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À l’intérieur des soles mises en culture, on appelle «&nbsp;petite jachère&nbsp;» la période annuelle du calendrier agricole qui se situe entre la récolte de l’année en cours et la préparation (semis, plantations) de celle de l’année à venir et dont le début se situe en général au mois de juin (''[[Brachmonat]]''). Dans tous les cas de figure, c’est le caractère temporaire de la jachère qui distingue cette dernière de la friche à durée non déterminée (''[[Egert(e)|egert]]''), mais, dans le langage populaire, la confusion est fréquente entre les deux (« ein brach liegendes Allmend&nbsp;» à Sainte-Croix-en-Plaine au début du XVI<sup>e</sup>&nbsp;siècle).
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Afin de briser, pour reprendre le langage des agronomes du XVIII<sup>e</sup>&nbsp;siècle, le «&nbsp;cercle vicieux de la jachère&nbsp;», qui fait perdre entre le tiers et la moitié du sol cultivable, on imagine, dès le XVI<sup>e</sup>&nbsp;siècle et par touches successives, diverses astuces&nbsp;: le but est de transformer la jachère morte en jachère vive, appelée à être partiellement cultivée, au risque de compromettre les traditionnelles pratiques communautaires. Il s’agit rarement d’adoption de cultures «&nbsp;nouvelles&nbsp;», mais d’extension à l’échelle des terroirs d’anciennes productions de jardin : nourricières à l’exemple des légumes comme la pomme de terre ou des légumineuses (lentilles, vesces, pois et haricots)&nbsp;; commerciales comme le colza, le chanvre, la [[Garance_(traitement_et_commerce_de_la_-)|garance]] ou le tabac. Les solutions adoptées conduisent au grignotage progressif de la jachère morte (de 33 à 15% environ au cours du siècle) pouvant aller jusqu’à l’effacement des soles traditionnelles ou à l’allongement des périodes d’assolement, voire jusqu’à la culture continue dans le cadre d’un «&nbsp;assolement triennal amélioré&nbsp;» qui devient, de ce fait, quadriennal ou quinquennal, enfin à l’intrusion de quartiers assolés à part. Les cultures dites «&nbsp;dérobées&nbsp;», introduites au sein même du système productif traditionnel, permettent de raccourcir la période d’inactivité du sol. Elles assurent une deuxième récolte dans l’année grâce à l’intégration de plantes au cycle végétatif court qui n’occupent le sol que durant quelques mois&nbsp;: des vesces semées dans l’orge (''Wickgerst'')&nbsp;; des navets plantés soit sur les chaumes (''Brachrüben''), soit après la récolte du chanvre (''Hanfrüben'') ; du maïs semé dans la sole des marsages. Certaines d’entre elles, destinées à l’alimentation du bétail, lui-même fournisseur de fumure, sont en effet des cultures d’arrière-saison, nettoyantes parce que sarclées (de type racines comme le navet ou la betterave) ou enrichissantes parce que, au même titre que les fèves et le colza, fixatrices d’azote et par conséquent nitrifiantes pour le sol (de type prairies artificielles comme le trèfle et la luzerne) ou encore par l’apport en fumier qu’elles nécessitent. Ces nouvelles pratiques –&nbsp;entre usages communautaires et individualisme agraire&nbsp;; entre alimentation humaine et nourriture du bétail&nbsp;– compromettent un double équilibre séculaire et justifient, replacée dans la longue durée, la notion de «&nbsp;révolution agricole&nbsp;».
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JUILLARD (Étienne), ''La vie rurale dans la plaine de BasseAlsace'', Paris-Strasbourg, 1953, p.&nbsp;29-59, 213-219 et 250-269.
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JUILLARD (Étienne), «&nbsp;Le problème de l’assolement biennal en Alsace&nbsp;», ''Bulletin de l’Association des géographes français'', 204-205, 1949, p.&nbsp;115-122.
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SCHWAB (Roland), notice « Assolement », ''Encyclopédie d’Alsace'', t.&nbsp;I, 1982, p.&nbsp;374.
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BOEHLER (Jean-Michel), LERCH (Dominique), VOGT (Jean), dir., ''Histoire de l’Alsace rurale'', Strasbourg, 1983, p.&nbsp;177-236.
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BOEHLER (Jean-Michel), ''Paysannerie'' (1994), t.&nbsp;I, p.&nbsp;710- 853, contributions diverses (voir notice Assolement) et ''La terre, le ciel et les hommes'', Strasbourg, 2004, Société savante d’Alsace, t.&nbsp;73, p.&nbsp;43-165.
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LACHIVER (Marcel), ''Dictionnaire du monde rural. Les mots du passé'', Paris, éd. Fayard, 1997, notices «&nbsp;assolement&nbsp;» et «&nbsp;jachère&nbsp;».
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VOGT (Jean). Voir BOEHLER (Jean-Michel), LERCH (Dominique), ''Moissons d’histoire. Jean Vogt&nbsp;: un demi-siècle de recherches sur l’histoire de la campagne alsacienne (1952-2005)'', Strasbourg 2015, Société savante d’Alsace, t.&nbsp;86, p.&nbsp;27-31 et 99-164.
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== Notices connexes ==
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<p class="mw-parser-output" style="text-align: right;">'''Jean-Michel Boehler'''</p>
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Version du 30 octobre 2020 à 17:25

Sole de jachère, Brache, Brachfeld.

