Justice et Institutions judiciaires au Moyen Âge : Différence entre versions

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= Le droit et son évolution =
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Au Moyen Âge, les infractions, les délits, les crimes et les sanctions qui s’y rapportent sont définis par la coutume et par le droit écrit, codifiés sous la forme de compilations ou de recueils de jurisprudence, en attendant d’être relayés par le droit savant, enseigné dans les universités d’Italie dès le XII<sup>e</sup> siècle, puis dans celles situées au nord des Alpes.
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Les règles en vigueur dans les pays du Rhin supérieur sont issues des lois des tribus germaniques, à l’instar de la ''Lex Alamanorum'' (voir : [[Droit_de_l'Alsace|Droit de l’Alsace]]) consignée dans une cinquantaine de manuscrits du VIII<sup>e</sup> au XII<sup>e</sup> siècle. Elles fonctionnent selon le principe de la personnalité des lois, suivant l’appartenance du justiciable à un groupe défini (nobles, libres, non libres) et un système de tarification des peines. À la fin du Moyen Âge, le recueil appelé ''Schwabenspiegel'' (voir : [[Droit_de_l'Alsace|Droit de l’Alsace]]), composé vers&nbsp;1275, devient le code le plus courant dans la région, donnant lieu à des centaines de manuscrits, puis à des éditions incunables, dès&nbsp;1475. La version publiée à Strasbourg par Martin Schott, vers 1484, est titrée ''Schwabenspiegel: Summarie von kunglichen und keyserlichen darzu landt und lehen rechten'', ce qui indique clairement ses deux subdivisions entre&nbsp;le droit commun (''Landrecht'') et le droit féodal (''Lehenrecht''). Des coutumiers, généralement manuscrits, réalisés à l’échelle d’une seigneurie, d’une ville ou d’un ensemble plus large rendent compte des usages locaux, en fonction de l’ancienneté ou des privilèges, conférés par les autorités, sur le modèle des [[Franchises|franchises]] de Haguenau (1164) ou de Colmar (1278). Les plus connues de ces [[Coutume|coutumes]] sont celles de La Petite Pierre, de Ferrette, du Val d’Orbey, du Rosemont, mais on peut y ajouter les dispositions des ''weistümer'', mis par écrit à partir du XIII<sup>e</sup> siècle ou des ''[[Dorfordnung|dorfordnungen]]'', élaborées par les communautés villageoises.
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Au XV<sup>e</sup> siècle, l’arrivée massive d’administrateurs et de juges formés dans les facultés de Droit d’Italie (Bologne, Pavie, Padoue), de France (Orléans, Bourges) et d’Allemagne (Heidelberg, Fribourg-en-Brisgau, Bâle) marque le retour du droit romain (Code Justinien et compléments), en parallèle avec le Droit canonique appliqué dans les tribunaux ecclésiastiques de l’officialité, non seulement pour des causes liées à la discipline du clergé ou des fidèles, mais aussi dans des affaires temporelles. A l’échelle locale, cela se traduit par l’enregistrement systématique des jugements (à Mulhouse, à partir de&nbsp;1438) et par des règlements qui fixent la procédure et la jurisprudence (à Colmar en&nbsp;1454). Ce mouvement anticipe l’arrivée de l’imprimerie et va de pair avec l’unification du droit pénal avec la Constitution criminelle [[Caroline_(Constitution)|caroline]] (voir :&nbsp;[[Droit_de_l'Alsace|Droit de l’Alsace]]), introduite par Charles Quint en&nbsp;1532.
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Contrairement aux idées reçues et à l’imaginaire du « sombre Moyen Âge moyenâgeux » inventé au siècle des Lumières et entretenu par le romantisme, la justice médiévale ne se réduit pas à des jugements expéditifs ou arbitraires et des supplices barbares. Elle applique des lois et se fonde sur des enquêtes, avec possibilités de recours. La prison représente l’exception, la peine capitale est rare, les amendes sont lourdes et souvent dissuasives et la grâce est possible, en particulier sous la forme de lettres de rémission ou ''[[Fehde|Urfehde]]'', assorties du bannissement. Le duel judiciaire, attesté à Colmar en 1278, et le droit de vengeance, susceptible de prendre la forme d’une guerre privée officielle, restent à l’ordre de jour.
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= Les niveaux de juridiction =
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La compréhension du système judiciaire est brouillée par l’imbrication des différents niveaux de juridiction et par l’intervention d’autorités privées et publiques.
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Au niveau le plus bas, celui de la seigneurie foncière, les litiges relevant de la basse justice sont examinés par le seigneur ou son représentant, généralement appelé ''[[Schultheiss]]'' (ultérieurement traduit par [[Prévôt|prévôt]]),&nbsp;ou ''Meier'' (en latin ''villicus'', [[Maire|maire]]), assisté par des jurés, ''[[Geschworene(r)|Geschworne]]&nbsp;'': il s’agit de conflits relevant du droit privé (propriété, héritages, loyers, dettes) ou de manquements aux règles prévues dans le cadre d’une cour seigneuriale (''[[Dinghof]]'').
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À l’échelle du [[Ban|ban]], cellule fondamentale de l’autorité publique détentrice du droit d’ordonner et de contraindre (''twing und bann''), tous les degrés de la justice sont possibles, y compris en matière criminelle, mais les situations sont très variées. Dans les villages et les petites villes, le tribunal se confond avec le conseil de la communauté concernée, sous la tutelle du ''[[Schultheiss]]'', nommé par le seigneur ou par les habitants euxmêmes. Il siège régulièrement, souvent une fois par semaine (''[[Wochengericht]]''), auditionne contradictoirement les plaignants et les accusés, recueille des témoignages, puis rend son jugement, à l’issue d’une ou plusieurs sentences. Dans des localités qui relèvent de plusieurs seigneurs, à l’instar de Blienschwiller, qui possède quatre ou cinq ''Schultheissen'' distincts, chacun a ses propres justiciables (vers&nbsp;1470), sauf en matière de haute justice où fonctionne un ''Reichsgericht'', présidé par le représentant de l’Empereur, le ''Reichsschultheis'', dont les assesseurs sont issus des différentes composantes&nbsp;; à Ammerschwihr, qui appartient à la fois à l’Empire, à la seigneurie du Haut-Landsbourg et aux sires de Ribeaupierre, un système de roulement permet l’intervention des trois ainsi que le partage des amendes. Dans les villes les plus développées, des institutions judiciaires spécifiques permettent de décharger le conseil municipal : l’office de ''Schultheiss'' (''Schultheissenthum''), initialement tenu par des officiers seigneuriaux (ou impériaux, dans les villes impériales) est racheté par les bourgeois&nbsp;; il est exercé par des juristes de profession, souvent par un ''Unterschultheiss.''
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== À l’échelle régionale ==
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Certaines catégories de justiciables, les nobles, les vassaux d’un prince territorial, les gens d’Église, les Juifs ou certaines professions (mineurs, ménétriers, chaudronniers…) échappent à la juridiction du ban dans lequel ils résident. En première instance, ils relèvent d’une circonscription plus large ou d’un juge particulier.
