Justice et Institutions judiciaires dans la Province d'Alsace (1657-1790)

De DHIALSACE
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L’édit de 1679, qui rend au Conseil royal de Brisach la compétence du dernier ressort, met fin à la série de textes relatifs à la mainmise judiciaire sur les territoires d’Alsace depuis  1634. Avec les arrêts de réunion des mois qui suivent, se met en place la hiérarchie judiciaire de la Province d’Alsace. Elle va subsister jusqu’en 1790.

En mai 1646, lors des négociations entre plénipotentiaires français et impériaux à Munster en Westphalie, le plénipotentiaire impérial avait protesté contre la politique royale d’établissement de Parlements, Conseils souverains ou Cours souveraines dans les territoires occupés par les armées françaises. La création du Parlement de Metz (1633), du Conseil souverain de Nancy (1634-1635), du Conseil royal du Roussillon (1640), du Conseil royal de Brisach (1641), sont autant d’exemples.

En 1648, la France occupe les pays d’Alsace depuis près de quinze ans. Alliés des états (stände), elle s’y conforme aux traités de protection signés avec les princes et les villes : « Les affaires de l’Estat et de justice seront gouvernées comme cy-devant, par la mesme forme de gouvernement, sans que S. M. change chose quelconque en l’élection et jurisdiction des états, ny au nombre et qualité des personnes... » (traité de protection de Colmar 1635, Livet 32). Les intendants de justice, police et finances, [doivent] « veiller à ce que la justice soit bien et sincèrement administrée esdits pays, que les crimes et délicts soient chastiés selon la rigueur de nos ordonnances... » (Livet, p. 53). Avec la création de la Chambre royale de Brisach en 1641, « en attendant la création d’un Conseil souverain », les liens de la Haute-Alsace avec Innsbruck et les Archiducs sont coupés (Livet, p. 89-90). En attendant, les appels des tribunaux locaux auprès des Cours impériales de Rottweill et Spire sont tolérés et les droits souverains de l’Empire maintenus.

Après les traités de Westphalie, un moment paralysée par la Fronde, la politique royale reprend l’initiative. En 1657, un édit fait de la Chambre royale de Brisach un Conseil souverain à Ensisheim. L’édit affirme : « Les lois, ordonnances des Empereurs et Archiducs d’Autriche et toutes les coutumes et usages qui ont cours et force jusques à présent audit pays … devaient être gardés et observés inviolablement ». Mais le roi se réserve « selon notre pouvoir souverain de changer corriger ou amplifier les lois, Ordonnances, Statuts et règlements qui ont été gardés jusques à présent audit pays, ou y déroger ou les abolir et de faire de telles lois, institutions et règlements que nous verrons ci-après être plus utiles et convenables au bien de notre service et dudit pays » (de Boug I, p. 2).

Cette formule est reprise dans l’édit de création du Conseil souverain de Roussillon (1660), après le traité des Pyrénées de  1659. De 1661 à 1663, Colbert de Croissy cumule les deux intendances des Trois-Évêchés et d’Alsace. Le Conseil_souverain d’Alsace est rétrogradé comme conseil provincial et le Parlement de Metz est juge en dernière instance. Avant même le traité d’Aix-la-Chapelle (mai 1668), le Roi crée le Conseil souverain de Tournai (avril 1668). En mai 1679, il transfère le Parlement de la Comté, jusque là espagnole, de Dole à Besançon. Après la signature du traité de Nimègue (mai 1679), il rend au Conseil d’Alsace la compétence du dernier ressort (novembre 1679). Pour le gouvernement royal, il conserve l’intitulé « Conseil supérieur » jusqu’en  1776, et certains justiciables se font un malin plaisir à le rappeler (Burkard, p. 42). Mais, dans son sceau et ses arrêts, le Conseil se qualifie lui-même de « souverain », dès janvier 1681. Il a pour tâche de procéder aux réunions, soit à l’opération de recensement et d’incorporation des fiefs d’Alsace, ceux de l’Empereur (principalement en Basse-Alsace), et ceux de la Maison d’Autriche (principalement en Haute-Alsace) et à arrêter solennellement que le Roi est souverain suprême, légitime en vertu des traités.

Ce sont les arrêtés des années 1680 et 1681 qui exécutent ce programme. Les arrêts de réunion et de compétence font du Conseil, transféré à Colmar en 1698, le sommet de la hiérarchie judiciaire de la Province.

