Habitat disparu : Différence entre versions

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Village disparu, Wüstung &nbsp; <p style="text-align: justify;">Constructions permanentes, portion de village ou village complet, ayant formé ou ayant été rattachés à une paroisse et ayant eu un lien de dépendance avec un seigneur. Ces constructions ont disparu entre le XII<sup>e</sup> et le XVIII<sup>e</sup>&nbsp;siècle pour de multiples causes. La question de l’habitat disparu constitue un sujet majeur de l’historiographie alsacienne du Moyen Âge et des Temps modernes, dont l’étude requiert le recours à de nombreuses disciplines. En faisant le point en&nbsp;1965 sur les désertions rurales en France, E. Le Roy Ladurie et Jean-Marie Pesez constataient que l’Alsace était sans nul doute la province où les villages disparus avaient suscité le plus de recherches et de publications. Leur rythme ne s’est pas ralenti depuis cette date. Le phénomène des ''Wüstungen'', plus répandu dans le monde germanique qu’en France, a surtout touché les régions rhénanes, pays de Bade, Wurtemberg, Palatinat et Hesse.</p> <p style="text-align: justify;">Les historiens se sont d’abord attachés à dresser la liste des villages désertés, à mesurer l’importance comparée des habitats disparus, puis à en établir une répartition régionale, enfin, et cela constituait la démarche la plus hasardeuse, à essayer de dater ces disparitions. Un constat s’impose&nbsp;: au fur et à mesure de la progression de la recherche, la liste des désertions s’est allongée. Dans le passé, historiens, mais aussi érudits locaux ont multiplié à plaisir le nombre des villages disparus, en prenant trop souvent appui sur la tradition populaire. Ils ont ainsi participé à la déformation des esprits en publiant des travaux qui ont alimenté la légende d’un pays à demi déserté du fait des guerres, mettant notamment en exergue les dévastations liées à la guerre de Trente Ans. Les drames vécus par les populations semblent avoir marqué de façon traumatisante la mémoire collective et les récits des horreurs transmis au cours des veillées ont contribué à amplifier les effets, entretenant les passions et les conflits entre villages. Il est symptomatique de relever que, jusque dans les années&nbsp;1970, on a élevé des calvaires et des monuments en souvenir des villages désertés (M.&nbsp;Grodwohl).</p> <p style="text-align: justify;">Le chanoine Alexandre Straub a fait œuvre de précurseur en présentant à la séance du 28/06/1887 de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace dont il était le président une liste de 256&nbsp;villages et localités entièrement disparus entre le XIIe et le XVIIIe&nbsp; siècle. Celle-ci contenait les noms et dates des implantations, la situation des localités, l’époque et la cause de leur disparition, les vestiges ou les monuments qui indiquaient leur emplacement. Ce travail était le fruit de recherches d’archives, de relevés archéologiques menés avec l’archéologue G.&nbsp;Stoffel et de la reprise de récits anciens. A.&nbsp;Straub avait entrepris ce travail à l’instigation du grand érudit allemand, Julius Euting, professeur à la ''Kaiser-Wilhelms-Universität ''et bibliothécaire de la ''Kaiserliche Universitäts- und Landesbibliotek''. À la demande de la Société pour la conservation des monuments historiques, son travail fut publié dans les deux&nbsp;langues, compte tenu de sa nouveauté.</p> <p style="text-align: justify;">Dans les années qui ont précédé la Grande Guerre, L. G. Werner a repris le flambeau. Ses études se limitaient à la Haute-Alsace. Il a utilisé la carte de Specklin (1576) qui fut établie à l’époque où existaient encore quelques localités disparues aujourd’hui. Il exploita également les données fournies par les collections des plans agraires de&nbsp;1760, une source de tout premier ordre. Mais il s’est montré très perméable aux récits et aux légendes qu’il a pu recueillir et a surestimé les dévastations de la guerre de Trente Ans. Il a ainsi dénombré 203&nbsp; ensembles de constructions et de localités situées surtout dans le Sundgau. La liste de F.&nbsp; Langenbeck, publiée en&nbsp; 1931, comprend pour l’Alsace 149&nbsp; «&nbsp;''Wüstungen'' bien établies&nbsp; » et 110 autres qualifiées de «&nbsp;douteuses&nbsp;».</p> <p style="text-align: justify;">En entreprenant ses recherches sur la Basse-Alsace dans les années&nbsp; 1960-75, André Humm prend comme point de départ les thèses de W.&nbsp;Abel qui font alors autorité en Allemagne et il va, en partie, les remettre en cause. L’attention portée au cadastre, à la configuration des terroirs, aux convergences des chemins, aux démarches de la topographie archéologique, enfin aux causes des disparitions (phénomènes ponctuels, tels les catastrophes naturelles, la fermeture des mines&nbsp;; phénomène de plus grande envergure, comme la guerre permanente jouant dans un contexte de dépression démographique) aboutit à allonger la liste des habitats disparus. Mais à y regarder de plus près, on constate que sur 311&nbsp;''Wüstungen'', 82 seulement –&nbsp;le chiffre est d’ailleurs suffisamment important&nbsp;– méritent vraiment le nom de village.</p> <p style="text-align: justify;">Les dates de disparition sont rarement connues. Le processus s’étend sur une longue période et on en discerne difficilement le début. Il existe un décalage variable entre la dernière mention du village et la première indication de sa ruine. Cet intervalle peut s’étendre jusqu’à un siècle. Les historiens ont souvent confondu le village avec la paroisse ou la cour colongère qui porte son nom. Par contre, la ruine de l’église et la suppression de la paroisse sont une preuve avérée.</p> <p style="text-align: justify;">A. Humm a tenté, avec de grandes précautions, une datation par périodes. D’après les dernières mentions des villages et des indices probants de leur disparition, il arrive à dater la désertion d’environ 60% des localités (116&nbsp;disparitions probables sont considérées comme «&nbsp;disparues à une époque inconnue&nbsp; »). Sur les 218&nbsp;cas datés, seuls 8% remonteraient aux XIIe-XIIIe&nbsp;siècles, environ 60% aux XIVe-XVe&nbsp;siècles, 30% seulement à l’époque moderne. Il ressort clairement que la période des XIVe-XVe&nbsp; siècles constitue le point culminant des désertions des lieux habités (tableau dans A.