Images

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Du Moyen Âge central à l’Époque moderne, l’image sculptée et peinte dans la pierre ou dans les pages du codex est le moyen de représentation dominant de l’imaginaire d’une société où la lecture est le fait d’une extrême minorité.

Les termes « Image-Imaige » ou Bild (de même d’ailleurs que le français Imaige) recouvrent pratiquement l’ensemble de la production artistique : sculptures, peintures, parfois même vitraux étaient normalement qualifiés de Bilder. Dans l’acception actuelle, ils ne désignent que les productions graphiques : enluminures, dessins et gravures.

L’imagerie religieuse peinte : l’enluminure (Buchmalerei)

Décor peint, parfois relevé à la feuille d’or, destiné à illustrer un manuscrit, sur parchemin, plus tard sur papier, plus rarement un imprimé  ; l’enluminure est parfois appelée miniature ; le mot renvoie au minium, en référence à l’oxyde de plomb qui servait de pigment, mais, par analogie, il désigne des dessins de petites dimensions.

L’enluminure prospère en Alsace du VIIIe au XVIIsiècle, mais les réalisations les plus prestigieuses remontent aux périodes romanes et gothiques.

Les scriptoria monastiques

La plupart des manuscrits anciens ont été réalisés dans le scriptorium d’abbayes bénédictines (Wissembourg, Murbach, Munster…), augustines (Marbach, Mont Sainte-Odile), cisterciennes et de couvents comme les Dominicains et les Dominicaines (Unterlinden à Colmar, Saint-Nicolas-in-Undis à Strasbourg).

Il convient de mentionner l’Évangéliaire du moine Otfried (Xe siècle), le Codex Guta-Sintram (1154), le Lectionnaire de Laon (Marbach, fin XIIe siècle) et, bien sûr, le Hortus deliciarum (fin du XIIe siècle), disparu, mais dont l’Album colorié d’Engelhard permet de se faire une idée, ainsi que le Flabellum, élaboré dans le même atelier (conservé au British Museum). Du XIVe siècle subsistent des traités mystiques, le Mémorial de Saint-Jean à l’Ile Verte et la Vita Suso, et, du siècle suivant, le Spigel des liden Christi (BMC Ms. 306).

Aucune des anciennes bibliothèques monastiques d’Alsace n’a survécu en totalité. Certaines ont été vendues  ; de ce fait, l’Évangéliaire d’Otfried, de Wissembourg, est conservé à l’Albertina de Vienne, pour ne citer que cet exemple. Les trésors rassemblés dans la Bibliothèque municipale de Strasbourg, notamment les manuscrits confisqués à la Révolution dans le Bas-Rhin – dont le Hortus deliciarum – ont péri sous les obus allemands en 1870. Par contre, la Bibliothèque des Dominicains de Colmar renferme toujours les manuscrits saisis dans le Haut-Rhin.

Des ateliers de calligraphie

À Haguenau, Diebold Lauber s’illustra, à partir de 1427, en ouvrant un atelier de calligraphie, dans lequel il employait 16 dessinateurs. Il produisit au moins une cinquantaine de manuscrits, des bibles historiées aux chansons de geste ; beaucoup de titres sont connus par les réclames qu’il insérait dans ses publications. Dans son atelier, il formait des illustrateurs, parmi lesquels un Diebolt de Dachstein, mais surtout Hans Schilling, auteur, entre autres, d’une Chronique universelle de 50 000 vers, rehaussée de 516 illustrations et de nombreuses initiales, conservée à Colmar (Ms. 305).

Des imprimés enluminés

Dans bon nombre d’incunables, les imprimeurs ont laissé en blanc l’espace réservé aux initiales, que les artistes de l’époque ont continué à enluminer et à décorer à la feuille d’or ; on les chargeait parfois de colorier les images xylographiées ou les bois gravés, notamment des missels et des bibles, ainsi que des ouvrages profanes comme la Weltchronik de Hartmann Schedel (Nuremberg, 1493).

