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Celui qui interprète, qui traduit d’une langue dans une autre (Guyot, ''Répertoire'', t. 32, 372).
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Dans les villes, les marchés ou les pèlerinages, il n’est pas rare de rencontrer de tels interprètes&nbsp;: un confesseur bilingue à Thann au XVI<sup>e</sup> siècle, des&nbsp;aubergistes à Bâle, lors du passage de Montaigne en 1580, ou ailleurs, etc. Dans les villes, traduits devant la justice, les étrangers peuvent parfois bénéficier d’un traducteur, ne serait-ce que pour prêter serment. C’est le cas à Spire qui n’est pas un cas isolé (''[[Hand]]'').
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Des administrateurs capables de traduire spontanément dans la langue voisine se retrouvent dans les seigneuries hybrides, comme le duché de Lorraine –&nbsp;par exemple dans le district minier de la crête (''die First'', La Croix aux Mines) dont l’un des premiers juges est Ludwig von Kageneck (devenu Loys de Kageneck à la fin du XV<sup>e</sup>&nbsp;siècle), la seigneurie de Ribeaupierre, la principauté épiscopale de Bâle ou le sud des pays antérieurs de l’Autriche. La Régence d’Ensisheim se préoccupe d’avoir des secrétaires francophones pour suivre les affaires qui s’y rapportent. La traduction écrite ou orale des correspondances officielles ou des actes du pouvoir est souvent le fait de spécialistes reconnus. Ainsi, dans le deuxième quart du XV<sup>e</sup>&nbsp;siècle, c’est le chanoine belfortain Hugues Briat qui sert d’interprète officiel au duc d’Autriche.
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== Les interprètes officiels des Parlements et conseils souverains dans les pays de langue allemande, relevant antérieurement du Saint-Empire ==
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L’édit du 15 janvier 1633 créant le Parlement de Metz, dernier acte de la politique de rattachement des Trois-Évêchés, alors que la guerre fait rage en Lorraine et en Alsace, est suivie dès le 24&nbsp;février 1634 de la création d’un poste d’interprète à même d’assister l’autorité royale sur les juridictions inférieures des pays de langue allemande relevant du Saint-Empire et désormais rattachés au royaume. «&nbsp;Nous avons nouvellement reconnu que, la Juridiction du [Parlement de Metz] s’étendant dans les Terres de l’Évêché de Metz, et autres, auxquelles la langue allemande a cours, il était nécessaire d’avoir un interprète et traducteur des procédures qui seraient faites ou apportées desdites Provinces en notredit Parlement et pour assister ès auditions qui se pourraient faire en icelui de témoins allemands, et encore à la vérification des écritures et signatures et autres actes qui se trouveraient écrits en cette langue » (Recueil des édits […] enregistrés au Parlement de Metz I, 188). Le Parlement de Metz compte alors dans son ressort le duché de Luxembourg, les pays de la Sarre et la Lorraine entière, dont le bailliage d’Allemagne (ou de Sarreguemines). Par le traité de Ryswick, il ne conserve plus que les bailliages royaux et sièges présidiaux des Trois-Évêchés et de Sedan et Sarrelouis, les bailliages royaux de Thionville, Longwy, Mouzon, et Mohon, les bailliages seigneuriaux de Vic et Carignan, les prévôtés royales de Sierck, Sarrebourg et Phalsbourg et les prévôtés bailliagères de Château-Regnault, Chauvancy, Damvillers, Montmédy et Marville. La Cour souveraine ducale de Nancy a dans son ressort les bailliages de Sarreguemines. En 1771, le Parlement de Metz est supprimé et son ressort placé dans la compétence de la Cour souveraine (antérieurement ducale) de Nancy. Rétabli en octobre&nbsp;1775, le Parlement de Metz ne compte plus d’office d’interprète. (E. Michel, ''Histoire du Parlement de Metz'').
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Seul le Conseil supérieur de Corse compte alors deux offices de secrétaires-interprètes (Burckard, p.&nbsp;100).
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== Le Conseil souverain et la langue judiciaire&nbsp;: les secrétaires-interprètes du Conseil souverain ==
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Les autorités royales ont donc l’expérience de vingt ans d’occupation en Alsace, lorsqu’elles créent le Conseil souverain d’Ensisheim en&nbsp;1657&nbsp;: les offices de secrétaires-interprètes sont prévus dès l’édit de création de la Cour, qui définit une politique linguistique de «&nbsp;souplesse, de tolérance de pragmatisme » (Ganghoffer). L’édit prescrit en effet «&nbsp;il sera loisible aux Parties, Avocats et Procureurs de plaider et écrire en latin, ou en français ou en allemand, à condition toutefois qu’en plaidant ou en écrivant en l’une des langues françaises et allemande, il sera joint une traduction du plaidoyer ou écriture en l’autre langue, sans que l’on soit obligé de faire une traduction pour tout ce qui sera dit en latin&nbsp;». Le Conseil comprend donc à côté des conseillers d’origine française «&nbsp;un Conseiller Docteur en droit de nation allemande qui sera versé en la langue française […] et un Avocat général Allemand qui sera également versé en la langue française. […] Il est crée 6&nbsp;secrétaires-interprètes en langue latin et française » (De Boug,''Ordonnances d’Alsace'', I, p.&nbsp;57). Comme à Metz, leur rôle consiste à être «&nbsp;les interprètes et traducteurs des procédures […] à assister aux auditions […] de témoins de langue allemande et à vérifier les écritures et signatures et autres actes qui se trouveraient écrits en ladite langue […]&nbsp;» (''Recueil des Édits du Parlement de Metz'', 1774, p. 188). Depuis 1659, les secrétaires-interprètes du Conseil souverain sont recrutés, après examen, dans le corps des « avocats au Conseil souverain d’Alsace », titre qui leur donne aussi accès aux fonctions de [[Bailli|bailli]]. On en recrute cinq sur place, tous Alsaciens et anciens officiers de la Régence autrichienne. L’un d’eux, François Klinglin, dirige ses quatre collègues (Livet-Wilsdorf, p. 146). La nécessité de se faire comprendre des plaignants, défendeurs et témoins dans les procès a désormais contraint les greffiers, rédigeant, selon l’ordre du roi, leurs actes en français, de les faire traduire en allemand, à la&nbsp;fois pour leur en donner lecture orale et en cas d’impression et d’affichage des sentences et ordonnances. En&nbsp;1661, le Conseil devient «&nbsp;Conseil provincial&nbsp;» et les offices de secrétaires-interprètes sont réduits à quatre. Mais en 1679, « le peu de connaissance […] de la langue allemande par le Parlement de Metz » (''Ordonnances d’Alsace'', I, p.&nbsp;74) âprement contesté par ledit Parlement, justifie le retour de la compétence d’appel en dernier ressort au Conseil d’Alsace redevenu souverain qui passe de Ville-de-Paille (Neuf-Brisach) à Colmar en 1698. Le nombre de secrétaires-interprètes passe à six. L’arrêt du 24&nbsp;mai&nbsp;1698 en faveur des secrétaires-interprètes fait défense aux avocats et aux procureurs de procéder à des traductions ou de recourir à d’autres interprètes (''Ordonnances'', I, p.