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En Alsace, l’effacement des comtés carolingiens du Nordgau et du Sundgau fait place aux [[Landgraviat|landgraviats]]&nbsp;de Haute et Basse-Alsace, qui sont censés représenter l’autorité publique de l’Empereur à partir du deuxième tiers du XII<sup>e</sup> siècle, mais perdent progressivement leurs prérogatives&nbsp;: au XVI<sup>e</sup> siècle, le ''[[Hofgericht]]'' des Habsbourg,&nbsp;compétent pour leurs domaines propres finit par se confondre avec le ''[[Landgericht]]'', qu’ils président en tant que landgraves, dans une filiation institutionnelle, et vraisemblablement, patrimoniale, qui remonte à l’ancien comté du Sundgau. Au départ, le tribunal du landgrave – connu des historiens modernes sous l’étiquette trompeuse d’assises de Haute-Alsace, ou, parfois, sous celle de ''[[Landtag]],''&nbsp;plus&nbsp;ancienne mais ambiguë –, ne juge que les hommes libres en étant lui-même composé d’un ''[[Mall]]''&nbsp;d’hommes libres, suivant l’usage en vigueur au haut Moyen Âge. Ses sessions se font en plein air, dans des lieux bien identifiés (passages routiers, etc., l’Eckenbach près de Bergheim, l’Ottensbühel au sud de Colmar, Meyenheim et Battenheim). Au XIII<sup>e</sup> siècle, les Habsbourg (le terme de ''judex ordinarius'' est cité à leur propos en 1200) s’arrogent la protection des établissements religieux, en se substituant aux avoués. Présidé par un ''[[Landrichter]]'',&nbsp;issu de la noblesse locale, le ''Landgericht'' intervient en matière criminelle sur l’ensemble du landgraviat, arbitre les litiges féodaux, et, en principe, se réclame de l’autorité souveraine. Il est progressivement dépossédé de celle-ci par des privilèges accordés aux villes impériales et à d’autres communautés, y compris des localités comme Thann, Masevaux, Bergheim ou Belfort, qui en sont exemptés.
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En Basse-Alsace, l’évolution est plus rapide. En&nbsp;1226, le ''Landgericht'' s’était réuni à Holtzheim pour trancher la succession de Gertrude de Dabo mais, dix ans plus tard, Frédéric&nbsp;II l’avait empêché d’intervenir contre les Strasbourgeois, en rappelant l’exemption dont ils jouissaient. Aux mains de l’évêque de Strasbourg depuis&nbsp;1359, après avoir été exercée par les comtes de Werde puis ceux d’Oettingen, la fonction landgraviale ne correspond plus à un pouvoir judiciaire effectif, sauf dans des cas limités, mais conserve son prestige et permet encore quelques arbitrages politiques.
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== Dans les seigneuries territoriales ==
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Le système qui prévaut dans les quelques seigneuries territoriales immédiates (Évêque de Strasbourg, Murbach, Lichtenberg, Ribeaupierre, Autriche) combine deux ou trois niveaux d’instances, en remontant vers la résidence du seigneur. En&nbsp;1348, le roi Charles&nbsp;IV exempte l’évêque Berthold de Bucheck de la juridiction du landgrave de Basse-Alsace et de toute autre institution extérieure à ses terres, « tous les hommes résidant dans les villes, villages, châteaux forts et autres lieux soumis à son pouvoir et à sa justice (''zwingen, bännen und gerichten''&nbsp;– voir :&nbsp;[[Ban]]), et tous ceux qui le servent, lui et son chapitre, qu’ils soient nobles ou non-nobles, chrétiens ou juifs&nbsp;». Confirmé par ses&nbsp;successeurs jusqu’en&nbsp;1682, ce privilège est à l’origine de la Régence de Saverne, qui combine les rôles d’une administration centrale, d’un tribunal aulique (''Hofgericht'') qui peut juger en appel et d’une cour féodale (''Lehengericht''). À l’échelon intermédiaire, on trouve des tribunaux de première ou de deuxième instance dans chacun des sept bailliages de Basse-Alsace, dans les trois circonscriptions du Haut-Mundat (Soultz, Rouffach et Eguisheim), dans celles d’Ettenheim et d’Oberkirch, sur la rive droite du Rhin, et les différentes villes seigneuriales. Le niveau inférieur est celui des ''[[Gericht|Gerichte]]'' des villages, qui se cantonnent à la justice de proximité. Les affaires criminelles sont l’apanage des chefs-lieux, mais associent les communautés locales&nbsp;: ainsi, le ''[[Malefitz|Malefitzgericht]]'' de Rouffach comprend 15&nbsp;membres issus de la ville et&nbsp;14 pour les sept villages de son ressort.
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Le même étagement se retrouve pour les quatre bailliages du Sundgau et les autres seigneuries de la mouvance des Habsbourg, dont le ''Hofgericht'' est l’instance supérieure. Il existe cependant des exceptions&nbsp;: à Belfort, les «&nbsp;neuf&nbsp;» du Conseil de la ville examinent en appel les affaires traitées dans les différents ensembles seigneuriaux qui l’entourent&nbsp;: la seigneurie de la Roche, celle de l’Assise ou le Rosemont. Leur juridiction est qualifiée de «&nbsp;justice de prince et métropolitaine », une situation qui s’explique par l’intégration tardive et incertaine (vers&nbsp;1350-1375) de la Porte de Bourgogne dans les territoires des Habsbourg.
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== Un cas particulier, Strasbourg ==
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La ville libre de Strasbourg dispose d’un statut particulier, dans la mesure où elle tire son origine d’un démembrement de l’autorité publique au profit de son évêque, à qui l’empereur Otton&nbsp;II a accordé les prérogatives initialement tenues par le comte, en&nbsp;982. Jusqu’à son émancipation (1263), ce sont ses officiers qui y rendent la justice. Le premier «&nbsp;statut municipal&nbsp;», vraisemblablement daté du XII<sup>e</sup> siècle, distingue le ''Schultheiss'', le [[Burgrave|burgrave]], le tonloyer (''Zoller'') et le maître de la monnaie, en fonction des attributions qui sont les leurs, affaires civiles et délits pour le premier, police des métiers pour le deuxième, litiges relatifs aux poids et mesures et à la douane pour le troisième, faux-monnayeurs pour le dernier. Les affaires criminelles relèvent de l’[[Avoué|avoué]], grand seigneur laïc chargé de la justice du sang. Le conseil municipal, cité au début du XIII<sup>e</sup> siècle, assure les affaires courantes.
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Avec l’indépendance de la cité, on assiste à la mise en place d’institutions spécialisées, mais l’évêque continue à intervenir à différents niveaux jusqu’en 1604, perdant la tutelle de la monnaie en 1334, renonçant à l’office de burgrave, très&nbsp;diminué depuis&nbsp;1332, en&nbsp;1556, puis abandonnant les deux autres, le ''Schulteiss'' et le péager, en les engageant aux bourgeois en&nbsp;1604. Limitées à des causes modestes, ces reliques de pouvoir, qui continuent d’avoir un siège dans un bâtiment de la Grand’Rue, n’interfèrent guère avec les instances municipales, qui siègent à l’hôtel de ville (la ''Pfalz'').
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Celles-ci se complexifient et se codifient à partir du XIV<sup>e</sup> siècle, donnant lieu à un enregistrement des arrêts, des sentences et de la jurisprudence dans le ''Heimlich buch'' et les procès-verbaux, du grand et du petit Sénat. Sous leur forme définitive, leurs rouages sont décrits par Mathias Bernegger dans sa ''Forma reipublicae argentinensis delineata'' (1669).
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L’étagement judiciaire est le suivant, de bas en haut. Les petites infractions et les petites contraventions relèvent du tribunal des sept (''[[Gericht_(Siebener_-)|Siebener]]'') (voir aussi :&nbsp;''[[Besibnung]]'', ''[[Gericht]]'') composé par les échevins. Juge de paix, l’''[[Ammeister]]'' arbitre les affaires mineures, trois fois par semaine, dans des audiences spécifiques.
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Les affaires de police relatives aux bonnes mœurs sont confiées au ''Zuchtgericht'', formé de 10&nbsp;magistrats dont l’Ammeister, le ''[[Stettmeister]]''&nbsp;régnant, un membre du Conseil des&nbsp;XV, un autre des&nbsp;XXI, un noble, un roturier et 4&nbsp;échevins, qui prononcent des amendes mais pas de peines corporelles.
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Les affaires criminelles remontent au Grand Conseil (''[[Grosser_Rath]]''), qui est assisté d’un parquet de trois avocats généraux, secondés par trois procureurs et trois substituts et un juge en dernier ressort.
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Le Conseil des&nbsp;XIII est la juridiction d’appel des affaires civiles et dispose du droit de grâce.
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== Les villes impériales ==