Des réalisations tardives

Il reste à signaler des œuvres profanes d’une tout autre veine, comme le Livre des Ammeister de Strasbourg (1334-1720) au Musée historique, le Livre d’or de la corporation des tailleurs de Strasbourg (1598-1720) (Bibl. humaniste de Sélestat), ainsi que les livres d’amitié.

Bibliographie

ENGELHARDT (Christian Moritz), Herrad von Landsberg, Aebtissin zu Hohenburg, oder St-Odilien im Elsaß und ihr Werk: Hortus deliciarum, Stuttgart u. Tübingen, 1818.

STRAUB (Alexandre), KELLER (Gustave), Herrade de Landsberg, Hortus deliciarum, Strasbourg, 1879-1899.

HANAUER (Auguste), « Diebold Lauber et les calligraphes de Haguenau », RCA, 1895, p. 411-427, 481-576.

KAUTSCH (Rudolf), Diebolt Lauber und seine Werkstatt in Hagenau, Leipzig, 1895.

BACHOFFNER (Pierre), « Un calendrier enluminé de 1154. Le Guta-Sintram de Strasbourg et sa place dans l’histoire du médicament »,Revue d’Histoire de la Pharmacie n°179, décembre 1963, p. 181-183, XXII pl. en couleur.

GREEN (Rosalie), « Herrad of Hohenburg Hortus deliciarum », Studies of the Wartburg Institute, vol. 36, 1 et 2, Londres, Leyde, 1979.

TRABAND (Gérard), « Diebold Louber, schriber zu hagenowe », Études haguenoviennes, 1982, p. 51-92.

CAMES (Gérard), « Le codex Guta-Sintramdans l’enluminure augustine à l’époque romane », WEIS (Béatrice), Le Codex Guta-Sintram, Lucerne 1983, p. 15-29.

CAMES (Gérard), « Diebold Lauber (Louber) », NDBA, vol. 23, p. 2231.

CAMES (Gérard), Dix siècles d’enluminure en Alsace, Strasbourg, 1989, avec bibliographie exhaustive.

FASBENDER (Christoph), Aus der Werkstatt Diebold Laubers, Berlin, 2012.

Louis Schlaefli

L’imagerie et la gravure d’illustration en Alsace de la fin du Moyen Âge à l’Époque moderne. Les gravures sur cuivre du XVe siècle

Devant l’ampleur démesurée d’un panorama des « images » en Alsace, même en le restreignant aux arts graphiques, il nous semble devoir se limiter à une période-phare, allant des dernières années du XVe siècle aux années 1540, qui est l’âge d’or de la gravure d’illustration en Alsace.

Citons cependant deux graveurs du XVe siècle actifs en Alsace, le Maître E. S. (actif à Strasbourg vers 1450 - vers 1467) et Martin Schongauer (vers 1450-1491) à Colmar, dont les œuvres, surtout celle du second, ont eu une diffusion européenne, repérable du Portugal à la Baltique. Contrairement aux illustrations de livres qui suivront, il s’agit de gravures sur cuivre, qui ont dû assez vite devenir des objets de collection. La thématique est certes religieuse en majorité, mais on y trouve déjà de nombreux sujets profanes : jardins d’amour, satires, têtes typiques, cartes à jouer, motifs décoratifs. Le public devait être assez diversifié, nobles et bourgeois, dans la mesure où la taille et la qualité différentes des gravures montrent qu’il devait y avoir une certaine diversité des prix ; on peut le constater, par exemple, par trois gravures constituant sans doute le premier exemple évident des « souvenirs de voyage » illustrés : en effet, le maître E. S. a réalisé en 1466 pour le 500anniversaire de la consécration légendaire par les anges d’une chapelle d’Einsiedeln (Schwytz), but d’un pèlerinage célèbre au Moyen Âge, trois gravures de format et de complexité différents représentant la Vierge dans un édifice gothique, entourée d’un nombre de personnages de plus en plus important. Ces images pieuses pouvaient donc être achetées comme souvenirs, selon les moyens de chacun.