La hiérarchie judiciaire de la Province

Au sommet de la hiérarchie judiciaire : le Conseil souverain avec, à partir de 1694, deux chambres jugeant en appel, la première chambre au civil et la seconde au criminel. Il reçoit et enregistre les édits, peut prendre des arrêts de règlements. Il réglemente le recrutement du personnel judiciaire du ressort, qui doit s’inscrire et prêter serment devant lui.

La vénalité des charges et leur patrimonialité l’enracinent définitivement dans le tissu social – et économique – de la province. Elles seront supprimées en 1771 et le gage des Conseillers sera remboursé par la Province.

En 1738, son premier président, de Corberon, fait imprimer à Colmar un Recueil d’ordonnances du Roy et reglemens du Conseil souverain d’Alsace, depuis sa creation jusqu’a present, en deux tomes. Le premier va de 1657 à 1707 et le second de 1708 à 1737. Le Privilège en expose les motifs : « il s’agit de réunir les Ordonnances et règlements de notre conseil Supérieur envoyées dans les juridictions inférieures de notre Province d’Alsace… perdues ou dispersées ».

La hiérarchie judiciaire de la Province et les grandes lignes de son droit sont plus nettement dessinées au moment où le président de Spon fait publier, en 1775, les deux volumes réunis par son prédécesseur, le président de Boug, qui prendront son nom : Recueil des édits, déclarations, lettres patentes, arrêts du Conseil d’État et du Conseil souverain d’Alsace (Tome I : 1657-1725 ; Tome II : 1726-1770), qui reprenait les textes réunis par Corberon dans le Recueil de 1738. L’avertissement du recueil rédigé par de Spon est plus ambitieux. Même s’il se défend de tracer un code de législation, il s’agit d’une « Collection des Édits, Déclarations, Lettres patentes, arrêts de règlement et Ordonnances concernant le Droit public, la jurisprudence et la Police de cette Province ». Il comprend également, après le tableau chronologique des conseillers de la Cour (et, en tout petit, celui des intendants), la traduction française des traités de Westphalie, des Pyrénées, le traité de Passau de 1552 et le recès d’Augsbourg de 1555, les traités de Nimègue et de Ryswick et de Bade (voir : Jus_supremi_dominii).

En introduction, on trouve le tableau des « Tribunaux et sièges de justice établis en Alsace ». À la base de la pyramide judiciaire, les baillis, juges de première instance dans les territoires, et les juridictions des magistrats dans les villes. Mais le bailli n’est pas seulement un officier judiciaire, il s’occupe aussi d’administration et surtout de finances. À cet égard, il dépend plus étroitement de l’intendant et des receveurs des finances que du Conseil souverain (voir : Bailliage). Sauf à Strasbourg, les magistrats des villes ne sont guère plus libres vis-à-vis du pouvoir de l’intendant (Prévôt-Schultheiss).

L’appel de la plupart de ces tribunaux se fait directement au Conseil souverain, qui se substitue aux Cours impériales ou à celles des Habsbourg.

Les princes et la Noblesse Immédiate ont conservé leurs instances d’appel : les régences de Strasbourg et de Saverne, de Bouxwiller, le Présidial du Directoire. Mais en cas de causes importantes, définies par la valeur des objets litigieux, l’appel est fait directement devant le Conseil.

La justice des princes et des seigneurs

Les bailliages seigneuriaux

Dans les territoires princiers et seigneuriaux, c’est le seigneur qui exerce la haute, moyenne et basse justice. En Alsace, le gouvernement royal a maintenu un grand nombre de seigneuries qu’il a redistribuées à ses fidèles, mais il a exigé des seigneurs les titres prouvant leurs droits de justiciers. Il leur retire leur droit d’appel, décision vivement contestée.

En 1679, le gouvernement royal retire aux seigneurs l’exercice personnel de la justice et leur impose la nomination d’un bailli pour l’administrer, nomination qui doit être enregistrée par le conseil royal. Le gouvernement royal ne peut pas exiger la nomination d’un bailli, résident dans chaque bailliage quand il est fait d’un ou de quelques villages seulement. En Haute-Alsace, il y a 145 bailliages, mais seulement 15 qui ont un bailli résident. En Basse-Alsace, le gouvernement royal ordonne le regroupement des 139 bailliages en 45. Les baillis exercent donc leurs fonctions sur plusieurs justices seigneuriales (Livet, p. 731-732).