&nbsp;266-267), mais il n’est pas sûr qu’il ait été scrupuleusement respecté. Les gages sont néanmoins les moins élevés de tout le personnel gradué, mais leurs expéditions sont tarifées à la page et à la ligne (1691, «&nbsp;Règlements et taxes des secrétaires-interprètes&nbsp;», ''Ordonnances'', I, p.&nbsp;191). Mais le procureur général du roi s’étant plaint des traductions souvent fautives données par les interprètes qui se servent en outre de copies infidèles de pièces allemandes, ainsi validées à tort par leur office, les secrétaires-interprètes doivent mentionner si elles sont faites ou non sur pièce authentique, signer, parapher et indiquer le salaire reçu (''Ordonnances'', II, 23&nbsp;août&nbsp;1713, Livet-Wilsdorf, p.&nbsp;553). En&nbsp;1762 et&nbsp;1774, les secrétaires-interprètes établissent un règlement interne de leur service. Comme à ses débuts, l’accès à l’office est réservé aux avocats (gradués en droit) qui doivent passer un examen « qui consiste à y traduire des pièces de pratique d’allemand en français et de français en allemand ». Ils s’imposent notamment d’assurer les traductions uniquement dans le bureau qui leur est affecté dans le palais&nbsp;; la distribution de l’ouvrage s’y fait, ainsi que celle de la masse des rémunérations&nbsp;; les malades se voyant garantir leur part dans les quatre&nbsp;premiers mois de la maladie. La qualité de la traduction peut être contestée par leurs collègues (Convention en forme de règlement du 15&nbsp;septembre 1774. ''Ordonnances'', II, p.&nbsp;618 Burckhard, p.&nbsp;79-80).
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Les interprètes du [[Conseil_souverain]] procèdent également à la traduction des documents officiels. Le Conseil reçoit les ordonnances, déclarations et édits royaux sous forme manuscrite ou imprimée&nbsp;; après les avoir enregistrés, il les donne à imprimer en français à Decker qui a le titre officiel d’imprimeur royal du Conseil Souverain d’Alsace. Les juridictions inférieures reçoivent des copies imprimées en français et souvent des imprimés bilingues (voir&nbsp;[[Droit_de_l'Alsace|Droit de l’Alsace]], La langue des actes publics).
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== L’Intendance d’Alsace ==
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Les débuts de l’[[Intendance,_intendant|Intendance]] d’Alsace, sous Louis XIV, sont, sur ce point, exemplaires. Au départ, l’intendant Baussan dispose d’un secrétaire-interprète qui lui est indispensable. Son successeur Colbert de Croissy s’adjoint Gallinger, procureur au Conseil souverain, qui possède aussi bien l’allemand, sa langue maternelle, que le français et le latin, comme interprète privé, notamment dans son voyage en Allemagne en&nbsp;1659. (Le latin est la langue d’enseignement des collèges et des Universités). C’est en latin que Haguenau s’adresse au roi Louis&nbsp;XIII en&nbsp;1634. C’est en latin que les députés des Dix Villes convoqués à Colmar le 22&nbsp;novembre&nbsp;1658 répondent à Colbert qui a parlé français et Baussan qui a parlé allemand (Lévy, I, p.&nbsp;274).
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Gallinger meurt en 1663 et Colbert recrute alors des remplaçants à ses propres frais, pensant que le roi ne créera pas de poste pour cela, vu l’existence des quatre secrétaires-interprètes du Conseil souverain d’Alsace. Il décide alors d’apprendre rapidement l’allemand, ce qui facilite ses relations avec les communautés et les individus et lui permet de comprendre les lettres qu’il en reçoit (Livet, p.&nbsp;202, 203, 205).
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Dès la fin du règne, sous les intendants La Grange et Le Pelletier de la Houssaye, il n’est plus fait mention nommément d’interprète : le personnel de l’Intendance comprend assez de monde pour assurer les traductions d’une langue à l’autre.
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== La Ville de Strasbourg ==
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La chancellerie de Strasbourg, par exemple, utilisait au XVI<sup>e</sup>&nbsp;siècle le latin dans des actes destinés à des tiers de langue française. Une évolution y apparaît au début du XVII<sup>e</sup>&nbsp;siècle&nbsp;: l’un des notaires de la [[Chambre_des_contrats]] maîtrisait assez bien le français pour être préposé à tenir un registre réservé à cette catégorie d’actes, sans doute pour faciliter les échanges commerciaux (Archives de Strasbourg, KS 355, de 1611, et 463 I, 1629-1640). Dès lors et bien avant son annexion en 1681, la Ville recherche un traducteur parmi les habitants. La présence alors d’un maître de langue française en ses murs en montre bien la nécessité croissante.
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Le 30 janvier 1685, le Conseil d’État interdit l’emploi de la langue allemande pour la rédaction des actes publics, à peine de nullité de ces actes, contrats et procédures. Il justifie cette mesure « parce qu’on lui a représenté que la plupart des Juges, Magistrats, Notaires, Greffiers [savent] la Langue française de même que l’allemande, [mais] continuent néanmoins de mettre en allemand toutes les Sentences, Jugemens, Actes, Contrats,&nbsp;et Procédures qu’ils expédient&nbsp;». Ainsi, «&nbsp;les actes, contrats et autres expéditions, […] soit qu’elles soient écrites par les notaires ou greffiers de ladite province en fait de judicature ou autrement seront écrites en langue française&nbsp;».
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Le Magistrat de Strasbourg a pris la tête de la contestation, et le nouveau Prêteur Royal (Obrecht), qui est peut-être à l’origine de l’arrêt, recommande le recours à des interprètes tels que ceux en usage à Brisach (F. Brunot, ''Histoire de la langue française des origines à 1900'', V, p. 96-99, Lévy, p.&nbsp;290-298). L’arrêt n’a pas été appliqué, ce que relèvent les Intendants successifs et encore en&nbsp;1775, le président du Conseil souverain de Boug dans une note marginale imprimée (''Ordonnances d’Alsace'', I, 145).
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Les délibérations du Grand Sénat (Räth u. XXI<sup>er</sup>), celles des XIII et celles des XV sont rédigées en allemand&nbsp;; parfois y sont été insérés des mémoires, des copies de lettres des autorités royales ou à elles adressées (ministres, intendants, Conseil souverain, préteurs royaux, etc.) jusqu’à&nbsp;1792. Un grand nombre d’arrêts, lettres patentes, règlements sont imprimés et publiés dans les deux langues.
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Ce n’est qu’en 1788, que le Magistrat dote la Chambre des Contrats d’un secrétaire-interprète officiel.
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== Dans les villes et les villages d’Alsace ==
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À Colmar, les élites du Magistrat peuvent s’exprimer couramment dans la langue du roi de France et de ses représentants, tels Jean Henri Mogg, négociateur du traité de Rueil en&nbsp;1635, et son beau-frère Jean Balthazar Schneider, député de Colmar auprès de la Cour en&nbsp;1641 et&nbsp;1644, puis des Dix villes impériales au Congrès de Westphalie. Son frère cadet Daniel a vécu plusieurs mois à Paris avant de revenir en Alsace. Ces gens constituent une minorité capable de servir d’interprètes dans leurs villes en cas de besoin. Le Magistrat de Colmar note en&nbsp;1658 avoir recruté Daniel Schneider à son service parce que : « ''man eines Beamten benötigt der die Perfektion in der französischen Sprache habe und darin excellirt […]&nbsp;''». À Haguenau, on refuse d’accorder congé au greffier de la ville, car sans lui, le Magistrat serait dépourvu d’interprète (Lévy, I, p. 278). À Altkirch, le receveur français ne peut faire un pas sans interprète (Lévy, I, p.&nbsp;304).
