Incendie de forêt

De DHIALSACE
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Waldbrand.

Les incendies de forêt ne sont pas une exclusivité méridionale : les forêts alsaciennes sont aussi parfois victimes des flammes. Les chroniques médiévales en font occasionnellement état, même si elles ne localisent pas toujours clairement le sinistre. La Chronique des Dominicains de Guebwiller évoque ainsi plusieurs feux de forêt, en 1136 : « l’été fut tellement chaud et sec que les forêts s’enflammèrent spontanément et plusieurs brûlèrent totalement » ou à l’été 1473 « la chaleur avait été telle qu’en plusieurs endroits les forêts avaient brûlé, enflammées par le ciel ». Les origines naturelles, en l’occurrence la foudre, ne semblent cependant guère fréquentes en Alsace. Généralement, l’incendie est causé par l’homme, par imprudence ou malveillance.

Les travaux forestiers réalisés par les bûcherons, les charbonniers ou les fabricants de potasse peuvent occasionner des départs d’incendies. Ainsi, en avril 1768, sept arpents de la forêt de Rouffach sont réduits en cendres par la négligence des bûcherons (AM Rouffach A.DD 26). La cause la plus fréquente est cependant liée aux travaux agricoles. Un feu allumé pour réchauffer des bergers ou pour cuire leur repas risque de dégénérer comme le souligne un mémoire du chapitre de Neuwiller-lès-Saverne en 1751 pour le bois dit Catharinenbösch : « Plusieurs particuliers y ont fait pâturer leurs bestiaux nuitamment y ont même allumé un feu contre un chêne au risque d’embraser toute la forêt et les voisines » (ABR G 5488).

L’incinération de branchages ou d’herbes sèches, souvent pratiquée en été, a fortiori par vent fort, communique parfois le feu aux arbres voisins. Néanmoins, la cause principale est due à un essartage mal contrôlé par les défricheurs. Le feu est mis dans une petite parcelle de bois afin de détruire la végétation ligneuse et de mettre en culture le terrain ainsi dégagé et fertilisé par les cendres. Mais le paysan ne parvient pas toujours à circonscrire les flammes qui se propagent alors à la forêt. En août 1705, de jeunes pâtres de Rimbach mettent le feu aux broussailles sur l’Allmendacker afin d’ensemencer les parcelles déboisées. Or, le vent se lève et attise le feu. L’incendie prend des proportions considérables, au point que le tocsin sonne toute la journée à Murbach, Buhl et Guebwiller, selon la Chronique des Dominicains de Guebwiller. Les registres des tribunaux forestiers recensent dans toute la province des faits similaires. En 1733, un paysan de Ribeaugoutte essarte un petit canton sur le ban de Fréland pour y semer des céréales. Les jeunes sapins et soixante pieds d’arbres sont ainsi détruits (AHR 3 B 177 Val d’Orbey).

Les autorités seigneuriales déplorent aussi la malveillance supposée ou avérée de certaines personnes. En 1661, les habitants de Wasserbourg auraient volontairement incendié une forêt du ban de Munster. Quelques années plus tard, deux frères du même village mettent le feu à une parcelle de forêt de Munster par pur amusement. Débordés par l’ampleur du sinistre, ils ne peuvent l’éteindre et s’enfuient. La forêt aurait brûlé pendant quinze jours (Schubnel, p. 40). La pratique de l’essartage, commune dans l’ensemble du massif vosgien, est unanimement dénoncée. En 1744, la seigneurie de Ribeaupierre signale que des habitants du Val d’Orbey « vont hardiment dans la forêt, y coupant les jeunes sapins en recrue parce qu’ils ont déjà coupé les vieux arbres et poussent leur méchanceté jusqu’à mettre le feu dans différents endroits pour se pratiquer des terrains propres à ensemencer en sorte que l’on peut dire que ces malfaiteurs se rendent maître absolu de la forêt » (AHR 1 E 83 /76).

