Gült

De DHIALSACE
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Ackerzins, Canon, Cens, Fermage, Zins

Revenu foncier sous forme de rente en nature, assise, en principe, sur une terre bien définie (bien à rente ou Gültgut). Il existe des Weingülten mais, le plus souvent, la Gült est perçue en grains. Selon l’espace considéré et la nature des grains exigés, elle se situe, à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, entre 2 et 3 hectolitres par hectare dus par le fermier (Gültmann) du bien-fonds en question.

Un ou plusieurs Gültgüter, que l’on tient d’institutions ecclésiastiques, charitables ou hospitalières (Chapitre de Neubourg, OEuvre Notre-Dame, Fondation Saint-Thomas, Hôpital de Strasbourg, Hospice_des_pauvres_passants, etc.), mais également de représentants de la noblesse ou de la bourgeoisie, peuvent constituer, pour les exploitants, un intéressant appoint de terres affermées, parfois indispensable à la survie d’exploitations importantes, seules capables de fournir aux propriétaires fonciers des garanties de bonne gestion et d’acquittement régulier des canons. Le statut du Gültgut se rapproche donc de celui du simple fermage (Lehngut, Lehnacker), puisque, comme pour ce dernier, la Gült porte sur le produit du sol (entre 10 et 15 % de la récolte), même si le second, en vertu d’un bail simple ou « à temps ordinaire », est susceptible d’être périodiquement réajusté aux termes d’un « contrat de louage » régulièrement renouvelé (3, 6, 9, jusqu’à 18 ans), ce qui n’est pas forcément le cas pour le Gültgut.

Quant au propriétaire, l’opération est doublement intéressante : d’une part, l’amortissement du Gültgut peut se faire, en temps normal car la conjoncture joue un rôle important, en moins de dix ans après son acquisition grâce à la perception régulière des Gülten ; d’autre part, ces dernières sont facilement monnayables dans la mesure où, de plus en plus, elles se trouvent déconnectées des terres sur lesquelles elles portaient à l’origine et deviennent donc de simples titres de rente. De ce fait, elles finissent par être fractionnées (en quarts, demi, dixièmes de Gülten) au gré des ventes, échanges ou héritages. Leur extrême mobilité et les tentatives de regroupement témoignent du caractère spéculatif des opérations. L’affermage au détail de parcelles isolées et les contraintes d’une collecte de rentes fractionnées constituent certes une menace d’émiettement, souvent conjurée par le système de la « porterie » (Trägerei), mais, en définitive, le système se révèle infiniment plus rentable que d’autres formes d’amodiation. Relevons enfin que le défaut d’acquittement de la Gült peut être, par voie de gage ou d’hypothèque, à l’origine du mécanisme de l’endettement rural.

Du fait de l’incertitude du vocabulaire utilisé ou de la polysémie des mots employés (« Gült oder Zins », AHR E 1348, Weckolsheim, 1710), il s’introduit une confusion à la fois avec le cens seigneurial et avec le cens emphytéotique. Lorsqu’à Schweighouse, près de Haguenau, le seigneur s’évertue, au moment de la « reconstruction » entre 1669 et 1687, à percevoir un Ackerzins de 2 Schilling par Acker, ce qui témoigne d’ailleurs de la progressive remise en culture des terres abandonnées lors des guerres du XVIIe siècle (ABR 1J suppl. 17), il pourrait bien s’agir d’un cens et non d’une rente. L’expression courante « Zins– und Gültgüter » est de nature à entretenir la confusion ou l’amalgame. La réalité est plus complexe que ne le laisserait supposer la distinction théorique établie en 1790 par Chauffour l’Aîné au nom du Conseil_souverain d’Alsace : « On appelle un cens Gült quand il consiste en grains et Zins quand il consiste en argent. » (cité par Hoffmann (1906), t. I, p. 201, note 1). Beaucoup plus léger que la Gült, perpétuel, invariable et irrachetable, le cens seigneurial, ayant valeur recognitive d’une concession primitive de la part du seigneur, qui se réserve la propriété « éminente » tout en abandonnant la propriété « utile » à un censitaire, accorde en fait à ce dernier le droit d’exploiter le bien d’autrui. Il porte donc, non sur le produit de la terre comme le fermage, mais sur le fonds lui-même, sans rapport avec la récolte présumée ou obtenue. Le plus souvent, on a perdu la mémoire de ses origines et de ses assises féodales, puisqu’il finit par devenir purement symbolique. Il ne survivra pas à la Révolution suite à l’abolition des droits féodaux (décrets du 4 août 1789 et du 15 février 1790), contrairement au fermage qui passe pour être un loyer dû au propriétaire, fût-il roturier. Lors de la nuit du 4 août, on sera en effet amené à mettre en question le bail à cens seigneurial, ce dernier, dû à un seigneur ou à un possesseur de fief, étant parfois confondu avec l’emphytéose en ce qu’elle a de « perpétuel », mais pas le bail à rente ordinaire dont continue à bénéficier la bourgeoisie révolutionnaire. Quant aux notaires, ils prennent soin à faire la distinction (Gült und Beschwerden) entre ce qui relève du loyer et ce qui est imputable à l’impôt.