En 1686, le roi ordonne la suppression des Dorfgerichte : il appartient aux baillis gradués en droit, assistés de deux assesseurs gradués, d’exercer la justice dans le bailliage (de Boug I, 163). Cette suppression est fermement appliquée en Haute-Alsace. En 1789, il ne subsiste dans la Province que très peu de justices villageoises (Krug-Basse, 126). L’édit de mars 1693 s’efforce de régulariser l’institution judiciaire : les baillis seigneuriaux et officiers de juridiction des bailliages, nommés par les seigneurs, doivent être catholiques, gradués, immatriculés par le Conseil supérieur, devant lequel ils prêtent serment (de Boug, I, 212).

Les cours d’appel des princes et nobles

Certains princes et seigneurs conservent un droit d’appel en dernier ressort : c’est le cas de l’évêque de Strasbourg et de sa régence de Saverne (lettre patente du 28 novembre 1682, confirmant les droits de l’évêché de Strasbourg, notamment le droit de juger en premier et dernier ressort « quand il ne sera question que de la somme de 500 livres… »). En matière de police, de chasse, de pêche et de faits, les baillis de la régence jugent en dernier ressort, lorsque les matières civiles ou les amendes ne dépassent pas 50 livres. La Régence est la Cour féodale du prince évêque de Strasbourg. Les vassaux de l’évêque doivent se présenter devant elle pour prêter foi et hommage. L’activité judiciaire de la Régence semble avoir été fort réduite. Jusqu’en 1731, la Régence « n’avait alors ni plumitif, ni registre en règle ». À partir de 1741, les registres sont tenus à jour car l’ordonnance prescrivant les insinuations des donations, introduite en Alsace, a obligé la Régence à posséder des registres en règle pour y procéder. En 1707, des lettres patentes confirment les privilèges du comte de Hanau-Lichtenberg et de sa régence de Bouxwiller de juger, en dernier ressort, pour les affaires de moins de 500 livres. Plus réduites sont les fonctions des régences de l’évêque de Spire à Lauterbourg, assumées par le bailli de l’évêque. De même pour la régence de Ribeauvillé, transférée à Bischwiller (Véron-Réville).

Pour les 85 villages qui en relèvent, le Présidial du Directoire de la Noblesse_de_Basse-Alsace tranche les procès en dernier ressort, au civil et au criminel, jusqu’à la somme de 250 livres.

Nomination des baillis et vénalité des offices

Aux princes et seigneurs (et à leurs régences) revient la nomination des baillis de leurs territoires, sous le contrôle des intendants et du Conseil souverain. Mais dès 1693, l’évêque de Strasbourg et le Grand_Chapitre introduisent la vénalité des offices de leur administration seigneuriale. Ils sont approuvés par le gouvernement royal (édit du 17 mars 1693), contre le versement d’une « subvention » substantielle au roi et du contrôle étroit imposé à leurs finances. Les charges de baillis, puis celles des procureurs fiscaux de l’évêché, sont vendues en 1693 et 1694. Le duc de la Meilleraye, administrateur des terres de Mazarin, l’imite en Haute-Alsace en 1700 : Thann, Rosemont, Belfort, Ferrette, Altkirch, Delle, Issenheim, la Grande Mairie de l’Assise sont vendus en 1700, mais sans hérédité : l’opération est très contestée par les anciens baillis, dépossédés de ce qu’ils considéraient comme leur propriété. D’autres princes et seigneurs font de même au début du XVIIIe siècle. La vénalité renforce l’indépendance des baillis vis-à-vis des seigneurs et le pouvoir des intendants (Livet, p  737-740). Mais la vénalité n’est pas générale et certains seigneurs tiennent à leurs pouvoirs de nomination et de destitution, qu’accepte le roi, là où le bailli n’a pas acheté sa charge (cas de la destitution du bailli Geiger par le seigneur d’Andlau en 1701).

La juridiction du bailliage seigneurial

À coté du bailli, on trouve un procureur fiscal qui assure le ministère public, un greffier, des huissiers chargés d’opérer les saisies, aux ventes forcées et de collecter les amendes. Plusieurs arrêts du Conseil interdisent le cumul des fonctions de procureur fiscal et de sergent ou huissier.