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Le plat pays de langue allemande est confronté au même problème dès que les troupes royales y mènent campagne. L’intendant Colbert de Croissy s’est plaint que les officiers français, pourtant dans le pays depuis des années, n’ont pas envie d’apprendre l’allemand, à la réserve de quelques uns qui sont mariés à des Allemandes (Ganghoffer, ''L’ordonnance de Villers-Cotterets'', 252). Lorsqu’en 1674 un régiment de cavalerie vient prendre ses quartiers à Hoerdt, la communauté villageoise demande le concours du maître de garde de Brumath comme interprète. À nouveau passage de troupes en&nbsp;1680, nouveaux frais d’interprète. Enfin, en&nbsp;1682, Hoerdt engage à cette fin un Suisse romand de Morges qui s’y est fixé (Friedel, p.&nbsp;86-88).
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== Les langues judiciaires et administratives de la province d’Alsace ==
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L’ordonnance criminelle de 1670 qui s’introduira progressivement en Alsace ([[Droit_de_l'Alsace|Droit de l’Alsace]]) à l’exception de Strasbourg, prescrit dans son article&nbsp;11 du titre&nbsp;XIV que&nbsp;: «&nbsp;Si l’accusé n’entend point la langue française, l’interprète lui expliquera […] les interrogatoires qui lui seront faits par le juge et au juge les réponses de l’accusé […]&nbsp;». Elle entraîne l’emploi dans les tribunaux de France de l’interprète-juré pour les étrangers et fort souvent pour les autochtones de langue provinciale (''Instruction de la procédure criminelle, contenant le modèle de toutes sortes de devoirs & procès-verbaux, conformément à l’ordonnance du mois d’août 1670. Avec plusieurs et nouvelles observations''). Guyot (''Répertoire'', t.&nbsp;32 p.&nbsp;375) tranche sobrement&nbsp;: «&nbsp;l’interprète ordinaire, ou s’il n’y en a point, celui que le juge a nommé d’office&nbsp;».
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Dans sa thèse sur la jurisprudence du grand bailliage de Haguenau (1731-1755) Joëlle Petermann-Dolt relève&nbsp;: «&nbsp;De&nbsp;1700 à&nbsp;1726, encore huit&nbsp;affaires totalement rédigées en allemand, sans compter les annotations ou les dépositions des témoins […]. Par contre, entre&nbsp;1731 et&nbsp;1736, deux affaires seulement sont rédigées en allemand. Et de 1736 à&nbsp;1755, l’intégralité des décisions a été transcrite en français. L’interprète de la procédure écrite est ici le greffier, qui maîtrise de mieux en mieux la langue française&nbsp;» (Petermann-Dolt, p.&nbsp;20). Le personnel judiciaire est donc présumé bilingue et est à la fois juge et interprète, pour les serments et les dépositions des témoins et à la fin du procès, «&nbsp;il a été fait lecture et interprétation aux parties de la sentence en langue allemande » (Petermann-Dolt, p. 23). Cela n’exclut nullement qu’on ait pu avoir recours à des interprètes-jurés.
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L’arrêt du Conseil d’État portant sur l’exemption des Biens nobles immatriculés du Directoire [de la Noblesse Immédiate de Basse-Alsace] du 12 novembre 1721, inclut parmi les officiers du Directoire exemptés, le greffier servant d’interprète (''Ordonnances'', I, p.&nbsp;563).
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Le constat dressé sur les archives judiciaires du tribunal de bailliage de Haguenau est également celui que fait Paul Lévy. Colmar, siège du Conseil&nbsp;souverain, rédige les procès-verbaux en français à partir de&nbsp;1688. Ribeauvillé tient une double série de registres, en français et en allemand. Saverne, régence de l’évêché de Strasbourg, rédige ses comptes en français à partir de&nbsp;1699. Ainsi, en règle générale, le personnel judiciaire ou administratif «&nbsp;fait l’interprétation soi-même&nbsp;».
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== À Versailles ==
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À Versailles, surtout au XVIII<sup>e</sup> siècle, le ministère des Affaires étrangères a cherché en Alsace des jurisconsultes experts en droit et en langue germaniques, devenus indispensables depuis le traité de Westphalie et l’annexion de Strasbourg pour mener à bien, sur place ou en déplacement à l’étranger, les tractations et missions diplomatiques à la [[Empire_(Diète_d')|Diète d’Empire]], avec la maison d’Autriche et les princes allemands. Ils étaient, les uns et les autres, agents secrets, secrétaires auprès d’un ambassadeur du roi ou interprètes au Bureau des traducteurs, tels Philippe Jacques Hennenberg, Chrétien Frédéric Pfeffel et Henri Charles Rosenstiel. Certains, comme Ulrich Obrecht, préteur royal de Strasbourg, ou Bruges, du Conseil souverain d’Alsace, étaient consultés sans quitter leur poste.
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= La Révolution et l’Empire&nbsp;: interprètes-jurés au civil et au criminel =
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== Vie publique et interprètes ==
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À compter de l’installation de la nouvelle municipalité de Strasbourg en mars&nbsp;1790, les registres de ses délibérations sont tenus en français, mais les publications (arrêtés, ordonnances, avis, etc.) le furent dans les deux&nbsp;langues&nbsp;; la traduction est le fait d’un secrétaire-interprète officiel. Il en est de même pour les administrations des départements et des districts, tout comme pour les tribunaux. Cependant la langue administrative des communes rurales continue d’être l’allemand et les administrations recherchent, des fonctionnaires locaux «&nbsp;versés dans les deux&nbsp;langues&nbsp;».
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Les lois de l’Assemblée, les arrêtés des comités, les instructions des ministres étaient traduits à Paris, d’une manière peu satisfaisante, pour être envoyés dans les départements du Rhin et les districts des départements de la Moselle et de la Meurthe de langue allemande, où ils n’arrivèrent pas toujours. Le 6&nbsp;thermidor an&nbsp;II (24&nbsp;juillet&nbsp;1794), le Comité de salut public chargea alors le Conventionnel Philippe Jacques Rühl (1737-1795, ''NDBA'', fasc. 32, p. 3320) de se rendre dans les départements du Rhin «&nbsp;pour y choisir deux&nbsp;traducteurs, nés Français et munis de bon certificats de civisme&nbsp;» pour s’occuper des traductions du ''Bulletin de la Convention'', ainsi que des discours et rapports qui paraîtront au Comité de salut public d’un intérêt général. Il proposa le jeune poète Auguste Guillaume Lamey (1772-1861, ''NDBA'', fasc. 23, p.&nbsp;2188) qui fut alors nommé traducteur officiel de l’Imprimerie Nationale à Paris.