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Dans les villes impériales, c’est le ''Schultheiss'' (''judex'', ''scultetus'') impérial qui est, initialement, le juge, mais la plupart des communautés concernés s’approprient sa fonction en la rachetant à l’Empereur ou en l’obtenant en gage. À Mulhouse, qui la détient de cette manière depuis&nbsp;1407 puis l’acquiert définitivement un demi-siècle plus tard, le ''Schultheissengericht'', présidé par l’''Unterschultheiss'', désigné par le bourgmestre, siège une fois par semaine, en étant formé, en outre, par neuf échevins assermentés (''geschworne'' ''Schöffel''), nommés pour six mois et choisis aussi bien dans le conseil que parmi les bourgeois qui n’en font pas partie. Son domaine comprend la juridiction civile, pénale (''[[Frevelgericht]]'' ; voir : [[Amende]], ''[[Frevel]]'') et gracieuse (contrats, donations…).
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Le conseil municipal reçoit les appels relatifs aux affaires civiles et se réserve la justice criminelle (''Blutgericht'') : il se constitue alors en&nbsp;''Malefitzgericht'', réunissant, outre les 12 conseillers, les six ''[[Zunftmeister]]'' en activité et six&nbsp;anciens ''Zunftmeister''.
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À [[Haguenau_(ville_de)|Haguenau]], le ''Reichslandvogt'', chargé d’administrer le grand bailliage impérial, n’a pas de compétences judiciaires. Confié au ''[[Reichsschultheiss]]'', le ''kayserliche Landgericht auf der Lauben'', qui siège sous les arcades du château, fait office de ''Wochengericht'' pour la ville et sert de juridiction d’appel pour les villages impériaux des alentours. Un dispositif similaire existe à Obernai, Kayserberg et Wissembourg.
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Dans cette ville, à Munster ou à Turckheim, une partie de l’autorité judiciaire est restée aux mains des seigneurs, dont elles dépendaient, avant d’obtenir leur statut de cité impériale. Ainsi, jusqu’en&nbsp;1518, le ''Schultheiss'' de l’abbé de Wissembourg participe au tribunal hebdomadaire du ''Staffelgericht'' en compagnie du ''Stadtvogt'' et de sept échevins patriciens, dans un ressort qui inclut également les villages du Mundat. Il en va de même pour l’abbé de Munster, qui se voit reconnaître les deux tiers de la justice (c’est-à-dire des amendes) de la ville et continue à être présent à Turckheim, où intervient également le seigneur du Haut-Landsbourg.
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= Coopération judiciaire et tribunaux d’exception =
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L’effacement de la juridiction du landgrave et l’éloignement de l’Empereur posent le problème de la coopération judiciaire entre voisins. La question est résolue par des accords, comme la convention juridictionnelle conclue par Bâle et Mulhouse, en 1323, pour poursuivre des débiteurs ou régler des litiges civils.
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Ainsi, en 1334, le meurtre de l’abbé Berthold de Neubourg, assassiné par les villageois d’Uhlwiller, est soumis au jugement de quatre arbitres choisis, à parité parmi des nobles et des bourgeois de Haguenau, sous l’égide du bailli impérial. Les villageois sont condamnés à faire amende honorable, en se rendant à la cathédrale de Strasbourg, puis à verser annuellement à l’abbaye cistercienne cent ''viertel'' d’avoine, tandis que les coupables des coups mortels sont bannis et doivent se rendre en pèlerinage à Rome, pour trois d’entre eux, et à Saint-Jacques de Compostelle, pour leurs complices.
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Cette justice d’exception s’inscrit dans un contexte politique particulièrement tendu, aussi bien pour impressionner les foules que pour impliquer plus fortement les autorités à travers des décisions unanimes. L’exemple le plus spectaculaire est celui du ''Malefitzgericht'' réuni pour juger le bailli bourguignon Pierre de Hagenbach, décapité à Brisach le 9 mai 1474, à la date anniversaire du traité par lequel le duc d’Autriche cédait ses domaines&nbsp;alsaciens à Charles le Téméraire. Le tribunal est formé par huit bourgeois de Brisach, huit délégués des villes alliées contre la Bourgogne (Strasbourg, Bâle, Sélestat et Colmar), huit représentants des villes autrichiennes (Thann, Ensisheim, Altkirch), un Bernois et leurs alliés.
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Il en va de même pendant la répression de l’insurrection paysanne de 1525 : en mars de l’année suivante, la cour criminelle formée par les villes impériales se réunit à Molsheim pour juger une demi-douzaine de meneurs des compagnons d’Erasme Gerber, qui ont survécu aux massacres de l’armée lorraine.
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== Les instances d’appel ==
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Les affaires opposant des ressortissants de seigneuries ou de villes différentes peuvent être portées devant la justice impériale&nbsp;–&nbsp;dans le cadre du landgraviat ou ailleurs, au ''Hofgericht'' de Rottweil ou à la Chambre impériale après 1495. En première instance, elles peuvent être examinées au niveau local par un juge mandaté à cet effet. Elles peuvent également faire l’objet de conventions entre des autorités, à l’instar de l’accord de coopération conclu entre les villes de Mulhouse et Bâle, en 1323, notamment pour le recouvrement de dettes. Les privilèges de ''non evocando'' et de ''non appellando'', distribués généreusement sous le règne de Wenceslas (Thann ou Bergheim, villes seigneuriales, en disposent, au même titre que les villes d’Empire), compliquent considérablement les procédures. Selon les cas, l’appel se fait dans la proximité (ainsi, les procès du ''Reichsgericht'' de Blienschwiller remontent à Obernai) ou plus haut, vers les cours impériales ou même vers les «&nbsp;tribunaux secrets&nbsp;» de Westphalie, la mythique Sainte-Vehme, qui prétend juger en dernier recours.
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Jusqu’en 1495, lorsque la diète de Worms décide la création du ''Reichskammergericht'' pour conforter la paix générale et mettre un terme aux guerres privées, l’appel se fait presque exclusivement vers l’empereur, à travers le ''Hofgericht'' de Rottweil, sur le versant souabe de la Forêt Noire.
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== Le ''Hofgericht'' de Rottweil ==
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La tradition fixe la création de cette cour de justice en 1138, mais ce n’est qu’au début du XIV<sup>e</sup> siècle qu’elle acquiert une certaine importance, sous la direction des comtes de Sulz (Neckar), qui le tiennent en fief de l’Empire, dans cette ville impériale, à partir de 1317. Son âge d’or se situe entre 1360 et&nbsp;1495, date de la création de la Chambre de justice impériale. Dès lors, ce sont plutôt les affaires civiles qui requièrent son attention, dans un climat de concurrence avec les juridictions des différents territoires. La cour subsiste jusqu’en 1806, mais&nbsp;cesse d’intervenir en Alsace à partir de la Guerre de Trente ans, sinon d’une manière résiduelle.
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L’organisation et le fonctionnement du ''Hofgericht'' ont donné lieu à plusieurs ordonnances, la première en&nbsp;1435, réactualisée au fil du temps et notamment imprimée à Strasbourg par J.&nbsp;Grüninger en&nbsp;1523 ou à Francfort en 1551, puis refondue en 1572. Des commentaires sur sa procédure se trouvent dans les archives de l’évêché de Strasbourg (ABR, G&nbsp;385). La présidence de la cour (''Hofrichter'') est assurée à titre héréditaire, mais peut être déléguée à un lieutenant (''Statthalter''), souvent issu de familles de la région, les comtes de Zimmern (notamment Wilhelm Werner, de 1510 à 1529, et Johann Werner, de&nbsp;1537 à&nbsp;1552), bien que l’intérim puisse être assuré par d’autres membres de la haute noblesse comme Pierre de Morimont/Peter von Mörsberg en 1581 ou 1594. Les juges, au nombre de 14 en&nbsp;1550 sont assistés par des greffiers (''Hofschreiber''), des procureurs, des commissaires, tandis que des avocats sont accrédités par la cour (1570).
