Indulgences

De DHIALSACE
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Pardon, Indulgentia, Ablass.

Pratique, apparue au XIe siècle, de remise partielle des peines canoniques encourues par les pécheurs. Elle peut être plénière, remettant toute la peine due aux péchés déjà pardonnés ou partielle, lorsqu’elle n’en remet qu’une partie. Elle est personnelle, appliquée à telle action des personnes, ou locale, attachée à tel sanctuaire ou église (NAZ).

Les indulgences apparaissent au XIe siècle, au terme d’une longue évolution

Durant les premiers siècles, l’Église pratique la pénitence publique, à la fois longue et humiliante, qui range les pécheurs repentis dans la catégorie des pénitents. Toutefois, le pape peut accorder des remises de peine, complètes ou partielles, qui n’étaient pas des indulgences. Mais, sous l’influence des moines irlandais, la rigueur de la pénitence est telle que les évêques autorisent les fidèles à s’en racheter au prix d’un acte de piété ou « bonne œuvre ». Les premières traces de ces redemptiones apparaissent en Angleterre et en Irlande à la fin du VIIe siècle, puis, la coutume franque du Wergeld contribue à répandre cette pratique. Au XIe siècle, le principe de substitution s’étend à d’autres « bonnes œuvres », tels que le pèlerinage à Rome ou à d’autres sanctuaires réputés, la participation à l’entretien d’église, d’abbayes ou d’hôpitaux. À la fin du XIe siècle, elles sont aussi accordées lors d’occasions exceptionnelles, comme le départ en croisade. Alexandre II accorde ainsi en 1063 une indulgence plénière pour ceux qui participeront à la lutte contre les Infidèles en Espagne à l’occasion de la Reconquista. Plus tard, en 1095, Urbain II concède une indulgence plénière à ceux qui partiront en croisade pour libérer les lieux saints. L’indulgence devient une arme politique entre les mains du pape.

Ce n’est qu’au XIe et XIIe siècles que se dégage clairement la notion d’indulgence. Elle reçoit une définition juridique par les décrétales pontificales : l’indulgence accordée par une autorité ecclésiastique légitime permet au pécheur la réconciliation avec l’Église moyennant un acte de piété effectué à cette fin dans un esprit de repentir. Théoriquement, il n’existe pas de proportion entre la faute et cet acte de piété : l’indulgence est réputée être « l’effet de la communion des saints ». En pratique, il en va bien autrement, en partie sous l’influence des peuples germaniques dont la législation est en fait un barème de réparations qui tarifie chaque faute. Les indulgences se calquent alors sur les pénitentiels, manuels importés sur le continent par les moines irlandais et qui fixent pour chaque type de faute tant de jours de mortification. Mais moins longues et moins difficiles à supporter, les indulgences tendent à se substituer à la pénitence physique et ont de ce fait la faveur des fidèles. Parallèlement, se répand l’usage des indulgences-aumônes accordées à l’occasion de la consécration d’une église, de l’érection d’une abbaye ou de la construction de ponts et d’hôpitaux. Les considérations d’ordre pécuniaire ne sont pas absentes dans l’esprit de ceux qui promulguent ce type d’indulgence.

Le foisonnement des indulgences au cours des XIVe-XVe-XVIe siècles

À partir du XIVe siècle commencent à se répandre les indulgences pour les défunts (remise de peine pour les âmes du purgatoire), lancées par des prédicateurs d’indulgences, essentiellement pour des raisons financières. D’abord condamnées par des conciles (concile de Vienne de 1312), elles sont finalement acceptées à partir de 1456 par le pape Calixte III : leur pratique, lancée par les ordres mendiants, ont précédé la décision du Magistère. Une autre occasion d’accorder des indulgences fut l’instauration des jubilés ou années saintes. En 1300, le pape Boniface VIII instaure le premier jubilé accompagné d’indulgences spéciales associées à la visite des basiliques romaines, à la pratique du jeûne et de la prière. Ils sont prévus pour avoir lieu tous les cinquante ans, mais devant le succès rencontré, ils sont décrétés tous les 25 ans à partir de 1400. Les Romains les voient d’un bon œil, car ils profitent de l’afflux des pèlerins pour faire fructifier leur commerce. D’autre part, l’afflux à Rome de foules considérables renforce le prestige de la papauté.

Avec le temps, on accorde des indulgences pour des motifs les plus variés qui demandent aux fidèles de moins en moins d’efforts pour les obtenir : les indulgences sont détournées de leur but originel et sont transformées en un vaste commerce pour remplir les caisses de l’Église et de ses représentants. Elles sont affermées par le pape ou par de nombreux évêques à des ordres religieux, les dominicains et les franciscains, pour la construction d’édifices religieux ou encore pour permettre à des dignitaires d’acquérir un bénéfice, voire et mener grand train.