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== Actes civils et testaments ==
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L’ordonnance de 1735 prescrit pour la validité d’un testament qu’il doit être prononcé de manière distincte par le testateur devant sept témoins y compris le notaire, qui en écrit les dispositions au fur et à mesure qu’elles sont prononcées. En&nbsp;1785, les frères et sœurs de Joseph Feiler de Neuwiller demandent la cassation du testament qui transmet la succession à la femme du défunt, arguant que le testament a été dicté à un notaire (de Phalsbourg où le testateur s’était déplacé pour ce faire) qui ne savait pas l’allemand et qui n’avait donc pas pu «&nbsp;écrire en français, les dispositions au fur et à mesure qu’elles étaient prononcées en allemand&nbsp;». Le Conseil souverain juge que le testament est valable car le notaire avait recouru à un interprète-juré «&nbsp;du siège qui servait tant dans les affaires civiles que dans les affaires criminelles&nbsp;» et qu’il n’y avait ainsi nul doute sur la « fidélité du ministère de l’interprète et dans la rédaction du notaire&nbsp;».
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Le rédacteur du ''Recueil des Arrêts notables'' note&nbsp;: « En Alsace, l’usage des interprètes n’y est pas connu, les personnes publiques, surtout les notaires, rédigent leurs actes pour la plupart en allemand, ou sachant les deux langues, font l’interprétation eux-mêmes&nbsp;; il en est autrement en France, où le ministère d’un interprète est indispensable dans biens des cas » (''Journal de la Jurisprudence civile et commerciale'', Colmar, 1806, p.&nbsp;421).
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C’était souligner la continuité de la jurisprudence de la Cour de Colmar. L’article&nbsp;972 du Code Napoléon prescrit que le testament doit être dicté à un notaire puis relu au testateur en présence de témoins. Le 8&nbsp;décembre&nbsp;1808, la Cour avait jugé qu’était valable un testament dicté en allemand, écrit en français par le notaire, puis lu à la testatrice, « après avoir été interprété en langue allemande&nbsp;», qui a déclaré devant témoins que telle est sa dernière volonté (''Jurisprudence de Colmar'', 1811, p.&nbsp;58 à 68). Rien n’interdisait au notaire de rédiger en outre une version allemande du testament (''Jurisprudence de Colmar'', 1807, p. 407, citant un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles) (voir&nbsp;[[Droit_de_l'Alsace|Droit de l’Alsace]], La langue des actes publics).
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== Le droit et la procédure criminelles ==
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Le ''Code d’instruction criminelle'' de 1808 avait repris les dispositions du ''Code des délits et des peines'' du 3&nbsp;brumaire an&nbsp;IV&nbsp;: «&nbsp;Dans le cas où l’accusé, les témoins ou l’un d’eux ne parleraient pas la même langue ou le même idiome, le président&nbsp;nomme d’office un interprète […] et lui fait promettre de traduire fidèlement […] les discours à transmettre ».&nbsp;Dans le ''Code des délits'', cet interprète pouvait être pris parmi les témoins ou les jurés. Par contre, le ''CIC'' avait exclu qu’il puisse être pris parmi les juges. Ce qui mettait un terme au système en vigueur sous l’Ancien Régime (Merlin, «&nbsp;Interprète&nbsp;», ''Répertoire'', éd.&nbsp;4, t.&nbsp;6, p.&nbsp;478-479). La Cour de Cassation avait ainsi cassé un jugement de la Cour d’Assises de Limoges, où le président lui-même avait interprété les propos d’un témoin.
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= Bibliographie =
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Archives de Strasbourg, KS 355, de 1611, et 463 I, de 1629-1640.
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''Instruction de la procédure criminelle, contenant le modèle de toutes sortes de devoirs & procès-verbaux, conformément à l’ordonnance du mois d’août 1670. Avec plusieurs et nouvelles observations. Par P. J. de Lys.''
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DE BOUG, ''Ordonnances d’Alsace'', II, 1726-1770, Colmar, 1770.
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DE BOUG, ''Ordonnances d’Alsace'', I, 1657-1723, Colmar, 1775.
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GUYOT, ''Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale'', t.&nbsp;32, Paris, 1775-1783.
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''Jurisprudence de Colmar ou Recueil des arrêts notables de la Cour d’appel de Colmar'', 1807 et 1811.
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MERLIN, ''Répertoire universel et raisonné de jurisprudence'', éd.&nbsp;4, t.&nbsp;6, Paris, 1828.
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 +
MICHEL (Emmanuel), ''Histoire du Parlement de Metz'', Paris, 1845.
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 +
BRUNOT (Ferdinand), ''Histoire de la langue française des origines à 1900'', V, p.&nbsp;96-99.
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FRIEDEL (René), ''Geschichte des Dorfes Hoerdt'', Brumath, 1921.
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 +
LEVY (Paul), ''Histoire linguistique d’Alsace et de Lorraine'', I, II, Strasbourg, 1929.
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 +
SALOMON (Annette), « Les Alsaciens employés au ministère des Affaires étrangères à Versailles aux XVII<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles », ''Revue d’histoire diplomatique'', t. 45, 1931, p.&nbsp;449-472.
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 +
HATT (Jacques), ''La vie strasbourgeoise il y a trois cents ans'', Strasbourg, 1947.
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LIVET (Georges), ''Intendance'', Strasbourg, 1956.
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 +
GANGHOFFER (Roland), « L’ordonnance de Villers-Cotterêts et la législation linguistique en Alsace au XVII<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles&nbsp;», AUBIN (Gérard), ''Liber Amicorum, études offertes à Pierre Jaubert'', Bordeaux, 1992.
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BURCKARD (François), ''Le Conseil souverain d’Alsace au XVIII<sup>e</sup> siècle […]'', Strasbourg, 1995.
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PETTERMANN-DOLT (Joëlle),''Contribution à l’histoire des institutions judiciaires&nbsp;: la jurisprudence du tribunal du grand bailliage de Haguenau, 1731-1755'', Thèse de Droit Strasbourg, 1994.
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LIVET (Georges), WILSDORF (Nicole), ''Le Conseil souverain d’Alsace au XVII<sup>e</sup> siècle […]'', Strasbourg, 1997.
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= Notices connexes =
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[[Conseil_souverain]]
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[[Droit_de_l'Alsace|Droit de l’Alsace]] (langue des actes publics)
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<p class="mw-parser-output" style="text-align: right;">'''Christian Wolff, Claude Betzinger, Georges Bischoff, François Igersheim'''</p>
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[[Category:I]]