&nbsp;Humm, p.&nbsp;23).</p> <p style="text-align: justify;">Les différences de région à région sont finalement peu sensibles&nbsp;: 40% des localités disparues sont situées au pied de la&nbsp; montagne&nbsp;; dans le Kochersberg, il y a opposition entre le nord, l’est et le reste du pays&nbsp;; peu de désertions dans le Ried, sauf dans les régions à l’est de Sélestat&nbsp;; moindre résistance des villages secondaires. L’étude jette un doute sur un point de la thèse de W.&nbsp;Abel, sur la sélection des terroirs qui devait toucher en premier les zones de sol pauvre. L’intérêt de l’étude est également de montrer –&nbsp;les travaux de Straub l’avaient déjà fait apparaître&nbsp;– le faible nombre de localités dont la disparition peut être portée au passif de la guerre de Trente&nbsp;Ans.</p> <p style="text-align: justify;">S’inscrivant dans une démarche identique à celle d’A.&nbsp;Humm, mais en insistant sur la mobilité de la maison alsacienne en bois, montée et démontée à volonté, Marc Grodwohl constate que l’on dispose à présent (1972) d’une documentation abondante, mais que les historiens n’ont jamais pu réaliser une étude d’ensemble. Les sciences auxiliaires, dont on attendait beaucoup, fournissent des renseignements aléatoires, voire fallacieux. Les cartes (Specklin, cartes d’assemblage du Bas-Rhin), source pourtant essentielle, sont pauvres en renseignements. Les données de l’archéologie ne correspondent pas toujours aux dates des textes, le matériau étant souvent postérieur (tuiles, céramiques). La toponymie peut conduire à des conclusions erronées (Hochkirch, Oberdorf, Kohlacker, Rothacker). La photo aérienne, dans laquelle on avait placé bien des espoirs a certes permis de découvrir des tronçons de routes anciennes, mais son utilisation devient restreinte avec l’augmentation de surfaces bâties. Le recours à la tradition orale et l’appel à des informateurs locaux sont souvent peu fiables. Mais c’est la recherche de la datation qui constitue un chemin parsemé d’embûches. Il y a d’abord lieu de distinguer entre les disparitions temporaires et les disparitions définitives. Il peut en effet se passer un long moment entre l’apparition de signes de relative faiblesse économique dans certains villages, lorsque l’on constate qu’ils n’acquittent plus que de faibles redevances et leur disparition (exemples des villages situés à la lisière du vignoble au sud de Mulhouse et de Kembs), alors que ceux implantés au nord de cette ville se repeuplent au XVe&nbsp; siècle). Autres exemples d’abandon progressif&nbsp;: Ruelisbrunn est abandonné peu avant&nbsp;1474&nbsp;; Saint-Léger n’est plus que faiblement peuplé en&nbsp;1448, puis est définitivement déserté en&nbsp;1485. Les deux&nbsp;villages de Modenheim et d’Illzach sont achetés par Mulhouse en&nbsp;1437&nbsp;; mais à Modenheim, il ne restait plus qu’un moulin à cette date. La désertion devait être bien avancée lors de l’achat des deux&nbsp;villages. Il se passe une période longue entre la désertion des habitants, la destruction de l’habitat et le retour à la friche. La désertion se fait souvent en plusieurs étapes&nbsp;: Burnen disparaîtrait à la fin du XIVe&nbsp;siècle, mais en&nbsp;1477, un des sujets de Burnen cherche refuge à Mulhouse et l’église n’est abandonnée qu’en&nbsp;1496. Selon Grodwohl, la moitié des désertions se fait entre&nbsp;1300 et&nbsp;1350. Une seule exception notable, celle de Grand-Huningue qui disparaît entre 1679-80, lorsque les habitants sont déplacés vers une île du Rhin lors de la construction de la forteresse de Huningue et vont fonder Village-Neuf.</p> <p style="text-align: justify;">L’auteur débouche sur des conclusions analogues à celles d’A. Humm concernant les causes des désertions. Il ne faut pas tant rechercher quelle a pu être la cause censée unique de la disparition des habitats, mais tenter de mesurer l’importance relative des différentes causes. Les causes naturelles (mauvaise qualité des sols, site d’implantation des villages défavorable, détérioration du climat) n’ont joué un rôle que pour la période 1350-1550, mais, dans bien des exemples, les causes naturelles mettent un terme à une évolution négative. Les inondations du Rhin n’entrent en compte qu’au bas Moyen Âge. Les épidémies invoquées par la tradition orale ont certes pu entrer en compte, mais elles mettent dans bien des cas un terme à une évolution défavorable. Par contre, la répercussion démographique des mortalités a enclenché un cycle pernicieux&nbsp; : épidémies massives, accroissement du taux de mortalité, phénomène de dénatalité. Les épidémies sont souvent doublées par des disettes et des famines. M.&nbsp;Grodwohl est également amené à prendre ses distances par rapport aux études de M.&nbsp;Barth et de L.&nbsp;G. Werner qui attribuaient à la guerre de Trente Ans la responsabilité d’une grande part des désertions. Au moment oùelles sévissent, la répartition de l’habitat était déjà figée.</p> <p style="text-align: justify;">Enfin, dernier facteur de désertion dans le sud de l’Alsace, mais le cas est unique, le rôle de l’abbaye de Lucelle&nbsp;: l’abbaye constitue de nouvelles granges par l’éviction des paysans. La politique d’absorption des terres est responsable de la disparition d’au moins 10&nbsp; localités, dont 3 dans le Sundgau. Cependant le facteur essentiel de la non-réoccupation de sites de villages désertés est la mainmise des communautés riveraines sur leurs terroirs (Thann, Mulhouse). Il convient toujours de replacer tous ces mécanismes dans la longue durée. Enfin, signalons que les photographies aériennes Lidar (light detection and ranging) disponibles pour le département du Haut-Rhin permettent depuis peu de renouveler le sujet, car elles figurent les plus infimes mouvements de terrain, ce qui permet de localiser non seulement les habitats, mais également leurs territoires, leurs structures agraires quand elles sont fossilisées et le réseau des chemins et des routes.</p>
 