Le trafic des indulgences atteint son paroxysme, lorsqu’en 1515 le pape Léon X, manquant de fonds pour poursuivre les travaux de construction de la basilique Saint-Pierre, a idée de vendre des indulgences à Albert de Brandebourg, qui, déjà titulaire de deux évêchés, souhaite devenir archevêque de Mayence. Pour « acheter en gros » ces indulgences, Albert emprunte en 1515 la somme de 24 000 ducats à Jacob Fugger, banquier de l’empereur Charles-Quint. Pour s’acquitter de sa dette, Albert revend les indulgences aux fidèles avec l’appui du pape qui prélève une commission de 50%. Le moine dominicain allemand Johann Tetzel est chargé de la prédication. Or, Tetzel n’est pas un inconnu pour les Strasbourgeois, puisqu’il était venu à Strasbourg entre novembre 1509 et janvier 1510, en tant que vice-commissaire du diocèse de Mayence, prêcher durant plusieurs jours les indulgences en faveur de l’action des chevaliers teutoniques en Livonie. À l’issue de son séjour, il se déclare satisfait de l’accueil des habitants et reconnaissant de leur générosité, même s’il ne récolta que 454 florins (Paulus).

Selon Francis Rapp, entre 1480 et 1518, à douze reprises, des indulgences ou « pardons » furent proposées par des prédicateurs aux habitants de Strasbourg. Par ailleurs, une autre forme d’indulgence, les beichtbriefe ou confessionnales, privilège pontifical accordant au bénéficiaire de cette faveur le droit de choisir son confesseur semel in vita et in articulo mortis sont offerts à la vente par des commissaires pontificaux. Mais le succès n’est pas durable. Pourquoi le fidèle aurait-il à renouveler l’acquisition de ce privilège ? À force d’écumer les paroisses de la ville, les prédicateurs et autres commissaires se heurtent à un marché saturé et à des fidèles qui s’interrogent sur les raisons profondes de la surabondance de l’offre. Ainsi les Pénitentes de Sainte-Madeleine furent déçues, après avoir encaissé 4 400 florins en 1480, de n’en obtenir plus que 382 l’année suivante. Et il fallait toute l’habileté et le sens de la propagande du légat pontifical Raimond Péraud, qui n’avait récolté lors d’un premier passage en 1489 que 1 800 florins, pour arriver à faire entrer dans ses coffres 2 300 florins lors de son séjour en 1502. Encore en 1517, quelques mois après que Luther eut placardé ses thèses, Wolfgang Boecklin, chanoine de Saint-Thomas et de Saint-Pierre-le-Vieux, prêcha une indulgence plénière dont le produit devait être affecté à l’orphelinat de la ville et à l’asile des vérolés : il récolta 1 250 florins. À énumérer ces chiffres, on constate que la piété des Strasbourgeois était pourtant encore grande au début du XVIe siècle et que la croyance dans l’existence du purgatoire, dont le concept ne date que de la fin du XIIIe siècle, est encore vive pour alimenter ainsi les caisses des nombreuses institutions religieuses qui se livraient entre elles à une intense concurrence.

François Uberfill

La pratique des indulgences dans les diocèses alsaciens à la fin du Moyen Âge

Ainsi, Jacques Fabri, recteur de Weyersheim, fait consacrer en 1492 la chapelle Saint-Wolfgang par Jean Ortwin, évêque-suffragant, et obtient une série de bulles d’indulgences pour les pèlerins (G 1575/1, f°1v, 3v). Jean Betschlin, chanoine à Saint-Pierre-le-Vieux, obtient en 1502 une indulgence pour ceux qui contribuent à l’entretien de la chapelle de la Vierge à Barr (AMS CH 364/7570). En 1518, Wolfgang Boecklin, prévôt de Saint-Pierre-le-Jeune et commissaire pontifical pour la prédication des indulgences à Strasbourg, accorde à Jean Kips et à son épouse, de Bouxwiller, l’indulgence prévue pour ceux qui aident de leurs deniers l’Hôpital de Strasbourg (AMS CH 390/8142). Le 13 novembre 1627, Paul d’Aldringen, évêque-suffragant, accorde une lettre d’indulgences pour deux autels de la Commanderie de Saint-Jean à Sélestat, qu’il vient de consacrer (H 1362/12 et 13).