Les bailliages royaux

Dans la province, il n’y a que cinq bailliages dont le bailli est nommé par le roi : le bailliage de la ville neuve de Brisach, la Préfecture de Haguenau, Wissembourg, Germersheim, Landeck, Saint-Hippolyte. Alors que sont conservées les charges de Grand Bailli, le roi nomme, en 1684, pour les quarante villages de la Préfecture, un bailli royal chargé de la justice, avec à ses côtés un procureur du roi, un greffier et des huissiers et sergents. Ce tribunal est fort important, car on a conservé toutes ses archives.

Les prévôtés royales

Les effectifs de la maréchaussée, créée en 1641 par l’intendant de Brisach et mise sous le commandement d’un prévôt d’Alsace à partir de 1661, croissent, mais sont faibles : 56 hommes en 1682, trois brigades (Strasbourg, Brisach, Landau) en 1697 (Sablayrolles, 133).

L’édit de 1720 réforme l’ancienne organisation des maréchaussées du royaume. Elle crée les deux tribunaux criminels ou prévôtés royales à Strasbourg et à Colmar, avec chacun un prévôt général, un lieutenant, un assesseur et un procureur du roi. La justice des prévôtés, juridiction extraordinaire, juge des « cas prévôtaux », énumérés dans l’ordonnance criminelle de 1670 et repris dans l’édit de 1731, soit des personnes déterminées (soldats, vagabonds, déserteurs, sans domicile fixe), ou des crimes particuliers (vols sur les grands chemins, vols avec effraction, violences et port d’armes, faux-monnayage).

Le Conseil souverain interdit aux juges prévôtaux de juger au civil. La justice prévôtale est peu active jusqu’à 1724 (Sablayrolles, p. 197). Mais, à partir de l’édit de 1720, les juridictions prévôtales représentent un cinquième des jugements dont il est fait appel devant le Conseil souverain, alors que la nature des crimes poursuivis et le profil des délinquants renforcent le caractère fort expéditif de cette justice. Sauf à Strasbourg, qui défend les compétences de ses bailliages ruraux au criminel, baillis seigneuriaux et maréchaussée vivent désormais en meilleure intelligence (Sablayrolles, p. 406-416).

Les villes et leurs tribunaux

Strasbourg : l’autonomie judiciaire

La capitulation de la ville de Strasbourg, le 30 septembre 1681, maintient les juridictions de la Ville et des bailliages ruraux, et donc le droit de la Ville de désigner les juges, nommés à vie et sans conditions de grade. Mais il y a tant de jurisconsultes gradués dans le personnel de la ville et dans le rang de Avocats, que la condition de grade apparait superflue (Fürsprecher).

Le Conseil des Treize juge en matière civile, mais les causes dépassant 1 000 livres sont jugées par le grand Sénat, et les parties ont droit d’appel devant le Conseil souverain.

Grands et petits criminels de la Ville et des bailliages ruraux relèvent du Magistrat, on ne peut faire appel de leurs jugements devant le Conseil souverain. Le tribunal censorial (Zucht und Polizeigericht), formé de membres des conseils des XV, des XXI et de quatre échevins, juge des contraventions et délits, le grand Sénat des crimes. Le tribunal des tribus ou corporations (Zunftgericht) juge du contentieux professionnel entre artisans. Le contentieux commercial est jugé par le Corps des marchands, créé en 1687 (voir : Commerce, Kaufmann). Plaidoiries, actes de procédure et jugements sont faits en langue allemande.

Le Conseil souverain a souvent contesté le droit de la Ville de juger au criminel en dernier ressort, en particulier pour les faillites, ainsi que les compétences criminelles des baillis, des bailliages ruraux de la Ville, mais le Conseil d’État lui donne tort (1715, 1738,1756). Le prêteur royal veille à l’exercice de la justice. La Faculté de Droit de l’Université de Strasbourg, dont nombre de conseillers, voire la plupart des juges et baillis, sont gradués, voire docteurs, assure une certaine unité dans la culture juridique du personnel judiciaire, principalement en ce qui concerne la législation et de la jurisprudence des États du Saint Empire et la doctrine de ses Facultés, dont le suivi est nécessaire pour la formation des étudiants allemands et étrangers et utile pour l’interprétation du droit et des coutumes de la province.