== <span style="font-size:x-large;">Bibliographie</span> ==
 
<p style="text-align: justify;">''Atlas historique d’Alsace, Université de Haute Alsace ''(en ligne).</p> <p style="text-align: justify;">SCHOEPFLIN, ''Als. dipl. ''(1772-75).</p> <p style="text-align: justify;">HORRER, ''Dictionnaire géographique'' (1787).</p> <p style="text-align: justify;">WALLER,''Notice historique'', 1860.</p> <p style="text-align: justify;">STOFFEL, ''Topographisches Wörterbuch des Ober-Elsasses'', Mulhouse, 1876.</p> <p style="text-align: justify;">SCHMIDT (Charles), ''Supplément aux villages disparus en Alsace par Straub'', Strasbourg, 1887.</p> <p style="text-align: justify;">STRAUB (Alexandre), ''Les villages disparus en Alsace'', Strasbourg, 1887.</p> <p style="text-align: justify;">WALTER (L.), ''Un village disparu. Monographie de Biblenheim (avec un appendice sur le chapitre rural de Haut-Haguenau)'', Molsheim, 1890.</p> <p style="text-align: justify;">WERNER (Louis Georges), «&nbsp;Les villages disparus de la Haute Alsace&nbsp;», ''Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse'', avril 1914, p.&nbsp;292-323&nbsp;; oct-déc 1914, p.&nbsp;557-590&nbsp;; janv-juin 1919, p.&nbsp;49-91&nbsp;; juil-oct 1919, p.&nbsp;175-230&nbsp;; février 1921, p.&nbsp;88-126.</p> <p style="text-align: justify;">LANGENBECK (Friedrich), «&nbsp; Die abgegangene Ortschaften&nbsp; », ''Elsaß-Lothringischer Atlas'', Frankfurt/Oder, 1931.</p> <p style="text-align: justify;">EYER (E.), «&nbsp; Beiträge zur Kenntnis der Wüstungen im Unterelsaß&nbsp; », ''Jahrbuch d. elsaß-lothring. Wissenschaftlichen Gesellschaft zu Straßburg'', ''JELWG'', 1935. HERR (E.), «&nbsp;Untergangene Ortschaften in der Umgebung Wasselheim im Elsaß&nbsp;», ''ZGO'', 1942.</p> <p style="text-align: justify;">HIMLY (François Jacques), «&nbsp;Les conséquences de la guerre de Trente Ans dans les campagnes alsaciennes. Problèmes et orientations&nbsp;», ''Deux siècles d’Alsace française'', Strasbourg-Paris, 1948, p.&nbsp;15-60.</p> <p style="text-align: justify;">MOSER (Raymond), ''Les villages disparus des environs de Molsheim'', Diplôme d’études supérieures, Strasbourg, 1953, dact.</p> <p style="text-align: justify;">HIMLY (François Jacques), «&nbsp;Introduction à la toponymie alsacienne&nbsp;», ''RA'', 1955.</p> <p style="text-align: justify;">DUBLED (Henri), «&nbsp;Conséquences économiques et sociales des «&nbsp;mortalités&nbsp;» du XIVe&nbsp;siècle, essentiellement en Alsace&nbsp;», ''Revue d’histoire économique et sociale'', 1959.</p> <p style="text-align: justify;">FUCHS (François-Joseph), «&nbsp;Contribution à l’histoire démographique du Kochersberg (XVe-XVIIe&nbsp; siècle)&nbsp; : disparition d’Ittlenheim&nbsp;», ''SHASE'', 1960.</p> <p style="text-align: justify;">FUCHS (François-Joseph), «&nbsp; Histoire démographique du Kochersberg&nbsp;», ''Pays d’Alsace'', 33, III, IV, 1960/1.</p> <p style="text-align: justify;">HUMM (André), WOLLBRETT (André), «&nbsp;Villages disparus d’Alsace, de la Bruche à la Sarre, des Vosges à la Forêt de Haguenau&nbsp;», ''SHASE'', Cahiers 37-39, 1962.</p> <p style="text-align: justify;">PESEZ ( Jean-Marie) et LE ROY LADURIE (Emmanuel), «&nbsp;Les villages désertés de France&nbsp;: vue d’ensemble&nbsp;», ''AESC'', 1965, p.&nbsp;257-290.</p> <p style="text-align: justify;">RONCAYOLO (Marcel), «&nbsp; Géographie et villages désertés&nbsp;», AESC, 1965. ABEL (Wilhelm), ''Wüstungen in historischer Sicht in Wüstungen in Deutschland'' (éd. W. Abel), Frankfurt/Main, 1967.</p> <p style="text-align: justify;">JAEGER (H.), «&nbsp; Dauernde und temporäre Wüstungen in landeskundlicher Sicht&nbsp; », ''Wüstungen in Deutschland'' (dir. Abel), Frankfurt/Main, 1967.</p> <p style="text-align: justify;">HUMM (André), «&nbsp;Villages et hameaux disparus de Basse Alsace. Contribution à l’histoire de l’habitat rural (XIIeXVIIIe&nbsp;siècle)&nbsp;», ''Publication de la Société savante d’Alsace et des régions de l’Est'', Strasbourg, 1971.</p> <p style="text-align: justify;">STREICHER (Jean-Claude) et BAYER (René), «&nbsp; Eberbach, un village disparu ressuscité par les barons de Fleckenstein&nbsp;», ''Outre-Forêt, revue d’Alsace du nord'', 1973.</p> <p style="text-align: justify;">GRODWOHL (Marc), Les villages disparus dans le Sundgau, Publication de l’association «&nbsp;''Maisons d’Alsace&nbsp;''»,1974.</p> <p style="text-align: justify;">ABEL (Wilhelm), ''Die Wüstungen des ausgehenden Mittelalters. Ein Beitrag zur Siedlungs- und Agrargeschichte Deutschslands'', Stuttgart,1<sup>ère</sup>&nbsp;éd. 1943, 3<sup>e</sup> &nbsp;éd. 1976.</p> <p style="text-align: justify;">BARTH, ''Handbuch'', 1980.</p> <p style="text-align: justify;">QUELQUEGER (Jean-Marie), «&nbsp;Autour du village disparu d’Ittlenheim&nbsp;», ''Kocherschbari'', 1990/2.</p> <p style="text-align: justify;">LAPOINTE (Louis), «&nbsp;Précisions concernant le déclin démographique au Kochersberg résultant de la guerre de Trente ans&nbsp;», ''Kocherschsbari'', 1993/1.</p> <p style="text-align: justify;">BOEHLER, ''Paysannerie'' (1994), t.&nbsp;1, p.&nbsp;167-194.</p> <p style="text-align: justify;">METZ (Bernhard), «&nbsp; Les habitats disparus en Alsace&nbsp; », DRAC Alsace, ''Service régional d’archéologie, bilan scientifique'', Hors série 2/2, 2006.</p>
 