Il importe donc d’identifier les incendiaires afin de les poursuivre en justice, en dépit des difficultés. « Il y a eu un incendie au Hinteren Heidenberg il y a quatorze jours mais le coupable n’a pas encore été trouvé » peut-on lire dans la description des forêts communales de Niedersteinbach en mai 1746 (ABR E 2724). L’enquête parvient cependant souvent à ses fins, car le pyromane se dévoile en mettant ultérieurement en culture la parcelle forestière qu’il a incendiée. En 1772, Jean Herqué, bourgeois de Fréland, est convoqué par le gruyer pour répondre d’une tentative d’incendie de forêt commise par son fils qui aurait « allumé le feu dans six arbres secs coupés en délit depuis longtemps dans le dessein de brûler toute la forêt, ce qui serait arrivé sans le secours de Joseph Blaise voisin de la dite forêt que le forestier a appelé pour éteindre le feu ». Le père est condamné à verser soixante livres d’amende et de dommages (AHR 3 B 201 Val d’Orbey).

La réglementation forestière envisage des mesures de prévention comme dans le Mundat de Wissembourg, où « les pâtres causent un dommage considérable aux forêts par les feux qu’ils font en des endroits non convenables, il a été arrêté, statué et ordonné pour obvier à cet inconvénient que celuy qui en cas de nécessité voudra faire du feu dans les forêts communes du Mundat sera tenu de le faire sur un chemin plat et ouvert […] sans jamais y employer de bons arbres à peine d’un florin d’amende », d’après l’article 17 du règlement de 1543 (ABR G 5873 traduction française en 1775). De même, le grand veneur de l’évêché de Strasbourg ordonne en 1692 aux chasseurs et aux forestiers de surveiller particulièrement les feux allumés au printemps par les bergers (ABR G 440). L’interdiction d’allumer des feux en forêt est souvent répétée, preuve de la difficulté pour les autorités à la faire respecter. En 1723, l’évêché de Strasbourg renouvelle sa consigne « faisons défense par les présentes à tous les hardiers, pâtres ou autres qui entrent tant dans les forêts appartenant à S.A.E. Mgr le cardinal de Rohan d’y faire du feu sous peine d’amende arbitraire » (ABR G 446). À la suite de l’incinération de landes par plusieurs particuliers de Lutzelhouse-Schirmeck, la régence de Saverne édicte en 1741 un décret portant défense de mettre le feu aux bruyères voisines des forêts (ABR G 446).

Les gruyers ou les juges seigneuriaux punissent avec sévérité les contrevenants. À l’encontre des essartages illégaux n’ayant pas dégénéré en incendies de forêt, ils requièrent de simples amendes. En 1745, deux particuliers d’Orbey sont condamnés à 25 livres d’amende et de dommages pour avoir défriché chacun une parcelle dans la forêt seigneuriale et avoir brûlé les arbres et broussailles (AHR 3 B 185 Val d’Orbey).

L’incendie accidentel ou criminel d’une forêt est puni bien plus sévèrement. La coutume de 1330 de la ville de Munster prévoit que « celui qui détruit par le feu forêt ou buissons paie cinq livres d’amende et sera puni par le Conseil » (AHR 1 H 108). Le règlement pour la vallée de 1697 prescrit une amende : « En cas que quelqu’un soit sy hardy de brusler des bois, il payera dix escus tout au moins, sans rémission, et mesme davantage si le dommage est grand ». En août 1706, Claus Schutzendorff d’Ampbersbach allume délibérément et de nuit, un feu dans la forêt qui s’embrase immédiatement, causant d’énormes dégâts. Arrêté et jugé, il est puni de façon exemplaire, d’abord par le paiement de l’amende de dix écus prévue par le règlement, puis par l’emprisonnement jusqu’au jour de la foire annuelle. Ce jour-là, devant la foule des marchands et badauds, il doit faire trois fois le tour de la fontaine de la place, puis aller jusqu’à la croix dans le faubourg, avec une torche allumée en main, en signe d’accusation et de réprobation. Quelques années plus tard, des enfants de Breitenbach mettent le feu à la forêt de chênes du village, soit par inadvertance, soit par amusement. Le feu a pu être éteint à temps. Les enfants ne sont pas punis, en revanche, leurs parents doivent payer un demi pot de vin à chaque homme ayant participé à l’extinction de l’incendie (Schubnel, p. 44).