Les anciennes villes libres et impériales

Les villes autrefois impériales conservent leurs tribunaux, mais le Conseil souverain juge des appels au civil et au criminel pour les causes qui dépassent 100 livres. Il a permis aux villes de nommer les juges et d’avoir des magistrats non gradués (de Boug I et II, Lettres patentes : Colmar 1685, Sélestat 1685, Haguenau 1685, confirmation 1742, Kaysersberg, Munster, Turckheim, 1763, Obernai, Rosheim 1764, Wissembourg 1764, mais non Landau, pour laquelle on ne retrouve pas de privilège).

L’exercice de la justice

La justice criminelle

La répression des crimes et délits et la poursuite des suspects dans la Province était confiée à un effectif très réduit : quelques hommes à la disposition des baillis seigneuriaux, et les prévôts et sergents de villes et des communautés. Périodiquement, pour faire cesser le banditisme rural, des chevauchées étaient organisées par les États (Landstände), qui les financent.

Avec la succession des guerres et de la misère au XVIIe siècle, l’ambition du pouvoir royal de « veiller à ce que la justice soit bien et sincèrement administrée esdits pays, que les crimes et délicts soient chastiés selon la rigueur de nos ordonnances » – formule des instructions aux intendants de 1637 paraît bien illusoire.

La grande majorité des jugements criminels, dont il est fait appel devant le Conseil souverain, est le fait des baillis seigneuriaux (en particulier des régences épiscopales de Strasbourg et de Saverne) et des villes (Colmar, Sélestat) ainsi que de la justice prévôtale.

Le Conseil souverain s’étonne, en 1735, que le tribunal du bailliage de Haguenau poursuive si peu de crimes (Petermann-Dolt, 53). Mais Jean-Michel Boehler a relevé le barème des délits et crimes sanctionnés par… des amendes ! Elles rapportent bien plus aux tribunaux des seigneurs et des villes, et aux juges. Ainsi, les violences et coups et blessures sont punis d’amendes allant de 1 à 5 livres, tout comme les délits et crimes de mœurs, mais les délits ruraux (vols de grains, de fruits de bois, etc.) sont taxés plus sévèrement – de 1 à 10 livres, et l’incendie volontaire de 5 à 10 livres (Boehler, Paysannerie, barème des amendes dans les bailliages de Marlenheim et Wasselonne à la fin du XVIIe s., p. 1473).

Le Conseil souverain doit dresser « un état des crimes et délits », jugés par les juridictions territoriales d’Alsace dès les années 1730. L’intendance d’Alsace dresse également un « État des procès criminels dignes de mort et de peines afflictives ». Les résultats de l’enquête du chancelier Maupéou de 1767, avec les « états des crimes et délits établi par le Conseil souverain », ainsi que les « états fournis par le magistrat de Strasbourg », sont transmis au Lieutenant général de Police de Paris, Sartine. Il devait en faire une synthèse générale. Ces archives permettent à Élisabeth Sablayrolles (Sablayrolles, Pauvreté, p. 404 ss) de faire une analyse de la criminalité dans la Province. On note le nombre très important d’inculpés en fuite, jugés par contumace. On n’est pas surpris, s’agissant d’appels, de relever une part importante de crimes de sang, notamment dans la criminalité masculine (meurtres : 19%) alors que pour la criminalité féminine, infanticide et meurtres représentent 8% (Sablayrolles, p. 424). Par ailleurs, la plupart des appels aboutissent à une condamnation bien moins sévère qu’en première instance. Pourtant, Élisabeth Sablayrolles relève que le Conseil souverain a la main plus lourde que le Parlement de Paris ou celui de Toulouse (Sablayrolles, p. 412).

L’analyse des états établis par le Magistrat de Strasbourg pour la période 1767-1777 permet d’établir une typologie de la criminalité urbaine, fort différente de celle de la criminalité des bailliages ruraux (voir : Droit de l’Alsace et Femmes_dans_le_droit_pénal). 

La justice civile

Reuss remarquait déjà que la justice civile avait laissé moins d’archives et que la jurisprudence civile des tribunaux, plus aride, avait attiré moins de chercheurs que le récit des crimes : fascination du fait divers !