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En principe, toute personne ou toute collectivité dépendant directement du souverain et ne relevant pas d’une juridiction locale peut s’adresser en première instance ou en appel au ''Hofgericht'', qui fait citer la partie adverse, diligente une enquête, juge et prononce une sentence en appliquant le code du ''Schwabenspiegel'' et la jurisprudence afférente. La mise au ban assortie de la confiscation des biens du condamné est la sanction suprême, prononcée par Rottweil, qui en use abondamment, même dans des affaires mineures, en s’efforçant de lutter contre les abus d’instances incontrôlables, comme les tribunaux secrets de Westphalie, très sollicités au milieu du XV<sup>e</sup> siècle. Le règlement de conflits violents entre territoires voisins fait partie de ses attributions&nbsp;: ainsi, en&nbsp;1468, le village de Sausheim fait citer la ville de Mulhouse, accusée de l’avoir attaqué et d’avoir tué l’un de ses habitants. En&nbsp;1521, le ''Hofgericht'' est requis pour examiner les plaintes entre le landgraviat de Haute-Alsace et le duché de Lorraine&nbsp;: il fait réaliser une grande enquête sur la limite de ces deux ensembles, en auditionnant une centaine de témoins vivant à proximité de la crête des Vosges, aussi bien germanophones que « welsches » (AD Meurthe et Moselle, B&nbsp; 9648). De nombreux litiges de voisinage sont ainsi portés devant la cour (Ribeaupierre contre Colmar à propos de Guémar en 1527, etc.).
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Cependant, l’essentiel des activités du ''Hofgericht'' porte sur des questions de droit privé, contrats, successions, donations, etc., et, quelquefois, sur des litiges relatifs à des fiefs (ABR, E&nbsp;4242). Au XV<sup>e</sup> siècle, les créanciers prennent l’habitude d’y&nbsp;faire citer leurs débiteurs récalcitrants, en entraînant de longues et coûteuses procédures, mais obtiennent généralement gain de cause, tant la menace de mise au ban est forte – y compris quand ce sont des [[Jude,_juif|Juifs]]. Le jeu des appels successifs se traduit par l’interminables arguties : ainsi, un litige entre le gentilhomme Conrad d’Ampringen et le maître de la monnaie de Bâle, à la suite d’un investissement malheureux dans les mines du Valais, va rebondir pendant une quinzaine d’années, de 1483 à 1498, passant du tribunal de la ville de Bâle à celui de l’évêque à Porrentruy, puis de Rottweil au Grand conseil du roi Maximilien à Worms, et au Parlement de Malines, avant de connaître son épilogue à Francfort, alors siège du ''Reichskammergericht''.
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Dans ces conditions, on assiste à une certaine défiance à l’égard du ''Hofgericht'', auquel on impute ces phénomènes de délocalisation et d’enlisement. Les villes ou les territoires immédiats cherchent à s’y soustraire, en invoquant leurs privilèges de ''non appellando'' et de ''non evocando'', comme le fait, en particulier, Strasbourg ou comme tentent de le faire les cités de la [[Décapole]]. Des localités médiates obtiennent les mêmes dérogations, à l’instar de Saint-Hippolyte, possession lorraine qui en reçoit de Charles-Quint, ou de Bergheim, de Thann ou d’Ammerschwihr qui s’en prévalaient depuis la fin du XIV<sup>e</sup> siècle.
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En 1493, l’interdiction du recours à la cour de Rottweil est une des exigences des insurgés du ''[[Bundschuh]]'', comme elle le sera, ultérieurement, pendant la Guerre des Paysans.
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= Les justiciables au Moyen Âge =
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Le concept de justiciable doit être utilisé avec précaution, en fonction du niveau de juridiction concerné. Ainsi, un tenancier relevant d’une cour seigneuriale (''[[Dinghof]]'') peut être jugé par le propriétaire de celui-ci pour des infractions ou des litiges relatifs à sa tenure et aux usages afférents, sans que le seigneur du village ait à connaître l’affaire, et sans que le prince dont il est le sujet (''[[Untertan]]'') soit concerné.
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Des serfs (''[[Leibeigene]]'') ou des dépendants domiciliés dans une localité située hors de leur seigneurie d’origine restent soumis à l’autorité judiciaire de leur maître&nbsp;: ainsi, dans les quatre bailliages autrichiens du Sundgau (Landser, Altkirch, Thann et Ferrette), de nombreux justiciables appelé ''[[Ritterlut]]'' (''Ritterleute'', hommes [dépendant] de la chevalerie) continuent à relever d’un seigneur particulier, dont le ''twing und bann ''(voir : [[Ban]]) se trouve à l’extérieur ([[seigneurie]] particulière,). Cette situation complexe est à l’origine de nombreux conflits : elle donne lieu à une jurisprudence établie en&nbsp;1494-1495, à la suite de la médiation de l’évêque de Bâle, Gaspard zu Rhein.
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= Sources =
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Les archives judiciaires des territoires se trouvent généralement dans les séries B, C, E des archives départementales, mais également, pour les seigneuries ecclésiastiques, dans la série G (par exemple, pour la principauté épiscopale de Strasbourg). Dans les villes, il faut consulter les délibérations du conseil (généralement BB) et, surtout, FF, fonds consacré aux affaires judiciaires, souvent mal inventoriées.
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Les dossiers de juridictions d’appel, comme le ''Reichskammergericht'', se retrouvent notamment dans la série III&nbsp;B des ABR, qui dispose d’un bon inventaire.
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= Bibliographie sélective =
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VERON-REVILLE (Armand-Antoine), ''Essai sur les anciennes juridictions d’Alsace'', Colmar, 1857.
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REUSS (Rodolphe), ''La justice criminelle et la police des mœurs à Strasbourg au XVI<sup>e</sup> et au XVII<sup>e</sup> siècle'', Strasbourg, 1885.
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MOEDER (Marcel), «&nbsp;La justice criminelle à Mulhouse&nbsp;», ''BMHM'', Mulhouse, 1926, p.&nbsp;41-112.
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MEYER (Octave), ''La régence épiscopale de Saverne'', Strasbourg, 1937.
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MOEDER (Marcel), ''Les institutions de Mulhouse au Moyen Age'', Strasbourg, 1951.
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SITTLER (Lucien), «&nbsp;Crimes et châtiments dans le vieux Colmar&nbsp;», ''Annuaire de Colmar'', Colmar, 1962, p.&nbsp;7-17.
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GRUBE (Georg), ''Die Verfassung des Rottweiler Hofgerichts'', Stuttgart, 1969.
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BISCHOFF (Georges), « Institutions judiciaires et centralisation en Haute-Alsace pendant la domination bourguignonne (1469-1474)&nbsp;», ''Publication du Centre européen d’Études bourguignonnes (XIV<sup>e</sup>-XVI<sup>e</sup> s.)'', Bruxelles, 1990, p.&nbsp;37-48.
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BACHOFFNER (Pierre), « Hippocras et Muckewadel, mœurs judiciaires dans un tribunal épiscopal strasbourgeois au XVI<sup>e</sup> siècle », ''Annuaire de la Société des Amis du Vieux Strasbourg'', Strasbourg, 2000, p.&nbsp;105-119.
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[[Échevin|Échevins]]-''[[Schöffe]]'',&nbsp;[[Droit_(Enseignement_du_Droit)|Enseignement du droit]]&nbsp;
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[[Droit_(faculté_de)|Faculté de droit]], ''[[Fehde]]''
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''[[Geschworene(r)|Geschworene]]'', [[Gradués]], ''[[Grosser_Rath]]''
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<p class="mw-parser-output" style="text-align: right;">'''François Igersheim'''</p>
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Version du 5 novembre 2020 à 16:00

