sont, en théorie, les garçons qui bénéficient du droit de juveignerie : « si le cadet décède, la maison revient au cadet des survivants, et ainsi en remontant jusqu’à l’aîné » (Landser) ; mais, en l’absence de garçons, les filles n’en sont pas écartées, encore que, dans ce cas, ce soit parfois l’aînée qui en bénéficie (Artolsheim, Châtenois) ou qu’elles soient amenées à procéder au tirage au sort (Hirsingue).

L’analyse des archives notariales montre que, dans la pratique, le droit de juveignerie, que le Code civil ne remettra pas en question, est loin de correspondre à une règle générale : en vertu d’un réel pragmatisme, il arrive que l’on choisisse l’héritier en fonction de la conjoncture familiale (mortalité, émigration) ou en raison de ses aptitudes (vigueur, moralité, fiabilité, qualités de gestion), ce qui peut éventuellement contribuer à écarter le cadet.

Bibliographie 

D’AGON DE LACONTRIE, Ancien statutaire ou recueil des actes de notoriété fournis en 1738 et 1739 à M. de Corberon sur les statuts, us et coutumes locales de cette province…, Colmar, 1825. Renseignements sur le droit de juveigneurie dans les seigneuries, bailliages ou prévôtés suivants : Ferrette (p. XI et 52), Artolsheim (p. 57), Bollwiller (p. 78), Cernay (p. 84), Châtenois (p. 87), Ebersheim (p. 89), Herrlisheim (p. 103), Hirsingue (p. 104), Landser (p. 123-124), Ribeauvillé (p. 148), Rouffach (p. 152), Seppois-le-Bas (p. 155), Traubach (p. 161), Wittisheim (p. 165).

BONVALOT, Coutumes de Ferrette, 1870.

Notices connexes

Coutume

Femme

Hof

Succession

Jean-Michel Boehler