La justice civile, exercée par les juges des bailliages, concerne essentiellement l’exécution des contrats et le remboursement des dettes. Elles sont contractées pour achat de bétail ou d’immeubles, ou encore pour dettes de cabaret. Fréquents aussi sont les procès pour rupture de promesses de mariage (Fiançailles, Heirat). Pour les questions d’état, de filiation et d’aliments, peuvent se produire des conflits avec l’officialité (Petermann-Dolt, Haguenau p. 101-150). Le droit applicable est le droit romain – les Codes de Justinien – et les coutumes, dont celle dite de Ferrette est la plus largement appliquée. Établi sur les instructions de Corberon, le statutaire d’Alsace informe les juges et avocats sur les droits applicables, mais il n’est pas toujours imprimé, pas plus que les statuts des villes. De plus en plus souvent, on applique les ordonnances royales ainsi que la jurisprudence du Conseil souverain, que les présidents Corberon, de Boug et Spon ont fait imprimer en 1737 et 1775. Le rôle du Conseil est particulièrement important en ce qui concerne l’application des règles de procédure uniformes de l’ordonnance de 1667, dont des copies manuscrites figurent dans les tribunaux (Droit de l’Alsace).

Les juridictions ecclésiastiques

Outre leur rôle pour la discipline des clercs et gens d’église, les juridictions ecclésiastiques jouent un rôle non négligeable dans le droit des familles : baptêmes, mariages, successions.

Les officialités

Lorsque le roi acquiert l’Alsace, il se trouve en face de juridictions ecclésiastiques catholiques, semblables à celles du royaume, les officialités des évêques de Strasbourg, de Spire, de Bâle, de Metz et de Besançon. Mais leurs ressorts ne coïncident pas avec les frontières du royaume. En réalité, seules quatre officialités exercent en Alsace : Strasbourg (avec outre l’officialité épiscopale, celle du Grand_Chapitre pour les paroisses qui en dépendent), l’officialité de l’évêque de Bâle, réinstallée en 1683 à Altkirch, pour la partie française du diocèse. Besançon a trop peu de paroisses pour un official en titre et c’est l’official de Besançon qui juge, avec appel au Parlement de Besançon (1732). Même solution pour l’évêché de Metz et ses quelques paroisses du comté de Dabo. En 1715, l’évêque de Spire veut bien d’un official particulier pour la partie française de son diocèse, à condition qu’il soit pris en charge par la France, mais c’est le roi qui ne veut pas. La juridiction de l’official de Spire à Bruchsal est reconnue en 1756.

Le premier arrêt relevé dans le Recueil des Ordonnances du président Corberon (1738) et repris par le recueil de Boug de 1775 porte sur l’interdiction faite à l’évêque de Bâle de déférer à son officialité le contentieux de la collecte des dîmes : il relève du temporel, donc du juge laïc (27 mai 1659). Le Conseil prend le même jour un arrêt de règlement, ordonnant aux Patrons et collateurs, décimateurs, de nommer des desservants et de réparer les maisons curiales. Et le 31 mars 1680, un nouvel arrêt de règlement soumet la révision des comptes de fabrique aux baillis, prévôts et magistrats. Pour les contentieux sur les biens de l’Église, où s’opposent souvent deux clercs, le Conseil souverain applique le principe : le possessoire – soit le jugement sur la situation de fait – relève du juge séculier, et le pétitoire – soit le jugement sur le droit (titres de propriété) – du juge ecclésiastique, sauf si le patron des biens est laïc, auquel cas, possessoire et pétitoire relèvent du juge séculier.

L’appel comme d’abus qui permet au Conseil souverain d’exercer un contrôle sur la juridiction de l’Église est introduit dès 1659. Il est réaffirmé par l’édit sur la juridiction ecclésiastique de 1695 que le Conseil n’enregistre pas, mais « néanmoins observe ».

Le Conseil se heurte à une forte résistance, en particulier de l’évêque de Strasbourg, qui dénie au Conseil la connaissance du contentieux disciplinaire ecclésiastique. En 1682, l’évêque se plaint au Roi des empiètements du Conseil, et celui-ci rétorque que les officiaux de Strasbourg « entreprennent chaque jour sur la juridiction séculière ». En 1697, un chanoine de Saint-Pierre-le-Jeune, le baron de Lerchenfeld, qui avait fait ses études de droit à Paris, conteste la compétence du Conseil en soutenant qu’il ne s’agit que d’un Conseil provincial et non d’un Parlement. Le roi refuse cette mise en cause de l’appel comme d’abus, mais fait une concession en mandant que « le Conseil ne doit recevoir aucun appel des sentences de l’official sinon dans les affaires purement réelles et rien en ce qui regarde le spirituel et la correction des mœurs » (1701) (Pagny-Le Ber, p. 73-74).