Le droit et son évolution

Au Moyen Âge, les infractions, les délits, les crimes et les sanctions qui s’y rapportent sont définis par la coutume et par le droit écrit, codifiés sous la forme de compilations ou de recueils de jurisprudence, en attendant d’être relayés par le droit savant, enseigné dans les universités d’Italie dès le XIIe siècle, puis dans celles situées au nord des Alpes.

Les règles en vigueur dans les pays du Rhin supérieur sont issues des lois des tribus germaniques, à l’instar de la Lex Alamanorum (voir : Droit de l’Alsace) consignée dans une cinquantaine de manuscrits du VIIIe au XIIe siècle. Elles fonctionnent selon le principe de la personnalité des lois, suivant l’appartenance du justiciable à un groupe défini (nobles, libres, non libres) et un système de tarification des peines. À la fin du Moyen Âge, le recueil appelé Schwabenspiegel (voir : Droit de l’Alsace), composé vers 1275, devient le code le plus courant dans la région, donnant lieu à des centaines de manuscrits, puis à des éditions incunables, dès 1475. La version publiée à Strasbourg par Martin Schott, vers 1484, est titrée Schwabenspiegel: Summarie von kunglichen und keyserlichen darzu landt und lehen rechten, ce qui indique clairement ses deux subdivisions entre le droit commun (Landrecht) et le droit féodal (Lehenrecht). Des coutumiers, généralement manuscrits, réalisés à l’échelle d’une seigneurie, d’une ville ou d’un ensemble plus large rendent compte des usages locaux, en fonction de l’ancienneté ou des privilèges, conférés par les autorités, sur le modèle des franchises de Haguenau (1164) ou de Colmar (1278). Les plus connues de ces coutumes sont celles de La Petite Pierre, de Ferrette, du Val d’Orbey, du Rosemont, mais on peut y ajouter les dispositions des weistümer, mis par écrit à partir du XIIIe siècle ou des dorfordnungen, élaborées par les communautés villageoises.

Au XVe siècle, l’arrivée massive d’administrateurs et de juges formés dans les facultés de Droit d’Italie (Bologne, Pavie, Padoue), de France (Orléans, Bourges) et d’Allemagne (Heidelberg, Fribourg-en-Brisgau, Bâle) marque le retour du droit romain (Code Justinien et compléments), en parallèle avec le Droit canonique appliqué dans les tribunaux ecclésiastiques de l’officialité, non seulement pour des causes liées à la discipline du clergé ou des fidèles, mais aussi dans des affaires temporelles. A l’échelle locale, cela se traduit par l’enregistrement systématique des jugements (à Mulhouse, à partir de 1438) et par des règlements qui fixent la procédure et la jurisprudence (à Colmar en 1454). Ce mouvement anticipe l’arrivée de l’imprimerie et va de pair avec l’unification du droit pénal avec la Constitution criminelle caroline (voir : Droit de l’Alsace), introduite par Charles Quint en 1532.

Contrairement aux idées reçues et à l’imaginaire du « sombre Moyen Âge moyenâgeux » inventé au siècle des Lumières et entretenu par le romantisme, la justice médiévale ne se réduit pas à des jugements expéditifs ou arbitraires et des supplices barbares. Elle applique des lois et se fonde sur des enquêtes, avec possibilités de recours. La prison représente l’exception, la peine capitale est rare, les amendes sont lourdes et souvent dissuasives et la grâce est possible, en particulier sous la forme de lettres de rémission ou Urfehde, assorties du bannissement. Le duel judiciaire, attesté à Colmar en 1278, et le droit de vengeance, susceptible de prendre la forme d’une guerre privée officielle, restent à l’ordre de jour.

Les niveaux de juridiction

La compréhension du système judiciaire est brouillée par l’imbrication des différents niveaux de juridiction et par l’intervention d’autorités privées et publiques.

Au niveau le plus bas, celui de la seigneurie foncière, les litiges relevant de la basse justice sont examinés par le seigneur ou son représentant, généralement appelé Schultheiss (ultérieurement traduit par prévôt), ou Meier (en latin villicus, maire), assisté par des jurés, Geschworne : il s’agit de conflits relevant du droit privé (propriété, héritages, loyers, dettes) ou de manquements aux règles prévues dans le cadre d’une cour seigneuriale (Dinghof).

À l’échelle du ban, cellule fondamentale de l’autorité publique détentrice du droit d’ordonner et de contraindre (twing und bann), tous les degrés de la justice sont possibles, y compris en matière criminelle, mais les situations sont très variées. Dans les villages et les petites villes, le tribunal se confond avec le conseil de la communauté concernée, sous la tutelle du Schultheiss, nommé par le seigneur ou par les habitants euxmêmes. Il siège régulièrement, souvent une fois par semaine (Wochengericht), auditionne contradictoirement les plaignants et les accusés, recueille des témoignages, puis rend son jugement, à l’issue d’une ou plusieurs sentences. Dans des localités qui relèvent de plusieurs seigneurs, à l’instar de Blienschwiller, qui possède quatre ou cinq Schultheissen distincts, chacun a ses propres justiciables (vers 1470), sauf en matière de haute justice où fonctionne un Reichsgericht, présidé par le représentant de l’Empereur, le Reichsschultheis, dont les assesseurs sont issus des différentes composantes ; à Ammerschwihr, qui appartient à la fois à l’Empire, à la seigneurie du Haut-Landsbourg et aux sires de Ribeaupierre, un système de roulement permet l’intervention des trois ainsi que le partage des amendes. Dans les villes les plus développées, des institutions judiciaires spécifiques permettent de décharger le conseil municipal : l’office de Schultheiss (Schultheissenthum), initialement tenu par des officiers seigneuriaux (ou impériaux, dans les villes impériales) est racheté par les bourgeois ; il est exercé par des juristes de profession, souvent par un Unterschultheiss.