Version du 30 octobre 2020 à 11:28

Dollmetscher.

Celui qui interprète, qui traduit d’une langue dans une autre (Guyot, Répertoire, t. 32, 372).

L’Ancien régime

Dans les villes, les marchés ou les pèlerinages, il n’est pas rare de rencontrer de tels interprètes : un confesseur bilingue à Thann au XVIe siècle, des aubergistes à Bâle, lors du passage de Montaigne en 1580, ou ailleurs, etc. Dans les villes, traduits devant la justice, les étrangers peuvent parfois bénéficier d’un traducteur, ne serait-ce que pour prêter serment. C’est le cas à Spire qui n’est pas un cas isolé (Hand).

Des administrateurs capables de traduire spontanément dans la langue voisine se retrouvent dans les seigneuries hybrides, comme le duché de Lorraine – par exemple dans le district minier de la crête (die First, La Croix aux Mines) dont l’un des premiers juges est Ludwig von Kageneck (devenu Loys de Kageneck à la fin du XVe siècle), la seigneurie de Ribeaupierre, la principauté épiscopale de Bâle ou le sud des pays antérieurs de l’Autriche. La Régence d’Ensisheim se préoccupe d’avoir des secrétaires francophones pour suivre les affaires qui s’y rapportent. La traduction écrite ou orale des correspondances officielles ou des actes du pouvoir est souvent le fait de spécialistes reconnus. Ainsi, dans le deuxième quart du XVe siècle, c’est le chanoine belfortain Hugues Briat qui sert d’interprète officiel au duc d’Autriche.

Les interprètes officiels des Parlements et conseils souverains dans les pays de langue allemande, relevant antérieurement du Saint-Empire

L’édit du 15 janvier 1633 créant le Parlement de Metz, dernier acte de la politique de rattachement des Trois-Évêchés, alors que la guerre fait rage en Lorraine et en Alsace, est suivie dès le 24 février 1634 de la création d’un poste d’interprète à même d’assister l’autorité royale sur les juridictions inférieures des pays de langue allemande relevant du Saint-Empire et désormais rattachés au royaume. « Nous avons nouvellement reconnu que, la Juridiction du [Parlement de Metz] s’étendant dans les Terres de l’Évêché de Metz, et autres, auxquelles la langue allemande a cours, il était nécessaire d’avoir un interprète et traducteur des procédures qui seraient faites ou apportées desdites Provinces en notredit Parlement et pour assister ès auditions qui se pourraient faire en icelui de témoins allemands, et encore à la vérification des écritures et signatures et autres actes qui se trouveraient écrits en cette langue » (Recueil des édits […] enregistrés au Parlement de Metz I, 188). Le Parlement de Metz compte alors dans son ressort le duché de Luxembourg, les pays de la Sarre et la Lorraine entière, dont le bailliage d’Allemagne (ou de Sarreguemines). Par le traité de Ryswick, il ne conserve plus que les bailliages royaux et sièges présidiaux des Trois-Évêchés et de Sedan et Sarrelouis, les bailliages royaux de Thionville, Longwy, Mouzon, et Mohon, les bailliages seigneuriaux de Vic et Carignan, les prévôtés royales de Sierck, Sarrebourg et Phalsbourg et les prévôtés bailliagères de Château-Regnault, Chauvancy, Damvillers, Montmédy et Marville. La Cour souveraine ducale de Nancy a dans son ressort les bailliages de Sarreguemines. En 1771, le Parlement de Metz est supprimé et son ressort placé dans la compétence de la Cour souveraine (antérieurement ducale) de Nancy. Rétabli en octobre 1775, le Parlement de Metz ne compte plus d’office d’interprète. (E. Michel, Histoire du Parlement de Metz).

Seul le Conseil supérieur de Corse compte alors deux offices de secrétaires-interprètes (Burckard, p. 100).

Le Conseil souverain et la langue judiciaire : les secrétaires-interprètes du Conseil souverain