Dans les années qui suivent, la procédure d’appel comme d’abus est admise par l’Église mais appliquée prudemment par le Conseil.

Mais c’est surtout sur le mariage que la lutte sera la plus âpre. Le 26 septembre 1697, le Conseil enregistre un édit conforme au concile de Trente interdisant aux juridictions séculières de connaître des affaires de mariage. Mais il soutient de son côté, que s’il appartient au juge ecclésiastique de juger de la validité du mariage comme sacrement (empêchements, respect des procédures, consentements, nullités), il appartient au juge laïc de juger du contrat civil qui l’accompagne. Car « le mariage quoique sacrement requiert essentiellement un contrat civil, ce contrat de même que tous les autres dépend de la volonté du Prince, des lois publiques de l’État, les juges souverains dépositaires de l’autorité royale sont en droit de décider de sa validité ou de son invalidité » (Pagny Le Ber, p. 78, citant un mémoire de la collection Heitz) (voir aussi : Fiançailles, Heirat, Heiratsmakler, Indemnité).

Les consistoires luthériens : juridictions ecclésiastiques mais municipales

Dans la province d’Alsace, les traités de Westphalie (1648), reprenant les termes de la paix de Passau et de la paix de religion de 1555, reconnaissent aux protestants « l’exercice paisible de cette Religion ». C’est reconnaître les institutions ecclésiastiques protestantes. Corberon résumera fortement en 1722 : « les droits épiscopaux sont reconnus aux protestants ».

Il est vrai que chez les protestants « la double juridiction – séculière et ecclésiastique – appartient au même souverain » – prince, seigneur, ou ville. De ce fait, le Conseil souverain n’inclut pas les consistoires, institutions urbaines ou seigneuriales dans son « tableau des tribunaux et sièges de justice établis en Alsace ». Par contre, l’on ne peut refuser à ces institutions, consistoires et convents, la qualité de juridiction ecclésiastique : ils jugent sur les affaires de dogme, de sacrement et de discipline (Guyot, Répertoire, art. Religionnaires). Leur juridiction s’étend sur le mariage et sa validité, ainsi que sur l’état des enfants et des aliments des enfants. À Strasbourg et Colmar, les Ehegerichte ont été maintenus. Mais, à partir de 1692, ils ne peuvent plus prononcer de divorce.

L’arrêt de 1722 pris par le Conseil souverain, suivant les conclusions de Corberon, est fondamental. Se prononçant sur un appel porté contre les jugements du magistrat et du consistoire de Landau, ville libre protestante appartenant à la Ligue des Villes impériales d’Alsace, le Conseil souverain arrête que les consistoires sont des juges ecclésiastiques. Mais, ils sont incompétents en l’espèce dont appel qui porte sur une reconnaissance de paternité et sur les aliments qui en découlent. Les juges ecclésiastiques ne peuvent juger de l’état des enfants, soit de leur légitimité ou de leur bâtardise et de leurs aliments ; ce sont des affaires temporelles et, en France, ces matières relèvent des juges laïcs (de Boug, I, p. 570-576).

En outre, les consistoires doivent respecter les degrés de compétence : l’appel de leurs jugements doit être porté devant la juridiction seigneuriale et municipale, puis devant le Conseil souverain. Enfin, on ne doit pas confondre ces appels simples en nullité ou pour mal jugé avec des appels comme d’abus, car il ne s’agit pas d’appels contre le jugement d’une juridiction d’église, mais d’appels contre celui d’une juridiction municipale ou seigneuriale (consultation de juristes des Affaires étrangères, ce que conteste le conseiller Goezmann) (publié par Gerber, RA 1932 ; Pagny le Ber, p. 85).

Ces appels sont peu nombreux, les luthériens s’abstenant autant que possible de porter leurs causes devant le Conseil souverain.