  
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Village disparu, ''Wüstung &nbsp;''
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<p style="text-align: justify">Constructions permanentes, portion de village ou village complet, ayant formé ou ayant été rattachés à une paroisse et ayant eu un lien de dépendance avec un seigneur. Ces constructions ont disparu entre le XII<sup>e</sup> et le XVIII<sup>e</sup>&nbsp;siècle pour de multiples causes. La question de l’habitat disparu constitue un sujet majeur de l’historiographie alsacienne du Moyen Âge et des Temps modernes, dont l’étude requiert le recours à de nombreuses disciplines. En faisant le point en&nbsp;1965 sur les désertions rurales en France, E. Le Roy Ladurie et Jean-Marie Pesez constataient que l’Alsace était sans nul doute la province où les villages disparus avaient suscité le plus de recherches et de publications. Leur rythme ne s’est pas ralenti depuis cette date. Le phénomène des ''Wüstungen'', plus répandu dans le monde germanique qu’en France, a surtout touché les régions rhénanes, pays de Bade, Wurtemberg, Palatinat et Hesse.</p> <p style="text-align: justify">Les historiens se sont d’abord attachés à dresser la liste des villages désertés, à mesurer l’importance comparée des habitats disparus, puis à en établir une répartition régionale, enfin, et cela constituait la démarche la plus hasardeuse, à essayer de dater ces disparitions. Un constat s’impose&nbsp;: au fur et à mesure de la progression de la recherche, la liste des désertions s’est allongée. Dans le passé, historiens, mais aussi érudits locaux ont multiplié à plaisir le nombre des villages disparus, en prenant trop souvent appui sur la tradition populaire. Ils ont ainsi participé à la déformation des esprits en publiant des travaux qui ont alimenté la légende d’un pays à demi déserté du fait des guerres, mettant notamment en exergue les dévastations liées à la guerre de Trente Ans. Les drames vécus par les populations semblent avoir marqué de façon traumatisante la mémoire collective et les récits des horreurs transmis au cours des veillées ont contribué à amplifier les effets, entretenant les passions et les conflits entre villages. Il est symptomatique de relever que, jusque dans les années&nbsp;1970, on a élevé des calvaires et des monuments en souvenir des villages désertés (M.&nbsp;Grodwohl).</p> <p style="text-align: justify">Le chanoine Alexandre Straub a fait œuvre de précurseur en présentant à la séance du 28/06/1887 de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace dont il était le président une liste de 256&nbsp;villages et localités entièrement disparus entre le XIIe et le XVIIIe&nbsp; siècle. Celle-ci contenait les noms et dates des implantations, la situation des localités, l’époque et la cause de leur disparition, les vestiges ou les monuments qui indiquaient leur emplacement. Ce travail était le fruit de recherches d’archives, de relevés archéologiques menés avec l’archéologue G.&nbsp;Stoffel et de la reprise de récits anciens. A.&nbsp;Straub avait entrepris ce travail à l’instigation du grand érudit allemand, Julius Euting, professeur à la ''Kaiser-Wilhelms-Universität ''et bibliothécaire de la ''Kaiserliche Universitäts- und Landesbibliotek''. À la demande de la Société pour la conservation des monuments historiques, son travail fut publié dans les deux&nbsp;langues, compte tenu de sa nouveauté.</p> <p style="text-align: justify">Dans les années qui ont précédé la Grande Guerre, L. G. Werner a repris le flambeau. Ses études se limitaient à la Haute-Alsace. Il a utilisé la carte de Specklin (1576) qui fut établie à l’époque où existaient encore quelques localités disparues aujourd’hui. Il exploita également les données fournies par les collections des plans agraires de&nbsp;1760, une source de tout premier ordre. Mais il s’est montré très perméable aux récits et aux légendes qu’il a pu recueillir et a surestimé les dévastations de la guerre de Trente Ans. Il a ainsi dénombré 203&nbsp; ensembles de constructions et de localités situées surtout dans le Sundgau. La liste de F.&nbsp; Langenbeck, publiée en&nbsp; 1931, comprend pour l’Alsace 149&nbsp; «&nbsp;''Wüstungen'' bien établies&nbsp;&nbsp;» et 110 autres qualifiées de «&nbsp;douteuses&nbsp;».</p> <p style="text-align: justify">En entreprenant ses recherches sur la Basse-Alsace dans les années&nbsp; 1960-75, André Humm prend comme point de départ les thèses de W.