Gewerf(f)

De DHIALSACE
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Beth, Gewerfsteuer, Schatzung, Steuer, Taille

Le terme est attesté dès les XIVe-XVe siècles. Impôt impérial occasionnel à l’origine, il désigne, dès le début de l’époque moderne, un droit annuel régulier, concédé aux États de l’Empire, les autorisant à lever et à collecter l’impôt dans les limites de leur juridiction. Par extension, ce droit a donné son nom à l’imposition elle-même, qui alimente sous l’Ancien Régime le budget seigneurial et qui est appelée indifféremmentGewerf, Beth ou Schatzung. Le mot « Gewerf » (de « werfen » ou « gewerfen »), qui, sous l’acception de « jet » ou « régalement », renvoie à l’étymologie du mot « taille » qui est le droit de « tollir », c’est-à-dire de prendre une partie du bien d’un sujet. Le Gewerf se règle en général en deux termes : à Pâques et à la Saint‑Michel ou à la Saint‑Martin ou encore en mars (Mertzsteuer) et en septembre (Herbststeuer). Il est payable tantôt en nature (vin, grains), tantôt en espèces.

La taille, qui est un des principaux impôts directs en cours sous l’Ancien Régime, peut être considérée comme « réelle » si elle porte sur un bien-fonds (terres taillables, propriétés bâties ou non bâties), comme « personnelle » si elle est due en raison de la qualité du contribuable, ou comme « mixte » si elle s’acquitte à la fois à titre réel et à titre personnel. Dans le premier cas, elle touche en principe les biens des privilégiés comme ceux des roturiers, ceux des forains comme ceux des bourgeois. Dans le deuxième cas, elle s’applique aux seuls justiciables, à l’exclusion des étrangers : c’est ainsi qu’à Andolsheim, en 1741, le seigneur réclame 12 boisseaux de grains pour un « laboureur à charrue », 4 pour « un manant avec chevaux et terres », 2 pour un « manant sans terre » (AN K 2324/3). Dans le troisième cas enfin, elle concerne à la fois les habitants en raison de leur domicile et les propriétaires de biens-fonds taillables. En l’absence de titres officiels ou d’arrêtés incontournables, il est parfois difficile de déterminer la nature exacte de l’impôt et, selon le cas, un sujet peut être taillable dans la seigneurie dans laquelle il réside ou résider dans une autre seigneurie sans être taillable.

Equivoque dès son origine, ce droit donne lieu à des difficultés de recouvrement en raison de l’arbitraire du percepteur (Gewerfer, Gewerfsammler), de la variabilité de la récolte annuelle ou de celle du nombre d’habitants de la circonscription fiscale prise en considération. Tel est le cas lorsque le Gewerf n’est pas fixe ou s’il est abonné, comme un cens collectif, aux communautés débitrices. Ses variations nécessitent périodiquement une expertise de la part des officiers de la seigneurie, généralement accompagnés par le prévôt ou les préposés de la communauté. À Colmar, le Gewerf, qui rapporte à la fin du
XVIIIe siècle entre 6 000 et 7 000 livres tournois par an, revêt une importance particulière dans la mesure où sa répartition sert de base aux impositions royales à raison de 2/3 sur les biens‑fonds – terres labourables, vignes, prés, bois – et d’1/3 sur « les facultés et l’industrie » – bourgeois et manants, avocats et procureurs, veuves et célibataires –, les uns et les autres pouvant se révéler aléatoires et faisant l’objet d’une estimation différente. C’est dire l’importance que revêt le « tailler » (Gewerfbuch, Gewerfbüchlein) dans la détermination du « pied de taille », périodiquement remis à jour. S’y ajoutent de nombreuses exemptions, du reste variables d’un endroit à l’autre, dont peuvent bénéficier les prévôts, les officiers et agents de la seigneurie, les curés et maîtres d’école, les sages-femmes, les juifs (qui acquittent une taille spéciale, le Judengewerf), parfois des communautés entières. Voilà de quoi alimenter les réflexions et récriminations des juristes du Conseil_souverain qui ressortent des écrits de Corberon, de Chauffour l’Aîné et de Chauffour le Jeune au XVIIIe siècle, aux prises avec une multitude d’« usages », en marge et parfois en contradiction avec le droit officiel.

À la suite de graves troubles intervenus en 1740, la Ville de Mulhouse renonce à cet impôt. Mais, dans l’ensemble, il perdure parce qu’il rapporte, si on en croit les chiffres qui nous sont parvenus à la veille de la Révolution : plus de 2 000 livres tournois par an dans le duché de Mazarin ; 240 mesures de vin, 670 rézaux de grains et autant de livres tournois dans les terres de Horbourg-Riquewihr ; l’équivalent de 15 722 livres tournois dans le comté de Ribeaupierre… Facteur aggravant : l’acquittement du Gewerf s’accompagne le plus souvent d’« accessoires », considérés par les juristes comme dérisoires et anachroniques. C’est ainsi qu’à Bischwihr on réclame, au milieu du XVIIIe siècle, 1 Schilling par rézal de taille en février et autant à la moisson (AN K 2324) et, en 1784, dans le village voisin de Fortschwihr, le Hornung- und Ernschilling à raison de 2 sols et 8 deniers par rézal de taille (AHR, E 159). En 1788, la Commission intermédiaire commence par supprimer les abus les plus criants – exemptions injustifiées et frais de bouche occasionnés par la répartition ou la levée du Gewerf – et, par les décrets du 4 août 1789 et du 15 mars 1790, l’Assemblée nationale décide la suppression de la taille sur l’ensemble du territoire français.

Bibliographie

SCHMIDT, Propriété rurale (1897), p. 57-59.

HOFFMANN, L’Alsace au XVIIIe siècle (1906), t. III, p. 483-502.

HIMLY,Dictionnaire (1983), p. 83.

MEININGER (Ernest), Dictionnaire des toponymes et des vieux termes mulhousiens, revu et complété par Raymond Oberlé, Steinbrunn-le-Haut, 1986.

BOEHLER, Paysannerie (1994), t. II, p. 1219, 1371.

Notices connexes

Beede- Beeth- Bet(e)

Fiscalité

Gefäll(e)

Schatzung

Taille

Jean-Michel Boehler