À l’échelle régionale

Certaines catégories de justiciables, les nobles, les vassaux d’un prince territorial, les gens d’Église, les Juifs ou certaines professions (mineurs, ménétriers, chaudronniers…) échappent à la juridiction du ban dans lequel ils résident. En première instance, ils relèvent d’une circonscription plus large ou d’un juge particulier.

En Alsace, l’effacement des comtés carolingiens du Nordgau et du Sundgau fait place aux landgraviats de Haute et Basse-Alsace, qui sont censés représenter l’autorité publique de l’Empereur à partir du deuxième tiers du XIIe siècle, mais perdent progressivement leurs prérogatives : au XVIe siècle, le Hofgericht des Habsbourg, compétent pour leurs domaines propres finit par se confondre avec le Landgericht, qu’ils président en tant que landgraves, dans une filiation institutionnelle, et vraisemblablement, patrimoniale, qui remonte à l’ancien comté du Sundgau. Au départ, le tribunal du landgrave – connu des historiens modernes sous l’étiquette trompeuse d’assises de Haute-Alsace, ou, parfois, sous celle de Landtag, plus ancienne mais ambiguë –, ne juge que les hommes libres en étant lui-même composé d’un Mall d’hommes libres, suivant l’usage en vigueur au haut Moyen Âge. Ses sessions se font en plein air, dans des lieux bien identifiés (passages routiers, etc., l’Eckenbach près de Bergheim, l’Ottensbühel au sud de Colmar, Meyenheim et Battenheim). Au XIIIe siècle, les Habsbourg (le terme de judex ordinarius est cité à leur propos en 1200) s’arrogent la protection des établissements religieux, en se substituant aux avoués. Présidé par un Landrichter, issu de la noblesse locale, le Landgericht intervient en matière criminelle sur l’ensemble du landgraviat, arbitre les litiges féodaux, et, en principe, se réclame de l’autorité souveraine. Il est progressivement dépossédé de celle-ci par des privilèges accordés aux villes impériales et à d’autres communautés, y compris des localités comme Thann, Masevaux, Bergheim ou Belfort, qui en sont exemptés.

En Basse-Alsace, l’évolution est plus rapide. En 1226, le Landgericht s’était réuni à Holtzheim pour trancher la succession de Gertrude de Dabo mais, dix ans plus tard, Frédéric II l’avait empêché d’intervenir contre les Strasbourgeois, en rappelant l’exemption dont ils jouissaient. Aux mains de l’évêque de Strasbourg depuis 1359, après avoir été exercée par les comtes de Werde puis ceux d’Oettingen, la fonction landgraviale ne correspond plus à un pouvoir judiciaire effectif, sauf dans des cas limités, mais conserve son prestige et permet encore quelques arbitrages politiques.

Dans les seigneuries territoriales

Le système qui prévaut dans les quelques seigneuries territoriales immédiates (Évêque de Strasbourg, Murbach, Lichtenberg, Ribeaupierre, Autriche) combine deux ou trois niveaux d’instances, en remontant vers la résidence du seigneur. En 1348, le roi Charles IV exempte l’évêque Berthold de Bucheck de la juridiction du landgrave de Basse-Alsace et de toute autre institution extérieure à ses terres, « tous les hommes résidant dans les villes, villages, châteaux forts et autres lieux soumis à son pouvoir et à sa justice (zwingen, bännen und gerichten – voir : Ban), et tous ceux qui le servent, lui et son chapitre, qu’ils soient nobles ou non-nobles, chrétiens ou juifs ». Confirmé par ses successeurs jusqu’en 1682, ce privilège est à l’origine de la Régence de Saverne, qui combine les rôles d’une administration centrale, d’un tribunal aulique (Hofgericht) qui peut juger en appel et d’une cour féodale (Lehengericht). À l’échelon intermédiaire, on trouve des tribunaux de première ou de deuxième instance dans chacun des sept bailliages de Basse-Alsace, dans les trois circonscriptions du Haut-Mundat (Soultz, Rouffach et Eguisheim), dans celles d’Ettenheim et d’Oberkirch, sur la rive droite du Rhin, et les différentes villes seigneuriales. Le niveau inférieur est celui des Gerichte des villages, qui se cantonnent à la justice de proximité. Les affaires criminelles sont l’apanage des chefs-lieux, mais associent les communautés locales : ainsi, le Malefitzgericht de Rouffach comprend 15 membres issus de la ville et 14 pour les sept villages de son ressort.

Le même étagement se retrouve pour les quatre bailliages du Sundgau et les autres seigneuries de la mouvance des Habsbourg, dont le Hofgericht est l’instance supérieure. Il existe cependant des exceptions : à Belfort, les « neuf » du Conseil de la ville examinent en appel les affaires traitées dans les différents ensembles seigneuriaux qui l’entourent : la seigneurie de la Roche, celle de l’Assise ou le Rosemont. Leur juridiction est qualifiée de « justice de prince et métropolitaine », une situation qui s’explique par l’intégration tardive et incertaine (vers 1350-1375) de la Porte de Bourgogne dans les territoires des Habsbourg.

Un cas particulier, Strasbourg

La ville libre de Strasbourg dispose d’un statut particulier, dans la mesure où elle tire son origine d’un démembrement de l’autorité publique au profit de son évêque, à qui l’empereur Otton II a accordé les prérogatives initialement tenues par le comte, en 982. Jusqu’à son émancipation (1263), ce sont ses officiers qui y rendent la justice. Le premier « statut municipal », vraisemblablement daté du XIIe siècle, distingue le Schultheiss, le burgrave, le tonloyer (Zoller) et le maître de la monnaie, en fonction des attributions qui sont les leurs, affaires civiles et délits pour le premier, police des métiers pour le deuxième, litiges relatifs aux poids et mesures et à la douane pour le troisième, faux-monnayeurs pour le dernier. Les affaires criminelles relèvent de l’avoué, grand seigneur laïc chargé de la justice du sang. Le conseil municipal, cité au début du XIIIe siècle, assure les affaires courantes.

Avec l’indépendance de la cité, on assiste à la mise en place d’institutions spécialisées, mais l’évêque continue à intervenir à différents niveaux jusqu’en 1604, perdant la tutelle de la monnaie en 1334, renonçant à l’office de burgrave, très diminué depuis 1332, en 1556, puis abandonnant les deux autres, le Schulteiss et le péager, en les engageant aux bourgeois en 1604. Limitées à des causes modestes, ces reliques de pouvoir, qui continuent d’avoir un siège dans un bâtiment de la Grand’Rue, n’interfèrent guère avec les instances municipales, qui siègent à l’hôtel de ville (la Pfalz).