&nbsp;Abel qui font alors autorité en Allemagne et il va, en partie, les remettre en cause. L’attention portée au cadastre, à la configuration des terroirs, aux convergences des chemins, aux démarches de la topographie archéologique, enfin aux causes des disparitions (phénomènes ponctuels, tels les catastrophes naturelles, la fermeture des mines&nbsp;; phénomène de plus grande envergure, comme la guerre permanente jouant dans un contexte de dépression démographique) aboutit à allonger la liste des habitats disparus. Mais à y regarder de plus près, on constate que sur 311&nbsp;''Wüstungen'', 82 seulement –&nbsp;le chiffre est d’ailleurs suffisamment important&nbsp;– méritent vraiment le nom de village.</p> <p style="text-align: justify">Les dates de disparition sont rarement connues. Le processus s’étend sur une longue période et on en discerne difficilement le début. Il existe un décalage variable entre la dernière mention du village et la première indication de sa ruine. Cet intervalle peut s’étendre jusqu’à un siècle. Les historiens ont souvent confondu le village avec la paroisse ou la cour colongère qui porte son nom. Par contre, la ruine de l’église et la suppression de la paroisse sont une preuve avérée.</p> <p style="text-align: justify">A. Humm a tenté, avec de grandes précautions, une datation par périodes. D’après les dernières mentions des villages et des indices probants de leur disparition, il arrive à dater la désertion d’environ 60% des localités (116&nbsp;disparitions probables sont considérées comme «&nbsp;disparues à une époque inconnue&nbsp;&nbsp;»). Sur les 218&nbsp;cas datés, seuls 8% remonteraient aux XIIe-XIIIe&nbsp;siècles, environ 60% aux XIVe-XVe&nbsp;siècles, 30% seulement à l’époque moderne. Il ressort clairement que la période des XIVe-XVe&nbsp; siècles constitue le point culminant des désertions des lieux habités (tableau dans A.&nbsp;Humm, p.&nbsp;23).</p> <p style="text-align: justify">Les différences de région à région sont finalement peu sensibles&nbsp;: 40% des localités disparues sont situées au pied de la&nbsp; montagne&nbsp;; dans le Kochersberg, il y a opposition entre le nord, l’est et le reste du pays&nbsp;; peu de désertions dans le Ried, sauf dans les régions à l’est de Sélestat&nbsp;; moindre résistance des villages secondaires. L’étude jette un doute sur un point de la thèse de W.&nbsp;Abel, sur la sélection des terroirs qui devait toucher en premier les zones de sol pauvre. L’intérêt de l’étude est également de montrer –&nbsp;les travaux de Straub l’avaient déjà fait apparaître&nbsp;– le faible nombre de localités dont la disparition peut être portée au passif de la guerre de Trente&nbsp;Ans.</p> <p style="text-align: justify">S’inscrivant dans une démarche identique à celle d’A.&nbsp;Humm, mais en insistant sur la mobilité de la maison alsacienne en bois, montée et démontée à volonté, Marc Grodwohl constate que l’on dispose à présent (1972) d’une documentation abondante, mais que les historiens n’ont jamais pu réaliser une étude d’ensemble. Les sciences auxiliaires, dont on attendait beaucoup, fournissent des renseignements aléatoires, voire fallacieux. Les cartes (Specklin, cartes d’assemblage du Bas-Rhin), source pourtant essentielle, sont pauvres en renseignements. Les données de l’archéologie ne correspondent pas toujours aux dates des textes, le matériau étant souvent postérieur (tuiles, céramiques). La toponymie peut conduire à des conclusions erronées (Hochkirch, Oberdorf, Kohlacker, Rothacker). La photo aérienne, dans laquelle on avait placé bien des espoirs a certes permis de découvrir des tronçons de routes anciennes, mais son utilisation devient restreinte avec l’augmentation de surfaces bâties. Le recours à la tradition orale et l’appel à des informateurs locaux sont souvent peu fiables. Mais c’est la recherche de la datation qui constitue un chemin parsemé d’embûches. Il y a d’abord lieu de distinguer entre les disparitions temporaires et les disparitions définitives. Il peut en effet se passer un long moment entre l’apparition de signes de relative faiblesse économique dans certains villages, lorsque l’on constate qu’ils n’acquittent plus que de faibles redevances et leur disparition (exemples des villages situés à la lisière du vignoble au sud de Mulhouse et de Kembs), alors que ceux implantés au nord de cette ville se repeuplent au XVe&nbsp; siècle). Autres exemples d’abandon progressif&nbsp;: Ruelisbrunn est abandonné peu avant&nbsp;1474&nbsp;; Saint-Léger n’est plus que faiblement peuplé en&nbsp;1448, puis est définitivement déserté en&nbsp;1485. Les deux&nbsp;villages de Modenheim et d’Illzach sont achetés par Mulhouse en&nbsp;1437&nbsp;; mais à Modenheim, il ne restait plus qu’un moulin à cette date. La désertion devait être bien avancée lors de l’achat des deux&nbsp;villages. Il se passe une période longue entre la désertion des habitants, la destruction de l’habitat et le retour à la friche. La désertion se fait souvent en plusieurs étapes&nbsp;: Burnen disparaîtrait à la fin du XIVe&nbsp;siècle, mais en&nbsp;1477, un des sujets de Burnen cherche refuge à Mulhouse et l’église n’est abandonnée qu’en&nbsp;1496. Selon Grodwohl, la moitié des désertions se fait entre&nbsp;1300 et&nbsp;1350. Une seule exception notable, celle de Grand-Huningue qui disparaît entre 1679-80, lorsque les habitants sont déplacés vers une île du Rhin lors de la construction de la forteresse de Huningue et vont fonder Village-Neuf.