La législation française paraît nettement plus sévère et considère les incendiaires comme des criminels. L’ordonnance des Eaux et Forêts de 1669 fait défense à toute personne de porter du feu ou d’en allumer dans les forêts, landes et bruyères sous peine de punitions corporelles. Cependant, les modalités de celles-ci ne sont pas précisées. C’est pourquoi, une déclaration du 13 novembre 1714 précise que « les pâtres et tous autres qui seront convaincus d’avoir porté du feu ou d’en avoir allumé dans nos Forêts, Landes et Bruyères, et celles des Communautés et des particuliers ; ou d’avoir fait du feu plus près d’un quart de lieue desdits Bois, Landes et Bruyères soient punis pour la première fois de la peine du fouet, et de celle des galères en cas de récidive ». La peine capitale est requise à l’encontre des incendiaires volontaires : « Voulons que ceux qui de dessein prémédité auront mis le feu dans les Landes et Bruyères, et dans les autres lieux desdits Bois et Forêts soient punis de mort ». En outre, la déclaration royale prévoit une indemnisation fixée par un juge pour les propriétaires des forêts incendiées.

Un arrêt du Conseil d’État du 6 novembre 1717 ordonne l’exécution de la déclaration de 1714, en particulier pour la forêt indivise de Haguenau (Ordonnances d’Alsace, t. 1 p. 442-443). Il est ainsi rappelé l’interdiction d’allumer un feu dans la forêt « défenses à toutes sortes de personnes aux riverains de ladite forêt, pâtres et autres de porter ou allumer du feu dans ladite forêt dans les cantons de pins ni ailleurs ». Les propriétaires des bestiaux sont tenus civilement responsables de leurs bergers en cas d’incendie. De plus, pour dissuader les feux de défrichement favorables à la repousse de graminées, « tous les usagers disposant du droit de pâturage en seront privés pendant six ans dans les endroits où le feu aura été mis ».

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la réglementation pour le comté de Ferrette s’inspire largement de celle de l’évêché de Strasbourg du 5 novembre 1759 qui fait « défense à toutes personnes de porter et allumer feu en quelque raison que ce soit dans nos forêts, landes et bruyères, à peine de punition corporelle et d’amende arbitraire, outre la réparation des dommages que l’incendie pourroit avoir causé et demeureront les communautés et autres particuliers civilement responsables de leurs pâtres, bergers et domestiques » (Archives de la principauté de Monaco T 975).

La peine capitale pour les incendiaires n’est pas mentionnée dans ces deux seigneuries. Elle est néanmoins prononcée dans d’autres territoires comme dans le comté de Ribeaupierre en 1731 où « Claude Rondeau de Ribeaugoutte incendia deux forêts appelées l’une l’Étang du devin et l’autre le Chisset. Il eut l’impiété de menacer de plus grands incendies s’il étoit amendé. Il fut brûlé vif peu après ». L’ampleur de ces feux de forêt sur le ban de Lapoutroie n’est pas précisée. Dans ce cas, l’incendie d’une forêt est utilisé comme un moyen de chantage et la peine prononcée fut le bûcher (AHR E 1544 mémoire du 28 avril 1764).

Les législations révolutionnaire et impériale se montrent tout aussi sévères à l’égard des incendiaires de forêt. Le code pénal de 1791 ne fait pas de distinction en fonction des biens brûlés volontairement et requiert la peine capitale pour tous les incendiaires : « Quiconque sera convaincu d’avoir par malice ou vengeance, et à dessein de nuire à autrui, mis le feu à des maisons, […] forêts, bois-taillis […] sera puni de mort » (Titre  II. Crimes contre les particuliers, section II, article 32). Le code pénal de 1810 maintient ces dispositions et les étend même à l’encontre des incendiaires de bois façonnés : « Quiconque aura volontairement mis le feu à des édifices, […] forêts, bois-taillis, récoltes, soit sur pied, soit abattus, soit aussi que les bois soient en tas ou en cordes, et les récoltes en tas ou en meules […] sera puni de la peine de mort » (Titre II. Crimes et délits contre les particuliers, article 434).

Bibliographie

JEHIN (Philippe), Les hommes contre la forêt, Strasbourg 1993.

SCHUBNEL (Antoine), « La forêt et les communautés du Val de Munster », Annuaire de la société d’histoire du val et de la ville de Munster, n°38, 1984, p. 33-75.

Notices connexes

Bois

Déboisement

Défrichement

Écobuage

Essart

Essartage

Forêts

Philippe Jéhin