La fin du XVe siècle, l’imprimerie et l’illustration de livres

Les illustrations de livres, à partir des années 1470, représentent un saut quantitatif énorme dans la production d’images. Celles produites à Strasbourg se taillent la part du lion (on estime à quelques 10 000 bois gravés la production strasbourgeoise entre 1472 et 1520), même s’il y a eu un certain nombre d’images imprimées à Haguenau et, très peu, à Colmar.

Comme dans les autres grands centres du livre illustré du domaine germanophone, Nuremberg, Augsbourg, Cologne ou Bâle, il s’agit uniquement de gravures sur bois, plus rapides à confectionner et moins coûteuses, même si les gravures sur cuivre de Dürer, de Schongauer ou du Maître E. S. ont souvent servi de modèles, comme cela a été également le cas des gravures italiennes pour ce qui concerne les débuts des bordures et encadrements ornementaux d’inspiration Renaissance, qui apparaissent à Strasbourg au début du siècle, suivant l’exemple de Bâle et d’Augsbourg.

Dessinateurs et graveurs

En tout cas, à partir de 1490, la production se diversifie sous l’impulsion de nouveaux imprimeurs, au premier rang desquels Johann Grüninger, lui-même grand plagiaire, qui regroupent sans doute dans leur atelier des spécialistes formés à cette technique encore assez neuve, même s’il est souvent difficile de différencier, le cas échéant, le dessinateur-concepteur (Zeichner ou Visierer) et le graveur (Holzschneider), les deux se confondant sans doute assez souvent dans les débuts.

Les « cycles » gravés

De grands cycles gravés sont mis en place pour des ouvrages religieux (Bible, vie des saints), historiques (Tite-Live, César), des écrivains latins (Térence, Virgile)… Pour faire des économies et donner l’impression d’une foule d’images différentes, les imprimeurs strasbourgeois eurent l’idée de combiner des bois, c’est-à-dire de juxtaposer entre eux des fragments de bois différents, de façon, par exemple, qu’un même interlocuteur puisse s’adresser à des personnes différentes. Dans le premier exemple connu, le Plenarium publié par Anshelm en 1488, l’image se compose de deux fragments de taille à peu près équivalente : celui de droite, toujours le même, représente le Christ et trois disciples et celui de gauche, à chaque fois autre, présente des personnages différents, avec lesquels Jésus « dialogue ».

Grüninger

Cette idée de dialogue est systématisée par Grüninger dans son édition des Comédies de Térence : en règle générale, chaque image se compose de deux fragments représentant une ville ou un paysage schématisés et, au milieu, de deux ou plusieurs personnages dialoguant, caractérisés par leur nom inscrit dans un phylactère au-dessus d’eux ; on peut donc arriver à la juxtaposition de cinq ou six fragments qui composent ainsi une scène à chaque fois différente. Le succès de cette technique a été visiblement assez important, puisqu’elle perdurera jusqu’à la fin de la deuxième décennie du XVIe siècle, pour décliner assez rapidement ensuite ; est-ce parce que le public, habitué désormais à ce type de mise en scène, avait progressivement des exigences esthétiques plus grandes ?

Pages de titre et décors

La page de titre des livres, habituellement ornée d’une image qui doit d’emblée annoncer le thème de l’ouvrage, commence aux alentours de 1510 à s’orner d’un encadrement complet ou de bordures ornementales à motifs géométriques, d’arabesques ou de grotesques (feuillages, fleurs, têtes barbues, etc.), inspirées de motifs de la Renaissance italienne, mais qui se souviennent aussi des enluminures décoratives. Ces décors très généraux permettaient aux imprimeurs de les utiliser pour des ouvrages de contenus très différents. Mais un peu plus tard, à peu près en même temps que Holbein à Bâle, Hans Baldung Grien et Hans Wechtlin vont créer des encadrements figuratifs plus inventifs, où ces motifs se combinent à des scènes précises : Apparition de la Vierge à saint Jean 'à Patmos, Baldung, 1513 ; L’empereur Maximilien sur son trône, Baldung, 1514…, ce qui n’empêchera nullement les imprimeurs de continuer à en orner les ouvrages les plus divers. Les deux premières occurrences du premier encadrement cité constituent la page de titre d’œuvres de Térence, puis les Bucoliques de Virgile !