</p> <p style="text-align: justify">L’auteur débouche sur des conclusions analogues à celles d’A. Humm concernant les causes des désertions. Il ne faut pas tant rechercher quelle a pu être la cause censée unique de la disparition des habitats, mais tenter de mesurer l’importance relative des différentes causes. Les causes naturelles (mauvaise qualité des sols, site d’implantation des villages défavorable, détérioration du climat) n’ont joué un rôle que pour la période 1350-1550, mais, dans bien des exemples, les causes naturelles mettent un terme à une évolution négative. Les inondations du Rhin n’entrent en compte qu’au bas Moyen Âge. Les épidémies invoquées par la tradition orale ont certes pu entrer en compte, mais elles mettent dans bien des cas un terme à une évolution défavorable. Par contre, la répercussion démographique des mortalités a enclenché un cycle pernicieux&nbsp;&nbsp;: épidémies massives, accroissement du taux de mortalité, phénomène de dénatalité. Les épidémies sont souvent doublées par des disettes et des famines. M.&nbsp;Grodwohl est également amené à prendre ses distances par rapport aux études de M.&nbsp;Barth et de L.&nbsp;G. Werner qui attribuaient à la guerre de Trente Ans la responsabilité d’une grande part des désertions. Au moment oùelles sévissent, la répartition de l’habitat était déjà figée.</p> <p style="text-align: justify">Enfin, dernier facteur de désertion dans le sud de l’Alsace, mais le cas est unique, le rôle de l’abbaye de Lucelle&nbsp;: l’abbaye constitue de nouvelles granges par l’éviction des paysans. La politique d’absorption des terres est responsable de la disparition d’au moins 10&nbsp; localités, dont 3 dans le Sundgau. Cependant le facteur essentiel de la non-réoccupation de sites de villages désertés est la mainmise des communautés riveraines sur leurs terroirs (Thann, Mulhouse). Il convient toujours de replacer tous ces mécanismes dans la longue durée. Enfin, signalons que les photographies aériennes Lidar (light detection and ranging) disponibles pour le département du Haut-Rhin permettent depuis peu de renouveler le sujet, car elles figurent les plus infimes mouvements de terrain, ce qui permet de localiser non seulement les habitats, mais également leurs territoires, leurs structures agraires quand elles sont fossilisées et le réseau des chemins et des routes.</p>
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== <span style="font-size:x-large">Bibliographie</span> ==
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Contribution à l’histoire de l’habitat rural (XIIeXVIIIe&nbsp;siècle)&nbsp;», ''Publication de la Société savante d’Alsace et des régions de l’Est'', Strasbourg, 1971.</p> <p style="text-align: justify">STREICHER (Jean-Claude) et BAYER (René), «&nbsp; Eberbach, un village disparu ressuscité par les barons de Fleckenstein&nbsp;», ''Outre-Forêt, revue d’Alsace du nord'', 1973.</p> <p style="text-align: justify">GRODWOHL (Marc), Les villages disparus dans le Sundgau, Publication de l’association «&nbsp;''Maisons d’Alsace&nbsp;''»,1974.</p> <p style="text-align: justify">ABEL (Wilhelm), ''Die Wüstungen des ausgehenden Mittelalters. Ein Beitrag zur Siedlungs- und Agrargeschichte Deutschslands'', Stuttgart,1<sup>ère</sup>&nbsp;éd. 1943, 3<sup>e</sup> &nbsp;éd. 1976.</p> <p style="text-align: justify">BARTH, ''Handbuch'', 1980.</p> <p style="text-align: justify">QUELQUEGER (Jean-Marie), «&nbsp;Autour du village disparu d’Ittlenheim&nbsp;», ''Kocherschbari'', 1990/2.</p> <p style="text-align: justify">LAPOINTE (Louis), «&nbsp;Précisions concernant le déclin démographique au Kochersberg résultant de la guerre de Trente ans&nbsp;», ''Kocherschsbari'', 1993/1.</p> <p style="text-align: justify">BOEHLER, ''Paysannerie'' (1994), t.&nbsp;1, p.&nbsp;167-194.</p> <p style="text-align: justify">METZ (Bernhard), «&nbsp; Les habitats disparus en Alsace&nbsp;&nbsp;», DRAC Alsace, ''Service régional d’archéologie, bilan scientifique'', Hors série 2/2, 2006.</p>
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== Notices connexes ==
 