Désigne la période durant laquelle la terre, pour pouvoir se reconstituer, était libérée de toute culture. Dans le système agraire traditionnel, ce temps de repos (« jachère morte ») intervenait régulièrement tous les deux (assolement biennal) ou tous les trois ans (assolement triennal) sur l’une des soles (Brachfeld) alternativement réservées à la jachère à la suite d’une ou de plusieurs années de culture céréalière épuisante (Winterfeld / Sommerfeld ; Weizenfeld / Gerstenfeld) : dans le vocabulaire agraire, l’unité de temps se double donc d’une connotation spatiale. Cette sole de jachère, au même titre que le parcours sur les chaumes et les communaux, autorisait la subsistance du troupeau (vaine pâture) à peu de frais.

À l’intérieur des soles mises en culture, on appelle « petite jachère » la période annuelle du calendrier agricole qui se situe entre la récolte de l’année en cours et la préparation (semis, plantations) de celle de l’année à venir et dont le début se situe en général au mois de juin (Brachmonat). Dans tous les cas de figure, c’est le caractère temporaire de la jachère qui distingue cette dernière de la friche à durée non déterminée (egert), mais, dans le langage populaire, la confusion est fréquente entre les deux (« ein brach liegendes Allmend » à Sainte-Croix-en-Plaine au début du XVIe siècle).

Afin de briser, pour reprendre le langage des agronomes du XVIIIe siècle, le « cercle vicieux de la jachère », qui fait perdre entre le tiers et la moitié du sol cultivable, on imagine, dès le XVIe siècle et par touches successives, diverses astuces : le but est de transformer la jachère morte en jachère vive, appelée à être partiellement cultivée, au risque de compromettre les traditionnelles pratiques communautaires. Il s’agit rarement d’adoption de cultures « nouvelles », mais d’extension à l’échelle des terroirs d’anciennes productions de jardin : nourricières à l’exemple des légumes comme la pomme de terre ou des légumineuses (lentilles, vesces, pois et haricots) ; commerciales comme le colza, le chanvre, la garance ou le tabac. Les solutions adoptées conduisent au grignotage progressif de la jachère morte (de 33 à 15% environ au cours du siècle) pouvant aller jusqu’à l’effacement des soles traditionnelles ou à l’allongement des périodes d’assolement, voire jusqu’à la culture continue dans le cadre d’un « assolement triennal amélioré » qui devient, de ce fait, quadriennal ou quinquennal, enfin à l’intrusion de quartiers assolés à part. Les cultures dites « dérobées », introduites au sein même du système productif traditionnel, permettent de raccourcir la période d’inactivité du sol. Elles assurent une deuxième récolte dans l’année grâce à l’intégration de plantes au cycle végétatif court qui n’occupent le sol que durant quelques mois : des vesces semées dans l’orge (Wickgerst) ; des navets plantés soit sur les chaumes (Brachrüben), soit après la récolte du chanvre (Hanfrüben) ; du maïs semé dans la sole des marsages. Certaines d’entre elles, destinées à l’alimentation du bétail, lui-même fournisseur de fumure, sont en effet des cultures d’arrière-saison, nettoyantes parce que sarclées (de type racines comme le navet ou la betterave) ou enrichissantes parce que, au même titre que les fèves et le colza, fixatrices d’azote et par conséquent nitrifiantes pour le sol (de type prairies artificielles comme le trèfle et la luzerne) ou encore par l’apport en fumier qu’elles nécessitent. Ces nouvelles pratiques – entre usages communautaires et individualisme agraire ; entre alimentation humaine et nourriture du bétail – compromettent un double équilibre séculaire et justifient, replacée dans la longue durée, la notion de « révolution agricole ».

Bibliographie

JUILLARD (Étienne), La vie rurale dans la plaine de BasseAlsace, Paris-Strasbourg, 1953, p. 29-59, 213-219 et 250-269.

JUILLARD (Étienne), « Le problème de l’assolement biennal en Alsace », Bulletin de l’Association des géographes français, 204-205, 1949, p. 115-122.

SCHWAB (Roland), notice « Assolement », Encyclopédie d’Alsace, t. I, 1982, p. 374.

BOEHLER (Jean-Michel), LERCH (Dominique), VOGT (Jean), dir., Histoire de l’Alsace rurale, Strasbourg, 1983, p. 177-236.

BOEHLER (Jean-Michel), Paysannerie (1994), t. I, p. 710- 853, contributions diverses (voir notice Assolement) et La terre, le ciel et les hommes, Strasbourg, 2004, Société savante d’Alsace, t. 73, p. 43-165.

LACHIVER (Marcel), Dictionnaire du monde rural. Les mots du passé, Paris, éd. Fayard, 1997, notices « assolement » et « jachère ».

VOGT (Jean). Voir BOEHLER (Jean-Michel), LERCH (Dominique), Moissons d’histoire. Jean Vogt : un demi-siècle de recherches sur l’histoire de la campagne alsacienne (1952-2005), Strasbourg 2015, Société savante d’Alsace, t. 86, p. 27-31 et 99-164.

Notices connexes

Assolement

Brachgewächs

Brachmonat

Egert

Jean-Michel Boehler