Les genres de gravures

Pourtant, au fil du temps, on note parfois une plus grande adéquation de l’image au contenu : des « portraits » de médecins célèbres de l’Antiquité orneront un traité médical, des dieux et héros grecs et romains un texte latin. Mais du même Baldung, un encadrement présentant la Messe de saint Grégoire avec le Christ de Pitié et la Vierge de Douleurs en bordures latérales, créé en 1519 pour un traité sur la messe, servira au même imprimeur, Johann Schott, devenu peu de temps après un des plus chauds partisans de la Réforme, à illustrer en 1524 un traité théologique de son ami Otto Brunfels, lui aussi un des acteurs principaux du mouvement à Strasbourg, puis une édition de douze sermons de Luther. Comme il était question dans les deux publications du Christ et de la Vierge, Schott a dû se dire que l’image était recyclable, pensant que les acheteurs « oublieraient » que la Messe de saint Grégoire était une légende légitimant la transsubstantiation !

Marques d’imprimeurs

On assiste également au développement rapide des marques d’imprimeurs, situées en page de titre ou, plus souvent, en fin du livre : du cartouche, puis de l’écu portant le monogramme de l’imprimeur, on aboutit à des représentations de plus en plus élaborées, de petites scènes à déchiffrer typiques de l’humanisme, parfois accompagnées de devises, et qui jouent souvent sur le patronyme de l’imprimeur (un écu frappé d’une gousse d’ail pour Knobloch, des têtes d’angelots ou une pierre angulaire, jouant sur le double sens de Köpfel, un ours et des abeilles pour Biener, alias Apiarius).

Types de contenus et fonctions

Il faut souligner la remarquable diversité des contenus et des fonctions de ces images, qui annonce déjà la surabondance actuelle, même si on est évidemment loin du compte à l’époque. En effet, si l’image religieuse est largement prédominante jusque vers 1510, d’autres genres apparaissent, comme dans la peinture : images narratives pour des ouvrages profanes, œuvres littéraires, pièces de théâtre (la page de titre des Comédies de Térence éditées par Grüninger en 1496 s’ordonne autour d’une construction gothique flamboyante d’une brillante complexité), œuvres historiques ou se voulant telles…, images satiriques, sur lesquelles on reviendra plus loin, vues de villes, souvent fort approximatives, mais dont un bel exemple est celle de Strasbourg protégée par la Vierge à l’Enfant en pleine page du Heiligenleben de Brant édité en 1502 par Grüninger. En revanche, on ne peut guère parler encore de paysages, car il s’agit d’éléments de nature juxtaposés : montagne, fleuve, arbres, constructions.

Anatomie et botanique

Il y a aussi de nombreuses représentations d’anatomies humaines, d’animaux et de plantes, fort inexactes au début du XVIsiècle encore, mais qui vont connaître un bond qualitatif important à partir de 1530 : il suffit de mentionner les illustrations de plantes dues à Hans Weiditz qui apparaissent dans un ouvrage d’Otto Brunfels, les Herbarum vivae eicones (J. Schott, 1530), qui sont un des fondements de la botanique moderne, ou les Anatomie féminine (1538) et Anatomie masculine (1539), dues à Heinrich Vogtherr l’Ancien et éditées par lui-même, réputées être les plus anciennes anatomies à rabats connues. On ne peut d’ailleurs qu’être étonné de la rapidité du changement dans ces domaines en l’espace de quinze ou vingt ans (cela se vérifie également à Bâle ou à Zurich). Images et textes témoignent véritablement des débuts des sciences naturelles modernes, fussent-ils souvent approximatifs.

