Imprimerie, imprimeurs

De DHIALSACE
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Buchdruckerei, Buchdrucker.

Si la présence de Johann Gutenberg est attestée à Strasbourg entre 1434 et 1444, il reste difficile pour les historiens de savoir si l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles a eu lieu dans son atelier installé faubourg Saint-Arbogast ou plutôt dans sa ville natale, Mayence, dans laquelle il séjourne à nouveau à partir de 1448. En cette période, Strasbourg, au même titre que Bâle ou Mayence, dispose d’atouts majeurs qui ont contribué à l’établissement d’éditeurs-imprimeurs dans la cité. Cependant, c’est à Strasbourg que cette activité a connu le développement le plus rapide après 1454, date retenue traditionnellement par l’historiographie pour l’invention de l’imprimerie.

L’apparition de l’imprimerie dans l’espace du Rhin supérieur est le corollaire de la convocation de deux grands conciles, celui de Constance (1414-1416) et celui de Bâle (1431-1449) qui y ont organisé le rassemblement des plus grands esprits de l’époque, comme Leonardo Bruni, Poggio Braciolini ou encore Manuel Chrysoloras. Les besoins de ces assemblées ont favorisé la concentration de fournisseurs spécialisés (parchemin, encre, papier…), de techniciens de l’écriture (copistes, enlumineurs…) et de marchands de livres dans les régions proches. Ces conciles favorisent les échanges culturels avec l’Italie et participent à la redécouverte des bibliothèques de la vallée du Rhin riches de manuscrits d’auteurs antiques inconnus jusque-là de ces érudits. Enfin, cette concentration de savants et d’érudits entraîne une forte demande d’ouvrages manuscrits et l’apparition d’ateliers de copistes privés travaillant pour une clientèle laïque. À partir de 1427, Diebold Lauber est actif à Haguenau. Son catalogue comprend quarante-cinq titres destinés à une clientèle laïque ayant une préférence pour la langue vernaculaire. Ce lectorat s’intéresse aux livres de piété, aux traités de médecine ou aux œuvres littéraires, comme le Parzival de Wolfram von Eschenbach. À Strasbourg, les ateliers de copistes sont organisés par Diebold von Dachstein, Johann Port de Argentina, ou encore Hans Ott. De toutes parts, la ville s’ouvre à l’écrit, tandis que les établissements d’enseignement se multiplient avec studia, maisons religieuses et l’école du chapitre cathédral de Strasbourg. La ville rassemble un grand nombre d’institutions religieuses disposant de bibliothèques riches de centaines de volumes : le chapitre cathédral, le chapitre de Saint-Thomas, le couvent des Dominicains ou celui des Chartreux. Lors du concile de Bâle, la bibliothèque de la Commanderie de l’Île verte à Strasbourg reçoit des visiteurs prestigieux comme Louis Aleman ou le commandeur Bertonelli. Dépourvue d’université et par là-même libre du contrôle que pourrait exercer une faculté de théologie, indépendante vis-à-vis du pouvoir épiscopal, Strasbourg bénéficie d’un environnement favorable à la circulation d’idées nouvelles ou réformatrices. Les élèves des écoles de la ville, les administrateurs, les juristes, une partie de la bourgeoisie urbaine, les tenants du courant de la mystique rhénane ou de la devotio moderna, forment un lectorat nouveau aux côtés de celui des clercs. Cette population instruite et curieuse contribue au développement d’un marché du livre, y compris en langue vernaculaire. Cette émulation intellectuelle favorise dans la région la création de nouvelles institutions comme « l’École latine » rattachée à la paroisse Saint-Georges de Sélestat, ouverte à partir de 1452, ou les universités de Fribourg et Bâle fondées respectivement en 1457 et 1460.

Ce foisonnement intellectuel associé à la multiplication des activités des moulins à papier en Allemagne du Sud contribue à nourrir le besoin grandissant d’un support de diffusion des idées qui soit à la fois plus aisé à fabriquer et plus facile à diffuser. Ce contexte favorise dans un premier temps la circulation de xylographies, documents imprimés à partir de formes en bois qui rassemblent à la fois le texte et des illustrations. Mais cette technique souffre de plusieurs difficultés empêchant l’obtention de documents de qualité satisfaisante : l’encre sèche, le bois joue sous l’effet de l’humidité ou de la sécheresse. C’est dans ce contexte que Gutenberg entreprend ses recherches en abandonnant le bois au profit du métal.

L’Alsace des XVe et XVIe siècles, un centre de développement de l’imprimerie

Le temps des précurseurs

Au milieu du XVe siècle, Strasbourg constitue un centre économique au croisement des routes reliant les Flandres à Venise et le royaume de France au Saint-Empire romain germanique. Construit entre 1388 et 1392, le grand pont sur le Rhin a renforcé le rôle de la ville en tant que place de transit et d’échange favorisant la circulation des hommes, des marchandises et des idées. Depuis  1336, la Foire de la Saint-Jean est un événement commercial annuel exerçant une grande influence en Allemagne méridionale. Avec 20 000  habitants, Strasbourg est l’une des villes les plus peuplées du Rhin supérieur ; de surcroît, elle dispose d’un pouvoir urbain fort, d’une administration bien établie et d’une organisation commerciale répartie entre vingt corporations. Ces facteurs favorisent l’émergence d’une bourgeoisie urbaine prête à s’investir financièrement pour faire de sa ville, la seconde dans laquelle des livres furent imprimés. Le sens du commerce de ces précurseurs a permis à Strasbourg de maintenir durablement son rang, à la différence, par exemple, de Bamberg, et de faire de leur ville la principale concurrente de Mayence. C’est sans doute vers 1458 ou 1459 que Johann Mentelin, originaire de Sélestat, établit le premier atelier d’imprimerie, rue de l’Épine à Strasbourg. Enlumineur, il disposait du droit de bourgeoisie depuis  1447 et appartenait à la corporation des peintres. Prenant pour modèle la Bible de Mayence à 42 lignes, Mentelin imprime une Bible à 49  lignes en deux tomes en  1460 et  1461. La production des incunables des premières décennies reste principalement constituée de livres en latin destinés à un petit nombre de clercs et de savants. Grâce à son inscription dans les réseaux commerciaux, Strasbourg offre la possibilité d’acheter rapidement le papier nécessaire à la production, tout en ouvrant les débouchés pour la vente directe des livres lors des foires et des marchés. Le deuxième document imprimé sorti des presses de Mentelin a été identifié en 2014 : il s’agit du formulaire d’une lettre d’indulgence au profit de la collégiale de Saint-Cyriaque près de Worms. Mis en circulation avant la fin de l’année 1461, c’est l’un des premiers de ce type à avoir été imprimé ailleurs qu’à Mayence. Un tournant s’opère avec l’impression de la première Bible en allemand, par Mentelin en 1466 à Strasbourg. Pour réaliser cette édition, il a choisi d’employer une police de caractère gothique ronde, aisément lisible et suffisamment compacte pour rassembler l’intégralité du texte en 427 pages. De nos jours, seuls trente exemplaires