La juridiction des rabbins

« Les rabbins ont juridiction non seulement pour les affaires de leur religion, mais encore en matières personnelles contentieuses de Juif à Juif. Cependant, le demandeur juif peut intenter son action par devant le Juge ordinaire ; le défendeur juif est obligé de le suivre ». Voilà le principe, relevé par le « tableau des tribunaux et sièges de justice établis en Alsace par le Roi et le Conseil souverain » (pages introductives des Ordonnances d’Alsace), où figure la « juridiction des rabbins ». Le commentaire précise que « les arrêts du Conseil souverain reconnaissent la juridiction des rabbins nommés par les Rois (au nom de ses pouvoirs sur la Préfecture et sur la Haute-Alsace) et les princes et seigneurs : l’évêque de Strasbourg avec appel à la Régence de Saverne, le comte de Hanau-Lichtenberg avec appel devant la régence de Bouxwiller, la Noblesse immédiate avec appel devant le Directoire présidial ». Le conseil souverain impose le respect de cette juridiction aux juges subalternes (de Boug, Ordonnances II, 8 mars 1765, p. 693-694).

Les Juridictions spéciales

La Chambre des Monnaies de Strasbourg

Substituer la monnaie de France à celle de l’Empire a fait partie intégrante du programme d’annexion du gouvernement royal. À la fin de la période, il institue, à Strasbourg, une Chambre de monnaies. Elle est composée de deux juges-gardes, d’un procureur du Roy, un contregarde et un huissier. Pourvues à l’origine par commissions, les charges sont érigées en offices à partir de 1702.

Ils connaissent de tous les billonnages, comme les autres monnaies du Royaume, et leurs jugements en cas d’appel sont portés au Conseil souverain d’Alsace (Pagny-le Ber, p. 145).

Les maîtrises royales des Eaux et Forêts

Les maîtrises royales des Eaux et Forêts jugent du contentieux et des délits forestiers des forêts royales et de la Harth (Ensisheim) ou de Haguenau et appel peut être porté devant le Conseil souverain. Les autres forêts relèvent des régences princières ou de l’intendant (Krug-Basse, p. 130).

Bibliographie

Recueil d’ordonnances du Roy et reglemens du Conseil souverain d’Alsace, depuis sa creation jusqu’a present, I : 1657-1707, II : 1708-1737, Colmar, 1738.

Recueil des Edits, Déclarations, Lettres patentes, arrêts du Conseil d’Etat et du Conseil souverain d’Alsace, avec des observations de M de Boug, premier président..., I : 1657-1725, II : 1726-1770, Colmar, 1775. Préface - Tribunaux et sièges de justice établis en Alsace.

Quatre conseillers à la cour d’appel de Colmar et magistrats des tribunaux d’Alsace avant 1871 ont rédigé d’après les archives du Conseil l’histoire du Conseil souverain et de l’institution judiciaire de la province.

PILLOT (Victor), NEYREMAND (Ernest), Histoire du Conseil souverain d’Alsace, Paris, 1860.

VERON-REVILLE (Armand), Essai sur les anciennes juridictions d'Alsace, Colmar, 1857.

KRUG-BASSE (Jules),L’Alsace avant 1789 ; ou Etat de ses institutions provinciales et locales…, Paris, Colmar, 1876.

LIVET, Intendance (1956).

PAGNY-LE BER (Anic), Le conseil souverain d’Alsace et l’introduction du droit français (1648-1789), Thèse de Droit, Strasbourg, 1968.

SABLAYROLLES (Elisabeth), Recherches sur la pauvreté, l’assistance et la marginalité en Alsace sous l’Ancien Régime, Thèse d'Histoire, Strasbourg, 1988.

BOEHLER, Paysannerie (1994).

PETERMANN-DOLT (Joëlle), Contribution à l’histoire des Institutions judiciaires, la jurisprudence du tribunal du Grand Bailliage de Haguenau (1731-1755), Thèse de Droit, Strasbourg, 1995.

BURCKARD (François), Le Conseil souverain d’Alsace au XVIIIe siècle, Strasbourg, 1995.

LIVET (Georges), WILLSDORF (Nicole), Le Conseil souverain d’Alsace au XVIIe siècle, Strasbourg, 1997.

DEMARS-SION (Véronique), MICHEL (Sabrina), « Le conseil souverain de Tournai  : un conseil parmi d’autres ? Étude des édits de création des conseils créés par Louis XIV », Tournai, Revue du Nord, 2015.

Notices connexes

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