Ce qui nourrit également la confusion, c’est l’existence d’un « cens emphytéotique » qui est en fait uneGült figée. En effet, si le propriétaire n’y prend garde, le Gültgut peut se transformer en bien emphytéotique (stählerne Gült, ständiges ou ewiges Gültgut), quasiment héréditaire au prix, sinon d’une véritable aliénation, du moins d’une dénaturation du Gültgut d’origine, mais qui rapporte cinq à dix fois moins que ce que rapporterait un bail à ferme : voilà qui illustre la patiente lutte de la paysannerie pour la possession du sol, à défaut d’en avoir la propriété au sens juridique du terme. On notera donc la fréquente distorsion entre la réglementation imposée par le droit officiel et la pratique sociale, la confusion entre ce qui appartient au « féodal » et ce qui relève du « foncier » et l’ambiguïté qui entoure les termes employés (Gült et Zins). Le cens emphytéotique, portant sur une terre « à bail de cens », nous renvoie sans doute au sens originel du mot « Gült » (v. Canon, Cens). De l’époque médiévale à la Révolution française, les termes de Gült, Gültgut et Gültmann auront donc changé de signification.

Sources - Bibliographie

Archives de l’État de Bâle, Q 261 (exposé sur la rente au XVIIIe siècle).

Notes d’arrêts du Conseil souverain d’Alsace, Colmar, 1683-1785, t. II, p. 38 (4 février 1778).

Procès-verbaux des séances de l’Assemblée provinciale d’Alsace (du 10 novembre au 10 décembre 1787), Strasbourg, 1788.

Considérations sur les droits particuliers et le véritable intérêt de la province d’Alsace, Strasbourg, 1789.

KOCH (Christophe Guillaume),Traité sur la nature des biens ruraux dans les deux départements du Rhin, Strasbourg, 1797.

Journal de Jurisprudence, Arrêts de la Cour d’Appel de Colmar, t. VIII (« Gült »), t. IX, p. 364-368 et t. XV, p. 304 ss.

D’AGON DE LA CONTRIE, Ancien statutaire d’Alsace et actes de notoriété fournis en 1738 et 1739 par M. de Corberon…, Colmar, 1825.

Archives départementales du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, actes notariés (voir Bibliographie Vogt et Boehler).

HOFFMANN (1906), t. I, p. 222 ; t. III, p. 252-253 (Koch, administrateur du département du Bas-Rhin en l’an III) et p. 345-347.

VOGT (Jean) : Face à la dispersion des informations fournies, nous avons pris le parti de ne pas tenir compte des nombreux articles portant sur les activités foncières et le patrimoine foncier des acquéreurs de terres pour renvoyer aux études sectorielles limitées à la Basse-Alsace et consacrées :

– aux problèmes de tenure : en Basse-Alsace en général (Cahiers de l’Association interuniversitaire de l’Est, 5, 1963, p. 32-41 et Histoire de l’Alsace rurale, Strasbourg, 1983, p. 245-253) ; Outre-Forêt et Palatinat, Actes du 80e Congrès national des Sociétés savantes, Paris-Lille, 1955, p. 113-131) ; dans le Ried méridional, Ann. SHDBO, 13, 1979, p. 119-129 ; dans la région de Brumath, Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Brumath, 17, 1991, p. 2-10 ; dans la région de Molsheim, Ann. SHAME, 1998, p. 35-52 et celle d’Obernai, Ann. SHDBO, 32, 1998, p. 83-97 ; dans la région de la Zorn, Bull. SHASE, 134, 1986/I, p. 51-54 et entre Zorn et Moder, Etudes haguenoviennes, XXVII, 2001, p. 207-228.

– aux questions relevant des rentes en nature, essentiellement dans la région de Strasbourg : Revue d’histoire moderne et contemporaine, XV, 1968/4, p. 662-671 ; Bull. SHASE, 1975 , supplément consacré à la Guerre des Paysans, p. 137 ;ibid. 130, 1985/I, p. 43.

BOEHLER, Paysannerie (1994), t. I, p. 547-574, 614-644, 910-911.

BOEHLER (Jean-Michel), « De la reconstruction agraire à la mise en vente des biens nationaux : possession de la terre, conjoncture agraire et rapports sociaux dans la plaine d’Alsace aux XVIIe et XVIIIe siècles », communication à la Société d’histoire moderne et contemporaine, Paris-Sorbonne, 7 novembre 1998, publiée dans le Bulletin de la Société d’histoire moderne et contemporaine, 1999, 1-2, p. 51-62.

BOEHLER (Jean-Michel), « Être propriétaire sans l’être tout en l’étant : pratiques emphytéotiques dans la campagne alsacienne aux XVIIe et XVIIIe siècles », RA, 140, 2014, p. 79-96.

Notices connexes

Bail_rural

Canon

Cens

Emphytéose

Erblehen

Jean-Michel Boehler