Portraits

Mentionnons aussi la vogue des portraits, souvent imaginaires là encore, mais on verra apparaître, surtout à partir des années 1520, des portraits « d’après nature », c’est-à-dire inspirés de peintures ou d’autres gravures plus ou moins exactes de quelques personnages célèbres du temps : l’empereur Maximilien, le jeune Charles-Quint, Ulrich von Hutten et surtout Luther, dont les effigies gravées par Cranach vont inspirer les artistes strasbourgeois, au premier rang desquels Hans Baldung, qui le représente en inspiré du Saint-Esprit. En revanche, il n’existe pratiquement pas de portraits gravés des réformateurs strasbourgeois de leur vivant, comme c’est d’ailleurs aussi le cas pour leurs homologues suisses et sud-allemands, en accord avec leur méfiance vis-à-vis des risques d’adoration des images.

La Réforme et l’illustration biblique

Le début des années 1520 marque une forte césure dans l’illustration strasbourgeoise ; en effet, les nouvelles conceptions réformatrices engendrent d’abord une forte demande de textes : les œuvres de Luther et des autres futurs réformateurs, ainsi que les pamphlets sont peu illustrés, l’écrit étant primordial. Mais, même si la lecture à haute voix se développe à l’usage des illettrés, les imprimeurs vont tout de même assez rapidement adjoindre à ces écrits de combat des images de titre destinées à en synthétiser le contenu ou à mettre en valeur le héros du jour, Luther en l’occurrence. Surtout, dès 1524, année décisive pour le succès de la Réforme à Strasbourg, deux genres vont se développer, l’illustration biblique et l’encadrement de titre historié, grâce principalement à deux artistes, Hans Weiditz et Heinrich Vogtherr. Le premier genre n’est certes pas nouveau, mais les traductions bibliques en allemand, celles de Luther au premier chef, vont engendrer une nouvelle demande. Si, dans les premières années, il s’agira surtout de copies d’images issues des imprimeries de Wittenberg ou de Bâle, notamment les illustrations de Holbein pour l’Apocalypse, deux séries nouvelles, le Nouveau Testament harmonisé, paru chez Grüninger en 1527, et la Bible éditée en 1530 par Köpfel, n’existent nulle part ailleurs sous cette forme.

Le premier ouvrage en format folio est abondamment illustré d’images en pleine page dues à Vogtherr et son atelier et relatant à l’aide de nombreux petits personnages les épisodes de la vie du Christ et les Actes des Apôtres, chaque page regroupant plusieurs actions différentes en suivant les chapitres des Évangiles et des Actes. Les épîtres sont aussi résumées en images, où on repère des attaques anticatholiques, ce qui ne manque pas de sel, Grüninger étant le seul imprimeur strasbourgeois resté catholique. Quant à la Bible éditée par Köpfel et là aussi illustrée par Vogtherr, elle regroupe de très nombreuses vignettes concernant presque uniquement l’Ancien Testament et surtout des épisodes rarement ou jamais illustrés. Ces petites images témoignent d’un sens narratif efficace, d’un humour souvent présent et d’une esthétique dépouillée, mais aussi influencée par le maniérisme naissant.

En ce qui concerne l’encadrement historié, même s’il y a des exemples antérieurs, il va trouver en Weiditz son plus remarquable créateur, dans les années 1524-1530 en particulier. Quel que soit le format, l’artiste en fait un petit tableau (Combat des Israélites contre les Amalécites) ou, mieux encore, réussit à composer une suite narrative et/ou symbolique en plaçant des personnages à différents endroits de la feuille (Sacrifice d’Élie et des prêtres de Baal). Même quand il s’agit de quatre bordures indépendantes, elles ont une cohérence interne, les fréquentes allusions antipapistes mettant à l’inverse en valeur le message christique. Il en va de même pour des encadrements à thématique mythologique ou naturaliste.