Les autorités royales ont donc l’expérience de vingt ans d’occupation en Alsace, lorsqu’elles créent le Conseil souverain d’Ensisheim en 1657 : les offices de secrétaires-interprètes sont prévus dès l’édit de création de la Cour, qui définit une politique linguistique de « souplesse, de tolérance de pragmatisme » (Ganghoffer). L’édit prescrit en effet « il sera loisible aux Parties, Avocats et Procureurs de plaider et écrire en latin, ou en français ou en allemand, à condition toutefois qu’en plaidant ou en écrivant en l’une des langues françaises et allemande, il sera joint une traduction du plaidoyer ou écriture en l’autre langue, sans que l’on soit obligé de faire une traduction pour tout ce qui sera dit en latin ». Le Conseil comprend donc à côté des conseillers d’origine française « un Conseiller Docteur en droit de nation allemande qui sera versé en la langue française […] et un Avocat général Allemand qui sera également versé en la langue française. […] Il est crée 6 secrétaires-interprètes en langue latin et française » (De Boug,Ordonnances d’Alsace, I, p. 57). Comme à Metz, leur rôle consiste à être « les interprètes et traducteurs des procédures […] à assister aux auditions […] de témoins de langue allemande et à vérifier les écritures et signatures et autres actes qui se trouveraient écrits en ladite langue […] » (Recueil des Édits du Parlement de Metz, 1774, p. 188). Depuis 1659, les secrétaires-interprètes du Conseil souverain sont recrutés, après examen, dans le corps des « avocats au Conseil souverain d’Alsace », titre qui leur donne aussi accès aux fonctions de bailli. On en recrute cinq sur place, tous Alsaciens et anciens officiers de la Régence autrichienne. L’un d’eux, François Klinglin, dirige ses quatre collègues (Livet-Wilsdorf, p. 146). La nécessité de se faire comprendre des plaignants, défendeurs et témoins dans les procès a désormais contraint les greffiers, rédigeant, selon l’ordre du roi, leurs actes en français, de les faire traduire en allemand, à la fois pour leur en donner lecture orale et en cas d’impression et d’affichage des sentences et ordonnances. En 1661, le Conseil devient « Conseil provincial » et les offices de secrétaires-interprètes sont réduits à quatre. Mais en 1679, « le peu de connaissance […] de la langue allemande par le Parlement de Metz » (Ordonnances d’Alsace, I, p. 74) âprement contesté par ledit Parlement, justifie le retour de la compétence d’appel en dernier ressort au Conseil d’Alsace redevenu souverain qui passe de Ville-de-Paille (Neuf-Brisach) à Colmar en 1698. Le nombre de secrétaires-interprètes passe à six. L’arrêt du 24 mai 1698 en faveur des secrétaires-interprètes fait défense aux avocats et aux procureurs de procéder à des traductions ou de recourir à d’autres interprètes (Ordonnances, I, p. 266-267), mais il n’est pas sûr qu’il ait été scrupuleusement respecté. Les gages sont néanmoins les moins élevés de tout le personnel gradué, mais leurs expéditions sont tarifées à la page et à la ligne (1691, « Règlements et taxes des secrétaires-interprètes », Ordonnances, I, p. 191). Mais le procureur général du roi s’étant plaint des traductions souvent fautives données par les interprètes qui se servent en outre de copies infidèles de pièces allemandes, ainsi validées à tort par leur office, les secrétaires-interprètes doivent mentionner si elles sont faites ou non sur pièce authentique, signer, parapher et indiquer le salaire reçu (Ordonnances, II, 23 août 1713, Livet-Wilsdorf, p. 553). En 1762 et 1774, les secrétaires-interprètes établissent un règlement interne de leur service. Comme à ses débuts, l’accès à l’office est réservé aux avocats (gradués en droit) qui doivent passer un examen « qui consiste à y traduire des pièces de pratique d’allemand en français et de français en allemand ». Ils s’imposent notamment d’assurer les traductions uniquement dans le bureau qui leur est affecté dans le palais ; la distribution de l’ouvrage s’y fait, ainsi que celle de la masse des rémunérations ; les malades se voyant garantir leur part dans les quatre premiers mois de la maladie. La qualité de la traduction peut être contestée par leurs collègues (Convention en forme de règlement du 15 septembre 1774. Ordonnances, II, p. 618 Burckhard, p. 79-80).

Les interprètes du Conseil_souverain procèdent également à la traduction des documents officiels. Le Conseil reçoit les ordonnances, déclarations et édits royaux sous forme manuscrite ou imprimée ; après les avoir enregistrés, il les donne à imprimer en français à Decker qui a le titre officiel d’imprimeur royal du Conseil Souverain d’Alsace. Les juridictions inférieures reçoivent des copies imprimées en français et souvent des imprimés bilingues (voir Droit de l’Alsace, La langue des actes publics).

L’Intendance d’Alsace

Les débuts de l’Intendance d’Alsace, sous Louis XIV, sont, sur ce point, exemplaires. Au départ, l’intendant Baussan dispose d’un secrétaire-interprète qui lui est indispensable. Son successeur Colbert de Croissy s’adjoint Gallinger, procureur au Conseil souverain, qui possède aussi bien l’allemand, sa langue maternelle, que le français et le latin, comme interprète privé, notamment dans son voyage en Allemagne en 1659. (Le latin est la langue d’enseignement des collèges et des Universités). C’est en latin que Haguenau s’adresse au roi Louis XIII en 1634. C’est en latin que les députés des Dix Villes convoqués à Colmar le 22 novembre 1658 répondent à Colbert qui a parlé français et Baussan qui a parlé allemand (Lévy, I, p. 274).

Gallinger meurt en 1663 et Colbert recrute alors des remplaçants à ses propres frais, pensant que le roi ne créera pas de poste pour cela, vu l’existence des quatre secrétaires-interprètes du Conseil souverain d’Alsace. Il décide alors d’apprendre rapidement l’allemand, ce qui facilite ses relations avec les communautés et les individus et lui permet de comprendre les lettres qu’il en reçoit (Livet, p. 202, 203, 205).

Dès la fin du règne, sous les intendants La Grange et Le Pelletier de la Houssaye, il n’est plus fait mention nommément d’interprète : le personnel de l’Intendance comprend assez de monde pour assurer les traductions d’une langue à l’autre.

La Ville de Strasbourg

La chancellerie de Strasbourg, par exemple, utilisait au XVIe siècle le latin dans des actes destinés à des tiers de langue française. Une évolution y apparaît au début du XVIIe siècle : l’un des notaires de la Chambre_des_contrats maîtrisait assez bien le français pour être préposé à tenir un registre réservé à cette catégorie d’actes, sans doute pour faciliter les échanges commerciaux (Archives de Strasbourg, KS 355, de 1611, et 463 I, 1629-1640). Dès lors et bien avant son annexion en 1681, la Ville recherche un traducteur parmi les habitants. La présence alors d’un maître de langue française en ses murs en montre bien la nécessité croissante.

Le 30 janvier 1685, le Conseil d’État interdit l’emploi de la langue allemande pour la rédaction des actes publics, à peine de nullité de ces actes, contrats et procédures. Il justifie cette mesure « parce qu’on lui a représenté que la plupart des Juges, Magistrats, Notaires, Greffiers [savent] la Langue française de même que l’allemande, [mais] continuent néanmoins de mettre en allemand toutes les Sentences, Jugemens, Actes, Contrats, et Procédures qu’ils expédient ». Ainsi, « les actes, contrats et autres expéditions, […] soit qu’elles soient écrites par les notaires ou greffiers de ladite province en fait de judicature ou autrement seront écrites en langue française ».