Le chapitre de Saint-Thomas a eu recours, le jour de la fête du patron de l’église en 1418, à un « crieur » (apelos rueffer), chargé d’annoncer l’octroi d’une indulgence (AMS 1 AST 818/9, f°5v) et, à nouveau, en 1419 (AMS 1 AST 819/7, f°2). D’ailleurs, la bulle d’indulgence était exposée à l’église, protégée par un verre : das glas dz do stet vor dem in Dulgencien [sic] briefe (AMS 1 AST 818/9, f°7).

L’octroi d’indulgences a fini par constituer une importante source de revenus. Ainsi, Jean Wernher de Flachslanden, chanoine de Bâle, s’engage à verser au pape le tiers des revenus de l’indulgence plénière accordée à la cathédrale de Bâle (1460) (Wirz, II, n°109) ; en 1463, il a fait livrer 1 181 florins d’or à ce titre (Ibid., II, n°297).

Les abus en ce domaine ont été critiqués. Dans le recueil de règlements de la Ville de Strasbourg figure en 1515 une interdiction de vente d’indulgences : « Keÿ. Maÿ. Maximil. Verbott wider den Päbstischen Ablass Kram » (AMS 1 MR 4 f. 48).

Bien des autels, ainsi que des croix de cimetière ou de mission portent la mention d’indulgences.

Bibliographie

WIRZ (Caspar), Regesten zur Schweizergeschichte aus den päpstlichen Archiven, 1447-1513, Berne, 1911.

Louis Schlaefli

De Luther au concile de Trente

La pratique des indulgences et en particulier les campagnes de prédication menées par les ordres mendiants pour les placer auprès des fidèles provoquent la colère du moine Luther qui se pose à ce moment-là la question du Salut et de l’action de la Grâce. Le 31 octobre 1517, il affiche ses 95 thèses sur la porte du château de Wittenberg. Le texte s’en prend ouvertement au commerce des indulgences et affirme avec force que l’homme est sauvé non par des dons en argent ou par des messes, mais par la seule grâce de Dieu. Il dénonce à la fois les indulgences pour les âmes du purgatoire (thèses 8-29) et celles en faveur des vivants (thèses 30-68). Selon lui, l’Église profite de la peur de l’enfer pour inquiéter les croyants.

L’Église catholique tentera par la suite de mettre fin aux abus les plus criants. Léon X, dans sa réfutation des thèses de Luther, établit une distinction entre la rémission de la peine temporelle et celle des péchés proprement dits. Le concile de Trente, dans sa sixième session en 1547, affirme que l’homme est justifié par la foi et par les œuvres et maintient le culte des saints et la pratique des indulgences. Aux XVIIe-XVIIIe siècles, la pratique des indulgences se poursuit, elle est encadrée par une Congrégation romaine qui en dénonce les excès. La doctrine de l’Église romaine relative aux indulgences, bien qu’amendée à la marge, est rappelée par de nombreux textes et constitue un point de clivage important entre les Églises chrétiennes jusqu’à la fin du XXe siècle.

François Uberfill

Bibliographie

PAULUS (Nikolaus), Johann Tetzel, der Ablaßprediger, Mayence, 1899.

PAULUS (Nikolaus), Geschichte des Ablasses im Mittelalter, 3 vol., Paderborn, 1922-1923.

KIEFFER (Aloys), « Ablassbriefe für die Pfarrei Rodern-Thann », AEKG I, 1926, p. 400-401.

OHRESSER (Xavier), « Ablassbriefe für die Stadt Oberehnheim aus dem Jahre 1297 bis 1693 », AEKG XI, 1936, p. 143-156.

VELT (Ludwig Andreas), Volksfrommes Brauchtum und Kirche im deutschen Mittelalter, Freiburg im Breisgau, 1936.

NAZ, Dictionnaire droit canonique, t.  V, 1953, col, p. 1331-1351.

BRIDE (A.), Notice « Indulgences », Catholicisme hier, aujourd’hui, demain, Paris, 1963, t. V, col. ; p. 1520-1535.

RAPP (Francis), Réformes et Réformation à Strasbourg. Église et société dans le diocèse de Strasbourg (1450-1525), Strasbourg, 1974.

LIVET (Georges), RAPP (Francis), Histoire de Strasbourg, 1980-82, t.  III, p. 198-205.

XIBAUT (Bernard), « A Bergbieten : une lettre d’indulgences collective du XIVe siècle », Ann. SHAME, 1983, p. 53-69.

GAUVARD (Claude), LIBERA (Alain de), ZINK (Michel), Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2002, p. 713-714.


Notices connexes

Ablass

Ablassbrief

Ablassrufer

Archevêque métropolitain

Cloches

Croix (chemin de croix)

Dédicace - Kirchweihe

Fête-Dieu

Frauenwerk (unser lieben) - Œuvre Notre-Dame

Gründonnerstag - Jeudi Saint

Louis Schlaefli, François Uberfill