Celles-ci se complexifient et se codifient à partir du XIVe siècle, donnant lieu à un enregistrement des arrêts, des sentences et de la jurisprudence dans le Heimlich buch et les procès-verbaux, du grand et du petit Sénat. Sous leur forme définitive, leurs rouages sont décrits par Mathias Bernegger dans sa Forma reipublicae argentinensis delineata (1669).

L’étagement judiciaire est le suivant, de bas en haut. Les petites infractions et les petites contraventions relèvent du tribunal des sept (Siebener) (voir aussi : Besibnung, Gericht) composé par les échevins. Juge de paix, l’Ammeister arbitre les affaires mineures, trois fois par semaine, dans des audiences spécifiques.

Les affaires de police relatives aux bonnes mœurs sont confiées au Zuchtgericht, formé de 10 magistrats dont l’Ammeister, le Stettmeister régnant, un membre du Conseil des XV, un autre des XXI, un noble, un roturier et 4 échevins, qui prononcent des amendes mais pas de peines corporelles.

Les affaires criminelles remontent au Grand Conseil (Grosser_Rath), qui est assisté d’un parquet de trois avocats généraux, secondés par trois procureurs et trois substituts et un juge en dernier ressort.

Le Conseil des XIII est la juridiction d’appel des affaires civiles et dispose du droit de grâce.

Les villes impériales

Dans les villes impériales, c’est le Schultheiss (judex, scultetus) impérial qui est, initialement, le juge, mais la plupart des communautés concernés s’approprient sa fonction en la rachetant à l’Empereur ou en l’obtenant en gage. À Mulhouse, qui la détient de cette manière depuis 1407 puis l’acquiert définitivement un demi-siècle plus tard, le Schultheissengericht, présidé par l’Unterschultheiss, désigné par le bourgmestre, siège une fois par semaine, en étant formé, en outre, par neuf échevins assermentés (geschworne Schöffel), nommés pour six mois et choisis aussi bien dans le conseil que parmi les bourgeois qui n’en font pas partie. Son domaine comprend la juridiction civile, pénale (Frevelgericht ; voir : Amende, Frevel) et gracieuse (contrats, donations…).

Le conseil municipal reçoit les appels relatifs aux affaires civiles et se réserve la justice criminelle (Blutgericht) : il se constitue alors en Malefitzgericht, réunissant, outre les 12 conseillers, les six Zunftmeister en activité et six anciens Zunftmeister.

À Haguenau, le Reichslandvogt, chargé d’administrer le grand bailliage impérial, n’a pas de compétences judiciaires. Confié au Reichsschultheiss, le kayserliche Landgericht auf der Lauben, qui siège sous les arcades du château, fait office de Wochengericht pour la ville et sert de juridiction d’appel pour les villages impériaux des alentours. Un dispositif similaire existe à Obernai, Kayserberg et Wissembourg.

Dans cette ville, à Munster ou à Turckheim, une partie de l’autorité judiciaire est restée aux mains des seigneurs, dont elles dépendaient, avant d’obtenir leur statut de cité impériale. Ainsi, jusqu’en 1518, le Schultheiss de l’abbé de Wissembourg participe au tribunal hebdomadaire du Staffelgericht en compagnie du Stadtvogt et de sept échevins patriciens, dans un ressort qui inclut également les villages du Mundat. Il en va de même pour l’abbé de Munster, qui se voit reconnaître les deux tiers de la justice (c’est-à-dire des amendes) de la ville et continue à être présent à Turckheim, où intervient également le seigneur du Haut-Landsbourg.

Coopération judiciaire et tribunaux d’exception

L’effacement de la juridiction du landgrave et l’éloignement de l’Empereur posent le problème de la coopération judiciaire entre voisins. La question est résolue par des accords, comme la convention juridictionnelle conclue par Bâle et Mulhouse, en 1323, pour poursuivre des débiteurs ou régler des litiges civils.

Ainsi, en 1334, le meurtre de l’abbé Berthold de Neubourg, assassiné par les villageois d’Uhlwiller, est soumis au jugement de quatre arbitres choisis, à parité parmi des nobles et des bourgeois de Haguenau, sous l’égide du bailli impérial. Les villageois sont condamnés à faire amende honorable, en se rendant à la cathédrale de Strasbourg, puis à verser annuellement à l’abbaye cistercienne cent viertel d’avoine, tandis que les coupables des coups mortels sont bannis et doivent se rendre en pèlerinage à Rome, pour trois d’entre eux, et à Saint-Jacques de Compostelle, pour leurs complices.

Cette justice d’exception s’inscrit dans un contexte politique particulièrement tendu, aussi bien pour impressionner les foules que pour impliquer plus fortement les autorités à travers des décisions unanimes. L’exemple le plus spectaculaire est celui du Malefitzgericht réuni pour juger le bailli bourguignon Pierre de Hagenbach, décapité à Brisach le 9 mai 1474, à la date anniversaire du traité par lequel le duc d’Autriche cédait ses domaines alsaciens à Charles le Téméraire. Le tribunal est formé par huit bourgeois de Brisach, huit délégués des villes alliées contre la Bourgogne (Strasbourg, Bâle, Sélestat et Colmar), huit représentants des villes autrichiennes (Thann, Ensisheim, Altkirch), un Bernois et leurs alliés.

Il en va de même pendant la répression de l’insurrection paysanne de 1525 : en mars de l’année suivante, la cour criminelle formée par les villes impériales se réunit à Molsheim pour juger une demi-douzaine de meneurs des compagnons d’Erasme Gerber, qui ont survécu aux massacres de l’armée lorraine.

Les instances d’appel

Les affaires opposant des ressortissants de seigneuries ou de villes différentes peuvent être portées devant la justice impériale – dans le cadre du landgraviat ou ailleurs, au Hofgericht de Rottweil ou à la Chambre impériale après 1495. En première instance, elles peuvent être examinées au niveau local par un juge mandaté à cet effet. Elles peuvent également faire l’objet de conventions entre des autorités, à l’instar de l’accord de coopération conclu entre les villes de Mulhouse et Bâle, en 1323, notamment pour le recouvrement de dettes. Les privilèges de non evocando et de non appellando, distribués généreusement sous le règne de Wenceslas (Thann ou Bergheim, villes seigneuriales, en disposent, au même titre que les villes d’Empire), compliquent considérablement les procédures. Selon les cas, l’appel se fait dans la proximité (ainsi, les procès du Reichsgericht de Blienschwiller remontent à Obernai) ou plus haut, vers les cours impériales ou même vers les « tribunaux secrets » de Westphalie, la mythique Sainte-Vehme, qui prétend juger en dernier recours.

Jusqu’en 1495, lorsque la diète de Worms décide la création du Reichskammergericht pour conforter la paix générale et mettre un terme aux guerres privées, l’appel se fait presque exclusivement vers l’empereur, à travers le Hofgericht de Rottweil, sur le versant souabe de la Forêt Noire.