== Notices connexes ==
 
<p style="text-align: justify">''[[Wüstung|Wüstung]]''</p> <p style="text-align: right">'''François Uberfill'''</p>
 
<p style="text-align: justify">''[[Wüstung|Wüstung]]''</p> <p style="text-align: right">'''François Uberfill'''</p>

Version du 30 septembre 2020 à 09:28

Village disparu, Wüstung  

Constructions permanentes, portion de village ou village complet, ayant formé ou ayant été rattachés à une paroisse et ayant eu un lien de dépendance avec un seigneur. Ces constructions ont disparu entre le XIIe et le XVIIIe siècle pour de multiples causes. La question de l’habitat disparu constitue un sujet majeur de l’historiographie alsacienne du Moyen Âge et des Temps modernes, dont l’étude requiert le recours à de nombreuses disciplines. En faisant le point en 1965 sur les désertions rurales en France, E. Le Roy Ladurie et Jean-Marie Pesez constataient que l’Alsace était sans nul doute la province où les villages disparus avaient suscité le plus de recherches et de publications. Leur rythme ne s’est pas ralenti depuis cette date. Le phénomène des Wüstungen, plus répandu dans le monde germanique qu’en France, a surtout touché les régions rhénanes, pays de Bade, Wurtemberg, Palatinat et Hesse.

Les historiens se sont d’abord attachés à dresser la liste des villages désertés, à mesurer l’importance comparée des habitats disparus, puis à en établir une répartition régionale, enfin, et cela constituait la démarche la plus hasardeuse, à essayer de dater ces disparitions. Un constat s’impose : au fur et à mesure de la progression de la recherche, la liste des désertions s’est allongée. Dans le passé, historiens, mais aussi érudits locaux ont multiplié à plaisir le nombre des villages disparus, en prenant trop souvent appui sur la tradition populaire. Ils ont ainsi participé à la déformation des esprits en publiant des travaux qui ont alimenté la légende d’un pays à demi déserté du fait des guerres, mettant notamment en exergue les dévastations liées à la guerre de Trente Ans. Les drames vécus par les populations semblent avoir marqué de façon traumatisante la mémoire collective et les récits des horreurs transmis au cours des veillées ont contribué à amplifier les effets, entretenant les passions et les conflits entre villages. Il est symptomatique de relever que, jusque dans les années 1970, on a élevé des calvaires et des monuments en souvenir des villages désertés (M. Grodwohl).

Le chanoine Alexandre Straub a fait œuvre de précurseur en présentant à la séance du 28/06/1887 de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace dont il était le président une liste de 256 villages et localités entièrement disparus entre le XIIe et le XVIIIe  siècle. Celle-ci contenait les noms et dates des implantations, la situation des localités, l’époque et la cause de leur disparition, les vestiges ou les monuments qui indiquaient leur emplacement. Ce travail était le fruit de recherches d’archives, de relevés archéologiques menés avec l’archéologue G. Stoffel et de la reprise de récits anciens. A. Straub avait entrepris ce travail à l’instigation du grand érudit allemand, Julius Euting, professeur à la Kaiser-Wilhelms-Universität et bibliothécaire de la Kaiserliche Universitäts- und Landesbibliotek. À la demande de la Société pour la conservation des monuments historiques, son travail fut publié dans les deux langues, compte tenu de sa nouveauté.

Dans les années qui ont précédé la Grande Guerre, L. G. Werner a repris le flambeau. Ses études se limitaient à la Haute-Alsace. Il a utilisé la carte de Specklin (1576) qui fut établie à l’époque où existaient encore quelques localités disparues aujourd’hui. Il exploita également les données fournies par les collections des plans agraires de 1760, une source de tout premier ordre. Mais il s’est montré très perméable aux récits et aux légendes qu’il a pu recueillir et a surestimé les dévastations de la guerre de Trente Ans. Il a ainsi dénombré 203  ensembles de constructions et de localités situées surtout dans le Sundgau. La liste de F.  Langenbeck, publiée en  1931, comprend pour l’Alsace 149  « Wüstungen bien établies  » et 110 autres qualifiées de « douteuses ».

En entreprenant ses recherches sur la Basse-Alsace dans les années  1960-75, André Humm prend comme point de départ les thèses de W. Abel qui font alors autorité en Allemagne et il va, en partie, les remettre en cause. L’attention portée au cadastre, à la configuration des terroirs, aux convergences des chemins, aux démarches de la topographie archéologique, enfin aux causes des disparitions (phénomènes ponctuels, tels les catastrophes naturelles, la fermeture des mines ; phénomène de plus grande envergure, comme la guerre permanente jouant dans un contexte de dépression démographique) aboutit à allonger la liste des habitats disparus. Mais à y regarder de plus près, on constate que sur 311 Wüstungen, 82 seulement – le chiffre est d’ailleurs suffisamment important – méritent vraiment le nom de village.

Les dates de disparition sont rarement connues. Le processus s’étend sur une longue période et on en discerne difficilement le début. Il existe un décalage variable entre la dernière mention du village et la première indication de sa ruine. Cet intervalle peut s’étendre jusqu’à un siècle. Les historiens ont souvent confondu le village avec la paroisse ou la cour colongère qui porte son nom. Par contre, la ruine de l’église et la suppression de la paroisse sont une preuve avérée.

A. Humm a tenté, avec de grandes précautions, une datation par périodes. D’après les dernières mentions des villages et des indices probants de leur disparition, il arrive à dater la désertion d’environ 60% des localités (116 disparitions probables sont considérées comme « disparues à une époque inconnue  »). Sur les 218 cas datés, seuls 8% remonteraient aux XIIe-XIIIe siècles, environ 60% aux XIVe-XVe siècles, 30% seulement à l’époque moderne. Il ressort clairement que la période des XIVe-XVe  siècles constitue le point culminant des désertions des lieux habités (tableau dans A. Humm, p. 23).