Naissance du journal illustré, feuilles volantes et placards

Dans les années 1530-1540, la production d’images se ralentit quelque peu, même s’il y a encore des cycles bibliques et surtout des illustrations scientifiques comme indiqué plus haut. Mais de nombreux imprimeurs se contentent de reprendre des images antérieures pour des ouvrages peu illustrés en général, d’autant que la production polémique est nettement moindre, vu le contexte d’une paix interconfessionnelle précaire, mais réelle. En tout cas, la période 1550-1570 est assez pauvre en images à Strasbourg ; il faudra attendre l’installation de Stimmer à Strasbourg en 1570 pour voir s’ouvrir une nouvelle période visuelle féconde. À ce propos, il faut dire quelques mots d’un genre encore assez rare dans la période considérée plus haut, mais qui va, à Strasbourg comme ailleurs, prendre une importance croissante dans la seconde partie du XVIe siècle. Il s’agit de la Newe Zeitung, ancêtre du journal illustré qui représente une nouvelle source d’information, encore que celle-ci soit souvent d’une exactitude des plus douteuses, s’agissant souvent de naissances de veaux à cinq pattes, de curiosités de la nature, mais parfois aussi d’un événement politique ou d’une parabole anticatholique, spécialité du tandem Stimmer et Fischart. En tout cas, cette feuille volante, puisque c’est de cela dont il s’agit, comporte presque toujours une image, censée représenter l’événement en question. On retrouvera ces feuilles polémiques en nombre pendant la guerre de Trente Ans, puis à l’Époque révolutionnaire.

Bibliographie

KRISTELLER (Paul), Die Strassburger Bücher-Illustration im 15. und im Anfang des 16. Jahrhunderts, Leipzig, 1888.

RITTER (François), Histoire de l’imprimerie alsacienne aux 15e et 16e siècles, Strasbourg et Paris, 1955.

DENTINGER (Jean), Bilder zu Geschichten. Die grosse Zeit der Illustration in Strassburg, usw…, Mundolsheim et Bâle, 1989 (en partie bilingue).

DUPEUX (Cécile), L’imaginaire strasbourgeois. La gravure dans l’édition strasbourgeoise 1470-1520, Strasbourg, 1989.

MULLER (Frank), Images polémiques, images dissidentes. Art et Réforme à Strasbourg (1520-vers 1550), Baden-Baden, 2017.

Frank Muller

La production de gravures aux XVIIe et XVIIIe siècles et leur fonction

La gravure au service du roi et du Magistrat

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, Strasbourg est le théâtre de grandes fêtes à l’occasion des temps forts de la vie des monarques et par conséquent du royaume : naissances des héritiers de la Couronne, mariages princiers et grandes victoires militaires. La ville constitue également la première place forte en cas de conflit à l’est : les deux visites des souverains s’inscrivent dans un contexte militaire. Les fêtes que suscitent ces événements sont transcrites en textes et en images. Cette célébration de l’éphémère apparaît dans la seconde moitié du XVe siècle avec l’invention de l’imprimerie. Les premiers récits prennent alors la forme de livrets souvent agrémentés de gravures.

C’est sous le règne de Louis XIV que se développe une importante production de publications commémorant de grands événements. Les gravures publiées à cette occasion participent à la politique de prestige du Roi. Sous le règne de Louis XV, les Menus-Plaisirs, une branche de la Maison du Roi chargée de la préparation des cérémonies, fêtes et spectacles de la cour, poursuivent la politique de commande de livres luxueux, souvent de grand format. Les années 1740 et 1750 sont particulièrement des périodes riches en fêtes, donc en publications prestigieuses : le mariage du fils aîné de Louis XIV, le dauphin, les célébrations des victoires du Roi constituent autant d’occasions de commandes à des artistes de renom de grandes planches rassemblées dans un livre richement relié. Mais Versailles ne concentre pas l’essentiel de la création artistique de l’époque relative aux fêtes du royaume. Les grandes villes, Paris bien sûr, mais aussi Strasbourg participent à ces réalisations.

Les grands événements relatés en images

Par son rattachement au Royaume de France en 1681, Strasbourg devient la porte du Royaume face à l’Empire, une situation idéale pour voir défiler les têtes couronnées venues en visite du Nord et de l’Est de l’Europe. Les livres de fêtes, comme les gravures présentant les entrées des souverains, deviennent le moyen de glorifier le Roi, mais aussi de mettre en scène, en s’appuyant sur un protocole soigneusement étudié, le Magistrat, le préteur royal, les corps constitués, mais aussi l’évêque, surtout lorsqu’il s’agit des cardinaux de Rohan. Mais ils servent également à célébrer et à montrer la ville française. Ces démonstrations immortalisées par les gravures contribuent au renom de la Ville et, pour certains dignitaires ou membres des instances urbaines figurant sur ces représentations, peuvent se rappeler au bon souvenir du roi et favoriser ainsi une carrière politique.