Le Hofgericht de Rottweil

La tradition fixe la création de cette cour de justice en 1138, mais ce n’est qu’au début du XIVe siècle qu’elle acquiert une certaine importance, sous la direction des comtes de Sulz (Neckar), qui le tiennent en fief de l’Empire, dans cette ville impériale, à partir de 1317. Son âge d’or se situe entre 1360 et 1495, date de la création de la Chambre de justice impériale. Dès lors, ce sont plutôt les affaires civiles qui requièrent son attention, dans un climat de concurrence avec les juridictions des différents territoires. La cour subsiste jusqu’en 1806, mais cesse d’intervenir en Alsace à partir de la Guerre de Trente ans, sinon d’une manière résiduelle.

L’organisation et le fonctionnement du Hofgericht ont donné lieu à plusieurs ordonnances, la première en 1435, réactualisée au fil du temps et notamment imprimée à Strasbourg par J. Grüninger en 1523 ou à Francfort en 1551, puis refondue en 1572. Des commentaires sur sa procédure se trouvent dans les archives de l’évêché de Strasbourg (ABR, G 385). La présidence de la cour (Hofrichter) est assurée à titre héréditaire, mais peut être déléguée à un lieutenant (Statthalter), souvent issu de familles de la région, les comtes de Zimmern (notamment Wilhelm Werner, de 1510 à 1529, et Johann Werner, de 1537 à 1552), bien que l’intérim puisse être assuré par d’autres membres de la haute noblesse comme Pierre de Morimont/Peter von Mörsberg en 1581 ou 1594. Les juges, au nombre de 14 en 1550 sont assistés par des greffiers (Hofschreiber), des procureurs, des commissaires, tandis que des avocats sont accrédités par la cour (1570).

En principe, toute personne ou toute collectivité dépendant directement du souverain et ne relevant pas d’une juridiction locale peut s’adresser en première instance ou en appel au Hofgericht, qui fait citer la partie adverse, diligente une enquête, juge et prononce une sentence en appliquant le code du Schwabenspiegel et la jurisprudence afférente. La mise au ban assortie de la confiscation des biens du condamné est la sanction suprême, prononcée par Rottweil, qui en use abondamment, même dans des affaires mineures, en s’efforçant de lutter contre les abus d’instances incontrôlables, comme les tribunaux secrets de Westphalie, très sollicités au milieu du XVe siècle. Le règlement de conflits violents entre territoires voisins fait partie de ses attributions : ainsi, en 1468, le village de Sausheim fait citer la ville de Mulhouse, accusée de l’avoir attaqué et d’avoir tué l’un de ses habitants. En 1521, le Hofgericht est requis pour examiner les plaintes entre le landgraviat de Haute-Alsace et le duché de Lorraine : il fait réaliser une grande enquête sur la limite de ces deux ensembles, en auditionnant une centaine de témoins vivant à proximité de la crête des Vosges, aussi bien germanophones que « welsches » (AD Meurthe et Moselle, B  9648). De nombreux litiges de voisinage sont ainsi portés devant la cour (Ribeaupierre contre Colmar à propos de Guémar en 1527, etc.).

Cependant, l’essentiel des activités du Hofgericht porte sur des questions de droit privé, contrats, successions, donations, etc., et, quelquefois, sur des litiges relatifs à des fiefs (ABR, E 4242). Au XVe siècle, les créanciers prennent l’habitude d’y faire citer leurs débiteurs récalcitrants, en entraînant de longues et coûteuses procédures, mais obtiennent généralement gain de cause, tant la menace de mise au ban est forte – y compris quand ce sont des Juifs. Le jeu des appels successifs se traduit par l’interminables arguties : ainsi, un litige entre le gentilhomme Conrad d’Ampringen et le maître de la monnaie de Bâle, à la suite d’un investissement malheureux dans les mines du Valais, va rebondir pendant une quinzaine d’années, de 1483 à 1498, passant du tribunal de la ville de Bâle à celui de l’évêque à Porrentruy, puis de Rottweil au Grand conseil du roi Maximilien à Worms, et au Parlement de Malines, avant de connaître son épilogue à Francfort, alors siège du Reichskammergericht.

Dans ces conditions, on assiste à une certaine défiance à l’égard du Hofgericht, auquel on impute ces phénomènes de délocalisation et d’enlisement. Les villes ou les territoires immédiats cherchent à s’y soustraire, en invoquant leurs privilèges de non appellando et de non evocando, comme le fait, en particulier, Strasbourg ou comme tentent de le faire les cités de la Décapole. Des localités médiates obtiennent les mêmes dérogations, à l’instar de Saint-Hippolyte, possession lorraine qui en reçoit de Charles-Quint, ou de Bergheim, de Thann ou d’Ammerschwihr qui s’en prévalaient depuis la fin du XIVe siècle.

En 1493, l’interdiction du recours à la cour de Rottweil est une des exigences des insurgés du Bundschuh, comme elle le sera, ultérieurement, pendant la Guerre des Paysans.

Les justiciables au Moyen Âge

Le concept de justiciable doit être utilisé avec précaution, en fonction du niveau de juridiction concerné. Ainsi, un tenancier relevant d’une cour seigneuriale (Dinghof) peut être jugé par le propriétaire de celui-ci pour des infractions ou des litiges relatifs à sa tenure et aux usages afférents, sans que le seigneur du village ait à connaître l’affaire, et sans que le prince dont il est le sujet (Untertan) soit concerné.

Des serfs (Leibeigene) ou des dépendants domiciliés dans une localité située hors de leur seigneurie d’origine restent soumis à l’autorité judiciaire de leur maître : ainsi, dans les quatre bailliages autrichiens du Sundgau (Landser, Altkirch, Thann et Ferrette), de nombreux justiciables appelé Ritterlut (Ritterleute, hommes [dépendant] de la chevalerie) continuent à relever d’un seigneur particulier, dont le twing und bann (voir : Ban) se trouve à l’extérieur (seigneurie particulière,). Cette situation complexe est à l’origine de nombreux conflits : elle donne lieu à une jurisprudence établie en 1494-1495, à la suite de la médiation de l’évêque de Bâle, Gaspard zu Rhein.

Sources

Les archives judiciaires des territoires se trouvent généralement dans les séries B, C, E des archives départementales, mais également, pour les seigneuries ecclésiastiques, dans la série G (par exemple, pour la principauté épiscopale de Strasbourg). Dans les villes, il faut consulter les délibérations du conseil (généralement BB) et, surtout, FF, fonds consacré aux affaires judiciaires, souvent mal inventoriées.

Les dossiers de juridictions d’appel, comme le Reichskammergericht, se retrouvent notamment dans la série III B des ABR, qui dispose d’un bon inventaire.

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FOLLAIN (Antoine), Le crime d’Anthoine. Enquête sur la mort d’une jeune femme dans les Vosges au XVIIe siècle, Paris, 2017.

Notices connexes

Amende-Frevel, Ammeister

Ban (twing und bann), Besibnung, Blutgericht

Coutume, Constitution caroline

DinghofDorfordnungenDroit de l’Alsace (notamment les paragraphes : Lex Alamonorum, Schwabenspiegel, LandrechtLehnrecht), Droit ecclésiastique (catholique), Droit_ecclésiastique_protestant

Échevins-SchöffeEnseignement du droit 

Faculté de droit, Fehde

Geschworene, Gradués, Grosser_Rath

Landgericht, Landtag, Landrichter, Leibeigene

Maire, Malefitz, Mall

Officialité

Pfalz, Prévôt

Reichsgericht, Reichskammergericht, Ritterleute

Schultheiss, Siebener, Strasbourg_(institutions)

Wochengericht

François Igersheim