Les différences de région à région sont finalement peu sensibles : 40% des localités disparues sont situées au pied de la  montagne ; dans le Kochersberg, il y a opposition entre le nord, l’est et le reste du pays ; peu de désertions dans le Ried, sauf dans les régions à l’est de Sélestat ; moindre résistance des villages secondaires. L’étude jette un doute sur un point de la thèse de W. Abel, sur la sélection des terroirs qui devait toucher en premier les zones de sol pauvre. L’intérêt de l’étude est également de montrer – les travaux de Straub l’avaient déjà fait apparaître – le faible nombre de localités dont la disparition peut être portée au passif de la guerre de Trente Ans.

S’inscrivant dans une démarche identique à celle d’A. Humm, mais en insistant sur la mobilité de la maison alsacienne en bois, montée et démontée à volonté, Marc Grodwohl constate que l’on dispose à présent (1972) d’une documentation abondante, mais que les historiens n’ont jamais pu réaliser une étude d’ensemble. Les sciences auxiliaires, dont on attendait beaucoup, fournissent des renseignements aléatoires, voire fallacieux. Les cartes (Specklin, cartes d’assemblage du Bas-Rhin), source pourtant essentielle, sont pauvres en renseignements. Les données de l’archéologie ne correspondent pas toujours aux dates des textes, le matériau étant souvent postérieur (tuiles, céramiques). La toponymie peut conduire à des conclusions erronées (Hochkirch, Oberdorf, Kohlacker, Rothacker). La photo aérienne, dans laquelle on avait placé bien des espoirs a certes permis de découvrir des tronçons de routes anciennes, mais son utilisation devient restreinte avec l’augmentation de surfaces bâties. Le recours à la tradition orale et l’appel à des informateurs locaux sont souvent peu fiables. Mais c’est la recherche de la datation qui constitue un chemin parsemé d’embûches. Il y a d’abord lieu de distinguer entre les disparitions temporaires et les disparitions définitives. Il peut en effet se passer un long moment entre l’apparition de signes de relative faiblesse économique dans certains villages, lorsque l’on constate qu’ils n’acquittent plus que de faibles redevances et leur disparition (exemples des villages situés à la lisière du vignoble au sud de Mulhouse et de Kembs), alors que ceux implantés au nord de cette ville se repeuplent au XVe  siècle). Autres exemples d’abandon progressif : Ruelisbrunn est abandonné peu avant 1474 ; Saint-Léger n’est plus que faiblement peuplé en 1448, puis est définitivement déserté en 1485. Les deux villages de Modenheim et d’Illzach sont achetés par Mulhouse en 1437 ; mais à Modenheim, il ne restait plus qu’un moulin à cette date. La désertion devait être bien avancée lors de l’achat des deux villages. Il se passe une période longue entre la désertion des habitants, la destruction de l’habitat et le retour à la friche. La désertion se fait souvent en plusieurs étapes : Burnen disparaîtrait à la fin du XIVe siècle, mais en 1477, un des sujets de Burnen cherche refuge à Mulhouse et l’église n’est abandonnée qu’en 1496. Selon Grodwohl, la moitié des désertions se fait entre 1300 et 1350. Une seule exception notable, celle de Grand-Huningue qui disparaît entre 1679-80, lorsque les habitants sont déplacés vers une île du Rhin lors de la construction de la forteresse de Huningue et vont fonder Village-Neuf.

L’auteur débouche sur des conclusions analogues à celles d’A. Humm concernant les causes des désertions. Il ne faut pas tant rechercher quelle a pu être la cause censée unique de la disparition des habitats, mais tenter de mesurer l’importance relative des différentes causes. Les causes naturelles (mauvaise qualité des sols, site d’implantation des villages défavorable, détérioration du climat) n’ont joué un rôle que pour la période 1350-1550, mais, dans bien des exemples, les causes naturelles mettent un terme à une évolution négative. Les inondations du Rhin n’entrent en compte qu’au bas Moyen Âge. Les épidémies invoquées par la tradition orale ont certes pu entrer en compte, mais elles mettent dans bien des cas un terme à une évolution défavorable. Par contre, la répercussion démographique des mortalités a enclenché un cycle pernicieux  : épidémies massives, accroissement du taux de mortalité, phénomène de dénatalité. Les épidémies sont souvent doublées par des disettes et des famines. M. Grodwohl est également amené à prendre ses distances par rapport aux études de M. Barth et de L. G. Werner qui attribuaient à la guerre de Trente Ans la responsabilité d’une grande part des désertions. Au moment oùelles sévissent, la répartition de l’habitat était déjà figée.

Enfin, dernier facteur de désertion dans le sud de l’Alsace, mais le cas est unique, le rôle de l’abbaye de Lucelle : l’abbaye constitue de nouvelles granges par l’éviction des paysans. La politique d’absorption des terres est responsable de la disparition d’au moins 10  localités, dont 3 dans le Sundgau. Cependant le facteur essentiel de la non-réoccupation de sites de villages désertés est la mainmise des communautés riveraines sur leurs terroirs (Thann, Mulhouse). Il convient toujours de replacer tous ces mécanismes dans la longue durée. Enfin, signalons que les photographies aériennes Lidar (light detection and ranging) disponibles pour le département du Haut-Rhin permettent depuis peu de renouveler le sujet, car elles figurent les plus infimes mouvements de terrain, ce qui permet de localiser non seulement les habitats, mais également leurs territoires, leurs structures agraires quand elles sont fossilisées et le réseau des chemins et des routes.

Bibliographie

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SCHOEPFLIN, Als. dipl. (1772-75).

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QUELQUEGER (Jean-Marie), « Autour du village disparu d’Ittlenheim », Kocherschbari, 1990/2.

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Notices connexes

Wüstung

François Uberfill