La première entrée de ce type, qui servit de modèle aux suivantes, est celle de la princesse Marie-Christine Victoire de Bavière destinée à épouser le fils de Louis XIV, le dauphin Louis, qui ne régnera pas ; l’événement se déroule les 10 et 11 octobre 1680, un an avant que ne soit signé l’Acte de Capitulation de la Ville. Dans ce contexte, l’entrée solennelle de Louis XIV, le 20 octobre 1681, vise à magnifier le Roi, chef de guerre. Dès son arrivée dans Strasbourg, il descend de son carrosse, monte à cheval et sort de la ville pour inspecter les 264 canons et 17 mortiers qui avaient tiré trois salves en son honneur. Puis il visite l’emplacement de la future citadelle dessinée par Vauban.

Le troisième grand événement est constitué par le mariage par procuration du jeune Louis XV et de Maria Leszczynska qui eut lieu le 15 août 1725 à Strasbourg. Il fit l’objet de nombreux cortèges, entrées de rois, ducs et princes, le tout au milieu d’un déploiement de régiments et de rassemblements de gentilshommes. Il eut pour cadre, la place du Marché aux Herbes (Place Gutenberg), la Place d’Armes, le parvis de la cathédrale et les bords de l’Ill, face au Palais des Rohan d’où fut tiré le feu d’artifice. Les graveurs eurent le souci de mettre en valeur S. M. Royale, les princes et princesses, mais aussi les édifices strasbourgeois, surtout ceux de style français. Il s’agissait également pour eux de faire figurer la foule sur les gravures. La relation officielle des fêtes fait mention de 30 000 étrangers présents à Strasbourg pour les festivités, alors que la ville ne comptait alors que 35 600 habitants. Ces récits illustrés sont destinés à célébrer Strasbourg devenue pour ces instants éphémères une capitale européenne.

Un protocole identique se déroule pour la réception de la dauphine Marie-Josèphe de Saxe. Elle est la fille d’Auguste III, roi de Pologne et électeur de Saxe, et de Marie-Josèphe d’Autriche, et est destinée à épouser le fils aîné de Louis XV et de Maria Leczinska, le dauphin Louis Ferdinand. Son époux ne régnera pas, mais elle est la mère de trois rois, Louis XVI, Louis XVIII et Charles X. Les festivités qui s’étaleront sur deux jours sont marquées par un incident. Le 10 octobre, la dauphine entend les harangues de la noblesse et des universités. Au nom de l’université luthérienne, Jean-Daniel Schoepflin prononce la harangue et s’empresse de faire imprimer dès le lendemain, ce qui lui vaut un rappel à l’ordre de la ville, car il n’a pas soumis son compliment, le texte oral et écrit, à la censure du chancelier et des scolarques.

La représentation des fêtes données par la ville en 1744

Ce genre de récit illustré par des gravures culmine avec la représentation des fêtes données à Strasbourg à l’occasion de la convalescence de Louis XV en 1744. Celles-ci donnent lieu à la publication du Livre de fête de Jean-Martin Weiss, une des publications les plus illustres du XVIIIe siècle. Elle relate l’entrée royale à Strasbourg qui s’est déroulée le 5 octobre 1744 et les cinq jours de fête qui ont suivi. En effet, du 5 au 10 octobre 1744, les festivités se succèdent pour célébrer l’arrivée du Roi qui a failli mourir deux mois plus tôt devant Metz, emporté par les fièvres. Pour financer la publication de l’ouvrage, la ville ne lésine pas sur les moyens et débloque la somme considérable de 62 595 livres, en partie avancée par le préteur royal Klinglin, dont l’opération accélérera la chute, sachant que le montant annuel de l’impôt direct levé par la ville s’élève à 80 000 livres.