Le Magistrat de Strasbourg a pris la tête de la contestation, et le nouveau Prêteur Royal (Obrecht), qui est peut-être à l’origine de l’arrêt, recommande le recours à des interprètes tels que ceux en usage à Brisach (F. Brunot, Histoire de la langue française des origines à 1900, V, p. 96-99, Lévy, p. 290-298). L’arrêt n’a pas été appliqué, ce que relèvent les Intendants successifs et encore en 1775, le président du Conseil souverain de Boug dans une note marginale imprimée (Ordonnances d’Alsace, I, 145).

Les délibérations du Grand Sénat (Räth u. XXIer), celles des XIII et celles des XV sont rédigées en allemand ; parfois y sont été insérés des mémoires, des copies de lettres des autorités royales ou à elles adressées (ministres, intendants, Conseil souverain, préteurs royaux, etc.) jusqu’à 1792. Un grand nombre d’arrêts, lettres patentes, règlements sont imprimés et publiés dans les deux langues.

Ce n’est qu’en 1788, que le Magistrat dote la Chambre des Contrats d’un secrétaire-interprète officiel.

Dans les villes et les villages d’Alsace

À Colmar, les élites du Magistrat peuvent s’exprimer couramment dans la langue du roi de France et de ses représentants, tels Jean Henri Mogg, négociateur du traité de Rueil en 1635, et son beau-frère Jean Balthazar Schneider, député de Colmar auprès de la Cour en 1641 et 1644, puis des Dix villes impériales au Congrès de Westphalie. Son frère cadet Daniel a vécu plusieurs mois à Paris avant de revenir en Alsace. Ces gens constituent une minorité capable de servir d’interprètes dans leurs villes en cas de besoin. Le Magistrat de Colmar note en 1658 avoir recruté Daniel Schneider à son service parce que : « man eines Beamten benötigt der die Perfektion in der französischen Sprache habe und darin excellirt […] ». À Haguenau, on refuse d’accorder congé au greffier de la ville, car sans lui, le Magistrat serait dépourvu d’interprète (Lévy, I, p. 278). À Altkirch, le receveur français ne peut faire un pas sans interprète (Lévy, I, p. 304).

Le plat pays de langue allemande est confronté au même problème dès que les troupes royales y mènent campagne. L’intendant Colbert de Croissy s’est plaint que les officiers français, pourtant dans le pays depuis des années, n’ont pas envie d’apprendre l’allemand, à la réserve de quelques uns qui sont mariés à des Allemandes (Ganghoffer, L’ordonnance de Villers-Cotterets, 252). Lorsqu’en 1674 un régiment de cavalerie vient prendre ses quartiers à Hoerdt, la communauté villageoise demande le concours du maître de garde de Brumath comme interprète. À nouveau passage de troupes en 1680, nouveaux frais d’interprète. Enfin, en 1682, Hoerdt engage à cette fin un Suisse romand de Morges qui s’y est fixé (Friedel, p. 86-88).

Les langues judiciaires et administratives de la province d’Alsace

L’ordonnance criminelle de 1670 qui s’introduira progressivement en Alsace (Droit de l’Alsace) à l’exception de Strasbourg, prescrit dans son article 11 du titre XIV que : « Si l’accusé n’entend point la langue française, l’interprète lui expliquera […] les interrogatoires qui lui seront faits par le juge et au juge les réponses de l’accusé […] ». Elle entraîne l’emploi dans les tribunaux de France de l’interprète-juré pour les étrangers et fort souvent pour les autochtones de langue provinciale (Instruction de la procédure criminelle, contenant le modèle de toutes sortes de devoirs & procès-verbaux, conformément à l’ordonnance du mois d’août 1670. Avec plusieurs et nouvelles observations). Guyot (Répertoire, t. 32 p. 375) tranche sobrement : « l’interprète ordinaire, ou s’il n’y en a point, celui que le juge a nommé d’office ».

Dans sa thèse sur la jurisprudence du grand bailliage de Haguenau (1731-1755) Joëlle Petermann-Dolt relève : « De 1700 à 1726, encore huit affaires totalement rédigées en allemand, sans compter les annotations ou les dépositions des témoins […]. Par contre, entre 1731 et 1736, deux affaires seulement sont rédigées en allemand. Et de 1736 à 1755, l’intégralité des décisions a été transcrite en français. L’interprète de la procédure écrite est ici le greffier, qui maîtrise de mieux en mieux la langue française » (Petermann-Dolt, p. 20). Le personnel judiciaire est donc présumé bilingue et est à la fois juge et interprète, pour les serments et les dépositions des témoins et à la fin du procès, « il a été fait lecture et interprétation aux parties de la sentence en langue allemande » (Petermann-Dolt, p. 23). Cela n’exclut nullement qu’on ait pu avoir recours à des interprètes-jurés.

L’arrêt du Conseil d’État portant sur l’exemption des Biens nobles immatriculés du Directoire [de la Noblesse Immédiate de Basse-Alsace] du 12 novembre 1721, inclut parmi les officiers du Directoire exemptés, le greffier servant d’interprète (Ordonnances, I, p. 563).

Le constat dressé sur les archives judiciaires du tribunal de bailliage de Haguenau est également celui que fait Paul Lévy. Colmar, siège du Conseil souverain, rédige les procès-verbaux en français à partir de 1688. Ribeauvillé tient une double série de registres, en français et en allemand. Saverne, régence de l’évêché de Strasbourg, rédige ses comptes en français à partir de 1699. Ainsi, en règle générale, le personnel judiciaire ou administratif « fait l’interprétation soi-même ».

À Versailles

À Versailles, surtout au XVIIIe siècle, le ministère des Affaires étrangères a cherché en Alsace des jurisconsultes experts en droit et en langue germaniques, devenus indispensables depuis le traité de Westphalie et l’annexion de Strasbourg pour mener à bien, sur place ou en déplacement à l’étranger, les tractations et missions diplomatiques à la Diète d’Empire, avec la maison d’Autriche et les princes allemands. Ils étaient, les uns et les autres, agents secrets, secrétaires auprès d’un ambassadeur du roi ou interprètes au Bureau des traducteurs, tels Philippe Jacques Hennenberg, Chrétien Frédéric Pfeffel et Henri Charles Rosenstiel. Certains, comme Ulrich Obrecht, préteur royal de Strasbourg, ou Bruges, du Conseil souverain d’Alsace, étaient consultés sans quitter leur poste.

La Révolution et l’Empire : interprètes-jurés au civil et au criminel

Vie publique et interprètes

À compter de l’installation de la nouvelle municipalité de Strasbourg en mars 1790, les registres de ses délibérations sont tenus en français, mais les publications (arrêtés, ordonnances, avis, etc.) le furent dans les deux langues ; la traduction est le fait d’un secrétaire-interprète officiel. Il en est de même pour les administrations des départements et des districts, tout comme pour les tribunaux. Cependant la langue administrative des communes rurales continue d’être l’allemand et les administrations recherchent, des fonctionnaires locaux « versés dans les deux langues ».

Les lois de l’Assemblée, les arrêtés des comités, les instructions des ministres étaient traduits à Paris, d’une manière peu satisfaisante, pour être envoyés dans les départements du Rhin et les districts des départements de la Moselle et de la Meurthe de langue allemande, où ils n’arrivèrent pas toujours. Le 6 thermidor an II (24 juillet 1794), le Comité de salut public chargea alors le Conventionnel Philippe Jacques Rühl (1737-1795, NDBA, fasc. 32, p. 3320) de se rendre dans les départements du Rhin « pour y choisir deux traducteurs, nés Français et munis de bon certificats de civisme » pour s’occuper des traductions du Bulletin de la Convention, ainsi que des discours et rapports qui paraîtront au Comité de salut public d’un intérêt général. Il proposa le jeune poète Auguste Guillaume Lamey (1772-1861, NDBA, fasc. 23, p. 2188) qui fut alors nommé traducteur officiel de l’Imprimerie Nationale à Paris.

Actes civils et testaments

L’ordonnance de 1735 prescrit pour la validité d’un testament qu’il doit être prononcé de manière distincte par le testateur devant sept témoins y compris le notaire, qui en écrit les dispositions au fur et à mesure qu’elles sont prononcées. En 1785, les frères et sœurs de Joseph Feiler de Neuwiller demandent la cassation du testament qui transmet la succession à la femme du défunt, arguant que le testament a été dicté à un notaire (de Phalsbourg où le testateur s’était déplacé pour ce faire) qui ne savait pas l’allemand et qui n’avait donc pas pu « écrire en français, les dispositions au fur et à mesure qu’elles étaient prononcées en allemand ». Le Conseil souverain juge que le testament est valable car le notaire avait recouru à un interprète-juré « du siège qui servait tant dans les affaires civiles que dans les affaires criminelles » et qu’il n’y avait ainsi nul doute sur la « fidélité du ministère de l’interprète et dans la rédaction du notaire ».

Le rédacteur du Recueil des Arrêts notables note : « En Alsace, l’usage des interprètes n’y est pas connu, les personnes publiques, surtout les notaires, rédigent leurs actes pour la plupart en allemand, ou sachant les deux langues, font l’interprétation eux-mêmes ; il en est autrement en France, où le ministère d’un interprète est indispensable dans biens des cas » (Journal de la Jurisprudence civile et commerciale, Colmar, 1806, p. 421).

C’était souligner la continuité de la jurisprudence de la Cour de Colmar. L’article 972 du Code Napoléon prescrit que le testament doit être dicté à un notaire puis relu au testateur en présence de témoins. Le 8 décembre 1808, la Cour avait jugé qu’était valable un testament dicté en allemand, écrit en français par le notaire, puis lu à la testatrice, « après avoir été interprété en langue allemande », qui a déclaré devant témoins que telle est sa dernière volonté (Jurisprudence de Colmar, 1811, p. 58 à 68). Rien n’interdisait au notaire de rédiger en outre une version allemande du testament (Jurisprudence de Colmar, 1807, p. 407, citant un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles) (voir Droit de l’Alsace, La langue des actes publics).

Le droit et la procédure criminelles

Le Code d’instruction criminelle de 1808 avait repris les dispositions du Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV : « Dans le cas où l’accusé, les témoins ou l’un d’eux ne parleraient pas la même langue ou le même idiome, le président nomme d’office un interprète […] et lui fait promettre de traduire fidèlement […] les discours à transmettre ». Dans le Code des délits, cet interprète pouvait être pris parmi les témoins ou les jurés. Par contre, le CIC avait exclu qu’il puisse être pris parmi les juges. Ce qui mettait un terme au système en vigueur sous l’Ancien Régime (Merlin, « Interprète », Répertoire, éd. 4, t. 6, p. 478-479). La Cour de Cassation avait ainsi cassé un jugement de la Cour d’Assises de Limoges, où le président lui-même avait interprété les propos d’un témoin.

Bibliographie

Archives de Strasbourg, KS 355, de 1611, et 463 I, de 1629-1640.

Instruction de la procédure criminelle, contenant le modèle de toutes sortes de devoirs & procès-verbaux, conformément à l’ordonnance du mois d’août 1670. Avec plusieurs et nouvelles observations. Par P. J. de Lys.

DE BOUG, Ordonnances d’Alsace, II, 1726-1770, Colmar, 1770.

DE BOUG, Ordonnances d’Alsace, I, 1657-1723, Colmar, 1775.

GUYOT, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, t. 32, Paris, 1775-1783.

Jurisprudence de Colmar ou Recueil des arrêts notables de la Cour d’appel de Colmar, 1807 et 1811.

MERLIN, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, éd. 4, t. 6, Paris, 1828.

MICHEL (Emmanuel), Histoire du Parlement de Metz, Paris, 1845.

BRUNOT (Ferdinand), Histoire de la langue française des origines à 1900, V, p. 96-99.

FRIEDEL (René), Geschichte des Dorfes Hoerdt, Brumath, 1921.

LEVY (Paul), Histoire linguistique d’Alsace et de Lorraine, I, II, Strasbourg, 1929.

SALOMON (Annette), « Les Alsaciens employés au ministère des Affaires étrangères à Versailles aux XVIIe et XVIIIe siècles », Revue d’histoire diplomatique, t. 45, 1931, p. 449-472.

HATT (Jacques), La vie strasbourgeoise il y a trois cents ans, Strasbourg, 1947.

LIVET (Georges), Intendance, Strasbourg, 1956.

GANGHOFFER (Roland), « L’ordonnance de Villers-Cotterêts et la législation linguistique en Alsace au XVIIe et XVIIIe siècles », AUBIN (Gérard), Liber Amicorum, études offertes à Pierre Jaubert, Bordeaux, 1992.

BURCKARD (François), Le Conseil souverain d’Alsace au XVIIIe siècle […], Strasbourg, 1995.

PETTERMANN-DOLT (Joëlle),Contribution à l’histoire des institutions judiciaires : la jurisprudence du tribunal du grand bailliage de Haguenau, 1731-1755, Thèse de Droit Strasbourg, 1994.

LIVET (Georges), WILSDORF (Nicole), Le Conseil souverain d’Alsace au XVIIe siècle […], Strasbourg, 1997.

Notices connexes

Conseil_souverain

Droit de l’Alsace (langue des actes publics)

Christian Wolff, Claude Betzinger, Georges Bischoff, François Igersheim