Pour réaliser le livre, la ville fait appel à Jean-Martin Weiss, né en 1711 en Alsace et formé à Paris dans l’atelier de N. J.-B. de Poilly. Il retourne à Strasbourg en 1737 à Strasbourg où il s’inscrit successivement dans la corporation des Drapiers, puis dans celle de l’Échasse. Le Magistrat avait apprécié son talent à l’occasion de la commande de gravures relatives au feu d’artifice tiré sur l’Ill en l’honneur du mariage de Madame Première avec l’Infant d’Espagne et qui furent réalisées en 1739. Weiss travailla durant trois ans à l’illustration de ce livre. Les dessins sont de la main de Weiss, mais les gravures et le texte, lui aussi gravé, sont de Wille, du graveur Le Parmentier, originaire de Francfort-sur-Main, ainsi que de Le Bas, un des graveurs les plus célèbres du XVIIIe siècle, car son atelier parisien a le monopole des commandes royales. Mais Weiss n’hésite pas à retoucher le travail de Le Bas et garde la haute main sur l’ensemble. Les graveurs, surveillés par le Magistrat, veillent surtout à ne pas représenter celui-ci, genou en terre au moment où il présente son compliment au Roi, geste humiliant que le protocole avait voulu éviter, mais sans y parvenir, pour éviter de ravaler Strasbourg au même rang que les autres villes du Royaume, soumises à ce rite. Strasbourg tint à conserver sa singularité.

Le tirage de La Relation des fêtes est fixé par le Magistrat à 2 000 exemplaires, un tirage exceptionnel pour le XVIIIe siècle. La Relation des fêtes est offerte à S. M. par le préteur royal le 24 avril 1748 à Versailles au nom du Magistrat de la ville. Celui-ci en offre de nombreux exemplaires à la famille royale, aux ministres, ainsi qu’aux officiers de la Maison du Roi. Une partie est même mise en vente chez différents marchands français et étrangers. Mais tous les tirages ne trouvèrent preneurs, ce qui causa une grande déception. L’œuvre réalisée par la ville de Strasbourg est remarquable par la qualité de l’ensemble : tout est mis en œuvre pour faire de cet ouvrage une publication exceptionnelle à la gloire de Strasbourg. Elle constitue une vitrine extraordinaire de la richesse de la ville, de la splendeur de ses monuments, ainsi que de la magnificence des festivités. Elle contribue ainsi à propager dans le royaume de France une image favorable de la cité.

Bibliographie

AMS : séries AA 1937, 1938, 1944, 1950, 2506 ; BRB 1584, 1616 ; GF 106.

Cabinet des estampes de Strasbourg et Kunstgewerbe-Museum de Berlin : Représentation des fêtes données par la ville de Strasbourg pour la convalescence du Roi en 1744 (exemplaire de luxe en maroquin bleu marqué de A. M. Pasdeloup).

Au Cabinet des estampes : Représentation du feu d’artifice tiré le 27.9.1739 sur la rivière de l’Ill… à l’occasion du mariage de Madame.

Représentation du catafalque dessiné à l’occasion des funérailles de Maurice de Saxe dans l’Église Neuve à Strasbourg, le 8.2.1751.

LIVET (Georges), « Institutions, traditions, sociétés », LIVET (Georges), RAPP (Francis), Histoire de Strasbourg (1980-82), tome III, p. 326-331.

LOTZ (François), Artistes peintres alsaciens décédés avant 1800, Strasbourg, 1994.

MANGIN (Jacqueline), L’entrée royale de Louis XV à Strasbourg. Le livre et les festivités. Mémoire de maîtrise, Université de Haute Alsace, 2003.

HELLER (Sophie), « La Relation des fêtes offerte à Louis XV, chef d’œuvre de Jean-Martin Weis », Quand Strasbourg recevait Rois et Princes. Archives de la Ville de Strasbourg, 2011.

PERRY (Laurence), « Les entrées à l’époque moderne », Quand Strasbourg recevait Rois et Princes. Archives de la Ville de Strasbourg, 2011.

Images du Grand Siècle. L’estampe française au temps de Louis XIV (1660-1715), BNF, Paris, 2015.

François Uberfill

Notices connexes

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